Le Règne du silence: Poème
Par Ligaran et Georges Rodenbach
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Aperçu du livre
Le Règne du silence - Ligaran
Des six parties qui composent ce poème, l’une a paru en 1888, sous forme de plaquette, avec le titre : DU SILENCE.
Elle est restituée ici à la fin du poème achevé : LE RÈGNE DU SILENCE, qu’elle clôt, selon l’ordre logique du plan d’ensemble.
Les cinq autres parties sont complètement inédites.
La vie des chambres
I
Les chambres, qu’on croirait d’inanimés décors,
– Apparat de silence aux étoffes inertes –
Ont cependant une âme, une vie aussi certes,
Une voix close aux influences du dehors
Qui répand leur pensée en halos de sourdines…
Les unes, faste, joie, un air de nonchaloir !
D’autres, le résigné sourire d’un parloir
Qui fit vœu de blancheur chez les Visitandines ;
D’autres encore, grand deuil des trahisons d’un Cœur,
Mouillant les bibelots de larmes volatiles ;
Chambres qui sont tantôt bonnes comme une sœur,
Puis accueillent tantôt avec des yeux hostiles,
Quand on trouble leur rêve au fil nu du miroir,
Leur rêve d’Ophélie au miroir d’eau dormante !
Elles ont une vie étrange qui s’augmente
Des souvenirs que les vieux portraits dans le soir
À leur front d’Ophélie, en guirlandes fanées,
Vont effeuillant dans le miroir languissamment,
Souvenirs presque plus roses d’autres années !
Chambres pleines de songe ! Elles vivent vraiment
En des rêves plus beaux que la vie ambiante,
Grandissant toute chose au Symbole, voyant
Dans chaque rideau pâle une Communiante
Aux falbalas de mousseline s’éployant
Qui communie au bord des vitres, de la Lune !
Et voyant dans le lustre une Âme de cristal
Qui crispe au moindre heurt ses branches une à une,
Sensitive de verre à qui le bruit fait mal.
Chambres pleines de songe et qui, visionnaires,
Parmi leur rangement strict et méticuleux,
Prennent les grands fauteuils pour des vieillards frileux
En cercle dans la chambre et valétudinaires.
II
Douceur d’associer notre âme à cette vie
Des chambres, qui du moins sont bonnes à nos maux ;
Car, pour nous consoler, il ne faut pas des mots
Et leur silence aux linges frais nous lénifie
– Tel un malade entrant dans un lit rafraîchi !
Ah ! qu’on nous recajole ! ah ! quel mal à nos membres !
Et cet immense ennui que rien n’aura fléchi !
Et ce mal à notre âme en exil… Mais les chambres
Sont accueillantes, sont des mères sachant bien
Le cœur de notre cœur, et jusqu’à la nuance…
Elles ont des douceurs et des baumes ! Combien
Consolante est leur paix dont l’âme s’influence ;
Et quel soudain oubli de tout ! quel réconfort
Quand le vague soupir des choses nous y berce,
Respiration lente et qui, rythmique, endort
Comme un bruit d’eaux, ou de jardin sous une averse !
III
Oui ! c’est doux ! c’est la chambre, un doux port relégué
Où mon rêve, lassé de tendre au vent ses voiles,
Dans le miroir tranquille et pâle s’est cargué.
Las ! sans plus espérer des sillages d’étoiles,
Et des départs vers des Îles, mon rêve dort
Dans le profond miroir, comme en un canal mort ;
Et faut-il désirer un coup de vent qui chasse
En pleine mer, cette âme à l’ancre dans la glace ?
IV
Mon âme, tout ce long et triste après-midi,
A souffert de la mort d’un bouquet, imminente !
Il était, loin de moi, dans la chambre attenante
Où ma peur l’éloigna, déjà presque engourdi,
Bouquet dépérissant de fleurs qu’on croyait sauves
Encore pour tout un jour dans la pitié de l’eau,
Gloxinias de neige avec des galons mauves,
Bouquet qui dans la chambre éteignait son halo
Et se désargentait en ce soir de dimanche !
Mon âme, tu souffris et tu t’ingénias
À voir ta vie, aussi fanée et qui se penche,
Agoniser avec ces doux gloxinias.
Or me cherchant moi-même en cette analogie
J’ai passé cette fin de journée à m’aigrir
Par le spectacle vain et la psychologie
Douloureuse des fleurs pâles qui vont mourir.
Triste vase : hôpital, froide alcôve de verre
Qu’un peu de vent, par la fenêtre ouverte, aère
Mais qui les fait mourir plus vite, en spasmes doux,
Les pauvres fleurs, dans l’eau vaine, qui sont phtisiques,
Répandant, comme en de brusques accès de toux,
Leurs corolles sur les tapis mélancoliques.
Douceur ! mourir ainsi sans heurts, comme on s’endort,
Car les fleurs ne sont pas tristes devant la mort,
Et disparaître avec ce calme crépuscule
Qui d’un jaune rayon à peine s’acidule.
V
Le miroir est l’amour, l’âme-sœur de la chambre
Où tout d’elle : le lustre en fleur, les bahuts vieux,
La statuette au dos de bronze qui se cambre,
Se réfléchit en un hymen silencieux.
Car l’amour n’est-ce pas n’être plus seul et n’est-ce
Pas se doubler par un autre meilleur que soi ?
Or la chambre se double au fond du miroir coi
Avec un renouveau de songe et de jeunesse ;
Mais les Choses pourtant entre le cadre d’or
Ont un air de souffrir de leur vie inactive ;
Le miroir qui les aime a borné leur essor
En un recul de vie exiguë et captive ;
Et l’amour absorbant et profond du miroir
Attriste d’infini la chambre, qui se doute
D’un désaccord entre eux aux approches du soir,
Sentant que le miroir ne