Ghetto chroniqueur
Par Hanibal
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À propos de ce livre électronique
Hanibal est un rappeur et auteur parisien du 19ème arrondissement qui fait du rap à l’ancienne. En 2007, il forme le groupe Logik avec trois copains du lycée et enregistre son premier maxi album avec six titres, dont un solo et un featuring.
En été 2012, il enregistre un single intitulé « Dur de percer » avec Dany Dan des Sages Poètes de la Rue. Puis il prépare sa première mixtape, 19 OZ, en collaboration avec plusieurs rappeurs du 19ème arrondissement, S.Prix, SLK ou Seres.
Le 14 juillet 2016, il se produit sur scène à la Place de la République, à Paris, à l’occasion de la journée d’action contre les violences policières, aux côtés du collectif des familles de victimes "Urgence notre police assassine" et de l’ONG américaine Black Lives Matter, ce qui lui vaudra sa première revue de presse réalisée par Médiapart.
Nous avons réuni les premiers textes de cet artiste d’exception, habité d’une rare violence mais toujours désireux à « monter sur les nuages faire des smacks ».
Hanibal
Hanibal est un rappeur et auteur parisien du 19ème arrondissement qui fait du rap à l’ancienne. En 2007, il forme le groupe Logik avec trois copains du lycée et enregistre son premier maxi album avec six titres, dont un solo et un featuring.En été 2012, il enregistre un single intitulé « Dur de percer » avec Dany Dan des Sages Poètes de la Rue. Puis il prépare sa première mixtape, 19 OZ, en collaboration avec plusieurs rappeurs du 19ème arrondissement, S.Prix, SLK ou Seres.Le 14 juillet 2016, il se produit sur scène à la Place de la République, à Paris, à l’occasion de la journée d’action contre les violences policières, aux côtés du collectif des familles de victimes "Urgence notre police assassine" et de l’ONG américaine Black Lives Matter, ce qui lui vaudra sa première revue de presse réalisée par Médiapart.Nous avons réuni les premiers textes de cet artiste d’exception, habité d’une rare violence mais toujours désireux à « monter sur les nuages faire des smacks ».
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Aperçu du livre
Ghetto chroniqueur - Hanibal
INTRODUCTION
Le rap français représente le deuxième marché mondial du secteur, juste après le rap américain. Selon un sondage effectué par You Gov en mai 2015, un français sur cinq écoute du rap et parmi eux les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes.
Et pourtant, ce style musical très populaire n’est pas suffisamment présent dans les médias officiels, à l’exception de quelques artistes qui ont délaissé le rap en faveur de la variété (Maitre Gims, Black M ou MHD) ou encore ceux qui se font inviter dans les émissions de grande écoute seulement pour être tournés en dérision. Même le mastodonte du secteur, Booba, fait sa publicité sur les réseaux sociaux et gère sa propre radio et sa chaîne de télévision, sans vraiment être présent dans les médias officiels. Ce n’est qu’après avoir été invité par la prestigieuse université de Harvard pour donner des cours sur l’entreprenariat dans les banlieues difficiles que les médias officiels l’ont remarqué.
Pourquoi une telle condescendance envers le rap et le hip hop dans les médias officiels ? Est-ce à cause de l’élitisme des milieux intellectuels où la culture populaire n’a pas droit de cité ? Ou le résultat de non-mixité sociale où les jeunes issus des classes populaires ne peuvent accéder aux meilleures écoles et n’apprennent pas à maîtriser la langue de Molière ?
Dans un billet publié en janvier 2007 sur son blog Le futur, c’est tout de suite, écrivain et politologue Guy Sorman explique qu’il existe en France un apartheid anti-jeunes. « Le refus de toute évolution dans ces universités de masse, ni sélection, ni formation substantielle, enferme la jeunesse française dans une ségrégation, un apartheid que déterminent l’argent et l’origine culturelle. »
La France est-elle vraiment le pays des droits de l’homme ? Si oui, comment peut-elle tolérer les ghettos, tellement anachroniques dans une démocratie moderne, puisque les cités populaires aux abords des villes françaises correspondent bien à cette définition ? Dans ces quartiers, la collectivisation sociale-démocrate a concentré les minorités ethniques et défavorisées en engendrant une ségrégation sociale depuis laquelle il est difficile de briser le plafond de verre.
Les rappeurs crient leur douleur de vivre dans ces ghettos et haïssent la France qui ne parvient pas à les considérer comme citoyens à part entière. Dans leurs textes, on rencontre la rage contre le système, la violence structurelle qui entraine la criminalité, la soif de vengeance et les règlements de comptes, les armes, le sang et le sentiment de ne pas appartenir au reste de la communauté. Vivre dans une banlieue défavorisée, selon Booba, « c’est pousser comme une ortie parmi les roses » (Ma définition, 2002). Très lucide, Kerry James dénonce la création même des cités populaires où les citoyens issus de l’immigration sont regroupés dans les logements sociaux loin des centres-villes et des transports, où ils ne côtoient pas le reste de la population. « On ne s’intègre pas dans le rejet… Comment aimer un pays, qui refuse de nous respecter ? » (Lettre à la République, 2013).
