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Juge Delisle assassin: Une trame
Juge Delisle assassin: Une trame
Juge Delisle assassin: Une trame
Livre électronique567 pages7 heures

Juge Delisle assassin: Une trame

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À propos de ce livre électronique

Il est né pour une brillante carrière. Aux portes de l’Université Laval, toutes les avenues lui sont ouvertes. Il choisit le Droit. Une excellente performance professionnelle, jusqu’à la magistrature à la Cour d’appel du Québec.

Une retraite qui n’était pas prévue. Le drame.

Il vient de découvrir le corps sans vie de son épouse, un revolver à ses côtés. L’homme propose un suicide d’abord, une mort assistée par la suite. Au procès, un jury décide : il s’agit d’un meurtre, le plus grave de tous, le meurtre prémédité.

L’homme est en prison, avec possibilité de libération conditionnelle lorsqu’il aura 102 ans.

Où est la trame d’une telle tragédie ? Des circonstances, un caractère, des émotions, du sexe, de l’argent ?

L’auteur suit l’homme depuis la naissance, avec des us et coutumes, des circonstances, dans une trame qui a été perméable à une certaine fiction.

Dieu a donné aux hommes un cerveau et un pénis, mais malheureusement pas assez de sang pour faire fonctionner les deux en même temps. (Robin William)

À la Cour d’Appel du Québec, surnuméraire, c’est comme le ciel sans mourir. (Juge Delisle)

En prison, dans une cellule, c’est comme l’enfer sans mourir. (L’auteur)
LangueFrançais
Date de sortie16 avr. 2020
ISBN9782897753429
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    Aperçu du livre

    Juge Delisle assassin - Gabriel Fontaine

    Pour écrire ce livre, l’auteur a pris connaissance du dossier complet de Jacques Delisle, tel que disponible au dossier du greffe de la Cour supérieure du Québec, ville de Québec. En regard de plusieurs informations contenues dans son livre, l’auteur est reconnaissant envers de nombreuses sources médiatiques, ainsi qu’aux auteures Pauline Cloutier et Catherine Lamontagne, pour l’œuvre de chacune d’elles, On l’appelait monsieur le juge L’affaire Delisle meurtre ou suicide ? et Le dernier procès L’affaire Jacques Delisle.

    Conformément au titre du livre, Juge Delisle Assassin Une trame, la trame proposée par l’auteur est sujette à des fictions. 

    Le 12 juillet 2018, l’auteur a tenté de communiquer avec Jacques Delisle, pour les fins mentionnées dans la lettre ci-après reproduite :

    Monsieur Jacques Delisle,

    Établissement Archambault

    242, montée Gagnon

    Sainte-Anne-des-Plaines. Qc.

    J0N 1H0

    Bonjour monsieur Delisle,

    J’entreprendrais d’écrire un livre sur votre vie, qui serait basé sur des circonstances et hypothèses, dans un style relativement semblable à celui utilisé dans mon écriture du livre que je viens de publier sous le titre : Juge Garon assassiné - La trame.

    Je vous offre une copie de ce livre, pour vous permettre une certaine appréciation de mon projet. Un peu comme dans le cas du juge Garon, vous avanceriez dans votre vie, depuis 1935, jusqu’au jour de la publication du livre.

    Un épilogue mentionnerait la demande de révision de votre dossier, en voie d’examen sous l’autorité du ministre de la Justice.

    Je souhaite vous rencontrer si vous êtes disponible pour participer à identifier et commenter des circonstances de votre vie.

    Je vous remercie.

    Gabriel Fontaine

    Le 16 juillet 2018, ce courrier a été livré à l’Établissement Archambault.

    Ultérieurement, l’auteur n’a pas connu de développements reliés à sa correspondance de juillet 2018, vers l’ex-juge Delisle.

    Juge Delisle assassin

    Une trame

    Gabriel Fontaine

    À mes premières institutrices et mes autres éducateurs.

    Il y a dans mes écritures une trace, des savoirs et manières de vivre de tout ce monde, qui m’a tant été utile.

    Pour l’examen de la main gauche, le technicien va trouver quelque chose de différent, de bien étonnant. Face à lui, la main de la dame repose le pouce vers le haut. Ce dernier lui semble reposer sur le rebord de la main. Les quatre doigts sont légèrement recroquevillés. Tout près du côté de la main, peu avant la naissance du petit doigt, il écrira l’auriculaire, une tache noire, plus ou moins ronde comme une pièce d’un dix sous. Il pense que la tache noire proviendrait du revolver, au moment du tir.

    Remerciements

    Blanchard Jacques Honorable Juge (1936-2018)

    Bouchard Éric Me

    Bougie Martine

    Bourdages Gaston

    Brousseau Sylvain

    Carrier Germain

    Drapeau Alexandre

    Dubé Cyril

    Dubord Gilles

    Dumont Christian

    Dupéré Hélène

    Ferland Marc

    Fortin Roger

    Garceau Louis-François

    Garneau Paule

    Godbout Raymond

    Lachance Nicole

    Laflamme Jean-Marc

    Le Groupe TRAQ

    Lemelin Bertrand

    Lemieux Louis-Guy,(Les capsules historiques, Le Soleil.)

    Noël De Tilly Maude

    Routhier Benoit

    Savard Yvan Me

    Saindon Gilles

    Saindon Jean-Marie

    Simoneau Michelle

    Tremblay Maurice Me.

