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Teranga Chronicles : L'intégrale: Teranga Chronicles, #3
Teranga Chronicles : L'intégrale: Teranga Chronicles, #3
Teranga Chronicles : L'intégrale: Teranga Chronicles, #3
Livre électronique361 pages4 heures

Teranga Chronicles : L'intégrale: Teranga Chronicles, #3

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À propos de ce livre électronique

« Si profondes soient les blessures mutilant le lion, elles ne l'empêcheront jamais de rugir. »

Contient :

Tome 1 : Insidieux Venin 

Tome 2 : Mystérieux Larcin

Tome 3 : Pernicieux Destin

LangueFrançais
Date de sortie14 janv. 2020
ISBN9781393531777
Teranga Chronicles : L'intégrale: Teranga Chronicles, #3
Auteur

Moustapha Mbacké Diop

Moustapha Mbacké Diop est un écrivain sénégalais âgé de 22 ans, étudiant en cinquième année de médecine. Passionné de lecture, d'animation et de mythologie, Insidieux Venin est son premier roman.

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    Aperçu du livre

    Teranga Chronicles - Moustapha Mbacké Diop

    TERANGA CHRONICLES : L’INTEGRALE

    Tome 1 : Insidieux Venin

    Tome 2 : Mystérieux Larcin

    Tome 3 : Pernicieux Destin

    Moustapha Mbacké Diop

    © 2020 Moustapha Mbacké Diop.

    Tous droits réservés.

    A ma grand-mère Adja Mame Fatma Diop

    TOME 1 : INSIDIEUX VENIN

    PROLOGUE

    La créature s’agita dans son sommeil. Elle sentait la présence de ses serviteurs à la surface, excités et pullulant comme des mouches. Ils avaient retrouvé et capturé la deuxième offrande, comprit-elle. Rien qu’à la pensée de sa libération prochaine, elle frémissait d’anticipation.

    Plus qu’un.

    Plus qu’un descendant de son ennemi juré et elle sera enfin délivrée.

    CHAPITRE I

    Un klaxon sonna.

    —  Dépêche-toi Fadilou, nous étions censés partir il y a quinze minutes !

    —  J’arrive !

    J’éteignis mon ordinateur, le rangeai difficilement dans mon sac à dos déjà plein à craquer et saisis mes clés de voiture sur la table. Puis je sortis de la maison en prenant bien soin de verrouiller la porte derrière moi.

    — Mais qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ? pesta Dado depuis le siège passager lorsque je me glissai dans la voiture.

    — Désolé, je discutais avec Lassana, il n’a toujours pas eu de nouvelles.

    — Le pauvre, j’essaierai de l’appeler. On y va ?

    Je démarrai la vieille Mercedes et au bout d’un moment empruntai la nationale, direction les îles du Saloum. Dado était ma meilleure amie depuis aussi longtemps que je me souvienne et je la considérais comme ma sœur. Ainsi, lorsqu’elle avait proposé ce petit road trip, j’avais sauté sur l’occasion afin de me changer les idées après le décès de mon père, à la suite d’un arrêt cardiaque il y a quelques mois. Après l’incessant défilé des quelques membres de ma famille qu’il me restait et de mes amis, j’avais véritablement besoin de sortir de cette maison vide de son absence.

    Une petite claque sur la tête me ramena à la réalité.

    — Reviens sur terre, je n’ai pas envie de mourir aujourd’hui, me lança-t-elle avec un sourire moqueur.

    — En tout cas ça me ferait des vacances, tu es pénible, répondis-je en levant les yeux au ciel.

    Elle éclata de rire et je reportai mon attention sur la route. Nous pouvions apercevoir à travers la fenêtre un paysage bucolique. La verdure, conséquence d’un hivernage généreux en cette fin de mois d’août, recouvrait la terre tel un manteau. Un silence confortable s’installa dans l’habitacle, uniquement rompu par la voix de crécelle de Dado, qui se mit, en dépit de mes suppliques, à massacrer le titre We Will Rock You de Queen qui passait à la radio.

    Nous nous arrêtâmes après quelques heures dans une station-service afin de nous rafraîchir et de prier, puis nous reprîmes la route pour une petite plage que nous avions repérée à quelques kilomètres. A notre arrivée, Dado sortit un énorme tapis de plage de la voiture pour que nous puissions nous étendre et profiter des derniers rayons du soleil.

