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UNE GEOGRAPHIE POPULAIRE DE LA CARAIBE
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UNE GEOGRAPHIE POPULAIRE DE LA CARAIBE
Livre électronique844 pages14 heures

UNE GEOGRAPHIE POPULAIRE DE LA CARAIBE

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À propos de ce livre électronique

Une géographie populaire de la Caraïbe, adaptation d’Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn, rompt avec le regard enchanteur et fantastique des clichés touristiques.

La Caraïbe est enfin une terre habitée. Romain Cruse mise ainsi sur une géographie humaine : la terre racontée par celles et ceux qui l’habitent. La caméra est braquée sur les villages de pêcheurs de Trinidad et de la Dominique, les quartiers surpeuplés d’Haïti, les Nègres marrons du Suriname, les communautés rasta de la Jamaïque, etc.
L’auteur adopte le regard des classes populaires, inspiré d’observations sur le terrain et fondé sur un travail de recherche minutieux. La Caraïbe n’est donc ni un éden, ni un modèle de libre-échange, encore moins une région à forte croissance économique. On y découvre plutôt des sociétés profondément divisées selon des clivages ethniques et sociaux hérités du colonialisme, des bidonvilles dissimulés derrière des décors de carte postale, la manipulation des masses par les élites locales et les investisseurs étrangers. Romain Cruse donne à voir et à comprendre la condition caribéenne contemporaine, qui se nourrit de cultures et d’histoires singulières.

Point de vue de l’auteur

Cet ouvrage livre le point de vue d’un étranger qui s’est créolisé au contact de la région et dont le regard n’est plus celui de l’étranger, mais pas non plus celui du natif. C’est un ouvrage qui est dans l’ensemble assez sombre, en contraste net avec la luminosité et la beauté immédiatement perceptible de la Caraïbe, et qui montre comment les classes populaires, les gens ordinaires, s’adaptent à des situations économiques et politiques extrêmement difficiles et transforment ces épreuves en un véritable art de la survie.
LangueFrançais
Date de sortie6 oct. 2014
ISBN9782897122034
UNE GEOGRAPHIE POPULAIRE DE LA CARAIBE
Auteur

Romain Cruse

Romain Cruse est géographe, co-fondateur du bureau d'études CARIGE. Il a enseigné la géographie, l’histoire et l’économie de la Caraïbe à l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG), à la Martinique, ainsi qu’à l’University of the West Indies (UWI), à Trinidad et à la Jamaïque. Il est aussi correspondant au journal Le Monde Diplomatique et à Questions Internationales et publie régulièrement dans divers magazines et revues scientifiques. Il vit à Fort-de-France. Il a publié chez Mémoire d’encrier Une géographie populaire de la Caraïbe (essai, 2014) et Le Mai 68 des Caraïbes (essai, 2018).

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    Aperçu du livre

    UNE GEOGRAPHIE POPULAIRE DE LA CARAIBE - Romain Cruse

    natal

    Introduction

    Je suis un fils des Caraïbes, mes fleuves sont l’Amazone, l’Orénoque et le Mississippi!

    Mes terres sont des volcans!

    Honte à ceux qui disent qu’il s’agit d’une Méditerranée, la Caraïbe est autre chose, c’est des continents explosés, c’est des croûtes terrestres qui se tordent, des volcans qui ruminent et une gerbe d’océans!

    Près de cinq millions de kilomètres carrés d’une vie explosive!

    Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes¹

    La géographie a été pratiquée depuis des temps immémoriaux par l’homme pour organiser les activités de la vie quotidienne : habitation, chasse, pêche, cueillette, agriculture, spiritualité… Les sociétés amérindiennes de chasseurs-cueilleurs étudiées par Pierre Clastres dans l’Amazonie connaissent ainsi parfaitement la répartition des plantes nourrissantes et aménagent les environs pour leur permettre de croître ; ils sont en fait bien plus que de simples cueilleurs². De même, dès le début, l’agriculteur pense et organise l’espace qu’il cultive en fonction de la qualité des sols, de l’ensoleillement, des plantes à associer ou non et en fonction de bien d’autres critères géographiques. Le chasseur connaît et répertorie les territoires des différents animaux et leurs migrations journalières et saisonnières. En fonction de son mode de vie et de son organisation de l’espace géographique, l’homme décide s’il enterre ses morts devant chez lui, s’il les brûle ou bien s’il emporte leurs ossements dans ses déplacements. De même, il implante le camp ou le village en fonction d’une lecture géographique déterminante de l’espace. L’homme est un être géographique : ses conditions de vie sont et ont toujours été intimement liées à son analyse de l’espace.

