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L'empreinte du paradis: Chiara Lubich et les premiers témoins de la spiritualité de l'unité
L'empreinte du paradis: Chiara Lubich et les premiers témoins de la spiritualité de l'unité
L'empreinte du paradis: Chiara Lubich et les premiers témoins de la spiritualité de l'unité
Livre électronique289 pages4 heures

L'empreinte du paradis: Chiara Lubich et les premiers témoins de la spiritualité de l'unité

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À propos de ce livre électronique

Une évocation à la fois poétique et très documentée de la naissance de la spiritualité de l’unité à travers Chiara Lubich.

L’empreinte du Paradis est une évocation à la fois poétique et très documentée de la naissance de la spiritualité de l’unité à travers Chiara Lubich. Tout est né de cette jeune fille, en 1943, dans la ville très catholique de Trente au nord-est de l’Italie. Très vite, d’autres jeunes filles la rejoignent. Des jeunes hommes aussi… puis des personnes de toutes les générations, de toutes les conditions sociales, des gens humbles et des personnalités politiques, des entrepreneurs et des artistes : tout un peuple à l’image de la société de son époque. La spiritualité de l’unité rejoindra quantité de femmes et d’hommes de milieux très divers : luthériens, anglicans, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes, hindous, agnostiques et athées s’y intéresseront et s’associeront à la soif de recomposition de la famille humaine de Chiara Lubich. Cette spiritualité a la capacité de s’incarner dans les sociétés et dans les cultures les plus variées. Aujourd’hui, l’œuvre de Chiara Lubich – le mouvement des Focolari – se poursuit sur tous les continents en étant attentive aux évolutions de notre temps. Isaline Bourgenot Dutru, professeur des écoles et écrivain, approche Chiara Lubich à travers l’histoire, la culture et l’art. Ces différents apports permettent de mieux situer l’élan de ce mouvement international.

Découvrez le récit de la naissance d'une spiritualité qui a la capacité de s’incarner dans les sociétés et dans les cultures les plus variées !

EXTRAIT

Pour Chiara, le destin des hommes n’est pas nécessairement de s’engager dans une Église ou dans une structure bien définie. Chiara l’a tant de fois répété. L’essentiel est la vie. La vie seulement. La spiritualité aide à mûrir des choix et même des engagements. Les structures, certes, peuvent aider à être plus efficace mais en aucun cas, les structures ne doivent prévaloir sur les êtres. C’est le cœur qui doit parler, c’est le cœur qui fait agir. Seulement. Que l’on soit croyant ou simplement homme de bonne volonté, l’appel à se dépasser et à transformer la société est le même. Je pense souvent à cette proclamation « Être un saint sans Dieu ». Le personnage de Camus, le docteur Rieux dans La Peste, sentit aussi cette exigence. L’Humanité du Christ touchait Camus… à condition que les chrétiens s’occupent vraiment des plus déshérités, sinon… sinon… « Les chrétiens vivront et le christianisme mourra », affirmait-il avec ironie.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Isaline Bourgenot Dutru a été successivement, professeur de français, graphologue puis professeur des Écoles. Actuellement installée à Aix-en-Provence, elle se passionne pour l’écriture sous toutes ses formes. Elle est l’auteur du récit L’Utopie en marche, François Neveux, entrepreneur et inventeur économiquement incorrect (Ed. Nouvelle Cité, 2007) et connaît bien le mouvement des Focolari.
LangueFrançais
Date de sortie13 juin 2018
ISBN9782375820292
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    Aperçu du livre

    L'empreinte du paradis - Isaline Bourgenot Dutru

    - 1 -

    FONDATION

    Rien ne s’oppose à tes pensées¹.


    (1) Jb 42,3. Traduction Louis Segond.

    Au féminin

    Écrire une vie. Relever les traces, contempler les empreintes. Écrire des vies.

    Mars 2008. Deux étoiles dans mon ciel viennent de s’éteindre.

    Deux femmes prises dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Deux âmes nobles. Deux femmes face à cet au-delà du temps, ayant côtoyé le néant, approché la mort… Pour l’une d’elles, c’est risquer de se pencher au-dessus d’un gouffre, pour l’autre, c’est envisager une ascension.

    Et soudain jaillit, chacune à sa façon, la volonté de transcender la douleur et de recréer la vie, sans regard en arrière…

    Le 10 mars à Paris, auront lieu les obsèques de Jeanne A. au funérarium du Père-Lachaise.

