Playoffs: Roman policier
Par François Clapeau
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À propos de ce livre électronique
Quarante minutes. Le temps d’une finale pour deux équipes de basket-ball. Le temps d’un dernier combat pour deux joueurs. Ce soir à Limoges, dans l’ambiance volcanique de Beaublanc, celui qui va s’incliner perdra bien plus qu’un titre de champion. Amis depuis toujours à la vie à la mort, c’est le crépuscule de leur innocence. Quarante minutes. Le temps d’un crime, devant six mille témoins.
Plongez au coeur d'un roman policier plein de supens, mêlant amitié, crime et rencontre sportive !
EXTRAIT
Ce soir à Beaublanc, dans ce gymnase de ciment gentiment vintage, l’animation est à son paroxysme, parce qu’il s’agit d’une finale. Et l’expert américain reste sur sa faim. La mascotte peine à se faire remarquer du public, seuls quelques enfants admirent cette drôle de vache bipède aux danses ésotériques. Le speaker n’a pas plus de succès, lui qui tente en vain de dompter une sono prête à rendre l’âme. Les cheerleaders sont bien là, étrangement dénommées « pom pom girls », un terme jamais utilisé en Amérique. À chaque pause dans le jeu, leurs intermèdes courts et rythmés provoquent quelques réactions en tribune. Elles sont douées, vaillantes, mais elles ne sont pas françaises : il s’agit d’une troupe allemande uniquement convoquée pour la circonstance. D’habitude, il n’y a pas une telle stimulation lors des matchs, d’où l’intérêt du public pour cette prestation jugée exotique.
À PROPOS DE L'AUTEUR
François Clapeau est journaliste, spécialisé dans le domaine de la santé. Après avoir travaillé dans de nombreuses villes, il s’installe à Limoges en 2002. Il a écrit des textes pour enfants et joue de la guitare dans le groupe rock Dumont d’Urville ; Damage Control est son premier roman policier. Il vit à Limoges.
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Aperçu du livre
Playoffs - François Clapeau
ENTRE DEUX
CHAPITRE 1
Limoges, vingt ans plus tôt
Théo a peur, et Spiderman un peu aussi. Le grand bonhomme au costume bleu et rouge a beau avoir les yeux qui brillent et les bras qui s’agitent tout seuls quand on appuie sur l’interrupteur dissimulé dans son dos, il ne fait pas le fier, allongé à plat ventre sur la commode, le visage plaqué contre une planche de bois sombre. Derrière lui, plus courageux, des chevaliers Playmobil sont au garde-à-vous, prêts à contrer l’assaut d’un vaisseau spatial en plastique blanc empli de martiens patibulaires. Mais tous paraissent bien frêles à côté des monstres bruyants qui font trembler les murs et le plancher.
Sur qui compter alors ? Il y a bien Doudou, toujours fidèle au poste, même dans les moments les plus difficiles : dents qui poussent, varicelle… Une sorte de souris, ou plutôt un rat, aux oreilles déchirées et à la queue toute dévorée par une bouche d’enfant avide de réconfort. Doudou en a vu d’autres, et il est encore là. Théo le serre contre son cou, essuie une larme, et s’enfonce un peu plus sous sa couette aux couleurs vives, devenues ternes dans l’obscurité. Seuls ses cheveux blonds et fins dépassent un peu. Malgré la grosse couverture et son épais pyjama de coton, il a froid et sent ses mains trembler.
Il y a une grosse voix grave, et une autre plus perçante. Une dispute. Juste au-dessous de la chambre, au rez-de-chaussée de la grande maison bourgeoise. Il a l’habitude, et pourtant il n’arrive pas à s’y faire. Quand la nuit tombe, son papa et sa maman se transforment en loups. Il connaît l’histoire, il l’a lue dans un livre à la bibliothèque de l’école : ce sont des loups-garous. Parents le jour, animaux la nuit. Pas de chance, c’est tombé sur sa famille. Les bêtes hurlent des mots qu’il ne comprend pas et qui le font frémir. Mais il sait que demain matin, au petit déjeuner, il retrouvera en face de lui des humains, aux mines simplement fatiguées. Avec un peu de chance, il aura même un sourire.
Parfois, lors d’un moment de répit, il voudrait demander à ses parents de lui faire un petit frère. Un ami qui lui ressemblerait, qui serait surtout à ses côtés les soirs de terreur. Quelqu’un avec qui partager tout ça. Mais finalement il se ravise toujours : il ne veut pas imposer cette angoisse à un être plus fragile que lui, qui n’a de toute façon certainement pas envie d’exister. Il doit affronter seul le mauvais sort.
