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Les normes du travail : Une affaire de personnes?
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Les normes du travail : Une affaire de personnes?
Livre électronique540 pages6 heures

Les normes du travail : Une affaire de personnes?

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À propos de ce livre électronique

D’application locale, européenne ou internationale, les normes du travail sont le reflet d’une réalité économique, d’une expression juridique, d’une volonté politique voire d’une démarche idéologique.

Le travail est la manifestation d’un agir humain. Il conduit à un engagement de la personne dans ce qu’elle est, et conduit à la relation à l’autre, caractéristique de la nature humaine : le travail devient alors un lieu de coopération et de collaboration.

L’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme trouve notamment sa source dans l’affirmation selon laquelle le travail est un droit et constitue un des éléments fondamentaux de la personne humaine, comme de la société. À ce titre, le travail implique des droits, formalisés par des normes. Le travail se doit, en effet, d’être l’expression de la dignité essentielle de tout homme et de toute femme.

Envisagées comme un modèle, une référence pour évaluer les situations et apprécier leur conformité, ou appréhendées à travers leurs fonctions, les normes du travail obéissent à une éthique, règlent les conduites et fixent des limites. Elles s’illustrent par leur capacité à assimiler les multiples influences exercées par les diverses personnes intéressées et, par leurs effets, elles transforment les rapports entre les personnes.
Aussi, sont-elles appelées à évoluer en raison des faits, du temps, du territoire et du système de valeurs retenu par la société.

La présente publication contribue à l’étude des normes du travail au prisme de la personne et à l’évaluation de celles-ci à l’aune de l’épanouissement de l’être.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie24 févr. 2016
ISBN9782802754220
Les normes du travail : Une affaire de personnes?

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    Aperçu du livre

    Les normes du travail - Bruylant

    couverturepagetitre

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2016

    EAN : 9782802754220

    Éditions Bruylant

    Espace Jacqmotte

    Rue Haute, 139 - Loft 6 - 1000 Bruxelles

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Remerciements

    Les responsables scientifiques remercient de leur soutien pour l’organisation à Strasbourg du colloque international (12-13 février 2015) et pour la publication des actes :

    le Conseil scientifique de l’Université de Strasbourg ;

    la Fédération de recherche L’Europe en mutation : histoire, droit, économie et identités culturelles – FR 3241 Unistra/CNRS ;

    l’UMR Droit, religion, entreprise, société (UMR 7354, DRES/Université de Strasbourg) ;

    l’Équipe droit social (UMR 7354, DRES/Université de Strasbourg) ;

    l’École doctorale 101 Droit, Science politique, Histoire, Université de Strasbourg ;

    la Faculté de droit, de Sciences politiques et de Gestion de Strasbourg ;

    l’Institut du Travail de Strasbourg ;

    le Comité régional d’histoire de la sécurité sociale Alsace-Moselle ;

    l’IRCOS (Association des Comités d’Entreprises et Organismes Similaires d’Alsace).

    Ils adressent également l’expression de leur reconnaissance à Monsieur le Professeur Michel Deneken, Premier Vice-Président et Directeur de l’UMR 7354, ainsi qu’à Mesdames les Professeurs Corinne Sachs-Durand et Frédérique Berrod, Directrice de la Fédération de recherche, qui ont successivement présidé aux séances du colloque.

    Sommaire

    Préface

    Jeanne-Marie TUFFÉRY-ANDRIEU, Professeur Agrégé à l’Université de Strasbourg FLEUR LARONZE, Maître de conférences en droit privé, Université de Haute-Alsace

    Partie 1

    La personne en travail : l’enjeu des définitions, les défis d’une relation

    1. La personne en travail

    Philippe CORMIER, Professeur émérite de philosophie à l’IUFM de Nantes

    2. La personne dans le travail en servitude du droit romain antique et médiéval

    Laurent WAELKENS, Professeur à l’Université de Leuven

    3. La personne, son agir, son avenir : perspectives du concile Vatican II

    Étienne MICHELIN, Professeur au Studium Notre-Dame de Vie

    4. Personnes et normes de travail : une approche réformée

    Frédéric ROGNON, Professeur de philosophie à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg – Directeur du Centre de sociologie des religions et d’éthique sociale (CSRES)

    5. L’éthique au cœur du travail en droit hébraïque

    Gabrielle ATLAN, Maître de conférences à l’INALCO

    6. Sharikat al abdan : le partenariat de travail en droit musulman

    De Moussa ABOU RAMADAN, Professeur invité à l’Université de Strasbourg

    7. Mutations du monde du travail : défis actuels et réponses de l’Église en Allemagne, L’exemple de la pastorale ouvrière (Betriebsseelsorge) du Diocèse de Rottenburg-Stuttgart

    Wolfgang HERRMANN, Responsable de la section « l’Église et le Monde du Travail – La pastorale ouvrière » du Diocèse de Rottenburg-Stuttgart

    Partie 2

    Les personnes entre les normes : unicité ou pluralité ?