    Le 18 mars à Rome, auront lieu les obsèques de Chiara Lubich à l’église Saint-Paul-hors-les-Murs.

    Se connaissent-elles ? L’une d’elles anonyme, Jeanne, a juste « approché » l’autre, Chiara, dont le nom a traversé les frontières. Je voudrais être là pour chacune d’elles mais, pour des raisons professionnelles, je ne pourrai pas me rendre à Rome. Jeanne est une cousine de ma grand-mère et pourtant, les liens qui m’unissent à elle ont dépassé les générations. Quelques jours avant l’enterrement, j’ai appelé son fils.

    « Qu’est-ce qui est prévu pour Jeanne ?

    – Une cérémonie très simple. Un pasteur viendra directement au funérarium, pour un dernier adieu.

    – Quelqu’un fera-t-il un portrait de Jeanne ?

    – Pourquoi ? Tu as pensé à quelque chose ?

    Silence.

    – Je vais y réfléchir. »

    J’ai pris le train très tôt à Aix-en-Provence pour Paris et j’arrive juste à temps au funérarium. La petite salle est maintenue dans la pénombre. Des gens se sourient, on vient à ma rencontre, on se sert dans les bras. On n’ose pas parler. On s’embrasse encore. Puis tout le monde s’assied. Je regarde l’assemblée et je découvre que je suis seule pour évoquer Jeanne… J’ai eu du mal à choisir un texte qui lui correspondrait, un envoi pour elle, et finalement c’est le désir de relire son destin, de transcender la vie qui m’a guidée. Cette phrase est une promesse : « Voici il essuiera toute larme de leurs yeux et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu […] Voici, je fais toutes choses nouvelles². » Cette phrase concerne les temps futurs – ceux de l’Apocalypse – et pourquoi pas ici et maintenant, pour Jeanne ? Jeanne, une femme libre ! J’ai encore cette phrase, bien au chaud dans mon oreille quand elle m’a murmuré : « Je suis heureuse pour toi ! »

    J’avais 21 ans. J’attendais un enfant. Je sus très vite que j’allais devoir l’élever seule. Jeanne détonnait dans le monde familial croyant conventionnel où ma maternité étonnait, et pour certains, dérangeait. Jeanne était libre.

    Au funérarium, je me demande pourquoi elle a fait le choix de… elle qui, elle qui a échappé à l’horreur… Dénoncée, déportée tout en attendant un enfant.

    Jeanne dont le matricule 2731… s’est partiellement effacé, tu as pu sortir vivante de l’enfer de Ravensbrück, Jeanne, dis-moi pourquoi toi, tu as choisi l’incinération soixante-deux ans après y avoir échappé ?

    Au fond, je suis là. Mes mots voudraient essuyer tes larmes.

    Je suis perplexe. Je ne sais qu’une chose. Je te remercie du cadeau que tu as été pour moi.

    Je viens de dire que « tu es un cadeau »… Cette expression ne vient pas de mon espace intime. Elle fait partie des pépites que j’ai volées à Chiara Lubich. Comment m’est venue cette pensée que l’autre pouvait être un cadeau pour moi comme moi pour lui ?

    Je repense à Chiara Lubich. Ces jours derniers, j’ai longuement imaginé ce qui se jouerait le jour de ses obsèques. Comment lui dire qu’elle a été un cadeau pour tant de gens ? Je me suis représenté une foule avec des fleurs dans les bras. Des fleurs par milliers. Des lys précieux, des marguerites des champs, des tournesols et puis des roses, des roses par brassées. Les fleurs auraient symbolisé les paroles les plus variées que Chiara a prononcées sur les cinq continents, face aux humbles comme aux membres des parlements, aux enfants comme aux vieillards, aux agnostiques comme aux responsables religieux de tant de familles différentes. Oui, au fil de ma rêverie en égrenant la vie de Chiara Lubich, je me figurais chacun apportant sa note de couleur toute personnelle qui la reliait à cette vie. J’ai même envisagé que les parfums des fleurs symboliseraient toute la variété des engagements de personnes très différentes.