    Les géographes « préhistoriques », ceux qui précèdent la période que les historiens savent lire, celle de l’histoire écrite, doivent transmettre les connaissances géographiques de l’espace à leurs descendants. L’anthropologue Richard Price a montré à travers son étude des Noirs marrons du Suriname que la toponymie, les noms que l’on donne aux lieux, peut être une façon de conserver et de transmettre l’histoire et la géographie dans une société sans écriture³. À l’autre bout de l’échelle des climats, chez les Inuit de l’Arctique, on considère ceux parmi les chasseurs qui maîtrisent la géographie complexe de ces régions où les boussoles sont inutiles (le pôle magnétique est trop près) et où la lecture des astres est souvent impossible (il fait jour pendant six mois) comme les « vrais hommes », c’est-à-dire les « hommes du territoire⁴ ». Certaines légendes disent même que les esclaves qui avaient la connaissance de la géographie secrète du chemin de retour vers l’Afrique ne mangeaient pas de sel de leur vivant pour pouvoir faire ce voyage à leur mort⁵… Dans ce type de sociétés sans écriture, la connaissance géographique pouvait se transmettre par bien d’autres moyens : objets gravés, contes ou bien plus simplement une transmission directe aux enfants par la pratique des activités au côté des adultes, c’est-à-dire par imitation. La connaissance géographique n’est ni une invention européenne qui remonterait aux Grecs (à qui on ne se lasse pas de tout attribuer) ni une découverte récente à l’échelle de l’humanité. Il est vrai par contre que, du point de vue européen, avec les Grecs, les Romains et les Égyptiens, la géographie va devenir non seulement une science, mais elle va surtout devenir une science coloniale. La « découverte » du géographe accompagnera de près la conquête, à tel point que les deux termes sont parfois utilisés comme synonymes dans l’historiographie européenne (la « découverte de l’Amérique »). Une science géographique de tradition coloniale est née autour du bassin méditerranéen et s’y est développée en parallèle de l’émergence et de l’expansion du capitalisme⁶. Depuis les années 1970 et la dernière grande vague de décolonisation qui a directement concerné l’Europe, des géographes ont cependant commencé à déterrer les travaux d’Élisée Reclus (1830-1905) et à réfléchir à une géographie « postcoloniale », c’est-à-dire en rupture avec la tradition coloniale de la discipline.

    La géographie populaire dont nous ouvrons la voie avec cet ouvrage se positionne sur cette ligne de fracture. Dans la Caraïbe, l’acte de rupture le plus important, historiquement parlant, fut le marronnage⁷. Nous choisissons donc de baptiser cette géographie populaire dans le sang, par un acte symbolique de marronnage. Nous confions le soin de ce baptême au poète martiniquais Aimé Césaire :

    Tué… je l’ai tué de mes propres mains… Oui : de mort féconde et plantureuse… c’était la nuit. Nous rampâmes parmi les cannes à sucre. Les coutelas riaient aux étoiles, mais on se moquait des étoiles. Les cannes à sucre nous balafraient le visage de ruisseaux de lames vertes […]. C’était un soir de novembre… et soudain des clameurs éclairèrent le silence. Nous avions bondi, nous, les esclaves ; nous le fumier : nous les bêtes au sabot de patience. Nous courions comme des forcenés ; les coups de feu éclatèrent […]. Alors, ce fut l’assaut donné à la maison du maître. On tirait des fenêtres. Nous forçâmes les portes […]. La chambre du maître était grande ouverte […] et le maître était là, très calme […]. J’entrai. C’est toi, me dit-il, très calme… C’était moi, c’était bien moi, lui disais-je, le bon esclave, le fidèle esclave […], et soudain ses yeux furent deux ravets apeurés les jours de pluie… je frappai, le sang gicla : c’est le seul baptême dont je me souvienne aujourd’hui⁸.

    Lorsque la rupture n’était pas possible, on pratiquait l’ironie féroce à travers les contes. Le baptême de notre géographie populaire se poursuit ainsi à travers un récit recueilli sur une petite exploitation agricole de Moore Town, dans les Blue Mountains jamaïcaines ; un endroit où les Marrons ont résisté aux planteurs pendant des siècles. Les arbres autour sont chargés de grosses pommes d’eau rouges et noires. Les pierres sont couvertes d’une mousse verte épaisse. À perte de vue, on aperçoit les jardins dominés par des arbres à pain gigantesques, des touffes de bambous et des vallées amenant l’eau des sommets vers le Rio Grande qui coule en contrebas. Un âne est attaché à un jacquier. Wallace Sterling, le « colonel » de ce village de Marrons, est assis sur un sac guano. Pendant qu’il parle, il tourne la lame de son coutelas dans la terre brune. Sa main libre tient un vieux téléphone portable enroulé dans un sac plastique. « Tu sais, quand on découvre la machine à coudre, on abandonne vite la couture à la main. Les contes se perdent aujourd’hui à cause de la télévision et de la radio. Le soir, ma mère nous en racontait ». Il rit en se remémorant ses souvenirs. Les quelques villageois présents, assis sur une branche d’arbre, ont déjà les yeux qui brillent. « C’est un vieil esclave qui, parvenu devant le planteur, s’incline devant lui respectueusement : Maître, que vous êtes beau, que vous avez l’air fort, vous me faites penser à un lion! Le maître, suffisant : Un lion? Tu n’as jamais vu de lion, espèce d’imbécile, tu es né sur cette plantation… Le vieil esclave n’en démord pas : Oui, Maître, vous ressemblez à un lion, un lion blanc. Le planteur, soudain dubitatif : Où as-tu déjà vu un lion, toi? Le vieil esclave : À l’instant, Maître, juste devant l’entrée de l’Habitation, j’ai vu un grand lion, fort et élégant comme vous-même! Le planteur renvoie son vieil esclave à la tâche et se dirige vers l’entrée de l’Habitation, où il tombe nez à nez avec un âne, broutant paisiblement⁹… »

    La géographie populaire : Notre géographie

    La géographie populaire telle que nous l’entendons retourne à la source de l’esprit géographique. Elle vise à servir les peuples, non les gouvernants. Cette géographie emprunte en ce sens à un autre poète caribéen, le révolutionnaire cubain José Martí. Elle est notre géographie, comme Martí embrassait du regard ce qu’il appelait Nuestra América (notre Amérique) : l’Amérique des peuples et non pas l’Amérique des gouvernants et des firmes.