    Vallières Lorraine

    Vallières Sylvain

    Plusieurs autres personnes ont fourni à l’auteur des renseignements dont ce dernier s’est servi. Ces collaborateurs et collaboratrices ont préféré ne pas être inclus dans la liste des personnes remerciées. L’auteur a agi en conséquence.

    Pont-Rouge, été 1946

    Au deuxième étage, dans la chambre des garçons, il y avait deux lits larges, le premier avait un matelas conventionnel, le second, celui du fond, une paillasse.

    C’était la première fois que Jacques partait pour passer plus d’une semaine chez ses grands-parents, à la ferme de Pont-Rouge, dans le beau comté de Portneuf.

    Grand-mère avait donné le choix à son petit-fils de la ville, la paillasse ou l’autre lit. Jacques avait choisi le lit du fond, il voulait dormir sur une paillasse. Une vraie paillasse, un grand sac avec toile sur un côté, de coton blanc sur l’autre côté.

    Depuis les dernières années, beaucoup d’enfants, dont le père de Jacques, avaient quitté la grande maison de ferme, la paillasse était devenue un objet rare, presque un luxe pour les cousins de la ville.

    Cet été, pour le temps des foins, c’était au tour de Jacques de faire l’expérience de la paillasse. Grand-mère y avait ajouté une fourchée de paille, pour arrondir l’espace pour s’étendre, pour que le petit dorme bien.

    Dans l’après-midi, Jacques avait foulé, sur le chariot à foin qui faisait le champ, depuis le milieu de deux andins. Grand-père, du côté de l’andin droit, menait les chevaux au son, pour que l’attelage avance. La jument blanche comprenait toujours le kik de grand-père, l’autre cheval, un poulain de quatre ans, se fiait à la jument blanche.

    Après une douzaine de pieds, jument et poulain s’arrêtaient. La plupart du temps, le woo de grand-père n’était pas nécessaire. Jacques apprenait vite, il foulait bien, le haut du voyage fera un peu plus large, on chargera la longueur d’un andin de plus.

    Grand-père était content, il savait comment récompenser le petit fiston.

    — Je vais mener les chevaux, jusqu’au chemin du milieu de la terre, et je te donnerai les cordeaux.

    Et depuis le haut de la terre, jusqu’à presque devant la grange, Jacques assis sur le haut du voyage, les deux pieds bien ancrés sur la planche de la ridelle d’en avant, tenait les cordeaux.

    La jument aussi connaissait le chemin, pour la dénivellation longue du chemin, longue d’un arpent, elle et poulain retiendraient la charge, avec le harnois, le pôle de l’attelage, et principalement, le cul des deux bêtes.

    Et pour remonter la dénivellation, Jacques avait à peine ouvert la bouche que la jument avait décidé, c’était le temps de bander les attelages. Jusqu’à la grange. C’est au tournant proche de la grange que grand-père reprit les cordeaux.

    — Regarde-moi faire, le prochain voyage, tu entreras toi-même le voyage dans la batterie.

    — Il faut que tu entres droit, toujours sans accrocher les poutres qui supportent les portes de la batterie... Ne t’énerve pas, les chevaux vont s’arrêter tout seuls, tout juste aux pieds du mur, la jument est habituée. 

    Pour l’époque, la grange était moderne, on n’avait pas de gangway pour amener le foin au niveau du fenil, on utilisait la mécanique. Au plus haut de la toiture intérieure, à la jonction des deux versants de la haute structure, un rail, deux poulies, une fourche avec des accrocheurs de chaque côté, un palan depuis la fourche d’en haut, un câble du palan vers en bas, sur une poulie d’ancrage. Pour décharger les foins, le câble est relié à l’attelage d’un troisième cheval, une vieille bonne bête, comme à sa pension, le vieux Prince, une grande robe d’un brun café, une bordure de blanc sur le front, comme un croissant de lune. Prince a vingt-trois ans, il est né sur la ferme, et il aura le droit d’y mourir, comme le disait souvent grand-père. 

    Une fois la fourche bien ancrée dans une plus grosse botte possible de foins du voyage, c’est la job du cheval à sa retraite de tirer. C’est Jacques qui conduit Prince, à la bride. Prince se plie légèrement le cou à la hauteur du petit Jacques. Le vieux cheval ne doute pas qu’il se conduit lui-même, le jeune Jacques ne doute pas qu’il décide tout pour le cheval.

    Grand-père crie : « Prince ». Le cheval se muscle, se tire plus d’air, Jacques se laisse influencer, il force avec sa bête, l’énorme fourchée se sort du voyage. Sur les rails d’en haut, la charge se déplace vers le bon endroit.

    Who. Who.

    Prince a entendu et compris avant Jacques. La charge s’arrête.

    D’une cordelette qui va de la fourche en haut, jusqu’au bout du câble en bas, grand-père déclenche les deux accrocheurs, une charge de foins en plus dans le fenil. Encore deux autres et on repart pour un autre ramassage, cette fois, les deux champs d’en haut.

    Avant de repartir, grand-mère a son seau d’eau froide, température directe du puits, celui du bout de la grange. Pendant le déchargement, les chevaux ont déjà bu. Grand-père et petit fiston se paient chacun leur tasse en fer-blanc, pleine de la bonne eau froide. Ensuite, l’homme de journée prendra deux bonnes tasses. Le reste de la chaudière ira aux chevaux, au prochain voyage.