    1. Le masque aux trois visages (juridiques) du salarié

    Patrice ADAM, Professeur à l’Université de Lorraine

    2. Élaboration et opposabilité des normes du travail : le pouvoir des personnes

    Gilles AUZERO, Professeur à l’Université de Bordeaux – Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale

    3. Évolution de la norme du travail et liberté des personnes

    Benoît GÉNIAUT, Maître de conférences en droit privé, Université de Haute Alsace

    4. Personnes au travail, une norme sans cesse renouvelée (XIXe et XXe siècles)

    Nicolas HATZFELD, Professeur à l’Université d’Evry – IDHES

    5. Le destinataire des normes en droit du travail : Corps, Personne ou Travailleur ?

    Francis MEYER, Maître de conférences-HDR en droit privé, UMR 7354 DRES – Équipe de droit social, Institut du travail

    6. Le destinataire des normes RSE/O

    René DE QUENAUDON, Professeur à l’Université de Strasbourg

    Partie 3

    Éloge des normes du travail : la norme désincarnée ?

    1. La prévalence de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel

    Nicolas MOIZARD, Professeur à l’Université de Strasbourg, Équipe de droit social – UMR 7354 DRES

    2. Normes et droit du travail : De l’évaluation économique du droit à l’évaluation de la personne

    Gwenola BARGAIN, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Tours

    3. Dans quelle mesure la Cour européenne des droits de l’homme protège-t-elle les droits des travailleurs ?

    Peggy DUCOULOMBIER, Professeur de droit public, Université de Strasbourg – Institut de Recherches Carré de Malberg (EA 3399), Lecturer honoraire de l’Université d’Aberdeen

    4. Les normes de l’O.I.T. À la recherche d’un système de valeurs autonome

    Fleur LARONZE, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Haute Alsace – UMR 7354 DRES Équipe de droit social, Université de Strasbourg

    Rapport de synthèse

    Christophe RADÉ, Professeur de droit privé à l’Université de Bordeaux

    Préface

    Les normes du travail :

    une affaire de personnes ?

    par

    Jeanne-Marie TUFFÉRY-ANDRIEU

    et

    Fleur LARONZE

    Normes, travail, personnes. Si ces trois vocables semblent irrémédiablement liés par la théologie, la philosophie ou l’histoire du droit, les enjeux économiques actuels interpellent les auteurs des normes juridiques. À l’heure de la mondialisation économique, le recentrage des analyses juridiques sur l’homme s’impose comme une question universelle ¹ qui conduit à s’interroger sur l’anthropologie du droit ². Cependant, la personne n’a pas toujours été définie de manière constante, qu’il s’agisse du salarié, de l’employeur ou des acteurs institutionnels, eux aussi composés de personnes.

    La première question est alors de préciser en quoi se caractérise la personne ³ ou, pour reprendre l’intitulé d’un ouvrage récent, de se demander « Personne, qui es-tu ? » ⁴, afin d’envisager ensuite l’ipséité de la personne ⁵ ontologiquement fondée ⁶. La personne est un sujet incarné ⁷. À ce titre, elle est un être humain appelé à un épanouissement ⁸. Cette humanité confère à la personne, de façon consubstantielle, sa dignité et fait d’elle un sujet ayant des devoirs et des droits ⁹. La personne dispose d’un certain degré d’autonomie qui lui permet d’agir en connaissance de cause et en toute liberté. En effet, elle jouit d’une capacité réflexive : elle est capable de constatation, d’interrogation et de pensée. Ce mouvement de l’esprit s’extériorise notamment par la parole ¹⁰, faculté qui la relie à l’autre ¹¹. La personne est, en effet, par essence, un être de relation. Non seulement elle est le fruit d’une rencontre, mais sa vie tout entière la conduit à des rencontres qui, de personne en personne, dévoilent une réalité communautaire. Cette relation est favorisée par le caractère unique et singulier de chaque personne. En outre, l’historicité de la personne place celle-ci dans le temps. La personne n’est pas un sujet statique, elle n’est pas immédiatement dans la plénitude de sa réalité, elle est en mouvement, en devenir ¹². Ainsi, la personne se trouve définie par plusieurs éléments, auxquels on pourrait aussi ajouter l’humour et la capacité d’aimer ¹³. Pour autant, l’absence de l’une ou l’autre de ces composantes ne prive jamais la personne de sa dignité. La réalité authentique de la personne n’est donc pas visible à l’œil, ni pleinement saisissable par la seule œuvre de l’intelligence ; elle est un être fondamentalement complexe, où l’invisible joue un rôle déterminant, qui place le juriste en situation difficile pour qualifier et appliquer le régime juridique convenable.