    La connaissance est tout ce qui compte. Connaître son pays et le gouverner avec cette connaissance est la seule façon de le libérer de la tyrannie […]. L’histoire de l’Amérique, des Incas jusqu’à aujourd’hui, doit être enseignée en détail même si les archontes grecs sont négligés. Notre Grèce doit être la priorité sur la Grèce qui n’est pas la nôtre […]. Les hommes d’État nationalistes doivent remplacer les hommes d’État étrangers. Que le monde soit greffé dans nos Républiques, mais que le tronc soit nôtre¹⁰.

    Comme le dit un jour André Gide, « on a tant rendu à César qu’il n’y en a plus que pour lui ». Rendons donc aux peuples ce qui leur appartient.

    Notre géographie doit évidemment aussi beaucoup à l’historien étatsunien Howard Zinn. Son Histoire populaire des États-Unis débute dans la Caraïbe, à Guanahani, au cœur de l’archipel des Bahamas :

    Frappés d’étonnement, les Arawaks – femmes et hommes aux corps halés et nus – abandonnèrent leurs villages pour se rendre sur le rivage, puis nagèrent jusqu’à cet étrange et imposant navire afin de mieux l’observer […]. Ces Arawaks des îles de l’archipel des Bahamas ressemblaient fort aux indigènes du continent dont les observateurs européens ne cesseront de souligner le remarquable sens de l’hospitalité et du partage, valeurs peu à l’honneur, en revanche, dans l’Europe de la Renaissance, alors dominée par la religion des papes, le gouvernement des rois et la soif de richesses […]. L’information qui intéresse Colomb au premier chef se résume à la question suivante : où est l’or?¹¹

    Howard Zinn déclara, peu avant de mourir, qu’il aimerait que l’on se souvienne de lui comme de l’homme qui permit aux gens ordinaires d’éprouver l’espoir et la volonté d’agir¹². Zinn était un historien né à Brooklyn d’une famille de modestes ouvriers juifs. Une histoire populaire des États-Unis (2002), son œuvre principale, constitue à la fois l’un des meilleurs ouvrages sur l’histoire des États-Unis et une formidable introduction à ce que Zinn nomma, sans réellement définir ce terme, l’« histoire populaire ».

    Notre géographie populaire s’inspire aussi de Walter Rodney, un enfant des classes populaires du Guyana devenu brillant professeur d’histoire à l’Université des West Indies (UWI) de la Jamaïque. Après ses études à Londres sur le commerce des esclaves, Rodney, n’oubliant jamais ses origines, fit rapidement entendre sa voix, à l’université et dans la rue, en enseignant aux étudiants et aux miséreux les bienfaits du socialisme et les préceptes du Black Power.

    Cet astucieux jeune homme mit à profit ses recherches et ses aptitudes à la communication pour jeter à la poubelle de larges portions de l’histoire de la diaspora noire, réécrivant tous les chapitres propres à une vision blanche du monde où l’esclavage et la colonisation constituaient la norme […]. Walter Rodney fut le premier intellectuel ayant grandi en Jamaïque – à défaut d’y être né – à apporter ses connaissances dans les bas quartiers du centre-ville et à leur donner une application pratique¹³.

    Après s’être rendu à la Conférence des écrivains noirs au Canada en 1968, Rodney sera interdit de séjour à la Jamaïque, le premier ministre Hugh Shearer ayant déclaré à son endroit : « Je n’ai jamais eu affaire à quelqu’un qui constitue une plus grande menace pour la sécurité de ce pays¹⁴ ». Cette décision déclencha les « Rodney Riots » : un groupe d’étudiants ferma l’université, entama une marche de protestation vers la résidence du premier ministre et fut rejoint sur la route par les foules des bidonvilles de Kingston. Cet octobre 1968 jamaïcain causa une dizaine de morts et des millions de dollars de dégâts aux infrastructures.

    Notre géographie populaire doit aussi au psychiatre martiniquais Frantz Fanon. Né à Fort-de-France en 1925, et mort d’une leucémie à l’âge de trente-six ans, Fanon fut l’un des artisans de l’indépendance algérienne. Ses analyses lient les psychopathologies qu’il relève en Algérie sur les colons comme sur les colonisés aux maux plus généraux des jeunes sociétés indépendantes.

    Ces jeunes pays ont accepté de relever le défi après le retrait inconditionnel de l’ex-pays colonial. Le pays se retrouve entre les mains de la nouvelle équipe, mais en réalité il faut tout reprendre, tout repenser. Le système colonial en effet s’intéressait à certaines richesses, à certaines ressources, précisément celles qui alimentaient ses industries. Aucun bilan sérieux n’avait été fait jusqu’à présent du sol ou du sous-sol. Aussi la jeune nation indépendante se voit-elle dans l’obligation de continuer les circuits économiques mis en place par le régime colonial. Elle peut, bien sûr, exporter vers d’autres pays, vers d’autres zones monétaires, mais la base de ses exportations n’est pas fondamentalement modifiée. Le régime colonial a cristallisé des circuits et on est contraint sous peine de catastrophe de les maintenir¹⁵.

    Il découlera de ces analyses une réflexion sur les sociétés dites indépendantes, qui donnera naissance au courant des post-colonial studies ; courant dans lequel s’inscrit la géographie postcoloniale.