    — J’avais oublié de te le dire, mon père prévoit d’épouser une troisième femme, me dit-elle après que nous nous fussions allongés.

    — Encore ? m’étonnai-je. Cela fait à peine un an qu’il s’est marié pour la deuxième fois ! Comment ta mère et toi le prenez-vous ?

    — Bien, je suppose qu’on s’y habitue au fil du temps. D’autant plus qu’il ne nous traite pas différemment et qu’il trouve toujours le moyen de passer du temps avec mes sœurs et moi. J’étais un peu chagrinée au début mais maintenant ça va. Et toi, tu tiens le coup ? s’enquit-elle en me couvrant d’un regard un peu inquiet. 

    — Je vais bien, je ne veux juste pas trop en parler. Alpha continue-t-il à te bombarder de messages ? demandai-je afin de changer de sujet.

    Alpha était un collègue dans la boîte où nous travaillions tous les deux à temps partiel en tant que développeurs informatiques. Il faisait une fixation sur Dado, voulant à tout prix la séduire à grand renfort de boîtes de chocolat et de petites attentions. Il parlait même de projets de mariage, ce qui déclenchait l’hilarité générale étant donné que Dado essayait de repousser ses avances de toutes les manières possibles tout en essayant de rester courtoise.

    — Il m’en a envoyé un ce matin, répondit-elle en levant les yeux au ciel. Je suis à court d’idées pour lui signifier que je ne suis pas intéressée. En plus je ne veux pas me montrer désagréable, même si ça me démange parfois. C’est quelqu’un de bien.

    — Tu t’es adoucie ces derniers temps, plaisantai-je. S’il t’avait rencontrée un an plus tôt, tu l’aurais depuis longtemps remis à sa place et il n’aurait pas eu le cran de t’adresser de nouveau la parole.

    — Tu exagères, je ne suis pas une démone non plus. De toute façon, je ne compte pas me marier si tôt, je souhaite obtenir un doctorat, aller au Japon entre autres, et surtout trouver ma place dans ce monde.

    — C’est normal. Après ne va pas épouser un Japonais juste pour donner une crise cardiaque à tes parents, parce qu’ils veulent te voir mariée à un Sénégalais bon teint.

    Son téléphone sonna alors qu’elle s’esclaffait.

    — D’ailleurs c’est maman qui m’appelle, excuse-moi un instant.

    Je me levai alors qu’elle s’éloignait et remontai les jambes de mon pantalon afin de me rafraîchir dans l’eau. Je laissai mon esprit divaguer tout en savourant la caresse des vagues venant mourir à mes pieds. J’avais toujours envié Dado concernant le fait qu’elle avait plein de sœurs, que leur maison était toujours bruyante et l’ambiance chaleureuse, même si les membres de sa famille m’ont toujours accueilli à bras ouverts et que sa mère me considérait comme son propre fils. En ce qui me concerne, je suis enfant unique et ma mère est morte quand j’étais encore très jeune, par conséquent ça a toujours été mon père et moi. Quand bien même il essayait de combler le vide, l’absence de ma mère avait toujours été difficile pour moi, d’autant plus que nous n’avions pas de photo d’elle. Mon père avait toujours évité le sujet quand j’essayais de l’interroger, comme si mes questions risquaient de raviver des plaies à peine cicatrisées. À la longue, j’avais moi aussi arrêté d’en parler. Le seul souvenir assez flou que je conservais d’elle était un sourire aimant et une paire d’yeux noirs.

    Je fus tiré de ma rêverie lorsque Dado vint me rejoindre.

    — Nous devrions y aller, la nuit commence à tomber, me dit-elle en rangeant son téléphone dans sa poche. Tout va bien ?

    — Oui, j’étais juste un peu distrait. On y va.

    Nous pliâmes bagage, et je démarrai la voiture après que Dado eût remis le tapis à sa place. Je roulais depuis quelques minutes afin de rejoindre l’hôtel où nous avions réservé nos chambres, quand tout d’un coup je remarquai le silence qui entourait la forêt que nous traversions. Pas un oiseau, ni un grillon ne troublait la quiétude environnante, on avait l’impression que le monde entier retenait son souffle. Je sentis mon cœur se glacer d’effroi, comme si quelque chose d’épouvantable était sur le point de se produire. La lumière des phares de la voiture perçant l’obscurité fit apparaître un éclair de fourrure couleur sable, au milieu de la route. Dado hurla et la voiture fit une violente embardée tandis que j’essayais d’éviter l’animal, puis l’automobile finit brutalement sa course dans un arbre.