    C’est Jacques qui conduit l’attelage de retour vers les andins. Grand-père et le journalier se laissent promener, les deux jambes pendantes depuis le plancher du truck à foins. Grand-père s’emplit une pipe, le journalier se roule une cigarette, du papier Vogue, du tabac Zig Zag.

    Le moins possible, Jacques s’appuie une main sur la ridelle, il a observé son grand-père, ce dernier se tient debout avec les cordeaux en main, sans toucher aux ridelles, le jeune Jacques doit être capable de faire la même chose.

    Ce soir-là, sur sa paillasse, un peu plus molle que son matelas de ville, un peu plus ballottante, Jacques n’a pas eu de misère à s’endormir. L’inconscience du sommeil s’est bien passée et rapidement, un peu dans l’odeur du cheval, un peu dans l’odeur de poussière de la paille, un peu dans le goût de l’eau froide du puits de la grange, la nuit était commencée.

    Demain matin, il remplacera Grand-mère, pour aller chercher les vaches, dans le champ de trèfle, celui d’à côté du ruisseau d’en haut. Grand-mère lui explique comment ça va se passer.

    Tu laisses le taureau dans le champ, tu ramasses seulement que les vaches.

    Le taureau est habitué à ne pas venir, s’il changeait d’idée, Woibo va t’aider, le chien sait ramener les vaches, il sait distraire le taureau, afin qu’il s’éloigne de la barrière.

    Tu es là pour ouvrir et fermer les barrières, Woibo va s’occuper de tout. Les vaches vont être prêtes, elles savent que dans l’étable, chacune a sa place, chacune a sa ration de moulée, sa portion de moulée laitière, avec mélasse dedans.

    Les vaches aiment la mélasse.

    Le matin est venu vite. Jacques se réveille, ou plutôt est peut-être éveillé par des cris d’oiseaux, plusieurs couacs de corneilles. Dans la fenêtre, pas encore de rayons de soleil, mais le bleu de l’aurore est déjà installé. Dans la chambre, c’est plus frais que la chaleur d’hier soir.

    De loin, comme du bout de la terre, un long beuglement, une vache qui salive déjà un goût de moulée sucrée.

    Dans la cuisine d’été, Grand-mère est au poêle, du bois sec d’érable, coupé en brindilles, pour un feu rapide et pas trop chaud, sur le rond du fond, c’est pour la cafetière, sur le rond d’en avant, Grand-mère enlève le couvercle, installe le poêlon directement au-dessus du feu, pour les œufs, les grillades de lard salé, pour les patates rôties, il s’agit du surplus programmé des patates d’hier.

    Peut-être que dans le bout de la terre, les vaches sentent l’odeur du café, peut-être que pour elles, c’est un signal de la moulée, certainement que ça dépend de la direction du vent.

    Dans le champ des vaches, en haut dans le plus loin, Jacques voit les bêtes, elles sont sans pattes, comme si elles flottaient dans le bas nuage, comme de la vapeur qui s’élève depuis les pâturages humides qui commencent à sortir de la nuit fraîche, vers la chaleur qui s’éveille.

    C’est Woibo qui le premier arrive à la barrière. Le chien se retourne vers Jacques, pas de jappement, un simple regard. Jacques presse le pas. Le chien est déjà rendu derrière la vache meneuse du groupe, le chien sait que toutes les autres vont suivre.

    Taureau reste seul au champ, depuis tout ce temps que les bêtes sont à l’herbe, il a oublié la ration de grains. Peut-être que Taureau sait que pour lui, le mâle, le grain, c’est un supplément de vitamine, tout juste pour l’hiver, pour accompagner le foin sec.

    Dans l’étable, Grand-mère est en train de pomper un bon nuage de DDT, des mouches quittent plafonds, murs et dalots, se déplacent vers n’importe où, les plus vieilles et les plus faibles tombent pour mourir. Grand-mère les balaiera dans le dalot.

    Woibo a terminé, il se couche sur le perron de l’étable, le soleil va le chauffer, tout le temps de la traite. Jacques est tout fier avec ses vaches qui arrivent, chacune a sa place. Il fait comme grand-mère, il installe à chaque vache son licou, la tâche n’est pas difficile, chaque bête a le cou penché, chacune ne pense qu’à la moulée, directement sur la chaussée à fonds de bois, tout juste devant chacune d’elles.

    La grosse vache blanche, la plus haute sur ses longues pattes, elle impressionne Jacques, elle a un paire gros comme la moitié d’un sac de moulée, c’est là tout le lait que Jacques va traire. Grand-mère lui approche le petit banc, pour que Jacques s’assoie, une chaudière entre ses deux genoux. Jacques hérite de la chaudière de bois, une fabrication d’un aïeul des Delisle, la chaudière est encore bonne.

    Le front sur le haut du paire de la vache, Jacques est impressionné par la hauteur et la masse de l’animal. Heureusement que grand-mère l’a mis en confiance, la grosse blanche, c’est la plus tranquille, la plus douce.

    — En plus, elle donne son lait facilement, ajoute grand-mère.   

    Jacques a vu les autres manier les trayons, il tente de faire la même chose, mais le lait ne sort pas. Des mouches survivantes au DDT arrivent avant le lait, vache blanche donne un coup de queue pour éloigner les plus indiscrètes, Jacques reçoit un éclat de mou comme sur une oreille.