    La géographie populaire en querelle avec l’histoire officielle

    Toujours à la Martinique, source d’inspiration indéniable, notre géographie s’accorde à merveille avec « la querelle avec l’Histoire » d’Édouard Glissant. « L’Histoire (avec un grand H) est un fantasme fortement opératoire de l’Occident, contemporain précisément du temps où il était seul à faire l’histoire du monde¹⁶. » Les livres d’histoire sont-ils des livres d’histoires? Contester l’Histoire, avec un grand H, c’est ici contester l’histoire officielle, celle qui est invariablement remise en cause par l’étude précise et par le recentrage du point de vue. L’Histoire, c’est Christophe Colomb qui « découvre » (en géographe?) la Caraïbe et l’Amérique à la fin du XVe siècle. L’histoire, c’est des cartes de navigation chinoises datées du XIIIe siècle qui mentionnent déjà les côtes américaines de manière relativement précise. L’histoire, en Chine, mentionne d’ailleurs un contact avec la Caraïbe en 1421 par l’intermédiaire de la flotte de l’amiral Zheng He¹⁷… L’histoire, c’est aussi sans doute des contacts répétés entre l’Afrique et l’Amérique bien avant que la flotte de Colomb n’aille s’y échouer par le plus grand des hasards¹⁸. Si l’on considère les échanges récurrents attestés entre la Caraïbe et le reste de l’Amérique¹⁹, il faut se rendre à l’évidence : contrairement aux histoires qu’on nous raconte, l’Europe fut sans doute le dernier continent à entrer en contact avec cette région…

    L’Histoire nous raconte aussi que les Kalinagos (aussi appelés Caribes, Karibs ou Canibas) rencontrés par les colons européens dans la Caraïbe à la fin du XVe siècle étaient des cannibales craints par tous les peuples voisins. Le 11 décembre 1492, alors que Christophe Colomb visite le nord de l’« Île espagnole », il écrit dans son journal à propos des Amérindiens qui l’« accompagnent » (qu’il a en fait kidnappés par malice sur les premières îles qu’il a visitées) :

    On arrive presque à la conviction qu’ils sont continuellement molestés par des gens plus entreprenants qu’eux-mêmes, car il est certain que toutes ces îles vivent dans la terreur des Canibas. Je répète donc ce que j’ai déjà dit plus d’une fois, à savoir que Caniba n’est autre chose que « peuple du Grand Khan²⁰ » et que ce dernier ne doit pas demeurer loin d’ici. Il doit posséder des navires, qui viennent sans doute jusqu’ici, pour faire des prisonniers ; et comme ces derniers ne retournent jamais chez eux, on croit qu’ils ont été dévorés. De jour en jour nous comprenons mieux ces Indiens… ²¹

    Cette scène est aussi évoquée par le second de Colomb dans son journal²². Quelques jours plus tôt, à la vue de l’île d’Haïti (nom amérindien de l’île rebaptisée par Colomb « Île espagnole »), celui-ci écrivait :

    Les indigènes que nous avons à bord commencent […] à faire preuve d’une grande inquiétude. Ils nous font comprendre que cette terre a pour nom Haïti et qu’elle est peuplée d’hommes féroces et forts armés, appelés « cannibales ». Selon ce que nous croyons interpréter de leurs longues mimiques, les habitants de cette île, qui est fort grande, partent en expédition contre Cuba et les autres régions, s’emparent des prisonniers et les font rôtir pour les déguster dans des festins. Nous avons trouvé cette nouvelle bien extraordinaire. Et l’amiral, immédiatement, énonça avec gravité que ces gens devaient être à coup sûr ces monstres à un seul œil et à queue longue et poilue dont parlent les chroniques²³.

    Aussi farfelues qu’elles puissent sembler, ces histoires ont visiblement servi de base à l’historiographie officielle européenne. Des livres universitaires, des livres scolaires et des musées (y compris dans la Caraïbe) et jusqu’aux films à succès nous montrent les Kalinagos comme des cannibales. Or, cette histoire n’est pas seulement improbable, elle fut surtout bien commode puisque la reine Isabelle d’Espagne, le 30 octobre 1503

    donne la permission […] à toute personne sous mon commandement […] de capturer ces cannibales pour les emmener dans une autre terre ou une autre île, nous payant la part qui nous est due, et ce, pour que ces cannibales soient vendus […] au profit de chrétiens²⁴.

    Dès lors que l’on abandonne l’histoire officielle et que l’on donne la parole à l’historien péruvien Hernan Horna, qui écrivit La conquête des Amériques vue par les Indiens du Nouveau Monde, on découvre une autre perspective :

    Les Canibas ont été les plus méconnus et les plus calomniés […]. Dire avec certitude lesquels étaient des Canibas proprement dits et lesquels étaient appelés ainsi par les Blancs pour justifier leur violence contre les Indiens constitue un grand problème historiographique et interdisciplinaire. Les Canibas ont été les plus difficiles à soumettre à l’homme blanc dans les Caraïbes. Ils ont d’abord donné refuge à des Indiens et ensuite à des esclaves africains qui avaient échappé à la domination européenne. Malgré tout, ce furent eux les héros de la résistance Caraïbe²⁵.

    Histoire et histoires se racontent indifféremment dans des livres écrits par des historiens et dans des romans racontés par les acteurs de l’histoire. Phillip Baker est un Jamaïcain qui a participé dans les années 1970 à l’épopée des gangs (posse) de Kingston aux États-Unis, et qu’il raconte dans son roman Rasta Gang. La narration commence peu après son arrivée à New York, en tant que jeune étudiant. Sa « querelle avec l’Histoire » se déroule dans une salle de classe du Bronx, entre un élève jamaïcain fraîchement immigré et un professeur juif américain, au sujet des histoires des uns et des autres :

    Les yeux se sont écarquillés et les mâchoires se sont allongées de plusieurs crans […]. Jerome était debout. Il a enlevé son bonnet avant d’agiter fièrement son épaisse broussaille de dreadlocks descendant jusqu’à la taille. Ses cheveux sont tombés le long de son corps comme les racines d’un arbre mises à nu […]. À cette époque, voir quelqu’un porter des dreadlocks, c’était aussi effrayant que si le diable avait descendu la rue en agitant sa fourche […]. [Le professeur] Spielberg s’est caressé le menton, le souffle coupé par ce qui semblait être sa première rencontre avec un Rastafarien.

