Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les Confessions de Perkin Warbeck: Roman historique
Les Confessions de Perkin Warbeck: Roman historique
Les Confessions de Perkin Warbeck: Roman historique
Livre électronique252 pages3 heures

Les Confessions de Perkin Warbeck: Roman historique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Partez à la rencontre du plus célèbre imposteur de l'époque Tudor

Toujours au plus près de la vérité historique, Maxime Benoît-Jeannin nous invite à découvrir le plus grand imposteur de l’Angleterre du XVe siècle, ses rêves, son extraordinaire pouvoir de séduction, sa fragilité et ses véritables origines. Héros picaresque, au déclin du Moyen Âge, resté très populaire au Royaume-Uni, si Perkin Warbeck ne fut pas Richard d’York, il ne fut pas non plus le fils d’un couple de bourgeois de Tournai…
Un jour d’octobre 1491, lorsque Perkin Warbeck débarque à Cork, en Irlande du Sud, il ne sait pas encore qu’il va entrer dans l’Histoire de l’Angleterre. Le jeune marchand de tissus se laisse convaincre par des envoyés de la faction des York de se faire passer pour Richard d’York, le fils cadet d’Edouard IV, qui aurait échappé miraculeusement au complot meurtrier de son oncle Richard III.
S’ouvre alors pour le jeune homme — il a dix-sept ans — une route pleine de périls et de merveilles, qui le conduira de la cour du roi de France à celle de Jacques IV d’Écosse, en passant par Malines, où Marguerite, duchesse douairière de Bourgogne, tient la sienne.
Le voyage de l’aventurier durera huit ans, au gré des renversements d’alliance de la politique internationale de l’époque, toujours soutenu et aidé par Jacques IV, le seul qui ait cru en lui jusqu’au bout et qui lui fera épouser sa cousine, lady Catherine Gordon.
D’une tentative de débarquement à l’autre, Perkin Warbeck / Richard d’York prendra la tête de la grande révolte du comté des Cornouailles, dernière rébellion populaire du règne d’Henry VII à mettre sérieusement en danger le fondateur de la dynastie des Tudor. Renonçant au combat, Perkin Warbeck se rend au roi, est gracié in extremis, vit à Westminster, s’évade, est repris par sa faute et finit ses jours à la Tour de Londres après une dernière conspiration. Pendu le 23 novembre 1499, il meurt avec son secret.

Une fiction biographique richement documentée, retraçant l'histoire anglaise du XVe siècle

A PROPOS DE L'AUTEUR

Maxime Benoît-Jeannin, biographe de Georgette Leblanc (1998) et d’Eugène Ysaye (2001), romancier de Mademoiselle Bovary (1991) et d’Au bord du monde, un film d’avant-guerre au cinéma Eden (2009).

EXTRAIT

Ma Catherine, mon amour, ma colombe ! Laisse-moi encore te tutoyer quelques instants avant de te demander pardon pour tout le mal que je t’ai fait depuis que nous nous sommes rencontrés. Ce tutoiement de nos nuits et de notre intimité la plus chaude, je ne le mérite plus. Aussi je l’abrège dès à présent, je le supprime, et je te rends tout le respect que je te dois. Oui, lady Catherine, je vous dédie la vérité la plus entière, non pas dans l’espoir d’un pardon illusoire, mais pour la sauvegarde de mon âme. Maintenant que tu en es là, me direz-vous, à quoi cela sert-il, sinon à me torturer, alors que je dois m’efforcer de t’oublier, monstre, vampire, suceur de sang !… C’est vrai, je sais combien vous avez raison, et que je suis indigne, infâme, tout ce que vous voudrez. Je suis comme Job sur son fumier. Je suis couvert de plaies et je geins. Seule me console la fin prochaine de mes souffrances.
LangueFrançais
ÉditeurLe Cri
Date de sortie2 nov. 2015
ISBN9782871067030
Les Confessions de Perkin Warbeck: Roman historique

En savoir plus sur Maxime Benoît Jeannin

Auteurs associés

Lié à Les Confessions de Perkin Warbeck

Livres électroniques liés

Fiction d'action et d'aventure pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les Confessions de Perkin Warbeck

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les Confessions de Perkin Warbeck - Maxime Benoît-Jeannin

    AVANT-PROPOS

    Les Confessions de Perkin Warbeck est mon troisième roman historique situé dans un temps que l’on a coutume d’appeler le Moyen Âge. Les héros des deux précédents étaient des personnages historiques réels et incontestés. J’ai réinventé ces personnages et je les ai montrés tels que je les imaginais. Stendhal disait du roman que c’est un miroir que l’on promène le long d’une route.