    Or, dans la relation de travail, la personne généralement analysée est le salarié appréhendé à travers sa force de travail ¹⁴, son corps ¹⁵, ses droits ¹⁶ ou encore en tant qu’individu situé ¹⁷ par rapport au peuple ¹⁸, à la communauté ¹⁹, au bien commun ²⁰. La personne de l’employeur est plus rarement envisagée alors même que la question de sa détermination est essentielle pour mobiliser les règles de responsabilité ²¹. Quant aux acteurs institutionnels, les mises en perspective historiques révèlent leur nature profonde et leurs fonctions dans le cadre des relations, individuelle et collective, de travail ²². De fait, aujourd’hui, « l’individu souhaite désormais s’accomplir en tant que personne dans son métier et il attend de la société proche et plus lointaine une reconnaissance dans et par le travail conditionnant l’accès à l’identité » ²³. Dès lors, il apparaît que, pour pouvoir saisir l’ensemble des personnes concernées par les normes du travail, les approches, pluridisciplinaire et comparée, sont indispensables parce que le lien consubstantiel entre personne et travail s’impose : la dignité du travail sera fonction de la prise en considération de la personne et cette dernière conduira à l’affirmation de la dimension éminemment subjective du travail. Dès lors, à l’aune de cette constatation, dans son travail, chaque personne est considérée comme un « actus personae ». Aussi revient-il aux normes, quelles qu’elles soient, de formuler cette réalité.

    Les personnes et les normes : l’émergence des droits et des devoirs. Les normes du travail bouleversent les rapports entre les personnes, physiques ou morales. Elles sont perpétuellement remises en cause par les faits, le temps et le système de valeurs privilégié par la société. Il en résulte une modification des relations entre les acteurs sociaux. L’État, l’entreprise ainsi que les organisations syndicales se voient confier tour à tour la fonction de créer la norme. Alors qu’avec la IIIe République, pour des raisons politiques, l’État s’introduit dans l’usine pour en faire un lieu de normes ²⁴, aujourd’hui, pour des motifs économiques, les partenaires sociaux sont appelés à participer activement à l’élaboration des normes du travail, au point de représenter des acteurs centraux dans l’impulsion des réformes.

    Si les normes du travail entraînent, compte tenu de leur évolution, un transfert de responsabilité de l’État aux entreprises ainsi que de l’État aux organisations syndicales, elles concernent aussi les personnes physiques tant dans le cadre des relations individuelles que dans celui des relations collectives de travail. De plus, avec la « redécouverte » de la liberté de consentement ainsi qu’avec le contexte économique d’application des normes du travail, le salarié se voit imposer de nouvelles obligations.

    De ces mouvements, de prime abord hétérogènes, une constatation surgit : la reconnaissance de droits et d’obligations par les normes du travail vise tantôt le salarié, tantôt l’employeur et non plus la personne en tant que telle. En effet, si les personnes, sujets du droit du travail, n’ont jamais été autant illustrées et dans leur diversité et dans leur capacité, la personne, elle, n’a jamais été autant oubliée.

    En outre, la notion de travail, ainsi que tous les termes relevant du même champ sémantique, révèlent l’interpénétration toujours plus intime du droit et de l’économie. Ce qui suscite la question de la place même du travail.

    Le travail : objet ou sujet de droit ? La notion de travail a pu apparaître au cœur d’une discipline, ne relevant ni totalement du droit des personnes, ni entièrement du droit des choses ²⁵. Cependant, les discussions juridiques voire épistémologiques, relatives au droit du travail, se sont déplacées pour porter sur la norme pouvant être envisagée sous l’angle de la protection de la personne du travailleur ²⁶ ou sous l’angle de la technique d’organisation de l’entreprise ²⁷. Un mouvement de responsabilisation, résultant de la crise économique et de l’introduction de nouveaux concepts dans la sphère du droit (comme la responsabilité sociétale des organisations), semblerait se déployer et se resserrer autour des acteurs du droit du travail ²⁸. Les normes du travail perdraient en substance ce qu’elles gagneraient en formalisme ²⁹. Les personnes choisiraient de retenir une conception « dépersonnalisée » ou déshumanisée des normes. Le contexte économique et politique influencerait aussi cette évolution des normes du travail, désincarnées voire incantatoires, par la recherche d’efficacité (économique) ³⁰. En conséquence, déconnectées de la personne, les normes du travail deviendront-elles des indicateurs ³¹, des dispositifs d’évaluation pour contrôler le comportement des entreprises ³² ? Cette idée n’est-elle pas renforcée par l’existence d’un « marché des normes » ³³ et la montée en puissance des normes économiques dans le domaine social ?

    De droit vivant, à travers la personne considérée, le droit du travail s’étiolerait au point de s’éteindre dans une obscurité annoncée. Revigoré par la notion d’intérêt ³⁴, un droit du travail modernisé pourrait voir le jour, à moins qu’il ne soit en réalité caricaturé par la pensée économique ainsi que par la politique dominante. Envisagé à travers l’intérêt défendu, la personne du salarié semblerait, en outre, supplanter la collectivité de travail, inapte à canaliser les intérêts sociaux divergents ³⁵. Faut-il alors craindre la remise en cause de l’expression collective de la personne alors que la figure du salarié se déploie sous une forme « atomisée » ³⁶ ? Comment consolider la collectivité de travail autour de la personne du salarié, qui ne peut plus être envisagée de manière unitaire ? Ou faut-il au contraire considérer la personne et l’individualisme qu’elle sous-tend comme l’expression d’un humanisme ³⁷ ? Les normes du travail sont en quête de la personne du travailleur, dont la reconnaissance contribuerait à la renaissance de la norme en droit du travail.