    Jerome a commencé :

    ‒ Je sais que mon apparence peut paraître étrange à beaucoup d’entre vous. Je n’ai pas l’intention de m’en excuser […]. Mon visage reflète celui de l’oppression, je suis irréductible et invaincu…

    Spielberg l’a interrompu :

    ‒ Ça n’est pas l’endroit pour professer vos idéaux révolutionnaires.

    Sa voix était brutale. Jerome a protesté :

    ‒ Quatre cents ans passés à opprimer mon peuple, et maintenant vous voulez me réduire au silence. Mais on ne peut pas faire taire les Rastas. C’est la seule religion qui guide les pauvres et apprenne aux Noirs à se dégager de l’oppression coloniale.

    ‒ La première règle de toute religion c’est de respecter son prochain.

    Jerome a craché :

    ‒ Ce n’est pas avec les beaux sourires […] hypocrites de Babylone qu’on obtiendra le respect. […]

    ‒ Babylone! (Le front de Spielberg s’est plissé. Il s’est levé, scandalisé.) Je vois mal comment je pourrais incarner Babylone alors que mon peuple a été persécuté pendant des années.

    ‒ Votre peuple? (Jerome le regardait âprement dans les yeux.) Ça n’est pas votre peuple […]. Les Juifs originels, c’est nous.

    ‒ Absolues foutaises. (Le ressentiment avait durci la voix de Spielberg.) Je suis certain que vous découvrirez que les Juifs sont les israélites originels. Le mouvement rastafari a démarré en Jamaïque, dans les taudis de Kingston, d’après les enseignements de Marcus Garvey, leur prophète, et Haïlé Sélassié, qu’ils prennent pour Dieu.

    Jerome a agité les mains en signe de protestation.

    ‒ Sang, Babylone. Que le feu et le soufre brûlent les méchants.

    La classe s’est mise à hurler de rire. […]

    ‒ Vous êtes un jeune homme très impertinent […] et contrairement […] aux enseignements mal intentionnés qu’on vous a prodigués, je vous assure que l’histoire des Juifs remonte à plus de cinq mille ans…

    ‒ Propagande! a hurlé [Jerome] Spence. Le Juif originel, c’est l’homme noir. Abraham, Moïse, David, et Jésus-Christ. C’étaient tous des Noirs.

    La sonnerie a retenti au beau milieu de ce qui promettait d’être une discussion très chaude. Les élèves ont foncé vers la porte, comme si une alerte au raid aérien venait de se déclencher²⁶.

    Comme le conclut Édouard Glissant, « l’histoire a son inexplorable, au bord duquel nous errons éveillés²⁷ ». Depuis l’île voisine de Sainte-Lucie, le prix Nobel de littérature Derek Walcott a pour sa part déclaré dans un poème : « J’ai rencontré l’Histoire une fois, mais elle ne m’a pas reconnu²⁸ »…

    La géographie populaire ne pourra donc pas se construire sur l’histoire officielle. Le jour de décembre 1957 où lui fut remis le prix Nobel de littérature, Albert Camus déclara en ce sens que « le rôle de l’écrivain […] ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent […]²⁹ ».

    Une approche caribéanocentrée

    De notre point de vue, la géographie française gagnerait à tirer plus d’enseignements de l’approche du géographe, économiste et politologue Gérard Dussouy. Au sein de la géographie française, il fut l’un des pionniers de la remise en cause du mythe de la neutralité scientifique, mythe qu’il fait remonter à l’ethnocentrisme du siècle des Lumières (dont le simple nom en disait déjà long en la matière). « Tout récit a une couleur, comme toute théorie a un horizon qui les situe tous les deux et qui précise à priori leurs limites dues à la subjectivité de leur auteur³⁰. » Autrement dit, malgré toute la rigueur scientifique dont il peut faire preuve, un chercheur ne fait que présenter, à travers ses écrits, un point de vue argumenté ; point de vue qui dépend du positionnement de l’auteur vis-à-vis du sujet étudié. « Au bout du compte, tout regard sur le monde est ethnocentrique, voire égocentrique³¹. » C’est inévitable, le regard part d’un point de vue. Et un objet ne présente pas les mêmes facettes selon le point de vue depuis lequel on l’observe. On peut résoudre partiellement ce dilemme à la manière de Dussouy (ou encore de Michel Foucher, par exemple³²), en ne présentant pas une vision géopolitique du monde, mais les visions géopolitiques émanant des principaux centres (l’Europe occidentale, les États-Unis, le Brésil, l’Inde, etc.). Mais l’analyse de ces visions ne peut échapper au point de vue de l’auteur. Une autre approche partielle consiste à présenter la réalité du point de vue des différentes classes sociales. C’est l’approche de notre géographie populaire, qui met l’accent sur la vision des plus nombreux, en soulignant en quoi cette vision diffère de la vision des classes moyennes et des classes aisées. Pour l’étude de la région caribéenne, nous avons combiné cette approche avec une approche caribéanocentrée, pour contrebalancer les études européanocentrées qui sont nombreuses sur ce sujet.