La silhouette noire de son peignoir, accroché à une patère sur la porte de la chambre, fait penser à une sorcière. Le cintre se transforme en chapeau pointu, un nez crochu est dessiné par un morceau de la ceinture en coton qui rebique. Théo sait bien qu’il regarde son peignoir. Pourtant, il ne voit que la créature menaçante. Finalement, c’est peut-être elle qui est en train de hurler… Il pourrait appeler ses parents pour se rassurer ? Pas ce soir, pas quand ils dégénèrent. Les cris s’accélèrent, on dirait maintenant que les loups vont s’entredévorer.
Théo sort sa bouille rose et ronde de la couette, puis étire un bras hors du lit et allume sa lampe de chevet. Il se sent plus en sécurité comme ça, avec un peu de lumière. Il aimerait mettre de la musique, pour s’apaiser encore, pour ne plus entendre ces éclats de voix pleins de haine. Il a appris à allumer son lecteur CD tout seul, il peut y arriver. Mais, s’il fait du bruit, les monstres ne vont-ils pas l’entendre ? Monter et s’en prendre à lui ? Trop dangereux.
Ce qu’il redoutait finit tout de même par arriver : des pas, dans l’escalier. Ils grimpent vers l’étage, vers son refuge. Le bois craque, l’enfant entend déjà un souffle, rapide, rythmé par quelques sanglots étranges. L’un des loups va se coucher.
Théo se tourne immédiatement vers l’interrupteur de sa lampe, pour l’éteindre. Puis il se blottit à nouveau sous sa couverture protectrice. Il s’efforce de respirer le plus silencieusement possible.
Les pas se rapprochent. Cette fois, le monstre est juste à côté, la chambre de Théo est la première sur le palier. La marche s’arrête. Plus un bruit. Théo sort la tête de sous la couette, plisse ses yeux embués et distingue une ombre qui masque une partie du trait de lumière, sous la porte. La bête est derrière. C’est sa maman.
Théo écarquille les yeux. Peut-être va-t-elle entrer ? Pour le gronder encore ? Ou pour déposer un baiser sur son front, tendrement. C’est déjà arrivé, quelquefois. Il sourit à cette idée. Après tout, lui n’est pas un loup, juste un enfant, son enfant… Pour ne prendre aucun risque, il fermera les yeux, il fera semblant de dormir. Mais il restera concentré, profitera au maximum. Il sent son petit cœur qui bat plus vite. Il se prépare, tend l’oreille, rempli d’espoir. La poignée va bouger.
Les secondes passent. La poignée demeure figée.
Puis les pas s’éloignent. Théo est seul, face à la sorcière pendue à sa porte. Il avale sa salive, essuie une nouvelle larme et colle son doudou contre sa poitrine serrée.
CHAPITRE 2
Théo Verlhac apparaît le dernier, sortant des coulisses d’un pas de course léger et maîtrisé, guidé vers ses coéquipiers par ce halo de lumière qui le fait passer pour une rock star. Son nom est écrit en vert sur son maillot blanc, juste au-dessus du chiffre 4, le numéro fétiche qui l’accompagne depuis le début de sa carrière. Devant, derrière, tout autour de lui et à perte de vue, la foule l’accueille en criant son prénom avec encore plus de passion que pour les autres joueurs : il a acquis, ces dernières saisons, la place très enviée de chouchou de Beaublanc. Parce qu’il est né ici, parce qu’il porte fièrement les couleurs de sa ville, parce qu’il se fait un devoir d’effectuer un tour de piste après chaque victoire, pour saluer le public, le remercier, comme si ses performances n’étaient que le fruit d’encouragements sincères. Il serre les mains des fans qui s’approchent, enlace des enfants, parfois aussi quelques supportrices délurées. Ses cheveux dorés impeccablement coiffés et ses yeux bleus pleins de sagacité lui donnent des allures de gendre idéal. Son jeu rigoureux et son adresse insolente ne font évidemment que solidifier match après match ce statut très particulier. L’image d’un héros, d’un amant, ou d’un fils.
Il va se placer au bout de la longue file formée par son équipe. Avec son mètre quatre-vingt-dix, il est plus petit que les autres. Rien d’anormal pour un meneur. Et ses larges épaules qui surplombent un corps sculpté par des séances de musculation quotidiennes lui permettent de se faire respecter sans difficulté sur n’importe quel terrain. Il sautille sur un point fixe, fait tourner ses poignets pour finir d’échauffer les muscles qui manœuvrent ces articulations stratégiques… des gestes familiers, renouvelés à chaque match, qui installent une routine rassurante avant un rendez-vous si pesant.