    Il reprend son énergie, maintenant les deux mains fermées sur le même trayon. Enfin quelques gouttes de blanc au fond de la chaudière.

    — C’est plus compliqué que je pensais, pas question que je ne remplisse pas ma chaudière.

    Grand-père passe avec sa première chaudière pleine de lait, il se penche derrière Jacques, lui montre comment placer ses doigts, comment presser.

    — Vas-y avec tes deux mains.

    Enfin, la chaudière est à demi pleine, mais rien ne paraît.

    Grand-mère va prendre la place, il faut sortir les vaches, Woibo s’étire, il est prêt.

    — Va vider ton lait au bidon.

    Dans le milieu de l’allée de vaches, deux bidons de métal gris, un morceau de coton bien soutenu sur l’embouchure de chacun des bidons. Le coton obéit à la forme de l’embouchure du bidon, donnant ainsi un meilleur chemin au lait.

    Au fond du coton maintenant presque en forme d’entonnoir, Jacques constate que c’est noir et grouillant de grosses mouches, noyées par le lait de la chaudière précédente. Grand-mère perçoit son étonnement et son hésitation.

    — C’est la seule façon de prévenir qu’il y ait des mouches dans nos bidons. S’il y avait une seule mouche, notre lait serait refusé par la compagnie de laiterie. On n’a pas le choix.

    Enlève le linge, secoue le… attention, fais vite, des mouches ne doivent pas passer directement dans le bidon.

    Jacques exécute, avec attention et vitesse. Il réinstalle le filtre qu’il vient de bien secouer. Il vide sa chaudière du lait de sa vache blanche. Des mouches sont arrêtées par le filtre, elles viennent bien surement de sa propre chaudière. Il a compris. Demain, il fera comme les autres.

    — Tu utilises le tissu filtre du début du bidon, jusqu’à la fin, fini d’être plus catholique que le pape, commente le grand-père. Va chercher la charrette à bidons, à la porte de la tasserie, il faut aller porter les bidons sur la table à lait, avant sept heures, chaque matin. Autrement, les bidons seraient ramassés le lendemain matin, la qualité du lait en souffrira, la laiterie va refuser les bidons à l’analyse.

    Aide-moi à placer les trois bidons sur la table, ils portent mon numéro de producteur, le 327. On laisse la charrette ici. Quand tu verras passer le camion de la laiterie, il va nous déposer les bidons vides, ceux d’hier, tu viendras les récupérer, avec la charrette, pour demain matin.

    Ce matin-là, un vrai avant-midi pour faire les foins. Le train aussitôt terminé, grand-père attellerait la jument et le poulain à la faucheuse mécanique, toute rutilante de ses roues de fer à peinture d’un jaune éclatant, son corps de poulies rouges de commande, son impressionnante faux faisant six pieds de fourrage, enfin le timon faisant second lien entre le corps de la faucheuse et les deux chevaux. Jacques l’aide et observe.

    — Tu vas apprendre à atteler, suis-moi bien. Ensuite, vers les onze heures, tu attelleras mon vieux Prince au râteau, tu feras des andins, dans le champ voisin du mien.

    Pour l’attelage au râteau, grand-mère va te vérifier, mais je lui ai dit de ne pas t’aider, elle va tout juste regarder si tu procèdes bien.

    Je sais que tu es capable, un petit gars qui joue bien aux échecs comme toi est capable d’atteler.

    Le compliment n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

    Jacques se donne une bonne heure pour l’opération attelage. Prince est oisif dans l’enclos de pacage derrière le poulailler, à l’ombre du soleil montant, sous le grand pommier, celui des premières pommes, les blanches et surettes. Son seul mouvement, un coup de sa longue queue, une fois sur son côté droit, la seconde sur l’autre côté. Les mouches ont compris, elles s’envolent, quelques pieds seulement, elles ont compris que le prochain coup de queue sera plus tard, elles ont quelques minutes pour continuer à s’abreuver du sang de Prince.

    Avec son plat de grains d’avoine, Jacques secoue le contenant, le bruit du frottement des grains sur le fond et les rebords de tôle se rend jusqu’aux oreilles de Prince. Le cheval est habitué, il sait que l’attelage l’attend, il s’avance lentement. Jacques est fier de lui-même, il domine le gros animal.

    La première opération, c’est d’installer la bride, il n’y a pas de cheval qui aime avoir un mors dans la bouche, Prince n’est pas différent. Il lève haut le cou, la tête devient hors d’atteinte pour le petit bout d’homme.

    Grand-mère surveille la scène, son plat d’œuf frais cueillis à la main, depuis la porte du poulailler.

    — Je t’apporte un seau vide, tu monteras dessus.

    Dans la tête de Jacques, il sait que s’il manque la bride, ça va aller mal pour le restant de l’attelage, pour le râteau, pour les andins. Même Prince perdrait confiance.

    Mais Prince, comme lui dit Jacques, fait le bon gars, comme s’il voulait aider au jeune ti-gars.

    Ensuite, même si le collier est pesant, Jacques le réussit, encore debout sur le sceau inversé. Après l’installation du harnois, c’est le plus difficile qui est à venir. Diriger le cheval afin qu’il recule à l’intérieur des deux brancards. Les deux premiers essais, une fois c’est la patte gauche arrière du cheval qui est à l’extérieur des brancards, l’autre fois, l’autre patte.