    Et je sombrai dans l’inconscience.

    * * *

    Lorsque je revins à moi avec une légère migraine, je me rendis compte avec soulagement que Dado et moi n’étions pas blessés. Alors qu’elle émergeait de sa perte de conscience, je sortis pour vérifier l’état du capot : il était à peu près intact, la calandre était quant à elle un peu enfoncée.

    — Alors ? Rien de cassé ? souffla Dado en me rejoignant avec une lampe torche et en ajustant son voile.

    — Quelques dégâts mineurs qui ne devraient pas nous empêcher de reprendre la route.

    — D’accord. Mais qu’est-ce que c’était tout à l’heure ? Un singe ?

    — Non, c’était quelque chose de bien plus grand.

    — Peut-être une antilope, ou alors...

    Je levai la main pour l’interrompre, croyant avoir perçu un son.

    — Tu as entendu ça ? murmurai-je.

    — Quoi donc ?

    Le son reprit, comme un souffle de vent qui, je m’en rendis compte, transportait une voix ténue.

    Viens.

    — Ça venait de là-bas, suis-moi !

    Je m’enfonçai dans les hautes herbes, avec Dado qui marmonnait dans mon sillage au sujet de traumatismes crâniens et d’hallucinations.

    Rejoins-moi.

    Je continuais de suivre cette voix qui résonnait dans ma tête, et que j’étais apparemment le seul à entendre. Les arbres se firent de plus en plus rares, et nous finîmes par déboucher dans une sorte de clairière. Je sus instinctivement que nous étions arrivés. Quelques acacias étaient visibles à l’horizon, et le vent bruissait doucement entre les herbes. À notre droite se trouvait un immense rocher, que nous entreprîmes de contourner afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble. À notre grande stupéfaction, une personne était adossée au rocher.

    Alors que j’ouvrais la bouche pour demander à l’inconnue de décliner son identité, la lune émergea de sa cachette derrière les nuages, et nous offrit suffisamment de lumière pour que nous puissions distinguer la femme qui s’était relevée et avançait vers nous. Elle était grande et svelte, avait des cheveux gris et coiffés en dreadlocks qui atteignaient sa taille, habillée d’une tunique et d’un pantalon en lin, et avec des breloques qui lui pendaient au cou. Lorsqu’elle se rapprocha suffisamment pour qu’on puisse distinguer les traits de son visage, mon cœur rata un battement.

    Je reconnaissais ce visage, et plus que tout, ce sont ses yeux qui me pétrifiaient.

    Ils étaient noirs, tels un puits sans fond.

    CHAPITRE II

    — Impossible, murmurai-je en secouant la tête.

    J’arrivais à peine à parler, choqué. Ceci ne pouvait être qu’une apparition.

    — Quoi, tu la connais ?

    La femme se rapprocha, et lorsqu’elle m’adressa la parole, je reconnus la voix qui m’avait attiré jusqu’ici.

    — Mon fils, me dit-elle avec un sourire hésitant. Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’as manqué.

    — Une seconde, ta mère ? N’est-elle pas morte il y a déjà plusieurs années ? C’est inconcevable ! s’exclama Dado en nous regardant tour à tour.

    — Je suppose que tu as beaucoup de questions, reprit ma mère.

    — Des questions ? DES QUESTIONS ? Commence par me dire où est-ce que tu étais pendant tout ce temps, pourquoi m’as-tu abandonné et t’être fait passer pour morte. Comment as-tu pu nous faire cela ? hurlai-je douloureusement.

    Dado posa sa main sur mon bras, et fusilla ma mère du regard. Cette dernière poussa un soupir de lassitude, et s’assit sur l’herbe verte en nous faisant signe de faire de même.

    — Comment est-ce possible que tu aies l’air aussi jeune ? l’interrogeai-je d’un ton plus calme. Tu as l’air à peine plus âgée que moi.

    — On va dire que je ne suis pas vraiment humaine, rétorqua-t-elle avec un rire sans joie.

    — Vous êtes quoi alors, un vampire ? demanda Dado dont la curiosité était maintenant titillée.