Au milieu de ces mouvements immuables, seul celui de ses yeux dénote. D’ordinaire centré sur le parquet et les joueurs qui l’occupent, son regard se perd au milieu du bouillonnement des tribunes, dans une dérive inhabituelle.
C’est l’unique symptôme d’un sentiment d’inquiétude.
Même s’il connaît cette salle par cœur, il n’a jamais senti une telle atmosphère. Tous les supporters sont habillés de vert, aucun ne fait de pause dans son chant. Beaublanc ne reprend pas son souffle. Et les joueurs ont appris par une confidence de leur président dans les vestiaires que le stade de rugby voisin est lui aussi plein à craquer : la municipalité a installé sur le gazon un écran géant qui retransmettra la rencontre en temps réel. Plus que les fans de basket, c’est toute une ville qui suit l’événement. Des familles, des jeunes, des vieux… Mais ce n’est pas cet engouement si particulier qui perturbe autant le joueur.
Théo Verlhac voudrait rester concentré. C’est son devoir. C’est son métier. L’importance du match transcende son environnement. Il doit être attentif au comportement de ses coéquipiers, à leur énergie, à leur nervosité. Une mimique inhabituelle, un regard fatigué… En tant que meneur, c’est lui qui va organiser le jeu, et chaque détail peut compter. Ce soir, il constate avec satisfaction que tous sont dans un même état d’esprit, totalement mobilisés, prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes. À cet instant, sans doute plus que lui. La présentation des équipes est terminée, le match va débuter dans moins d’une minute. Théo Verlhac passe ses mains sur son short ; elles sont anormalement moites.
Ce match, c’est une manche décisive de la finale des playoffs. La compétition réunit les huit meilleures équipes du championnat de France. Cruellement, la première au classement de la saison régulière ne gagne rien, elle n’est pas sacrée championne : pour décrocher le titre, il lui faut remporter cette nouvelle épreuve, l’apogée d’une grande campagne. En quart de finale, Limoges a battu Le Havre. Ensuite, le CSP a éliminé Nancy. Maintenant, il faut faire tomber Strasbourg.
Les Alsaciens ont fait la course en tête toute l’année, avec sérieux et efficacité. Limoges a connu plus de tourments, mais l’équipe a tout de même bouclé la saison régulière à la troisième place.
Le Cercle Saint-Pierre, club le plus titré de France et désormais outsider, contre Strasbourg Illkirch-Graffenstaden, favori, plusieurs fois finaliste mais jamais vainqueur. Les supporters de Limoges adorent se moquer des Alsaciens qui ornent leur palais des sports avec des bannières de vice-champion de France, quand Beaublanc n’a plus suffisamment de place pour accueillir et présenter aux yeux de la planète ses innombrables trophées, fiers et victorieux.
La finale se joue au meilleur de cinq manches. Les deux premières chez l’équipe la mieux classée, à Strasbourg, les deux suivantes à Limoges, enfin la dernière à nouveau à Strasbourg. L’avantage du terrain. C’est le règlement de la Ligue nationale de basket qui ne parle plus, à ce stade, de « matchs » mais d’« épisodes », pour souligner, s’il en était besoin, que la compétition se transforme alors en saga. L’affaire aurait pu être pliée en trois rencontres, mais il en faudra plus.
Limoges a arraché le premier « épisode ». Un coup de théâtre, une victoire surprise, inattendue, tant Strasbourg a dominé la saison ; dans la salle du Rhénus, au pied du Parlement européen, devant leurs fans, les Alsaciens se sentaient imbattables. Les joueurs du CSP et les quelques bruyants supporters limougeauds qui avaient fait le déplacement ont su déstabiliser cette belle organisation et remporter de justesse une bataille cruciale. Strasbourg a logiquement gagné le match suivant, mais le voyage à Limoges était ensuite beaucoup plus compliqué : l’avantage du terrain avait changé de camp, le CSP pouvait désormais conclure les playoffs sur son bouillonnant parquet.
Et Beaublanc ne s’est pas fait prier. La troisième manche fut conquise avec panache, apportant son bénéfice dramaturgique. Ce soir, le CSP a l’occasion de remporter un nouveau titre dans son antre, triompher devant sa grande famille, qui n’attend que cela après avoir patiemment suivi pendant une saison trop longue de nombreuses rencontres aux saveurs beaucoup moins envoûtantes.
Théo Verlhac saute encore sur place et se donne des claques sur les biceps. Il ne doit penser qu’au jeu, pas à l’enjeu. Et, pourtant, cet enjeu pèse sur ses épaules comme un maillot de plomb. Il y a le titre de champion, bien sûr, l’immense bonheur de la victoire, le plaisir d’exhiber sa médaille à une foule en délire. Des rires, des larmes de joie, de la passion, de