    Pour le troisième essai, peut-être par souvenir d’avoir vu, peut-être par instinct ou intelligence, Jacques pousse un peu, du bon bord, la poitrine du cheval. Le cheval comprend. Enfin les pattes sont bien placées.

    — Ne bouge pas, mon beau Prince.

    Grand-père lui avait dit : « Tu vois les clôtures, elles sont droites, elles sont parallèles, c’est exactement comme ça que tu dois faire les andins... Je sais que tu es capable.

    On est assis bien haut sur ce banc de râteau, tu vois en avant du cheval, si tu manquais d’équilibre, tu as le manchon qui sert à lever et baisser le râteau, pour le reste, il s’agit de manier les cordeaux. »

    Prince s’habitue rapidement à la voix encore frêle et féminine de Jacques. 

    Les andins sont droits et parallèles. Au souper, Grand-mère félicite son petit-fils, elle regarde son vieil époux, dans sa tête, elle souhaite que ce dernier fasse lui aussi un geste d’appréciation, elle lui fait un dernier coup d’œil demandeur.

    Grand-père a compris, mais il n’a pas le louangeur facile, il la regarde et regarde Jacques.

    — C’est tout juste normal que tu travailles bien, tu es un Delisle.

    Dans la tête de Jacques, c’est un compliment qu’il n’oubliera pas. 

    C’est la voix de grand-mère qui sort Jacques de ses pensées d’habileté. Il savait que l’événement s’en venait, il se disait que c’était le prix à payer pour passer ses deux belles semaines de vacances estivales à la ferme des grands-parents. Il n’oublierait pas cette voix d’autorité matriarcale.

    — Mettons-nous à genoux quelques minutes, pour prier le bon Dieu, pour que le beau temps continue pour les foins, pour notre santé, pour notre famille, pour le salut de notre cousin Jack, qui a été tué à la guerre, trop vite pour avoir eu l’assistance d’un prêtre.

    Devant cette croix noire de la tempérance, que Dieu nous protège du fléau de l’alcoolisme et de l’ivrognerie dans notre famille et dans toute notre paroisse. 

    Et grand-mère enchaînait le chapelet en famille, tout un long Je crois en Dieu, le père tout puissant… Pour jacques, de trop nombreux Je vous salue Marie, des Notre-Père, des Gloire-soit-au-Père. Les répétitions se continuaient, Jacques les perdait graduellement, jusqu’à ce que sa tête s’épuise endormie sur le coussin de sa berçante où il s’était légèrement incliné au début du chapelet.   

    Si d’autres que son petit Jacques avaient dormi pendant le chapelet, grand-mère l’aurait éveillé, mais Jacques était un privilégié, avec le chien Woibo, lui aussi étendu de toute sa longueur, sur le tapis devant la porte d’entrée.

    Automatiquement, le chapelet terminé, Jacques se réveillait, il fixait son grand-père, pour une partie d’échecs.

    Des fois, Grand-père disait oui. Ce soir-là, il répondit :

    — On ferait mieux de dormir tous les deux, demain va être une grosse journée de foins… Après cela, la radio annonce que Dorval prévoit de la pluie… On jouera pendant la pluie.

    C’est Woibo qui prit l’escalier, vers la chambre de la paillasse.

    Jacques le suit. En même temps que le changement de garde entre le soleil et le crépuscule de juillet.

    Une autre courte nuit d’été.

    À l’école Saint-Louis-de-Gonzague, les hauts murs et les planchers sentaient l’eau de javel, dans la salle de récréation, une nouvelle table de ping-pong, le compte y était à nouveau dans les boules de billard, les gens de ménage avaient sans doute trouvé les deux boules manquantes de l’an passé dans une quelconque case de vestiaire d’un jeune vengeur d’une partie de billard certainement non gagnée, ou pire encore, mal perdue.

    Dès la première journée, les Béni soit Saint-Louis-de-Gonzague, les remercions le Seigneur, les stations de prière à la chapelle, les rendons grâces à Dieu avant chacune des collations, autant de manifestations de ferveur religieuse qui faisaient apparaître à Jacques presque insignifiantes les quinze minutes de dévotions de chaque soirée chez grand-mère.

    Pour la première fois de sa vie, Jacques sent comme un certain malaise, comme s’il était dans un monde pas pareil, les religieuses avec leur Dieu partout, leurs courbatures étonnantes chaque fois qu’un prêtre à soutane noire se présente dans leur angle de vision, les génuflexions, les signes de croix, l’eau bénite, la chapelle trop souvent, les prières trop souvent.

    Pourquoi tant de simagrées, de temps perdu ? pense-t-il dans son lui-même.

    Des cours de religion, beaucoup de catéchisme à apprendre par cœur, cinq cent huit questions, cinq cent huit réponses, pour Jacques chaque réponse suscite une nouvelle question, jamais de réponse claire.

    Tout est infiniment bon, infiniment long, infiniment miséricordieux, infiniment juste.

    La religieuse lui dit que tout est une question de foi, la foi, un don de Dieu.

    Sur la ferme des grands-parents, la foi n’était pas nécessaire, il avait vu et touché la table à lait, les bidons, les vaches, le lait, les œufs, les poules, les truies, les cochons, un verrat emprunté par grand-père avait été amené dans une cage de bois, il avait vu le mâle monter sur le dos d’une des cochonnes de grand-père, la truie avait cessé de bouger, le verrat s’était secoué, grand-père avait dit :

    — C’est comme ça que l’on fait des petits cochons.