    Tout romancier qui situe ses œuvres d’imagination dans des périodes antérieures à sa naissance serait un romancier historique ? Pas forcément. Mais il est certain qu’un roman dont l’action se passe au xve siècle ne peut guère s’appeler autrement. Il est difficile de faire abstraction du temps historique dans lequel s’inscrivent les personnages. Surtout s’il s’agit de héros réels, qui n’ont pas été créés par le romancier, mais à qui celui-ci prête une vie, des actions, des pensées, des sensations, des intuitions, des amours, non pas que ces personnages ne les aient pas eues, mais c’est plutôt qu’elles restent ignorées de l’Histoire et des historiens. Et c’est le romancier qui les révèle. « Quand le romancier s’attaque à l’histoire, il a le droit d’en faire ce qu’il veut, mais cela n’a d’intérêt que s’il nous dévoile une vérité qui échappe à l’historien. », remarque l’historienne Annette Wieviorka (dans la revue L’Histoiren°349, janvier 2010) à propos d’un roman qui a fait naître récemment une vive controverse. Le personnage de ce livre étant le Polonais Jan Karski (1914-2000), témoin des horreurs du xxe siècle. Si l’on sait peu de choses sur Karski, notre contemporain, que dire alors d’un personnage tel que Perkin Warbeck ?

    Pierrequin de Werbecque, dit Perkin Warbeck en Angleterre (1474-1499), est un véritable personnage historique, pourtant relégué, au fil du temps, au rang des obscurs. Originaire de Tournai, ayant participé à des complots internationaux en France et dans les États de Bourgogne — la Belgique actuelle — il a finalement surtout laissé des traces en Angleterre où il est mort ignominieusement. Il prétendait être Richard d’York, le plus jeune fils d’Edouard IV. Beaucoup d’auteurs se sont intéressés à Perkin Warbeck — alias Richard d’York — au cours des siècles. Le dernier en date avant moi fut Jean-Didier Chastelain, qui réalisa un petit dossier historique publié en 1952 chez un éditeur belge aujourd’hui disparu. En le lisant, je me suis souvenu que j’avais trouvé son nom cité dans la bibliographie du livre de l’historien belge Luc Hommel, consacré à Marguerite d’York, duchesse douairière de Bourgogne et sœur du roi d’Angleterre, Edouard IV. Je ne sais pas qui est Jean-Didier Chastelain. J’ignore même s’il est encore en vie et s’il ne se cachait pas derrière un pseudonyme, le nom de Chastelain étant surtout connu comme celui de l’écrivain bourguignon Georges Chastelain, surnommé le « grand Georges », qui fut le chroniqueur — l’indiciaire — des règnes de Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Le réthoriqueur eut un successeur en la personne de Jean Molinet, qui continua son œuvre. C’est lui qui cite le prétendant, le prenant pour Richard d’Angleterre et ne l’appelant pas autrement.

    Si Dante et Marie de Bourgogne ¹ sont des personnages respectés, qui ont gagné leur place dans l’Histoire, il n’en est pas de même pour Perkin Warbeck dont le nom et l’identité ne sont pas certains. Il refusa celle que son baptême lui avait donnée. Il prit par intérêt la personnalité d’un enfant mort assassiné, et se promena sous ce déguisement d’une cour à l’autre à travers l’Europe. C’était nécessairement un héros picaresque. Un de ces personnages encanaillés et dangereux qui apparut plus tard dans l’Espagne littéraire du xvie au xviiie siècle. Franc, mais aussi menteur, un peu crapuleux, et qui avoue ses faiblesses et ses lâchetés avec un cynisme déconcertant, qui ne le rend pas moins attachant. Le personnage n’a que sa peau à donner et la risque.