    J’étais dans l’attente de savoir comment s’était déroulé ce moment si solennel quand, après de nombreux échanges, j’ai enfin reçu une pièce jointe par courriel. Je l’ai ouverte, un peu fébrile, et soudain est apparue sur l’écran une foule énorme, dense, recueillie. Puis le gris du marbre devant l’autel s’est imposé. Dans le fond, les vitraux en albâtre blond rendaient la scène moins austère. J’ai aussitôt cherché les fleurs. Dans les bras, dans les mains des gens, sur le parterre devant la foule, dans les vases pour décorer l’église. Mais il n’y avait absolument rien. J’étais dans un étonnement profond. Pourquoi ne lui dit-on pas merci ? C’est alors que j’ai découvert trois taches rouges. L’économie délibérée de moyens a été comme un choc. Énorme. Pour célébrer Chiara Lubich, le jour de ses obsèques, il n’y avait que trois grands œillets rouges posés sur son cercueil !

    Mais au bout de quelques instants s’est imposée l’idée merveilleuse. Au travers de cette apparente sobriété, j’ai deviné toute l’extraordinaire affection de ses amis pour la vie. Comment ne pas lire aussi toute la complicité qui les liait à celle qui avait fait naître entre eux un amour plus grand, plus généreux, indéfectible même ! Ces trois taches rouges sur ce cercueil n’étaient que l’épure de toute une vie, mais quelle vie ! Un peu comme un haïku japonais, ce petit poème de dix-sept pieds seulement, en trois vers, peut offrir la conscience d’être au monde. À ce moment-là, j’ai réalisé que j’étais là, cachée dans ces fleurs, ou plutôt « contenue » en elles, comme tant d’autres. Ce n’était pas moi qui m’y étais glissée. J’étais là par la seule promesse d’une jeune fille, soixante-cinq ans plus tôt.

    Cette promesse a besoin d’être décantée… et je vais approcher tout doucement ce qui reste encore pour moi un mystère.

    Deux enterrements presque concomitants, deux vies où la rencontre n’a surgi qu’au travers d’un lien « invisible », ténu, comme une ligne ouverte, une corde entre deux femmes.

    Grand angle

    Le terreau familial mais aussi l’environnement politique et culturel sont décisifs dans la formation d’un petit d’homme. Ainsi, c’est au cœur de divisions et de ruptures en même temps que d’aspirations à la liberté et d’élans de générosité que s’inscrit l’histoire de la toute jeune Silvia Lubich. Silvia, c’est le prénom de l’enfance de Chiara Lubich, choisi par ses parents. « Chiara » est le prénom du futur. Une quête et un accomplissement. Ne passe-t-on pas notre vie à devenir davantage qui nous sommes ?

    Si j’avais à filmer l’histoire de Silvia-Chiara, j’utiliserais d’abord une pellicule en noir et blanc. Je travaillerais les ombres et toutes leurs nuances.

    Viennent en toile de fond l’aube du XXe siècle et les idéologies révolutionnaires puis la sinistre Première Guerre mondiale et les conséquences dramatiques en Italie de la montée du nationalisme. Mais en creux, les particularités du pays trentin contrastent avec tant d’autres régions d’Italie.

    En effet, l’histoire de cette région est vraiment singulière. On croit cette province « originellement » italienne. Elle l’est ou plutôt, elle l’est devenue. Mais seulement depuis un siècle. N’oublions pas que la région de Trente était rattachée à l’Empire austro-hongrois jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Le Trentin était donc un territoire de guerre. Il fut annexé à l’Italie lors du traité du 10 septembre 1919. Cette terre envahie fut traversée par de nombreux déplacements de population. Beaucoup de Trentins souffrirent des restrictions et de la faim. Ils subirent quantité de vexations… ni italiens, ni totalement germaniques. Ainsi les Trentins furent-ils davantage « exposés » pendant la Première Guerre que d’autres soldats de l’Empire.

    Comprenons toutefois que dès les années 1840 se développa, au cœur de cette région, un climat de fraternité, proche des idées de bonheur et de bien-être chères au XVIIIe siècle. C’est dans cet esprit d’entraide que lentement dans l’opinion publique trentine mûrit l’idée de la coopération. Ce modèle apportera des solutions particulièrement heureuses dans les campagnes où des résultats économiques seront probants : banques rurales, coopératives de consommateurs, laiteries, familles groupées pour mener à bien des projets d’aide sociale. Des personnalités politiques se lèveront, servant de fondement à la construction du Parti populaire catholique, au début du siècle. Mais surtout la langue italienne sera préservée. En 1896, on érigera même une statue de Dante à la place du poète germaniste Walter von der Vogelweide dans les jardins de Trente. L’éducation que recevront les jeunes élèves au sein de l’école se fera donc en italien.