    — Bien sûr que non, jeune fille. Je suis une métamorphe, je suis donc capable d’adopter une forme humaine comme léonine.

    Je restai sans voix, arrivant à peine à y croire. Dado, qui pensait qu’elle faisait de l’humour, l’observait avec des yeux écarquillés en se rendant compte qu’elle était sérieuse.

    — Est-ce que Papa était au courant ?

    — Oui Fadilou. Il y a presque une trentaine d’années, j’ai été capturée par des braconniers sous ma forme animale, après avoir été affaiblie par un combat contre un djinn malicieux, qui sont nos pires ennemis. J’ai été par la suite revendue à un zoo, où je suis restée captive pendant plusieurs mois. L’un des gardiens du zoo venait souvent me rendre visite, s’asseyait à mes côtés et me lisait un livre ou chantait de sa voix de baryton. Les autres gardiens pensaient qu’il était fou, et se moquaient souvent de lui. Toutefois il continuait de me tenir compagnie, et une nuit pendant laquelle tous les autres gardiens étaient de sortie, il me regarda longuement dans les yeux et ouvrit ma cage, m’offrant la liberté. Je le rejoignis et choisis de reprendre ma forme humaine devant ses yeux. Je ne sais toujours pas pourquoi, peut-être par clairvoyance ou par un instinct plus développé que la plupart, il n’en fut nullement surpris. Nous nous enfuîmes ensemble, et quelques jours plus tard, nous étions mariés. Je lui accordais ce que je m’étais toujours refusé : un enfant. Ton père et toi êtes la meilleure chose qui me soit jamais arrivée.

    — Si c’est le cas, pourquoi es-tu partie ?

    — Le djinn avec qui j’ai eu maille à partir avait retrouvé ma trace, il fallait que je m’éloigne de ton père et toi pour vous protéger. Mais nul n’est en sécurité désormais, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai essayé de te retrouver.

    — Comment ça ?

    — Tu ne t’en rends pas compte, mais nous sommes pareils. Tu as hérité de mes dons, et avec le temps tu apprendras à adopter ta forme animale.

    — On comprend mieux les sautes d’humeur et le caractère de cochon, intervint Dado.

    Je lui lançai un regard noir et ma mère se mit à rire.

    — J’apprécie ton amie. Plus sérieusement, une menace plane au-dessus de nous, et j’ai besoin de ton aide. La vie d’innocents est en jeu.

    — Que se passe-t-il ?

    — Une entité pernicieuse emprisonnée depuis plusieurs siècles est sur le point de s’évader. Les djinns malfaisants qui étaient sous ses ordres lorsqu’elle parcourait encore cette terre ont trouvé un moyen de la délivrer de sa geôle, et trois innocents doivent être sacrifiés à cette fin. Selon mes sources, deux de ces trois hommes ont déjà été capturés, vous comprenez donc que nous n’avons plus que peu de temps.

    Elle se leva brusquement. Nous l’imitâmes et la suivîmes lorsqu’elle se dirigea vers la voiture.

    — Vous devez rejoindre la voiture et partir à Kaolack demain matin.

    — Quoi, pourquoi ? répondis-je, confus.

    — Ma pupille, Yacine, vous accompagnera et vous irez voir une de mes vieilles connaissances. Elle saura vous expliquer la situation mieux que moi et elle connaît un moyen de vaincre cette créature.

    — Mais qui est Yacine ?

    — C’est l’une des dernières survivantes de mon clan, une métamorphe comme moi. Elle vous attend probablement à votre voiture, vu qu’elle était chargée de vous amener jusqu’ici.

    — Mais attendez, c’est elle qui s’est installée au milieu de la route tout à l’heure et qui a failli nous envoyer six pieds sous terre ! C’est qu’elle prend sa mission un peu trop au sérieux celle-là, s’indigna Dado.

    — Je m’excuse pour son comportement, Dado, c’est ça ? répondit ma mère avec un sourire doux. Ses parents ont été tués par des djinns alors qu’elle n’était qu’une enfant, et je l’ai recueillie sous mon aile. Elle a toujours été un peu trop farouche.

    Nous étions arrivés à l’emplacement où la voiture était sortie de la route, et une jeune fille était adossée à l’arbre.

    — Eh bien, vous ne me le faites pas dire, siffla Dado avec ahurissement.