    À l’heure où l’avenir de la personne et celui du droit du travail suscitent de nombreuses interrogations, la réflexion, menée à travers les contributions de cet ouvrage, place ces deux réalités en interaction. L’enjeu de l’ouvrage se situe très précisément à ce niveau qui nous invite fondamentalement à réfléchir sur cette double question : la norme du travail est-elle promulguée pour la personne ou la personne est-elle assujettie à la norme du travail ³⁸ ? La norme de travail devient alors l’objet d’une quête, toujours en mouvement, qui s’élabore par le biais de la dialectique à partir de certaines constantes. Il s’agit de normer le travail à partir de son centre : la personne. Autrement dit, inférer le « Sollen » au « Sein ». Le travail apparaît alors comme un droit et constitue l’un des éléments fondamentaux de la personne humaine, comme de la société. À ce titre, le travail implique des droits, formalisés par des normes. Le travail se doit, en effet, d’être l’expression de la dignité essentielle de tout homme et de toute femme.

    En conséquence, quelle que soit l’autorité qui l’énonce ou la promulgue, la norme doit garantir un travail librement choisi qui associe efficacement les personnes au développement de leur société, consacrer un travail qui donne les moyens de pourvoir aux nécessités de la famille et à la scolarisation des enfants. Encore, la norme doit préserver un travail qui laisse un temps suffisant pour soi-même. Enfin, la norme doit assurer aux travailleurs malades ou parvenus à l’âge de la retraite les conditions d’une vie digne.

    Dès lors, dans l’ouvrage, le premier temps fonde la réflexion à partir d’une approche pluridisciplinaire sur l’enjeu que présentent les définitions et, en particulier, celle de la personne. Il est alors apparu nécessaire, dans le cadre d’une large mise en perspective, de traiter des relations entre personne et normes du travail, au prisme des propositions religieuses ³⁹, d’une part, et des évolutions historiques, d’autre part. La deuxième partie porte sur les enjeux contemporains d’une mise en perspective des personnes et des normes. Les personnes physiques comme les personnes morales seront envisagées afin d’éclairer le rôle de la personne représentant une autre personne. Pouvoir et liberté exercés par les personnes, voici les deux facettes d’un même attribut, à savoir l’autonomie normative. Destinataires de la norme, les personnes privées (partenaires sociaux, employeurs et salariés) concourent également à sa formation, qu’il s’agisse de la loi ou de la norme privée. Le juge et le législateur, représentants des institutions étatiques, peuvent-ils remettre en cause l’évolution de la norme conçue par les personnes privées ? Appréhendées aussi à travers le corps et l’esprit, la personne du travailleur ainsi que celle réifiée par l’entreprise (ou l’organisation) apporteront des éléments de réflexion à la notion de sujet de droit. Enfin, la troisième partie conduit à renouveler l’approche individuelle des relations de travail. La norme du travail a pour objet de protéger moins la personne du travailleur que l’intérêt soutenu par les salariés, par les organisations syndicales (intérêt collectif de la profession) de telle sorte que l’intérêt collectif supplante l’intérêt individuel. Ce changement d’objet s’accompagne de la mutation de la norme du travail qui obéit de plus en plus à une approche économique dont le droit ne peut se départir. La dimension internationale du droit, résultant de la Convention européenne des droits de l’homme et des normes de l’O.I.T., ne permet pas de réaffirmer la protection de la personne du travailleur. L’émergence d’un système de valeurs centré sur le travailleur semble pourtant inéluctable face à une mondialisation économique hégémonique. Il s’agit alors de mettre en lumière l’éloge de la norme au point de pouvoir l’envisager de manière désincarnée. L’acmé du contrat de travail, l’instrumentalisation de l’accord collectif, l’essoufflement de la norme étatique, le détournement de la norme internationale, sont autant de réalités qui interrogent la doctrine et sollicitent la pratique.

    Aussi, les responsables scientifiques adressent-ils leurs sincères remerciements aux contributeurs de cet ouvrage qui, grâce à leur réflexion, permettent une véritable évaluation de la norme du travail à l’aune de son adéquation à la personne.

    1. Pour les monographies : B. GALLINATO-CONTINO et N. HAKIM (dir.), De la terre à l‘usine : des hommes et du droit, Presses universitaires de Bordeaux, mai 2014. Pour les articles de doctrine : G. SPERDUTI, « La personne humaine et le droit international », AFDI, vol. 7, 1961, pp. 141-162. Voy. égal. le cours de A. SUPIOT au Collège de France sur « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », Grandeur et Misère de l’État social, Paris, Fayard, 2013, et disponible sur http://books.openedition.org/cdf/2249.

    2. N. ROULAND, L’anthropologie juridique, coll. Que-sais-je ?, Paris, PUF, 1995 ; Aux confins du droit : Anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991.

    3. On pourra consulter not. : J. POUSSON-PETIT (dir.), L’identité de la personne humaine – Étude de droit français et de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2002 ; A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996 ; « La Personne », actes du colloque interdisciplinaire de l’Université de Strasbourg, organisé par A. MERKER et J.-M. POUGHON, Les cahiers philosophiques de Strasbourg, no 31, premier semestre 2012.