    Dans le pays trentin, à la fin de la Première Guerre mondiale, une vie démocratique a émergé, faite de participation, de solidarité, de responsabilité et surtout de refus des idoles et des chefs. Ainsi lit-on dans une Histoire de Trente que le Trentin devint le premier pays au monde à établir un système coopératif. Mais alors que Trente devient italienne et inaugure une nouvelle ère, le régime fasciste est en train de gagner rapidement du terrain…

    En perspective quelques moments-clés de l’histoire italienne.

    Les idées socialistes ont progressé de plus en plus depuis la fin du XIXe siècle comme dans tous les pays voisins. Certains socialistes se déclarent irrédentistes. Se disait irrédentiste celui qui était partisan du rattachement à l’Italie de certaines régions, comme celles de Trente, Trieste ou encore l’Istrie, et qui souhaitait couper tous les liens avec l’Empire austro-hongrois. Les irrédentistes se disaient « italiens ». En appartenant, de fait, à l’Empire austro-hongrois, ils se sentaient « étrangers » en Italie.

    Cesare Battisti, journaliste engagé, choisit très tôt la voie de l’irrédentisme et fonda un journal, Il Popolo, le 7 avril 1900. C’est un élan révolutionnaire qui le porta à défendre la région de Trente, envers et contre tout. Il sera même élu député un peu plus tard pour faire entendre cette cause.

    Maintenant, une bulle toute transparente.

    C’est au cœur du journal Il Popolo que deux jeunes ouvriers typographes se rencontrent. Ils s’appellent Luigi et Luigia. Cela tient presque du roman, tant leurs prénoms sont « jumeaux ». Ils s’aiment. Ils sont imprégnés de cette effervescence des idées nouvelles, contenant en germe plus d’égalité et de justice pour les classes ouvrières comme pour la condition paysanne. Luigi Lubich est un socialiste convaincu. Luigia Marinconz est croyante, vivant sa foi de façon tout intérieure avec discrétion. Croyante, à l’époque, signifiait « catholique » dans cette région de l’Empire austro-hongrois. Luigia revenait de l’église, tôt le matin, avec son livre de messe sous le bras, le posait bien en vue et se mettait au travail. Battisti la considérait avec bienveillance. Il n’avait aucune envie de la convaincre. Luigia voyait en cet homme sa sincérité, sa générosité. Elle dit de lui : « Jamais Battisti ne m’a dit : Laisse donc ce livre. Jamais. Il a toujours respecté ma foi. »

    C’est dans cette atmosphère où le respect de chacun était premier que cette utopie nécessaire, celle d’une plus grande justice sociale, trouvait sa raison d’être au travers de la diffusion du journal Il Popolo.

    À l’arrière-plan.

    Pendant ce temps-là, Mussolini s’était engagé, lui aussi, dans des actions d’agitation politique. Parler, écrire, convaincre… Passionné par le débat d’idées, il était attiré par le milieu du journalisme. Dès 1902, il dirigea son premier quotidien, L’Avvenire del lavoratore. À Trente, il côtoya quantité de journalistes militants, révolutionnaires, puis fut appelé à la direction de L’Avanti, en 1911. Lui aussi se déclarait irrédentiste. C’est dans ce contexte qu’il se lia d’amitié avec Cesare Battisti et son épouse. Il devint même l’un de ses collaborateurs et rédigea quantité d’articles pour Il Popolo. Le travail au sein du journal était difficile. Les équipes de jour et de nuit se relayaient sans relâche. Luigi Lubich dut partager sa chambre et son unique lit avec Mussolini car les logements étaient rares et coûteux. Pendant que l’un travaillait de nuit, l’autre occupait la chambre et quand le jour se levait, les rôles s’inversaient. Luigi Lubich et Mussolini avaient donc un terrain d’entente, celui du rêve socialiste qui pourrait apporter des solutions d’égalité et de justice sociale.