    La semaine qui suivait, du haut de son voyage de foins qu’il foulait, il avait vu le taureau avec une vache, elle était immobile, le taureau lui avait monté dessus, il se secouait comme dans la vache. Grand-père aussi avait vu les deux bêtes, il avait aussi vu que Jacques avait vu.

    C’est comme ça que l’on fait les petits veaux.

    Pas un seul de ses amis de l’école n’avait un grand-père sur une ferme, pas un ne savait comment ça marchait, les petits veaux, les petits cochons.

    Et moi, je viens d’où ?

    Il lui fallait le demander, il lui fallait trouver.

    Ce matin-là, le cours de religion serait différent, ce sera l’aumônier de l’école, l’abbé Amable Brochu. La veille de la visite du curé Brochu, la religieuse avait fait une pratique dans la classe, comment se lever quand le prêtre entrera dans le local de notre classe, bien répondre aux invocations qu’il suggérera, prononcer bien distinctement les prières qu’il proposera, être très attentif aux remarques, instructions et questions du prêtre.

    — Si le curé s’adresse à vous directement, toujours se lever pour répondre.

    Il est possible que l’abbé vous demande de répéter ce qu’il vient de dire, le représentant de Dieu voudra vérifier ainsi si vous suivez ses enseignements.

    Dès l’entrée du prêtre, la religieuse s’esquive de tout l’air de vision entre écoliers et le curé. Elle se recule en deçà, le dos presque collé sur la porte du local. Elle a les yeux fixés sur l’ensemble de la classe.

    À mesure que le prêtre parlera, elle acquiescera, son regard portant alternativement vers l’homme de Dieu, vers ses écoliers.

    — Veuillez vous mettre à genoux… Aujourd’hui, nous allons prier le fondateur de notre école, Saint-Louis de Gonzague, pour que le bon Dieu donne à notre Saint-Père, le pape Pie XII, toute la capacité pour bien conduire la barque de l’Église catholique dans cette trop longue et difficile période de guerre. Nous allons prier pour notre évêque Maurice Roy, pour le vénérable François de Montmorency Laval, pour la sainte Marie de l’Incarnation, pour nos saints martyrs canadiens, pour tous les saints.

    Assoyez-vous

    Dans trois semaines, c’est notre évêque qui vous fera recevoir le sacrement de confirmation, vous serez aussi appelé à exercer le sacrement de pénitence. Pour ceux qui n’en ont pas encore été privilégiés, vous serez reçu du scapulaire.

    La religieuse savait qui de ses écoliers n’avait pas été reçu du scapulaire, elle fixa, avec un coup de tête approbateur, chacun des privilégiés. Son regard retourna au prêtre. Elle avait eu le temps de fixer Jacques, le seul de sa classe qui avait refusé d’être reçu du scapulaire.

    La grand-mère de Jacques lui avait dit que les saints scapulaires étaient pour éviter de prendre la grippe chaque hiver. Deux images de Saint-Esculapes, en tissus sombrement colorées, deux cordons à suspendre entre le dos et l’estomac, et voilà, tu n’auras pas la grippe.

    Jacques s’était demandé si grand-mère voulait rire ou l’instruire, il avait alors lancé un rapide coup d’œil inquisiteur vers son grand-père. 

    — Une histoire de religieuses, ne perds pas ton temps avec ça.

    Pour Jacques, grand-père mettait un point final à l’histoire du scapulaire.

    Devant tous ses amis de la classe, la religieuse enseignante, l’aumônier, l’homme à la soutane, le prêtre, l’enseignant, tous les arguments passèrent, même un brin de purgatoire et d’enfer, rien pour effacer l’histoire de religieuses de grand-père. Le jeune Jacques bien droit debout, presque défiant, annonça :

    Je ne recevrai pas l’ordre du scapulaire, foi de mon grand-père Delisle.

    Grand-père n’ayant jamais commenté ses conceptions des sacrements du temps, la communion, la pénitence, la confirmation, le jeune Jacques s’adonnera à ces croyances et s’y conformera pour les quelques prochaines décennies.

    En 1947, le papa de Jacques avait sa belle grosse Desoto, le voisin des Delisle avait sa belle grosse Monarch. Sauf les ruelles de Limoilou et quelques autres rues, les artères de la ville de Québec étaient déneigées pour toute la saison hivernale. Mais pour les fêtes en famille, chez les Delisle, l’hiver apportait son problème de voyage, les routes de campagne n’étaient pas déneigées pendant l’hiver. Pour aller célébrer les fêtes chez grand-mère Delisle, le périple en voiture n’était pas possible, il fallait utiliser les moyens du temps.

    Pour s’arranger, le voisin aidait la famille Delisle, avec sa Monarch, il amenait les Delisle à la Gare du Palais. Et le long voyage débutait. 

    Une Gare du Palais pleine de manteaux de poils, des valises qui se mêlent, des trains qui arrivent, des trains qui partent, des gars qui sortent du bois pour le temps des fêtes, les congés de Noël, les visites de la parenté, des gens vers Montréal, vers le Lac-Saint-Jean, vers Lévis puis Rimouski, des arrivants des Trois-Rivières, de Drummondville.

    Chez les bûcherons sortant du bois, la plupart résistent au démon de la tentation de la boisson, un ami les attend, des fois une blonde, des fois un autobus, pour les paroisses des alentours, dans la ville de Québec, Québec Ouest, Limoilou, Saint-Malo.