    Parmi les nombreux auteurs anglais qui écrivirent sur Perkin Warbeck avant Jean-Didier Chastelain, seuls les noms de Bacon, Horace Walpole et Mary Shelley m’étaient connus. Quant à Bacon, il y avait une homonymie à ne pas ignorer. L’un était le philosophe et religieux anglais, qui s’était arraché à la scolastique du xiiie siècle, Roger, de son prénom, précurseur de la science expérimentale ; l’autre se prénommait Francis et avait vécu aux xvie et xviie siècles. Homme de sciences, philosophe, homme d’État, il avait écrit un roman d’anticipation ² et rêvait d’un monde gouverné par les savants. Quand on s’est mis à douter que Shakespeare fût bien l’auteur de ses pièces, on en a souvent attribué la paternité à Bacon. Francis Bacon, en tout cas, quand il écrit sur le règne de Henry VII ne croit pas que Perkin Warbeck ait pu être Richard d’York et il le voit comme un imposteur. Walpole, au contraire, contemporain de madame du Deffand, et qui mourut en 1797, écrivain d’imagination et grand seigneur, écrit que Perkin Warbeck était bien le fils cadet d’Edouard IV. Auteur d’un ouvrage intitulé Doutes historiques sur le règne du roi Richard III, il tente de réhabiliter ce souverain considéré comme le prototype du monarque criminel. Tâche quasi impossible, mais qui en dit long sur l’esprit particulier de Walpole, auteur également d’Au château d’Otrante, œuvre qui lança la vogue des grands romans noirs ou « gothiques », lesquels exercèrent une influence considérable sur les débuts du romantisme en Angleterre et en Europe. Et il n’est pas étonnant que Mary Shelley, auteur de Frankenstein et de The Fortunes of Perkin Warbeck, entre autres, ait suivi Walpole sur ce point. Richard d’York avait bien survécu à l’entreprise criminelle de son oncle Richard III et était réapparu sous le nom d’emprunt de Perkin Warbeck.

    L’Histoire ne peut pas être une science exacte. L’invention est un penchant très humain et l’Histoire, un fantastique réservoir à contes, romans et scénarios divers, alimenté par une source qui ne tarira pas. Les romanciers sont fondés à y puiser. Plus les événements sont éloignés de nous par le temps, plus les romanciers reprennent le dessus sur les historiens et ne s’en privent pas.

    Avec un personnage tel que Perkin Warbeck, la tentation est grande. Il intéresse les poètes, les écrivains et… les hommes de radio. Mon éditeur m’assure que Gérard Valet (1932-2005), brillant animateur et chroniqueur de la radio en Belgique, sur la RTBF, ambitionna de composer un livret d’opéra dans les dernières années de sa vie, dont le personnage principal eût été Perkin Warbeck.

    Le mystère de Perkin Warbeck aura donc préoccupé à différentes époques certains hommes à l’esprit curieux qui ont peut-être reconnus en lui une part d’eux-mêmes. Par lui se posent sans doute les grandes questions : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

    Que tous ceux qui m’ont précédé dans cette quête soient remerciés.

    Je n’oublie pas ceux qui m’ont appuyé dans le présent. Que soient donc aussi remerciés mon éditeur, celui qui m’a transmis le rêve de Gérard Valet et qui, par ses encouragements, m’a permis de le réaliser sous la forme que j’avais choisie, et ma compagne, pour sa patience et son équanimité.

    Maxime Benoît-Jeannin

    ______________________

    ¹ Maxime Benoît-Jeannin : Le Florentin, le roman de Dante, Stock, Paris, 1985 ; Miroir de Marie, roman, Le Cri, Bruxelles, 2003.

    ² La Nouvelle Atlantide.

    Carte Finaleok_fmt

    Itinéraire de Perkin Warbeck

    à travers l’Europe de la fin du xve siècle

    Prince qui sur tous a maîtrie

    Garde qu’enfer n’ait de nous seigneurie.

    À lui n’avons que faire ni que soudre

    Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre.

    François Villon

    PREMIÈRE PARTIE

    LE MANNEQUIN DE PRIGENT MENO

    1.