    Dans la Caraïbe, notre géographie populaire est nourrie par de nombreux courants de pensée et des auteurs évoqués plus haut (Aimé Césaire, José Martí, Édouard Glissant, Frantz Fanon, Derek Walcott), et bien d’autres qu’on ne pourra citer ici par souci de concision (C.L.R. James, Norman Girvan, etc.). Le prix Nobel d’économie Arthur Lewis, originaire de l’île caribéenne de Sainte-Lucie³³, est une autre influence notable. Né à Castries en 1915, Arthur Lewis est une figure caribéenne emblématique, mais ambiguë. Son œuvre débute sur un questionnement simple et nécessaire : alors que l’économie agricole locale s’effondre et que la productivité agricole dans la Caraïbe est extrêmement faible, quelles solutions envisager pour développer ses économies et réduire le chômage? En réfléchissant sur le cas de sa région natale, Arthur Lewis sera le pionnier de l’économie du développement. Partant d’un point de vue radicalement anticolonialiste et plutôt populaire (il faut sortir de la dépendance agricole et du travail domestique non productif)³⁴, Lewis glissera malheureusement vers une promotion du système de domination néolibéral mis en place par les États-Unis à partir de la fin des années 1940 à Porto Rico : l’industrialisation par invitation³⁵. Sur les conseils du prix Nobel d’économie de la région, de nombreux gouvernements caribéens mirent en place les mesures destinées à attirer les capitaux étrangers dès leur accession à l’indépendance – mesures correspondant exactement aux besoins des capitalistes étrangers, notamment nord-américains, et malheureusement peu à ceux des sociétés locales³⁶. La Caraïbe basculait ainsi d’une dépendance à une autre.

    La critique de la théorie de Lewis nous amène ici à une autre influence importante de notre géographie populaire de la Caraïbe. Il s’agit du courant universitaire gravitant autour du New World Movement, et qui fut basé à l’Université des West Indies, entre la Jamaïque et Trinidad. Alors que les réflexions d’Arthur Lewis lançaient le domaine foisonnant (et lucratif) de l’économie du développement, ce groupe d’universitaires de l’UWI commença à réfléchir au « mal développement ». Il sortit de cette réflexion la première théorie économique « indigène » expliquant le fonctionnement de l’économie caribéenne : la théorie de l’économie de plantation³⁷. Les sociétés caribéennes indépendantes demeurent pour la plupart des sociétés de plantation. Leurs économies contemporaines peuvent au mieux être décrites comme des économies de plantation modifiées, c’est-à-dire des économies dans lesquelles les changements sectoriels superficiels (diversification dans le tourisme ou l’industrie) qui se sont produits depuis l’indépendance n’ont pas entraîné de changements structurels profonds : la production se fait toujours pour le compte d’entreprises étrangères au territoire. Il est aussi ressorti plus ou moins directement de cette école une thèse de doctorat exceptionnelle de la Trinidadienne Taïmoon Stewart³⁸. Grâce aux exemples très détaillés de plusieurs pays caribéens, cette thèse démolit scientifiquement l’histoire du « développement » telle qu’elle a été présentée par l’Occident depuis la Seconde Guerre mondiale³⁹. Ce travail doctoral montre comment ce développement est le fondement d’un discours ayant accompagné une série de politiques destinées à l’enrichissement des centres de l’économie mondiale, au détriment des pays pauvres nouvellement indépendants – une description qui n’est pas différente de celles faites par d’anciens acteurs de ce système⁴⁰ ou encore par les plus grands spécialistes européens⁴¹.

    Les influences de cette géographie populaire sont multiples et on ne saurait toutes les citer ici. Il convient cependant d’y ajouter la source d’influence la plus déterminante : ceux que Howard Zinn appelle les « gens ordinaires » et avec qui nous avons vécu dans les quartiers populaires de Tunapuna (Trinidad), Bull Bay (Jamaïque), Soufrière (Dominique) et Fort-de-France (Martinique) durant les dix dernières années. J’ai cherché ici à présenter la géographie de la Caraïbe de leur point de vue.

    Une géographie de terrain

    Surtout, cette géographie populaire n’est pas une géographie de bureau. Elle part d’un constat, le constat appris sur les bancs de l’université que « la géographie se fait avec ses pieds » – référence à l’indispensable travail de terrain qui fait la qualité des publications. On sent à la lecture de la Géographie universelle d’Élisée Reclus, l’un des pères fondateurs de la géographie française, que l’espace n’est pas pour lui une notion abstraite. Engagé au début de sa carrière par la maison Hachette pour la rédaction de guides, « Reclus parcourt la France, essentiellement à pied. Carnets de notes en main, il observe et dessine. Il ne se contente pas des bibliothèques, il veut voir de ses yeux, étudier les paysages dont il doit parler⁴² ». Il en va de même de sa description de l’Amérique, où il accoste en 1853 après s’être engagé comme cuisinier sur le bateau faisant la traversée. La géographie populaire de la Caraïbe est basée sur une approche concrète du terrain caribéen.

    Observons un instant cet Européen (pantalon léger blanc, polo de marque française, casquette) conduisant une voiture de golf sur un gazon anglais vert tendre. Autour de lui s’étend une vue panoramique splendide sur les îles Grenadines. Nous sommes sur les hauteurs du terrain de golf d’un resort, un hôtel tout inclus de luxe qui occupe la moitié de l’île de Canouan. À nos pieds s’ouvre une sublime baie de sable blanc au milieu de laquelle sont disposés de petits chalets en bois sur pilotis, reliés au rivage par des pontons construits au ras de l’eau calme du lagon. Les teintes foncées du bois précieux se marient merveilleusement à la couleur chaude du sable et le dégradé de bleus de la mer. Dans ces chalets, le visiteur fortuné – au-delà d’un certain prix, le touriste devient un « visiteur » – pourra se faire masser avec des pierres chaudes par une employée jamaïcaine ou barbadienne. Pour le mener jusqu’à ce lieu vendu comme un éden, un pilote viendra le chercher en avion directement à l’aéroport international de Saint-Vincent. « Il est toujours délicat, explique un employé de l’hôtel, de peser ces passagers avant de les embarquer. Mais ils sont souvent très gros et les avions sont tout petits⁴³. » Ici-bas, toute chose a un prix et le coût du transfert est proportionnel au poids du passager. Chacune des villas louées autour de l’hôtel a été réalisée par un designer italien. Une petite église du XVIe siècle a même été rapportée d’Italie, pierre par pierre, « pour donner un cachet à l’endroit », dit la brochure de l’hôtel⁴⁴…