    Yacine avait un teint mat, était plutôt petite de taille mais athlétique, et avait des cheveux noirs crépus et coupés ras. Ses traits étaient comme taillés à la serpe, elle était habillée d’un jean, d’une chemise aux manches retroussées et de baskets usées. Deux dagues longues comme un bras pendaient à sa ceinture et une profonde cicatrice lui barrait la joue gauche. Ma mère parvint à sa hauteur et elles se saluèrent en s’agrippant les avant-bras, à la manière des guerriers. Puis elles se retournèrent et Yacine nous toisa d’un œil dur.

    — Allez vous reposer maintenant, vous étiez supposés passer la nuit dans un hôtel, n’est-ce pas ? demanda ma mère.

    — Comment le sais-tu ? répliquai-je, les yeux ronds.

    — J’ai plusieurs tours dans ma manche, me dit-elle avec un clin d’œil. Je dois y aller.

    — Attends, la retins-je alors qu’elle s’éloignait. Tu ne nous accompagnes pas ? Je ne connais même pas ton nom...

    Elle me regarda longuement, les yeux soudain larmoyants. Puis elle me prit dans ses bras.

    — Goudi. Je m’appelle Goudi, souffla-t-elle. Nous avons tellement de choses à nous dire, et si peu de temps. Sache que je suis énormément fière de l’adulte que tu es devenu.

    — Il faut que j’aille surveiller les djinns et les distraire s’il le faut, ajouta-t-elle en me relâchant. Ils n’ont pas encore soutiré aux prisonniers l’identité du troisième sacrifice, et pour notre salut, il vaut mieux que ça reste comme ça. Fais bien attention à elle, elle a tendance à tendre des pièges à ses visiteurs pour tromper l’ennui. Nous nous reverrons.

    — Sois prudente, lui dis-je, la gorge enrouée.

    Elle se retourna pour me sourire, puis il y eut subitement un éclair lumineux, des ondes de chaleur m’atteignirent et là où se tenait ma mère quelques secondes plus tôt, il y avait une lionne gigantesque, avec un pelage argenté et des yeux noirs d’ébène. Elle disparut dans la savane à petites foulées, tandis que je rejoignais la voiture, encore sous le choc.

    — On a failli attendre ! grogna Yacine avec un ton encore plus revêche que Dado dans ses mauvais jours. D’ailleurs cette dernière la dévisagea, outrée.

    — Fais preuve d’un peu d’humanité voyons ! Il vient de retrouver sa mère après plus de vingt ans de séparation ! Une mère qui, en plus, était supposée être morte !

    — Les réunions de famille seront pour plus tard, répondit Yacine avec dédain. Pour l’instant, essayons de grapiller quelques heures de sommeil, une rude journée nous attend demain.

    — Mais qui est donc cette vieille amie contre qui ma mère me mettait en garde ?

    — Tu n’as pas deviné ? C’est que tu es lent à la détente, glissa-t-elle sur un ton persifleur. Nous allons rendre visite à Mbossé Coumba Djiguène, la Reine des varans.

    * * *

    Nous arrivâmes à l’hôtel aux environs de minuit. Celui-ci était immense, les chambres étant des cases modernisées et séparées par de petites allées. La végétation était omniprésente, allant des bougainvilliers aux cocotiers, et l’on pouvait, malgré la pénombre, apercevoir au loin les rives du bolong. Un doux air de Youssou Ndour se faisait entendre à proximité du restaurant. Malheureusement, je ne pouvais apprécier ce cadre paradisiaque, l’esprit perturbé et fourmillant de mille questions. Je parvins à convaincre notre hôte de laisser Yacine dormir dans la chambre de Dado, même si cette perspective n’enchantait guère les deux jeunes femmes, qui se dévisageaient en chiens de faïence. Il se laissa vite persuader, probablement intimidé par l’air menaçant de Yacine. Après leur avoir souhaité une bonne nuit, je gagnai ma chambre, fis mes ablutions et accomplis la dernière prière de la soirée. Je restai longtemps sur la natte, le chapelet à la main et l’esprit tourmenté.