    Convaincu qu’une guerre sans précédent était sur le point d’éclater, Cesare Battisti quitta Trente le 12 août 1914 – en fait, en quittant Trente, il quittait « l’Autriche » – et depuis Milan, ville « italienne », il écrivit à sa femme le 21 août : « La guerre est certaine. C’est pourquoi j’insiste pour que tu mettes fin à la publication de Il Popolo et que tu me rejoignes. »

    Luigi Lubich, de son côté, fut enrôlé dans l’armée austro-hongroise juste avant la fermeture du journal, le 1er août 1914. Rappelons que les soldats de Trente ne furent pas ménagés. Ainsi Luigi Lubich fut-il directement envoyé en première ligne sur le front de l’Est le 8 août. Au combat, il fut touché par une grenade à la fin de l’année et le 31 décembre 1914, on dut l’hospitaliser pendant cinq mois. La guérison était difficile. Il fut admis en maison de repos sous observation médicale pendant plusieurs saisons.

    Il ne fallait pas tarder d’être heureux quand on venait de survivre aux horreurs de la guerre. Bien que blessé, on ne pouvait que remercier d’être vivant. La fragilité de la vie semblait aussi ténue que celle d’un amour naissant. Luigi et Luigia eurent raison des fantômes. Ils se marièrent le 15 août 1916. Un morceau de ciel dans la tourmente abyssale.

    Cependant Luigi Lubich continua sa longue convalescence et à la fin de la guerre, on le déclara « inapte »… Il fut libéré de ses obligations militaires en avril 1918.

    Luigi Lubich avait-il pressenti l’ambition démesurée de Mussolini dès son retour du front ? La mort de son père précipita une décision, celle de s’associer avec son frère Silvio afin de reprendre l’affaire familiale de négoce de vins. Leur coopération ne put tenir qu’une dizaine d’années. Les raisons historiques montrent toute la complexité de leurs relations.

    Encore l’Histoire.

    À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’Italie, alors un royaume, était complètement ruinée. Les territoires qu’on lui attribua étaient beaucoup plus réduits que ce qu’elle espérait. Les Italiens parlèrent de « victoire mutilée ». Dès le printemps 1919, Mussolini créa les Faisceaux italiens de combat. Là c’est du lourd : chemise noire et tête de mort, l’emblème même des Ardents, les Arditi, un corps d’élite de l’armée. Le ton monte. Le Duce a le verbe haut. C’est l’ordre qu’il veut rétablir. Tous les riches conservateurs lui emboîtent le pas, confiants que cet ordre-là les épargnera. Armée et police se rangent derrière lui. Mussolini peut tranquillement marteler ses idées antimarxistes tout en affirmant son appartenance à une révolution « de gauche »… Tout le paradoxe est là.

    Mais rien ne s’oublie dans la lutte du pouvoir. Les forces paramilitaires qu’il a créées, les Squadrismi, s’en prirent finalement au journal Avanti duquel il avait été évincé et au Parti socialiste italien car il en avait été exclu. Simple petit règlement de comptes. Et le comble de la perfidie fut l’abandon définitif des mouvements ouvriers par Mussolini… Deux ans plus tard, il ira jusqu’à saper les organisations syndicales en les démantelant.

    La conséquence fut dramatique à Trente, celle de l’anéantissement du système coopératif au profit de l’entreprise… Les femmes, par leur engagement concret, réagirent en essayant de maintenir cet élan de solidarité… Mais toutes les initiatives d’entraide au niveau économique étaient maintenant complètement détruites.

    Au fil des jours, les deux frères, Luigi et Silvio, adoptèrent des positions politiques si opposées que leur association devint impossible. En effet, dès la création du fascisme, Silvio fut attiré par les idées de Mussolini jusqu’au jour où il choisit la lutte armée au sein d’une milice fasciste dont il devint le chef. Luigi ne put supporter un tel engagement. Il rompit avec lui. La déception fut à la hauteur de son amour pour son frère…

    Comment faire pour retrouver un travail dans un tel contexte si bouleversé et si peu « social » ? Revenir à son ancien travail d’ouvrier typographe ?

    Dès 1925, les lois fascistissimes sur la presse étaient devenues de plus en plus contraignantes. En effet, les journaux étaient extrêmement encadrés. Ils ne pouvaient être dirigés, écrits et imprimés qu’avec l’autorisation du gouvernement. Tous les autres journaux étaient déclarés illégaux. Luigi Lubich comprit la trahison de Mussolini, devenu le Duce… Ses amis lui dirent de prendre sa carte au Parti. Lui qui avait connu Mussolini pourrait aller le voir et lui demander un emploi qui lui assurerait une certaine stabilité… Luigi refusa catégoriquement.