    4. M. NODE-LANGLOIS, Personne, qui es-tu ?, Paris, Presses universitaires de l’IPC, 2014. Dans une autre perspective, on pourra consulter : S. CHAUVRIER, Qu’est-ce qu’une personne ?, Paris, Vrin, 2003 ; Dire je, essai sur la subjectivité, Paris, Vrin, 2001.

    5. « L’ipséité caractérise l’individu en lui-même. Elle prend toute son importance dans les doctrines où la nature universelle est première, ce qui pose la question de l’individuation (scotisme). Elle suppose alors l’haeccéité, par laquelle un individu est un ceci et non simplement un être de telle ou telle espèce. Dans la phénoménologie, l’ipséité caractérise le Dasein dans son existence ou son être-au-monde avant la constitution du moi comme sujet » (Les Notions philosophiques, coll. Encyclopédie philosophique universelle, t. 1, PUF, Paris, 1990, p. 137).

    6. P. RICŒUR, Soi-même comme un Autre, Paris, Seuil, 1990.

    7. Voy. la pensée de Maurice Blondel, pour qui l’Incarnation joue un rôle essentiel entre l’« idéal » et le « concret », et ce jusque dans la norme. Le professeur Saint-Sernin ajoute qu’« un idéal qui ne prend pas corps ne saurait constituer une norme ; une pratique qui ne tend pas vers un bien ne mérite pas non plus le nom de norme » (B. SAINT-SERNIN, « Normes et démocraties selon Maurice Blondel », Le peuple et l’idée de norme, (P. MAZEAUD et C. PUGELIER dir.), éd. Panthéon-Assas Paris II, 2012, p. 35).

    8. E. HOUSSET, La vocation de la personne – L’histoire du concept de personne de sa naissance augustinienne à sa découverte phénoménologique, Paris, PUF, 2007.

    9. P. RICŒUR, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.

    10. P. RICŒUR, Texte écrit pour la réception du Kluge Prize décerné aux États-Unis (Bibliothèque du Congrès) à Paul Ricœur, en 2005.

    11. Par analogie, alors qu’une partie de la doctrine du début du XXe siècle s’interroge sur la création de la personne par le droit, la théorie anthropomorphique de Gierke s’appuie sur la notion de l’organisme constitué par toute collectivité organisée ou non et identique à celui de l’individu humain. Ainsi, la collectivité organisée sous forme de personne morale, à la manière de la personne physique, peut exprimer une volonté en vertu de la théorie organique (Voy. L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale, son application au droit français, LGDJ, rééd., 1924, p. 71, § 33, recherchant le critère essentiel de la personne morale. On pourra aussi se référer à B. SCHMIDLIN (dir.), Personne, société, nature : la titularité de droits, du rationalisme juridique du XVIIe s. à l’écologie moderne, Fribourg, Éd. universitaires, 1996).

    12. M. VILLEY, La formation de la pensée juridique moderne, Paris, PUF, 2003, p. 86 : « Il y a bien plus dans la nature des êtres vivants que ce qu’ils sont présentement ; il y a ce qu’ils sont ordonnés à être dans leur entier accomplissement, leur fin, qui serait aussi leur bonheur ».

    13. Éléments qui semblent être niés par la « société de normes », nouveau modèle de société identifiée par Foucault considérant que « nous sommes entrés dans un type de société où le pouvoir de la loi est en train non pas de régresser, mais de s’intégrer à un pouvoir beaucoup plus général : en gros, celui de la norme (…). Nous devenons une société essentiellement articulée sur la norme. Ce qui implique un système de surveillance, de contrôle tout autre. Une visibilité incessante, une classification permanente des individus, une hiérarchisation, une qualification, l’établissement des limites, une mise en diagnostic. La norme devient le critère de partage des individus » (M. FOUCAULT, « L’extension sociale de la norme » (entretien, 1976), Dits et Ecrits, t. III, Paris, Gallimard, 1994, p. 75).

    14. Th. REVET, La force de travail (Etude juridique), Paris, Litec, 1992 ; ID., « L’objet du contrat de travail », Dr. soc., 1992, pp. 859-870 ; M. FABRE-MAGNAN, « Le contrat de travail défini par son objet », Le travail en perspectives (A. SUPIOT dir.), coll. Droit et société, Paris, LGDJ, 1998, pp. 101-124.

    15. Fr. MEYER, Le corps humain en droit du travail, Thèse, Université de Strasbourg 3, 1985.

    16. J.-E. RAY, « D’un droit des travailleurs aux droits de la personne au travail », Dr. soc., 2010, p. 3.

    17. P. ADAM, L’individualisation du droit du travail – Essai sur la réhabilitation juridique du salarié individu, coll. Bibliothèque de droit social, t. 39, Paris, LGDJ, 2005.

    18. Appréhendé juridiquement sous la forme d’un corps (nation ou souverain) mais également fragmenté en groupes ou en individus (G. LE BRETON, « Le concept de peuple dans la Constitution du 4 octobre 1958 », Le peuple et l’idée de norme, op. cit., pp. 179 et s.), le peuple « se relie à la considération d’une communauté organisée et souveraine, dans la ligne des Lumières et de la pensée de Rousseau » (Fr. TERRÉ, « Le peuple seul créateur de la norme », Le peuple et l’idée de norme, op. cit., p. 21).