    En moins de 24 heures, tout ce que je pensais savoir sur ma famille et ma nature avait été totalement bouleversé. J’en voulus à mon père, qui m’avait caché la vérité. À ma mère qui nous avait largués, quand bien même ses raisons étaient légitimes. J’espérais que tout ceci ne soit qu’un rêve, que la sonnerie de mon téléphone allait me réveiller parce que Dado m’appelait pour éviter que je sois encore une fois en retard au travail. Je dus me rendre à l’évidence : tout ceci était bien réel, le fait que je ne sois pas humain et que pour une obscure raison ma mère m’ait choisi pour l’assister dans son énigmatique mission. Je finis par me lever, me glissai dans mon lit et tombai dans un sommeil agité, hanté par des rêves peuplés de félins combattant des êtres difformes et sinistres.

    CHAPITRE III

    Je me réveillai aux premières lueurs de l’aube, et après avoir fait ma toilette et prié, je me rendis au restaurant de l’hôtel où un petit déjeuner à la hâte nous avait été préparé. Yacine et Dado étaient déjà attablées devant et je les rejoignis avec entrain.

    — Bonjour !

    — Bonjour, mal dormi ? Tu as une mine épouvantable, répondit Dado alors que Yacine émettait un grognement en guise de salutation.

    — On peut dire ça comme ça. Vos affaires sont prêtes ?

    — Oui, laisse-moi juste finir mon café et on pourra y aller.

    Yacine se mit à la dévisager d’un air exaspéré.

    — Nous n’avons pas le temps pour ces futilités ! Dépêche-toi !

    — Hé, on se calme, Catwoman ! J’ai besoin de caféine dès le matin pour fonctionner.

    — Elle y va un peu fort, mais Yacine a raison, intervins-je, amusé. Une longue journée nous attend.

    — D’accord, d’accord. Tu peux déposer mon sac dans la voiture en attendant ?

    J’acquiesçai, récupérai sa valise et sortis de l’hôtel. Yacine m’emboîta le pas.

    — Nous devons laisser ton amie ici. Elle ne fera que nous ralentir, me lança-t-elle, d’emblée.

    — Il en est hors de question ! Nous sommes ensemble depuis le début, elle n’acceptera pas de rester en retrait. Par ailleurs, j’ai besoin d’elle. Elle représente la seule constante dans ma vie désormais, après toutes les révélations de la nuit dernière.

    — Oh que oui ! s’exclama Dado que nous n’avions pas entendu approcher. Vous ne vous débarrasserez pas de moi aussi facilement. Tout le monde en voiture !

    — Bien, se résigna Yacine. Ne t’inquiète pas, je ne te jugerai pas si tu t’enfuis en courant, ironisa-t-elle avec un sourire mesquin.

    — Est-ce un défi ? Tu verras de quel bois je suis faite !

    Nous nous mîmes en route pour Kaolack alors qu’elles continuaient de se chamailler. Je baissai les vitres afin de profiter de la brise matinale.

    — Alors Fadilou, tu es capable de te métamorphoser en félin de deux cents kilos, c’est ça ? reprit Dado après un moment.

    — A priori. Je n’ai pas encore tenté l’expérience, tu sais. Je ne sais même pas comment faire.

    — Il te faut reconnaître ton alter-ego animal, recommanda Yacine. Il est une partie de toi, comme un jumeau auquel tu serais toujours lié par une sorte de cordon psychique. Une fois que tu sens pleinement sa présence, autorise-le à s’exprimer entièrement à travers toi, tout en gardant les rênes. Cela paraît moins difficile que ça en a l’air, et avec la maîtrise tu pourras le faire en un clin d’œil.

    J’essayai d’appliquer ses conseils en faisant le vide autour de moi, tout en prêtant attention à la route, déserte en ce début de matinée.

    — Rien. Tu es toujours aussi glabre, désolée, lança Dado en essayant tant bien que mal de garder son sérieux. N’y tenant plus, elle éclata de rire alors que Yacine lui jetait un regard scandalisé.

    — Ce n’est pas drôle ! Il faut impérativement que tu parviennes à muter le plus tôt possible. Ne pas avoir renforcé ton lien psychique avec ta part animale te rend faible, et les métamorphes, faibles de surcroît, ne survivent pas longtemps !

    Elle désigna sa balafre avec hargne.

    — Tu vois cette cicatrice ? C’est arrivé alors que je n’étais qu’une petite fille, lorsque mes parents se sont fait assassiner. Ils n’étaient que des musiciens, ne connaissaient rien à l’art de la guerre. Les djinns responsables de leur mort auraient pu me faire subir bien pire si Goudi n’avait pas débarqué pour me sauver la vie, à défaut de celle de mes parents. Elle est la seule raison pour laquelle je me coltine deux nigauds comme vous, parce que je lui dois tout ! vociféra-t-elle.