    Ma Catherine, mon amour, ma colombe ! Laisse-moi encore te tutoyer quelques instants avant de te demander pardon pour tout le mal que je t’ai fait depuis que nous nous sommes rencontrés. Ce tutoiement de nos nuits et de notre intimité la plus chaude, je ne le mérite plus. Aussi je l’abrège dès à présent, je le supprime, et je te rends tout le respect que je te dois. Oui, lady Catherine, je vous dédie la vérité la plus entière, non pas dans l’espoir d’un pardon illusoire, mais pour la sauvegarde de mon âme. Maintenant que tu en es là, me direz-vous, à quoi cela sert-il, sinon à me torturer, alors que je dois m’efforcer de t’oublier, monstre, vampire, suceur de sang !… C’est vrai, je sais combien vous avez raison, et que je suis indigne, infâme, tout ce que vous voudrez. Je suis comme Job sur son fumier. Je suis couvert de plaies et je geins. Seule me console la fin prochaine de mes souffrances. Pour la suite, je ne sais par quelle partie du monde de l’au-delà mon âme transitera. Et voilà déjà qu’à peine l’histoire commencée, mon jeu de vil comédien apparaît dans toute sa laideur. J’écris que ma fin me console !… Oh ! le maraud, le pitre ! Rien que pour ce mensonge, je mériterais d’être écartelé comme régicide…

    Voici la suite quand même : ne possédant plus que ma courte histoire, dont je connais déjà la fin, je vous la cède. Vous en ferez ce que vous voudrez. D’ailleurs, je ne suis même pas sûr qu’elle arrivera jusqu’à vous… On m’a promis de vous remettre ma confession en mains propres, mais vous savez ce que valent les promesses d’un geôlier… Ou plutôt, non, vous ne le savez pas, vous ne pouvez vous douter de tout ce que j’endure, vous êtes loin de tout cela à Westminster, dans la suite de la reine qui veut bien vous offrir l’hospitalité. Est-elle bonne cette Elisabeth d’York dont j’ai failli être le frère et dont je suis peut-être le cousin, si ça se trouve ? Et ça s’est trouvé, mais n’anticipons pas, comme on dit. Pas tout à la fois… Déguste… Je ne veux pas retourner le couteau dans la plaie, il est si coupant, si pointu. J’imagine que vos compagnes font ce qu’elles peuvent pour vous distraire, quand vous vient une larme lorsque mon souvenir vous trouble. Mais il ne faut pas pleurer, lady Catherine, il ne faut pas !…

    J’ai déjà beaucoup avoué sans doute. J’ai dit la vérité au roi. Celle qui pouvait lui servir. Rien de plus. Tout le reste — et quel reste ! — est ce qui m’importe bien davantage. C’est cela que je vais tâcher de vous confier dans le peu de temps qui m’est imparti. Voyez-vous, ma gracieuse Catherine, ma très-aimée, ça, vous ne pouvez m’empêcher de vous le dire, je ne suis pas censé écrire dans ce cachot. Je le fais grâce à la bienveillance de mon gardien qui m’a donné de quoi. Qu’est-ce que cela cache ? Je n’en sais trop rien… Le jour est faible dans cette cellule. Le soleil ne l’éclaire pas et la lune non plus. Je m’use les yeux tant que c’est possible. À la nuit tombante, il m’apporte une lampe et je puis poursuivre tout en prenant mille précautions pour ne pas mettre le feu à la paille de mon bas-flanc. Je n’avance donc que de quelques heures par jour, ma Catherine. Il se pourrait alors que cette confession fût inachevée. Au moins contiendra-t-elle le témoignage de mon repentir. Hélas, je n’ai pas appris à former des lettres. Tant qu’il s’agissait de parler, d’expliquer, de convaincre, ça allait, je n’ai jamais eu ma langue dans ma poche. Les scribes transcrivaient mes propos. Je n’avais pas à me soucier de leur matérialisation sur le papier. Maintenant que je me suis assigné cette ingrate, mais ô combien nécessaire besogne, je vois mieux le mérite de messieurs les chroniqueurs, poètes et autres rhéteurs dont je ne me souciais guère autrefois, au point de me moquer d’eux. Quelle saleté que l’écriture ! Mais il faut te dire qu’ici, ma toute belle, dans le cloaque où je suis tombé, je ne suis plus bon qu’à ça ! Tiens, un museau de rat ! Tiens, voici que je te tutoie encore, malgré ma promesse. Voilà, ils sont partis. J’ai rebouché le trou par où le rat tentait d’entrer dans mon royaume, et je suis de nouveau à vous. Le tutoiement, lui, reviendra. Et pardon si je te manque de respect par moment par cet usage familier qui ne devrait plus être de mise entre nous, mais que veux-tu ? c’est plus fort que moi. Cela m’échappera encore. Aie donc pitié de mon corps prisonnier, vu que l’on me fait crever ici à petit feu. Notre mariage n’est pas encore cassé. Qui en aurait le pouvoir ? Peut-être le pape ? A-t-on déjà envoyé un courrier à Rome pour une affaire de cette importance ? Allons, pour Dieu, tu es toujours ma femme !…