    19. Léon Duguit évoque la notion de « communauté » comme s’opposant à celle de droit subjectif reconnu à l’État et aux individus, car « les hommes par cela même qu’ils font partie d’un groupe social et même de l’humanité tout entière sont soumis à une règle de conduite qui s’impose à eux (…). La règle sociale dont je parle a pour fondement le fait de la solidarité sociale… Dans la solidarité je ne vois que le fait d’interdépendance unissant entre eux par la communauté des besoins et la division du travail les membres de l’humanité et particulièrement les membres d’un même groupe social (…). Les hommes sont donc soumis à une règle sociale fondée sur l’interdépendance qui les unit (…), est en train de se constituer une société d’où la conception métaphysique de droit subjectif est exclue pour faire place à une notion de droit objectif impliquant pour chacun l’obligation sociale de remplir une certaine mission et de faire les actes qu’exige l’accomplissement de cette mission » (L. DUGUIT, Le droit social, le droit individuel et la transformation de l’État, Paris, Alcan, 1906, pp. 4 et s.).

    20. Voy. not. Benoît XVI, Lettre Encyclique Caritas in veritate, Lib. Ed. Vaticane, 2009, no 7 : « C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. Œuvrer en vue du bien commun signifie, d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement et culturellement la vie sociale, qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité ».

    21. Très tôt la question se pose : N. OLSZAK, « La responsabilité sociale de l’entreprise : un concept fondamentalement libéral », La responsabilité sociale de l’entreprise en Alsace et en Lorraine du XIXe au XXIe siècles (J.-M. TUFFERY-ANDRIEU dir.), Rennes, Presses universitaires, 2010, pp. 19-27. Pour une approche contemporaine, on consultera : B. TEYSSIÉ (dir.), La personne en droit du travail, Paris, éd. Panthéon-Assas, 1999 ; B. TEYSSIÉ (dir.), Les groupes de sociétés et le droit du travail, Paris, éd. Panthéon-Assas, diff. LGDJ, 1999.

    22. Voy. not. G. AUBIN et J. BOUVERESSE, Introduction historique du droit du travail, coll. Droit fondamental, Paris, PUF, 1998 ; Fr. SOUBIRAN-PAILLET, L’invention du syndicat (1791-1884) – Itinéraire d’une catégorie juridique, coll. Droit et Société, Paris, LGDJ, 1999.

    23. J. LE GOFF, Le retour en grâce du travail – Du déni à la redécouverte d’une valeur, Ceras/Lessius, 2015, p. 11.

    24. J. LE GOFF, Du silence à la parole – Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, Rennes, PUR, 2004 ; N. OLSZAK, Histoire du droit du travail, coll. Corpus Histoire du Droit, Paris, Economica, 2011 ; ID., Les droits des travailleurs, Paris, éd. Économie et humanisme, les Éditions ouvrières, 1976 ; ID., « Du louage de services au contrat de travail ou De la police au droit, XVIIIe-XXe siècle ; L’histoire du droit du travail existe-t-elle ? », Cahiers de l’Institut régional du travail, Aix-en-Provence, Institut régional du travail, 1991, no 3 ; ID., « Construction d‘une histoire du droit du travail », Cahiers de l‘Institut régional du travail, Aix-en-Provence, Institut régional du travail, 2000, no 9.

    25. A. SUPIOT, Critique du droit du travail, coll. Quadrige, Paris, PUF, 2007, p. 32.

    26. G. LYON-CAEN, « Les fondements historiques et rationnels du droit du travail », Dr. ouvrier, 1951, p. 1 ; ID., Le droit du travail – Une technique réversible, coll. Connaissance du droit, Paris, Dalloz, 1995 ; ID., « Permanence et renouvellement du Droit du travail dans une économie globalisée », Dr. ouvrier, 2004, p. 49.

    27. J. BARTHÉLÉMY, « Le droit du travail peut être aussi une technique d’organisation de l’entreprise », Mélanges J. Paillusseau, Paris, Dalloz, 2003, p. 25.

    28. En premier lieu, les acteurs privés sont plus particulièrement visés par la norme étatique (d’origine légale ou jurisprudentielle, susceptible de mettre en œuvre les mécanismes de co-emploi ou de responsabilité solidaire). La responsabilisation des organisations syndicales et patronales inspirant directement la norme sociale est également recherchée, lorsque le juge rappelle l’habilitation dont les organisations syndicales disposent en vertu de l’audience électorale, afin d’engager les salariés entrant dans le champ d’application de l’accord négocié (Cass. (soc.), 27 janvier 2015, no 13-22179 ; Cass. (soc.), 27 janvier 2015, no 13-25437 ; Cass. (soc.), 27 janvier 2015, nos 13-14773 et 13-14908 ; voy. not. G. AUZERO, « Les syndicats, mandataires des salariés ? », SSL, 2 mars 2015, no 1666, p. 10). Enfin, la personne protégée elle-même tend à être responsabilisée par les mécanismes existants, notamment la reconnaissance d’une obligation de confidentialité grandissante à mesure que le salarié bénéficie d’informations économiques, comme l’illustre le dispositif de cession d’entreprise dans le cadre de l’obligation de rechercher un repreneur prévue par les articles L. 1233-57-9 et suivants du Code du travail.