    Des fois un autre train, vers les petites paroisses, vers Charny, vers Bellechasse, la Beauce, Portneuf, Montmorency.

    Chez d’autres bûcherons, le démon de la boisson sera plus fort, ils sortiront de la Gare du Palais, quelques pas dans la neige et le froid des fêtes, ils se ramassent chez Gérard, chez Henry, d’autres cabarets, des hôtels, des chambres, de la boisson, des filles.

    Les bûcherons ont les testicules pleins d’énergie, des fèves au lard, encore du lard salé, beaucoup de mélasse. Ils ont tellement travaillé, tellement sué, tellement gelé également, ils méritent bien une bonne compensation, un petit plaisir.

    Bien des fois, cinq longs mois de chantier, tout ça passe dans les quelques jours des fêtes, ils n’ont pas le temps d’aller plus loin, dans leur famille. Pour certains, on les appellera des malheureux, ils seront des années sans revoir leurs familles, des fois dix ans dans le cycle camp de bûcheron vers un cabaret et ses plaisirs, le sciot des bois, la hache, les teams de chevaux, les cheveux qui gèlent la nuit sur les paillasses de branches de sapin, les corps qui suent le jour, sous les épaules du scioteur. 

    Pendant que Jacques se fait défiler toutes ces images de cette Gare du Palais grouillante de monde, papa Delisle apparaît avec les billets.

    Les yeux de Jacques fouillent encore toute la mouvance humaine.

    Il la cherche.

    Il l’avait vue l’an dernier, sur le voyage en train, celui du retour de Pont-Rouge. Il ne lui avait pas adressé la parole, ni même un sourire, ni même un contact visuel. Il l’avait tout juste regardée, sans que ça paraisse, seulement pour lui. Mais il l’avait regardée d’un bout à l’autre. Depuis le voyage des fêtes de l’an passé, il regrettait de ne pas lui avoir parlé. Aujourd’hui, pour ce voyage des fêtes, il lui parlerait.

    Si elle était du voyage.

    Il se rappelle, un long manteau corsé, un corps coupé en trois, un sourire de visage, une intelligence d’yeux, déjà un buste qui fait fermeté, une découpure de hanches qui fait marque, pour tout le reste, une démarche de cette assurance, qui attire les yeux de tout le monde, dont les yeux de Jacques.

    Dans toute cette foule qui se court dans la grande gare, Jacques cherche le buste qui fait fermeté, les yeux uniques. Certainement pas les mêmes vêtements, il cherche les yeux, les sourires, les courbes de buste, les hanches qui font leur marque. 

    C’est un fort et long sifflement qui détourne Jacques de ses recherches à travers la foule de voyageurs. Pour les gens qui savent que c’est l’heure de leur train qui part, on cale sa tuque, on se boutonne, les valises et les enfants sont ramassés, chacun se place sur le quai extérieur. Pour le moment, pas de neige qui tombe, mais du froid qui nous pénètre, les femmes se rentrent les mains dans leur manchon, les hommes se relèvent leur haut collet de poil. Le vent du nord veut tout traverser. Le vent bourrasque. L’énorme locomotive, avec son œil de lumière blanche dans toute sa devanture de métal noir, ses grandes roues criantes sur le métal, s’avance en s’arrêtant. Bientôt, la vitesse de l’engin est tellement basse que l’épaisse fumée noire de charbon la dépasse, poussée par le vent, vers les passagers en attente. Une bonne humée de charbon pour chacun des voyageurs en ligne sur le quai. Compliments du froid et des vents du nord.

    Jacques s’est placé pour faire son inspection des sorties avant lui, il cherche maintenant les sortants, qui marchent vers leurs numéros de voitures respectives. Enfin, l’engin dépasse les lignes de voyageurs, le wagon à charbon aussi, le long train décoré de dépôts de glace, de neige gelée s’immobilise enfin. 

    Jacques accélère son pas, se permet une petite course vers les derniers wagons de passagers, aucune trace de la belle fille au corps coupé en trois. Il doit se dépêcher, les derniers voyageurs montent chacun son petit escalier, chacun son wagon, Jacques est dans le six, en route vers son siège.

    Il enlève les mitaines, les larges bottes à l’intérieur de peau de mouton encore laineuse, le parka, la tuque au double rang de tissu de tricots isolants. Son père déplie ses deux journaux quotidiens, l’Événement Journal du jour, et L’Action Catholique de la veille. Sa mère sort son dernier tricot en cours, son exemplaire de l’Almanach du peuple, qu’elle offre à son Jacques, pour distraire son voyage.

    De chaque côté du wagon, seulement des fenêtres, des structures de soutènement, au centre, l’allée centrale, les bancs, les voyageurs, l’agent des billets d’abord, pas longtemps après le vendeur de café. À chaque troisième banc, il déroule verbalement le menu disponible.

    Père décide qu’il terminera sa lecture de ses journaux au wagon-bar, peut-être quelques amis, peut-être un bon réchauffant, un bon gin.

    Jacques rumine, il a vu des gens traverser complètement son wagon, vers l’engin, il en a vu d’autres marcher dans l’autre sans, vers le wagon de queue.

    Si la fille est de famille riche, ils sont vers l’engin, si la fille est pauvre, ils sont vers la queue.

    Malgré son jeune âge, Jacques sait déjà qu’il n’est pas fait pour une fille d’une famille pauvre, il va prendre une marche vers l’engin.