    La conséquence dramatique pour Luigi fut celle du chômage sans soutien, sans aucune « sécurité ». La survie était presque impossible. S’ensuivit une période de grande solitude. Sa recherche de l’égalité entre tous les hommes, ses espoirs d’une nouvelle justice, son engagement politique sincère, tout, tout était anéanti. À l’horizon, le Duce écraserait toute contestation.

    Éveils

    J’ai longuement regardé les photos de Luigi et Luigia. Quel couple formaient-ils ? C’est d’abord un couple austro-hongrois – « viennois » par force mais romain de cœur – qui, à l’issue de la guerre, va assister à la cession des provinces – dont la leur – à l’Italie. Luigi, un homme long, mince, élégant, aux traits un peu anguleux, bien dessinés. Émane de tous les clichés un maintien très droit qui souligne une allure aristocratique où perce une grande capacité de réflexion et d’attention. Sa femme Luigia semble plus réservée. Son visage, presque un peu sévère aux traits plus lourds, laisse apparaître une personnalité bien différente quand elle sourit. Elle devient immédiatement la « mamma » italienne, aimante, chérissant les siens. Elle laisse alors exprimer une grande douceur qui transparaît jusqu’à nous.

    Luigi et Luigia : c’est dans la dernière année de la guerre qu’est née leur « famille ». Un garçon, Gino, voit le jour le 21 janvier 1918 puis deux ans plus tard, la petite Silvia, le 22 janvier 1920. Le prénom de Silvia n’avait pas été choisi au hasard… un clin d’œil, un hommage à Silvio, le frère de Luigi, à l’époque de leur entente. Suivront deux autres filles, Liliana et Carla.

    Je reprends les premiers clichés de la famille car je voudrais d’abord apprivoiser l’enfant Silvia. Une première photo indique « 1 an ». C’est une jolie brunette aux joues rebondies. Son regard témoigne d’une grande présence face au photographe. Elle ne sourit pas, elle n’a pas peur non plus, elle semble ne pas comprendre pourquoi elle doit s’immobiliser. Quelle raison supérieure devrait lui faire arrêter sa course ? Pointe la détermination. Un autre cliché nous la révèle à l’âge de 3 ans. C’est la même attitude d’attente qu’elle nous présente, les yeux plongés dans ceux du photographe. Est-ce si important de tout stopper net pour une image ? Plus tard, à l’âge adulte quand on questionna Chiara sur la petite Silvia qu’elle fut, elle répondit, un peu songeuse : « Je n’ai jamais aimé les poupées et les contes. Seulement les choses vraies. » Et très vite, lui vint le goût des études.

    Au fil des clichés, on saisit d’emblée une attitude complice avec son père puis quantité de sourires jalonnent toutes les années d’études sur les photos de classe ou lors de rencontres avec d’autres amies de son âge. À chaque fois, le même jaillissement lui fait plisser les yeux.

    La petite enfance de Silvia est un morceau de montagne. À l’image de celles acérées de la région de Trente. C’est aussi un panorama fait de pics qui déchirent la toile bleue du ciel, de versants inondés de soleil. C’est une chaîne de sommets au relief important entourant l’écrin d’une ville. L’été, des odeurs de foin, des glissades le long des pentes herbues. Des rires où personne ne se prend au sérieux. Un grand frère protecteur pour ses sœurs. Une certitude d’être aimé, une insouciance candide… malgré les difficultés liées au travail incertain qui frappent durement la famille et s’intensifieront de façon encore plus aiguë à l’époque de la grande crise européenne.

    Quelques images de l’enfance en noir et blanc

    Silvia a été inscrite à l’école publique pour suivre sa scolarité élémentaire. En même temps, sa mère a confié son instruction catéchétique à un groupe de religieuses. L’une d’elles, sœur Caroline, a gardé cet esprit d’enfance et se sent très proche de Silvia. Elle lui est particulièrement dévouée. Elle observe la petite Silvia et trouve étonnante la prière que la petite fille a inventée. À ses côtés dans l’église, elle l’entend prononcer : « Toi qui as créé le soleil qui donne lumière et chaleur, fais que ta lumière et ta chaleur traversent mes yeux et pénètrent dans mon âme. » Cette

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