    29. P. LOKIEC, « La procéduralisation à l’épreuve du droit privé », Les évolutions du droit : contractualisation et procéduralisation (C. PIGACHE coord.), Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2004, p. 177 ; E. LAFUMA, Des procédures internes, contribution à l’étude de la décision de l’employeur en droit du travail, coll. Bibliothèque de droit social, t. 46, Paris, LGDJ, préface A. LYON-CAEN, 2008.

    30. Sur l’analyse économique du droit du travail : J. AFFICHARD, A. LYON-CAEN et S. VERNAC, « De l’analyse économique à l’évaluation du droit du travail », RDT, 2009, p. 631 ; J. ICARD, Analyse économique et droit du travail, thèse sous la direction de G. LOISEAU, Univ. Paris Panthéon-Sorbonne, 2012 ; T. SACHS, La raison économique en droit du travail – Contribution à l’étude des rapports entre le droit et l’économie, préface G. BORENFREUND, post-face O. FAVEREAU, Paris, coll. Bibliothèque de droit social, t. 58, LGDJ, 2013 ; G. BARGAIN, Normativité économique et droit du travail, préface A. SUPIOT, Paris, LGDJ, 2014.

    31. Voy. not. B. FRYDMAN, A. VAN WAEYENBERGE (dir.), Gouverner par les standards et les indicateurs – De Hume aux rankings, coll. Penser le droit, Bruxelles, Bruylant, 2013 ; A. SUPIOT, La Gouvernance par les nombres – Cours au Collège de France 2012-2014, coll. Poids et mesures du monde, Paris, Fayard, 2015.

    32. Par exemple, la base de données unique faisant apparaître l’ensemble des informations juridiques, mais également économiques et comptables, que l’employeur doit communiquer aux représentants du personnel (Décret no 2013-1305 du 27 décembre 2013 : C. trav., art. R. 2323-1 et s. ; Circ. DGT no 2014-1 du 18 mars 2014).

    33. Voy. A. SUPIOT, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », Dr. soc., 2005, p. 1087.

    34. Fr. OST, Entre droit et non-droit : l’intérêt, t. 2 de Droit et intérêt (Ph. GÉRARD, Fr. OST et M. VAN DE KERCHOVE dir.), Bruxelles, Faculté Université Saint Louis, 1990 ; M. HAURIOU, « La théorie de l’institution et de la fondation », Aux sources du droit, le pouvoir, l’ordre et la liberté, Cah. de la Nouvelle journée, 1933, rééd. Université de Caen, 1990, p. 89.

    35. À moins de retenir pour modèle la communauté transpersonnelle, qui, selon Gurvitch, est « la synthèse proprement dite en une totalité immanente de l’un et du multiple, de l’individuel et de l’universel (…) c’est cet Esprit transpersonnel qui est l’incarnation du social [au sens de collectif] » (G. GURVITCH, L’idée du droit social – Notion et système du droit social – Histoire doctrinale depuis le XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, éd. Paris, 1932, réimp. Scientia Verlag Aalen, 1972, p. 17). Gurvitch évoque l’intégration objective d’une totalité qui suppose « que l’être social, pour s’affirmer comme irréductible à la somme de ses membres, n’a pas besoin de se superposer à eux comme un objet extérieur, comme une entité immuable, comme une unité transcendante et supérieure, et que la manifestation la plus pure du social consiste en un mouvement continu de participation interpénétrante du multiple dans l’un et de l’un dans le multiple – corrélation indissoluble du tout et de ses parties qui s’engendrent réciproquement » (ibid., pp. 16-17). L’exemple qu’il est possible de donner est celui de la société coopérative composée d’associés salariés faisant partie du tout, contribuant à l’existence d’un intérêt commun supérieur aux intérêts individuels et à l’épanouissement de ces intérêts inviduels. Jacques Le Goff illustre cette idée par la théorie d’Armand Hatchuel et Blanche Segrestin « Restaurer l’entreprise contre la société anonyme » et qui rejoint la pensée sociale de l’Église (Laborem exercens ou encore Caritas in Veritate) (J. LE GOFF, Le retour en grâce du travail – Du déni à la redécouverte d’une valeur, op. cit., 2015, pp. 92 et s.).

    36. Pour exemple, les intérêts catégoriels des cadres, défendus par un syndicat spécifique, justifient la mise en œuvre de normes conventionnelles différentes sans que le principe d’égalité de traitement soit contredit (Cass. (soc.), 27 janvier 2015, préc.). En outre, les cadres supérieurs dirigeants souhaitent une évolution du droit du travail, telle que le témoigne leur volonté d’être représentés par un syndicat spécifique, n’estimant pas être valablement représentés par la CFE-CGC.