    Ses propos jetèrent un froid sur la discussion. Pendant un long moment, on pouvait entendre les mouches voler. Je jetai un coup d’œil penaud à la jeune femme, ne sachant plus quoi dire.

    — Je suis vraiment désolée pour tes parents, compatit finalement Dado.

    — De toute façon c’est du passé, notre priorité pour le moment est d’obtenir la totalité des informations auprès de Mbossé, rétorqua-t-elle.

    Nous hochâmes la tête avec empressement et je reportai mon attention sur la route, assez vite pour que Yacine ne sache pas que j’avais remarqué les larmes qu’elle tentait de dissimuler.

    * * *

    À peine une heure plus tard, nous entrions dans la ville. Il était presque onze heures, les rues étaient emplies de gens vaquant à leurs occupations, faisant leurs courses auprès des étals de légumes pour la préparation du déjeuner. Yacine me demanda soudain de me garer à côté d’une boutique.

    — Tu as de la monnaie ? me demanda-t-elle.

    — Normalement oui, laisse-moi voir.

    J’extirpai un billet de cinq cents francs de ma poche et le lui tendis. Elle le saisit et sortit de la voiture sans un mot. Dado et moi nous dévisageâmes, déconcertés. Quelques minutes plus tard, Yacine était de retour avec un petit sachet dans la main.

    — On peut y aller, lança-t-elle alors que je démarrais la voiture.

    — Où ça exactement ?

    — Au niveau du bras de mer, je t’indiquerai le chemin.

    — Qu’est-ce que tu as acheté ? s’enquit Dado, curieuse.

    Pour toute réponse, elle ouvrit le sachet et nous dévoila son contenu : du lait caillé, des biscuits, du sucre et de la cola.

    — Mais à quoi tout cela va nous servir ? Tu veux prévoir de quoi te mettre sous la dent en cas de fringale ?

    — Bien sûr que non ! Vous le saurez bientôt.

    Je suivis les instructions de Yacine et dix minutes plus tard, nous étions arrivés. On pouvait apercevoir les marais salants à l’horizon, ainsi que quelques camions qui se chargeaient d’acheminer le sel vers l’usine traitante. Des nuées d’oiseaux peuplaient le ciel, tandis que certains se prélassaient aux alentours de l’étendue d’eau. Une forte odeur d’iode imprégnait l’endroit.

    Je me garai à une petite distance de la berge et nous descendîmes de la voiture. La jeune fille transvasa le lait caillé dans une petite calebasse sortie d’on ne sait où.

    — Ah, j’ai compris ce que tu es en train de faire, commenta Dado. Tuuru Mbossé.

    Yacine acquiesça, marcha au point de frôler les vagues et se mit à renverser le lait caillé dans le bras de mer.

    — Qu’est-ce ça veut dire ? m’enquis-je, ahuri.

    — Tu n’en as jamais entendu parler ? C’est une sorte de rituel que la mère de tout natif de Kaolack doit réaliser pour son nouveau-né. La première étape consiste à répandre du lait caillé dans le bras de mer. Puis il faut s’acheminer vers le marché, enlever ses chaussures et le traverser pieds nus, enfin d’y donner en aumône une offrande achetée au préalable.

    — Mais comment sais-tu tout cela ?

    — Tu sais, ça n’a jamais été ma vocation, le fait de rester devant un écran d’ordinateur et de manipuler des langages de programmation. J’ai toujours voulu devenir historienne, mais le sort en a décidé autrement. Néanmoins la passion des mythes et des traditions de mon pays ne m’a jamais quittée.

    — Heureusement que tu es là alors, je n’y connais absolument rien, répondis-je avec un sourire.

    Yacine revint vers nous et nous convoyâmes en direction du marché. Une fois arrivés, comme expliqué par Dado, nous enlevâmes nos chaussures et entreprîmes de traverser le marché. Je sentais le regard de quelques badauds peser sur nous, mais Dado me rassura, en me disant que ce spectacle devrait être habituel aux yeux de la plupart des Kaolackois. Nous louvoyâmes entre les différents étals qui exposaient pour la plupart du poisson séché comme fumé, des fruits de mer et

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