    Ce que je veux que vous sachiez, c’est le parfait souci qui m’habite de vous transmettre la vérité. Ah ! lady Catherine Gordon, que n’avez-vous épousé le véritable Richard d’York, vous seriez princesse aujourd’hui et future reine, au lieu de cela vous êtes pour le public la moitié et bientôt la veuve d’un gueux ! Il faut vous en convaincre. Il faut vous en convaincre ! J’ai envie d’écrire une troisième fois cette phrase, en pénitence. Notez que si vous aviez été donnée au pauvre Edouard de Warwick, vrai York celui-là, fils de feu le duc de Clarence, vous ne seriez guère plus avancée. Nous sommes presque voisins à la tour de Londres maintenant. Le malheureux y est enfermé depuis quinze ans, parce qu’il est le dernier neveu encore vivant de feu le roi Edouard IV et que le roi Tudor le craint. Ces rois sont décidément les plus inhumains des hommes. Je l’ai constaté, très chère lady Catherine, pour mon malheur. Ils n’ont confiance en personne. Ils ne peuvent se reposer sur aucun ami. C’est pourquoi, ils sont si cruels. Ton cousin Jacques d’Écosse est en tout point différent. Lui, je l’aime comme un respectable frère. Mais se peut-il qu’il me laisse périr ici ? Oui, ses forces ne lui permettent même pas de faire dix lieues en Angleterre. Votre misérable patrie a si peu de ressources !…

    Pour en revenir à nous, ma chérie, tout ce que j’ai déclaré devant Henry VII et en ta présence n’est, hélas, que trop vrai. J’ai bien compris que tu doutais quand nous nous sommes retrouvés avant que je ne commette la folie de m’évader de Westminster. Encouragée par mon attitude perverse, vous vous êtes dit, aveuglée par votre amour : tu as faussement avoué ta pseudo imposture pour sauver ta peau, ce qui ne t’évitera pas d’être pendu, pauvre con ! Tu es Richard, et tu as créé ce personnage de Tournai pour complaire au roi. Vous vous êtes raccrochée à cet espoir et moi, sentant cela, je n’ai pas dissipé cette illusion. Pardonnez-moi encore, mais cette chimère de Richard d’York m’a soutenu pendant tant d’années. Grâce à elle, j’ai connu le beau monde. Et, mourir pour mourir, je préférais que ce soit — tout au moins dans ton esprit — sous le nom de ce prince qui a encore eu moins de chance que moi, au moins vous ai-je connue, que sous celui très commun de Pierrequin de Werbecque, Perkin Warbeck, comme disent les Anglais, incapables de le prononcer correctement. Pour moi, il ne s’agissait pas de mourir, mais de vivre ! Même au prix du déshonneur ? Certes ! Que voulez-vous, je ne suis pas un homme bien né ! Rien que cela doit achever de vous convaincre de ma roture. Cependant, entre un manant et un prince mort, y a-t-il, sous terre, une différence ? Les vers n’en ont pas moins d’appétit. J’ai vu trop de morts pour ignorer que nous somme tous constitués de la même chair. La preuve, par les vers… Qui peut la contester ?… Non, croyez-moi, vous qui fûtes ma femme et qui l’êtes encore, je vous engage à ne pas l’oublier : être mort, c’est le plus grand des péchés. Toujours, Caterina mia ! Lorsque je ne serai plus, tu te délivreras plus ou moins vite de ce lien qui ne fut point imaginaire. Tu as trop souvent crié dans mes bras que tu m’appartenais pour que je puisse en douter. Même ici. Alors que je ne sortirai de cette tour que pour être pendu. Je tourne en rond. Je me répète, pas par méchanceté, mais par peur. C’est elle qui m’a fait échouer dans cette entreprise trop ambitieuse pour moi. Même un prince de sang royal aurait pu être tué sur le champ de bataille, alors moi ! Mais, semble-t-il, le sang royal ne connaît pas la peur. Moi, mes entrailles se mettent à gargouiller insolemment. J’essaie de les raisonner, rien à faire. Bien sûr, ce qui nous différencie, manants et seigneurs, c’est l’âme. Crois, ma colombe, que j’en suis bien persuadé. Une âme bien née et bien trempée, dès qu’elle a échappé à la bourbe du corps livré à la pourriture, disparaît dans l’air et rejoint le royaume de Dieu ou l’Enfer. Mais, dans l’Invisible, comment reconnaître une âme noble d’une autre d’extraction plus basse ? Comment les âmes se guident-elles dans l’Invisible ? Les anges et les démons les entraînent vers le haut et le bas ? Chacun son travail. Et si tous les prêtres mentaient, n’en sachant au fond pas plus que nous ? Ah ! ce sont de graves questions, ma Catherine, dont j’aimerais débattre avec toi, si j’avais le temps ! Le roi, dans sa grande bonté, s’il m’accordait sa grâce et m’anoblissait, m’autorisant par là à finir mes jours avec toi ? Je remettrais cette disputatio à plus tard, trouvant plus désirable de nous ébattre. Je suis incorrigible là-dessus. Dès que je pense à toi, je revois tout ce qui a été mien depuis notre mariage. De tes beautés, ne me suis jamais rassasié. Je crève de soif près de la fontaine. Mais il faut payer pour toutes nos fautes… La liste des miennes est longue. On nous tend le bassinet et on crache dedans comme une bile dorée…