    37. Fr. DE SINGLY, L’individualisme est un humanisme, L’Aube, 2005 ; Z. BAUMAN, Identité, coll. Carnets, Paris, L’Herne, 2010.

    38. Sur les figures de l’assujettissement selon une approche philosophique : P. MACHEREY, Le sujet des normes, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, pp. 51 et s.

    39. Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate, Lib. Ed. Vaticane, 2009, nos 55-56.

    Partie 1

    Les personnes et les normes de travail :

    l’enjeu des définitions,

    les défis d’une relation

    1

    La personne en travail

    par

    Philippe CORMIER

    Professeur émérite de philosophie à l’IUFM de Nantes

    La question des normes du travail ne devrait jamais être envisagée sous quelque angle technique que ce soit sans qu’en même temps soit pris en compte celui qui constitue le sujet même et du travail et de la norme, à savoir la personne (humaine). On se souviendra, en effet, que le travail (de même que la production de norme) n’est pas une activité « naturelle » mais, au contraire, l’activité humaine par excellence de transformation de la nature, ce qui implique une « sortie » de la nature du côté de la « culture ». Ce ne sont ni les animaux ni les machines qui travaillent, sinon par abus de langage. L’homme peut bien les faire travailler, à aucun moment ils ne deviennent sujets des opérations qu’ils effectuent et dont ils sont les instruments. C’est pourquoi ils n’ont pas de droits, même si l’homme peut avoir le souci de les protéger. Le sujet humain, en tant que sujet de droit ¹, nous l’appelons une « personne ». En principe, il y a antinomie entre « personne » et « instrument » : la personne ne devrait donc en aucun cas être instrumentalisée. On sait bien que, dans les faits, nous en sommes loin car toujours confrontés à l’entreprise récurrente de marchandisation de l’humain sous toutes ses formes, qui se ramène toujours à son économie de base : l’esclavage, qui consiste à réduire la personne à une chose (à un instrument ²) qui peut être vendu et acheté.

    Puisque le travail constitue l’horizon de ce colloque, je dirais volontiers que la personne est un travail, et aussi qu’elle est en travail. En effet :

    D’une part, la notion de personne a une histoire et sa définition est contenue dans cette histoire. Je ne vais donc pas vous proposer une définition parmi d’autres, sur le marché des définitions, mais vous donner un aperçu du travail de définition fourni par l’histoire de son apparition, de sa formation et de son développement, qui commence avec les premières traces de représentation de la figure humaine, les plus anciennes écritures, telles que l’Épopée de Gilgamesh (Sumer), et se poursuit jusqu’au Pères de l’Église, et au premier chef Saint Augustin, à travers ses livres de Confessions écrits à la première personne et ses livres Sur La Trinité. Dans ces deux œuvres se situe, en effet, le travail de fondation de la personne telle que nous l’entendons. Cette fondation reste essentiellement théologique. La philosophie ne s’est emparée progressivement de la notion de personne qu’en s’émancipant de la théologie, à l’époque moderne. Le travail de définition s’est poursuivi jusqu’à nos jours et je pense que nous assistons, à travers cette figure récente de la philosophie qu’on appelle phénoménologie, à un tournant et peut-être même à une nouvelle fondation de la notion de personne humaine. Depuis Augustin, la personne ne cesse d’advenir comme « moderne », et toujours, significativement, d’être en même temps mise de côté, tant elle s’avère encombrante.

    D’autre part, de la personne prise en elle-même, on peut dire qu’elle est par nature en travail, parce qu’elle n’est pas une essence toute faite, l’essence d’une chose qui serait ce qu’elle serait, mais une essence qui a à s’accomplir, à produire ce que son être a à être. Aristote appelle cela entéléchie, terme dans lequel on entend le mot télos, fin ou finalité, accomplissement, réalisation de soi, à travers une sorte de maïeutique, de travail d’accouchement de soi, dirait Socrate dont on sait que la mère était sage-femme. Et, de fait, voilà déjà une bonne raison de reconnaître que le « travail » constitue une dimension essentielle de la réalisation humaine de soi, de son essence ou entéléchie, autrement dit de soi en tant que personne. Par le travail, la personne se réalise elle-même, se met en travail de réalisation de soi ³.

    Pourtant, l’histoire de la personne commencerait plutôt par une histoire de non-personne, celle que l’on peut entendre dans l’Odyssée au chant IX, qui raconte l’épisode au cours duquel Ulysse, pour échapper au cyclope, se donne le nom de Outis, qui signifie Pas-quelqu’un, « Personne », comme dans le célèbre western de Tonino Valerii (1973) : Mon nom est Personne. Le jeu de mot grec sur outis trouve une sorte d’équivalent en français, en laquelle langue le mot personne signifie à la fois quelqu’un et pas quelqu’un. J’y reviendrai. Ce qui ressort de la pensée grecque, foncièrement tragique, c’est l’absence de la notion de personne, voire même son impossibilité : cette notion qui nous semble si familière à nous modernes n’a pas l’évidence qu’on croit. L’homme antique ne se comprend pas, ne peut pas encore se saisir comme une personne mais avant tout comme un « mortel », promis à la disparition, quelqu’un qui sait

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