    De l’autre côté de la mer, dans le centre-ville délabré d’une capitale des Grandes Antilles, les murs qui tiennent encore debout offrent un dégradé de gris, de vert et de noir pétrole. La route est défoncée, comme si elle avait été récemment pilonnée. Des arbustes chétifs poussent au travers des fenêtres et sur les toits de quelques bâtiments éventrés. De jeunes hommes maigres au torse nu sont assis sur un muret. Ils fument de l’herbe en écoutant un titre en vogue de la musique locale sur un téléphone portable. Chèvres et cochons se disputent un tas d’ordures, débordant sur le trafic automobile nerveux et une foule de piétons. Au bord de la route, dans l’indifférence générale, un homme est allongé par terre dans l’eau sordide du caniveau. Le crack et la faim. À Kingston, en Jamaïque, les villas de Beverly Hills offrent une vue imprenable sur la misère du centre-ville. Au loin, au bord de la baie de Port-Royal, on distingue aussi nettement des nuages noirs s’élevant au-dessus du bidonville de Riverton, qui jouxte la décharge de la ville. On y brûle des pneus hors d’usage pour en récupérer les câbles en acier fin⁴⁵. À Riverton, tout se récupère et tout se recycle : vêtements, métaux et même les poulets que les éleveurs jettent là en cas d’épidémie. C’est le célèbre Riverton chicken, qui se revend assaisonné et boucané sur le bord des routes. Les restes de produits frais récupérés servent à élever des cochons. Les enfants souffrent d’asthme à cause de la fumée, mais ils ont de quoi manger grâce à l’économie informelle de la récupération et du recyclage. À leur entrée dans l’enceinte de la décharge, les camions-bennes sont pris d’assaut par des hordes de jeunes qui seront ainsi les premiers à pouvoir trier les déchets. Sur le tas d’immondices géant, baignant dans une odeur insupportable, des abris de fortune permettent d’échapper au soleil étourdissant entre deux convois. Allongés sur un lit d’ordures, sous des bâches récupérées sur lesquelles on peut encore lire « USAID, from the American people », ces parias peuvent voir le soleil se refléter sur les grandes baies vitrées des villas cossues de Beverly Hills⁴⁶.

    La Caraïbe, c’est avant tout une mer. Observons à présent ce père et son fils, originaires de Floride, assis à l’arrière d’un puissant hors-bord, dans des chaises spécialement équipées pour la pêche au gros. Le pilote du bateau est lui aussi nord-américain. Seuls les deux garçons d’équipage sont nés dans l’île voisine de Sainte-Croix. Une profonde fosse marine remonte au nord des îles Vierges, repoussant les eaux froides des profondeurs vers la surface. Ce courant charrie avec lui une masse de petits poissons. C’est là qu’aiment chasser les espadons géants. L’odyssée solitaire du vieux Santiago d’Ernest Hemingway, qui lutta trois jours et deux nuits durant au large de Cuba contre un gigantesque marlin, est bien loin. Le vieux manque de mourir dans cette bataille épique où ses forces le lâchent petit à petit à mesure que le poisson géant entraîne toujours plus au large sa rustique embarcation à voile. Il ressort de cette épopée un respect mutuel entre l’homme et la nature, qui s’affrontent dans un combat équilibré. « Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C’est ton droit. Camarade, j’ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi⁴⁷. » La partie de pêche du père et du fils sur le Lion of the Seas, au large des îles Vierges, se joue dans un autre registre. La journée a coûté plus de 250 dollars par personne et le capitaine conserve les prises. Les énormes moulinets dorés emportent des centaines de mètres de fil à pêche dernier cri et les cannes en carbone absorbent les coups de tête rageurs de l’animal. Le père tire le poisson piégé avec un rire nerveux ; le fils prend en photographie ses bonds désespérés hors de l’eau. Les deux garçons d’équipage attendent patiemment. L’un tient une gaffe dans sa main, l’autre se positionne discrètement près du père et de sa canne, pour l’aider en cas de faiblesse. La glacière remplie de bouteilles de bière résonne au rythme des lentes secousses du bateau. Les boîtes de pêche débordent de leurres en plastique de toutes tailles et couleurs. Le frigidaire de bord garde au frais deux bouteilles de champagne et une rangée de sandwichs épais. Le bateau est spacieux. Les fosses sont sondées et les bancs de poissons traqués au sonar. Le tout propulsé par deux moteurs de 300 chevaux et protégé du soleil par d’épaisses couches de crème solaire.