    Le deuxième wagon qui suit, c’est le wagon-bar, d’imposants sièges de vrai cuir, des tablettes à support de verres et bouteilles, des cendriers aux pieds de fer forgé entre chaque siège. Sur les sièges, des hommes à pipes fumantes, des exceptions pour quelques hommes à cigares, d’autres sont aux cigarettes faites, quelques-uns aux rouleuses.

    Derrière le comptoir-bar, un quart de cercle dans le coin avant du wagon, des paquets Sweet Caporal, de Players, du tabac Lasalle, du tabac Alouette pour les fumeurs de pipe, des allumettes de bois, en boites coulissantes de cinquante, au prix de deux boites pour cinq cents.

    Les deux tablettes du haut, des bouteilles d’alcool, des gins, des scotchs, des rhums and Coca-Cola. Sous le comptoir une glacière, sur et autour de la pièce de glace, des bouteilles de bière, de grosses Boswell, Dow, Molson. Consommées sur le train, elles sont plus dispendieuses, quinze cents chacune, le même prix qu’un rhum and Coca-Cola. Pour ceux qui ne veulent pas de boissons alcoolisées, du café, une tasse de porcelaine, cinq cents.

    Jacques entre au wagon-bar, le water s’approche immédiatement, ce wagon-bar est réservé pour les adultes, pas d’enfants, pas de jeunes. Jacques explique, je ne fais que passer, j’ai quelqu’un à voir, wagon d’en avant.

    Le père de Jacques reconnaît fiston, il enlève la parole au serveur, s’adresse directement à fiston, son fils connaît qui ? Cherche qui dans les wagons de tête ?

    Fiston a la réponse rapide, sans hésitation, la réponse est venue, c’est un gars comme lui, de l’école Saint-Louis-de-Gonzague, ses parents et lui se rendent à la station de L’Ancienne-Lorette, il a des grands-parents dans ce coin-là.

    Le waiter s’est esquivé, fiston reprend sa marche vers les wagons d’en avant. Dans le dernier quart du wagon-bar, un genre de banc des amoureux, du moins Jacques se le décrit ainsi, sur le banc, la première femme qu’il voit dans le wagon-bar, des lèvres toutes rouges, des yeux maquillés, une matinée blanche aux seins bien dodus et presque mal cachés. Entre les doigts de la fille, un long fume-cigarette, noir avec des bagues dorées. La fille ignore le jeune adolescent qui passe, se tire une bonne bouffée, elle la souffle vers le plafond, la fumée se mêle aux fumées des autres cigarettes, pipes, cigares.

    La fille se prend une bonne gorgée de rhum and Coca-Cola.

    Jacques a le temps de voir que la fille sourit à son gars, sa main caresse vers le genou de l’homme. Pas aucune autre femme dans le wagon-bar, Jacques traverse la partie de jonction entre les deux wagons, surface de plancher glacée, givre, glaces, poudreries qui réussissent à traverser d’un côté à l’autre du train.

    Il ouvre la porte du wagon suivant, même rangée de sièges, plus de passagers qui dorment, les longues fenêtres de chaque côté ne donnent plus la même vue. Vents et tempête font des siennes, de chaque côté, il faut deviner le paysage, de temps en temps, un peu de clôture de perches sur un fond de blanc, de plus en plus un mélange de poudrerie et de lumière qui disparaît, on va faire le restant du voyage dans la soirée. Dans la nuit possiblement, si les vents et la neige ne s’apaisent pas.

    Visiter les derniers wagons n’est pas long, la fille n’est pas là. Jacques refait ses pas vers l’arrière. Dans le wagon-bar, il se prépare à mieux regarder la fille au fort rouge à lèvres, et sa main sur le genou du gars, y aura-t-il du nouveau ?

    Dans le bruit de la porte qu’il ouvre vers le wagon-bar, Jacques a le temps de voir deux visages qui s’éloignent très rapidement l’un de l’autre, comme un baiser qu’on sépare, pense-t-il. Peut-être que le couple avait froid, l’écharpe de la fille couvre les épaules du couple, une main de gars n’est plus là, comme disparue, pour plus de chaleur, pense Jacques.

    Chacun du couple semble un peu mal à l’aise, comme surpris par ce jeune dérangeant, un petit curieux, impoli.

    La visite des wagons de queue n’a pas été plus positive, Jacques revient s’asseoir avec sa famille. Maman dort, l’Almanach du peuple encore ouvert sur ses genoux. Papa n’est pas revenu du wagon-bar.

    Jacques prend l’Almanach et fouille la table des matières. Peut-être qu’elle va monter dans le train à un prochain arrêt. Il cherche une carte des chemins de fer, entre Québec et Pont-Rouge.

    Peut-être.

    De temps en temps, mais de plus en plus souvent, l’allure du train fait sentir comme un ralentissement, comme si la neige bloquait. Au moment des ralentissements, encore plus de poudrerie, les rares clôtures de perche disparaissent du paysage, les fantômes d’arbres dans la nuit disparaissent aussi. Comme rien, des fois, un petit coup de lune, dans son dernier croissant de décembre. C’est la dernière chose que l’on voit, dans toute la tempête.

    Et puis, c’est un long ralentissement, on passe comme une longue cabane avec des lumières, le train s’immobilise. Mais on ne voit rien. Père revient au wagon, il semble de bien

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