Les artistes dénoncent la violence de l’état post-colonial qui opprime les minorités ethniques et les violences policières sont omniprésentes dans les textes du rap français depuis ses débuts (Suprême NTM, Police, 1993 ; Ministère A.M.E.R., Sacrifice de poulets, 1995). Selon le collectif UNPA – Urgence : notre police assassine, chaque année une quinzaine de personnes sont tuées par la police française. Les autres bavures policières sont innombrables, depuis le délit de faciès jusqu’aux fouilles dégradantes et viols dans les commissariats, évoqués très explicitement par Tunisiano « vos GAV foutent la frousse, il m’a dit ‘penche toi et tousse’ » (Je porte plainte, 2008). Ces comportements qui jouissent de l’impunité des tribunaux suscitent le rejet de la force publique par les citoyens des quartiers populaires et peuvent provoquer les scènes de guérilla urbaine.
Certains ne se font pas d’illusion et estiment que c’est le système éducatif français qui est responsable du développement du racisme. De nombreux sociologues ont souligné la baisse du niveau des bacheliers français par rapport à leurs petits collègues européens et les associations dénoncent régulièrement la volonté des instituteurs à supprimer toute compétition et baisser le niveau d’exigences afin d’enrayer les « inégalités ». Pour Sefyu, rappeur et éducateur de métier, l’éducation nationale fonctionne comme le goulag duquel il est impossible de sortir libre, « la France a le seum de nous voir assumer les études, en somme, ils veulent qu’on consume du seum » (Goulag, 2006). On se souviendra de l’enfance de Malcolm X qui voulait devenir avocat mais ses professeurs lui faisaient remarquer qu’il était noir et qu’un emploi de cireur de chaussures était mieux adapté pour lui ; on retrouve les parallèles de cet insoutenable racisme américain des années 1960 dans les paroles des rappeurs français du XXIème siècle. Ainsi, Mister You conseille de se méfier du système éducatif français en lequel il a perdu tout espoir, « petit frère leurs paroles, c’est d’la merde faut pas t’y fier, t’as beau être fort à l’école eux ils t’conseilleront pâtissier » (La rue puis la prison, 2007). Soprano, pour sa part, fustige les politiques culturelles qui ont oublié les cités populaires, « pourquoi vouloir une bibliothèque dans vos favelas ? » (La Marche, 2013).
Le rap français est très politique. Tout comme les États-Unis, pays bâti sur l’esclavagisme et la ghettoïsation des amérindiens qui a engendré le rap contestataire, la France ne pouvait que faire naître en son sein le résultat de la colonisation et des guerres impérialistes. Aux États-Unis, l’abréviation RAP est l’acronyme de rhythm and poetry ; en France il est plutôt celui de rythm and politics. Evidemment, le cliché du rappeur « classique » qui brandit les liasses de billets, promène des jeunes femmes légèrement vêtues et frime dans les voitures de luxe existe sur le marché français. Pourtant, la contestation du système politique et social en place est le leitmotiv qu’on retrouve chez chacun des artistes de ce genre musical. Souvent, les politiciens français sont nommément pointés du doigt « Marine Le Pen c’est toi la racaille » (Booba, Paname, 2011) ; « j’sais pas si le pire c’est que les narcotiques s’introduisent ou que les Sarkozy se reproduisent » (Kaaris, MBM, 2013).
Certains veulent prendre la revanche sur une société qui les a tant opprimés. Beaucoup de rappeurs français ont basculé vers la délinquance et certains ont purgé des peines de prison ferme pour outrage et rébellion, violences en réunion, cambriolage, séquestration, détention d’armes ou encore trafic de stupéfiants. D’autres n’ont pas un passé délinquent mais surfent sur la vague du gangsta rap et décrivent la criminalité qu’ils voient autour d’eux, tout en incluant les disclaimers dans leurs clips pour ne pas risquer des poursuites : « Ceci est une fiction, mais la réalité dépasse la fiction » (Goulag feat. Sefyu, Qui peut m’égaler, 2013). D’autres encore écrivent les textes contre le racisme et parfois inspirent les émeutes contre les forces de l’ordre qui multiplient les bavures, « j’ouvre ma gueule pour toutes les minorités, il faut s’armer » (Sefyu, La Légende, 2006). Les auteurs du rap conscient appellent les jeunes à résister à la tentation de l’argent facile pour se remettre au travail et à la prière, « j’appelle ‘la racaille’ à une sérieuse remise en question, pour se ranger y’a mieux que l’argent, y’a la religion » (Rohff, Message à la racaille, 2004). Booba, lui, a souhaité avoir sa revanche sociale par sa propre réussite financière et la possibilité de produire à son tour de nouveaux artistes indépendants, « parce que j’veux voir c’pays en sous-vêtements » (Ma définition, 2002). A part sa propre radio et sa chaine de télévision, l’artiste a également lancé sa marque de vêtements Ünkut, le label qui fait penser au mot anglais uncut signifiant « non coupé » ou « non censuré ».