    Non, tu vois, je ne me pardonnerai jamais mon manque de caractère. Que l’on insiste, et l’on me persuade facilement. Je veux être gentil avec tout le monde, c’est un fait.

    Quant à mes origines, il faut revenir là-dessus. Il n’y a pas plus peuple que moi, en apparence. Tu dois comprendre par là que j’ai un secret à te faire partager.

    Tu dois le savoir, car à toi, cousine du roi d’Écosse, je ne l’ai pas raconté en détail, on certifie que je naquis vraiment à Tournai l’année 1474. Quel mois, quel jour ? Je ne peux pas m’en souvenir, d’autant qu’en réalité je suis né plus au nord et pas de celui dont je porte le nom. Tournai est une petite cité du Hainaut restée fidèle au roi de France. Juste à la frontière des états de Bourgogne. Nicaise, ma mère, ou plutôt celle qui passait pour tel il y a encore peu d’années, me baptisa Pierrequin, le nom de famille de mon supposé père Jean étant Werbecque. Il appartenait à la corporation des bateliers et je crois qu’il s’occupait principalement de l’entretien du chenal. Je ne sais ce qui passa exactement par la tête de mes parents adoptifs — eh oui je ne puis te le celer plus longtemps, mais la révélation n’est pas pour tout de suite —, ils décidèrent que je n’avais pas vocation à demeurer longtemps auprès d’eux. D’abord, j’habitai très peu sous leur toit. Ma mère, appelons-la encore ainsi, me plaça chez un oncle, Jean, dans la paroisse de Saint-Piat. Et puis, un jour, elle vint me chercher et m’emmena, en compagnie d’un certain Berlo, à Anvers, la grande ville sur l’Escaut. Là, elle me confia à un cousin, afin que j’apprenne de lui le flamand. Au bout de six mois dont je n’ai pas grande souvenance, cet homme, nommé Jean Stienbeck, préféra me renvoyer à Tournai à cause de la guerre qui désolait la Flandre. J’avais dix ans. Je connaissais suffisamment le flamand pour le parler. J’aurais pu demeurer encore longtemps à Anvers, qui me plaisait beaucoup, sans cette guerre entre Maximilien, le veuf de la duchesse Marie de Bourgogne, et ses sujets. Dès que les choses se furent calmées, ma mère me renvoya à Anvers. Comme si mon sort dépendait de cette ville. Mais moi, je n’étais pas très heureux de tous ces changements. Quand je me sentais bien quelque part, on me chassait. Bref, à peine arrivé en compagnie d’un marchand, je tombai gravement malade, et cet homme, voyant que j’étais devenu impropre à tout apprentissage, me mit en pension chez un peaussier, puis dans une auberge.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1