    Changement de décor. Nous sommes désormais à bord d’un gommier, dans le canal de la Dominique. Un oncle et son neveu, originaires du village de Soufrière, arrivent à la bouée numéro 24, un dispositif de concentration des poissons (DCP) mis en place à une vingtaine de kilomètres de la côte. Il a fallu plus d’une heure à l’unique moteur de 30 chevaux pour pousser la barque jusque-là. La houle secoue l’embarcation. On s’arrête régulièrement manger des biscuits secs et du poisson frit pour se remplir le ventre et ainsi prévenir le mal de mer. Le temps est plutôt beau, mais le ciel est couvert. À l’horizon, un amas de nuages épais déverse son contenu sur le relief escarpé de l’île. La lumière laisse présager une bonne pêche. D’autant plus qu’on entend rapidement le bruit typique produit par les nageoires des poissons volants qui planent au-dessus de l’eau. On en attrape quelques-uns à l’aide d’une petite ligne avant de les attacher vivants sur des hameçons de la taille du poing. La ligne en nylon épais est reliée à une cinquantaine de mètres de corde, attachée à une bouée qui est jetée par-dessus bord. Les poissons volants sont le péché mignon des thons. Une des bouées ne tarde pas à se dresser et partir en flèche vers le large. Le moteur tousse immédiatement et l’embarcation se rue à la poursuite du poisson. La bouée est attrapée au vol et rattachée à une corde longue d’une centaine de mètres. Le combat peut commencer. Le poisson qui vient d’être piqué jette toutes ses forces dans la bataille et plonge au plus profond du bleu de la mer, tout en tirant l’embarcation vers le grand large. Les mains sèches serrent la corde salée. Au premier contact on estime le poids du combattant. Première certitude, il est plus lourd que le pêcheur. Du mollet aux avant-bras, tous les muscles de celui-ci sont contractés, donnant à son corps une pose arquée de cavalier. Les regards graves se concentrent sur l’endroit précis où la corde disparaît, derrière le miroir de la surface. Un mètre de pris, quinze de perdus. On recommence inlassablement jusqu’à ramener l’animal d’une centaine de kilos à la surface, et le plus rapidement possible à distance du harpon. Un jet précis qui fait rouler le bateau sur le côté. Malgré un dernier départ violent, le bouillonnement rouge indique que le combat touche à sa fin. Hissé à bord à la force des bras, l’animal est achevé d’un coup de boutou (sorte de massue) sur le haut du crâne avant d’être calé sous un tapis de feuilles sèches de bananier. Les pieds nus s’agitent déjà au fond du bateau et on démêle les cordages. Les thons jaunes de cette taille chassent en groupe et il devient de plus en plus rare de tomber sur un banc. Avec une belle pêche, la famille mangera du poisson toute la semaine. On payera aussi l’écolage des enfants et quelques courses. Le métier reste dangereux. Le 12 juillet 2012, trois pêcheurs jamaïcains quittent la côte sud de leur île à la recherche de red snappers⁴⁸ sur une embarcation comparable. Soudain le moteur s’arrête. Malgré les nombreuses tentatives, l’engin ne redémarre pas. Le chef d’équipage tente une réparation de fortune en pleine mer. Mais le moteur finit par lui échapper des mains et disparaît dans les profondeurs. Pris par les vents et les courants, le canot va dériver durant dix-huit jours avant d’approcher des côtes du Yucatán mexicain. Là, une équipe de garde-côtes récupérera les trois hommes exténués⁴⁹. Une épopée similaire a été très médiatisée quelques mois plus tôt, en mars 2012. Un orage approche, la mer devient grise et il fait subitement sombre. Un rideau d’eau se referme sur la mer. Le bruit des moteurs est étouffé par le vacarme de l’avalasse. Le petit canot de pêche s’éloigne de la flottille et du bateau mère, qui porte à son bord le stock d’essence permettant d’aller pêcher dans les hauts-fonds, très au large. Sans boussole ni GPS, à force de chercher le bateau mère et de tourner en rond, le petit moteur du canot finit par être à court de carburant. Lorsque le déluge cesse enfin, l’horizon est net. Aucun navire en vue. Une longue dérive de plusieurs semaines s’ensuit. Cette fois là, seuls deux des trois pêcheurs reviennent vivants⁵⁰.

    À quoi ressemble la vie d’un Caribéen moyen? Difficile de répondre à cette question tant est grande la variété des façons de gérer la survie économique dans ces conditions. Barry est un Trinidadien en fin de quarantaine. Son nom de famille a une sonorité espagnole, mais sa couleur de peau le classe dans la catégorie des Indo-Trinidadiens. C’est un homme joyeux que les difficultés quotidiennes ne semblent pas atteindre. Il a grandi avec huit frères et sœurs dans une maison construite par son père, à Tunapuna, entre l’autoroute et la route rapide pour les bus. Depuis le décès des parents et de deux sœurs, il vit avec deux de ses frères dans la maison familiale. Si le mobilier se limite au strict nécessaire, on trouve par contre des cages à oiseaux accrochées aux murs partout dans les chambres, le salon, la véranda, dans la cour et jusque dans la douche. La porte n’a pas de serrure, les jalousies laissent passer un courant d’air permanent, et les occupants vivent au son du chant de ces dizaines de petits oiseaux. Le dimanche après-midi, après la longue messe matinale, Barry pose son hamac dans la forêt du Northern Range. Avant de se reposer, il attache aux branches d’un arbre des baguettes faites de feuilles de cocotier et enduites de la colle blanche qui s’échappe des troncs d’arbres à pain incisés. Entre ces pièges, il dispose une cage enfermant un de ses oiseaux. Lorsqu’un autre oiseau de la même espèce entend le chant du captif, il vient le séduire ou l’attaquer, selon son sexe. Sautant de branche en branche dans sa parade, il finit invariablement par poser ses pattes dans la colle. Certaines variétés se revendent dans les animaleries pour plusieurs centaines de dollars de Trinidad-et-Tobago (DTT), la monnaie locale. Les Trinidadiens, comme leurs voisins des Guyanes, aiment avoir chez eux des oiseaux siffleurs. On vend même, parmi les CD pirates qui s’étalent sur les trottoirs, des disques de chants d’oiseaux qu’on joue à l’animal pour l’inciter à chanter. Ces quelques centaines de dollars ne sont pas de trop pour compléter les revenus d’une activité de plombier à temps plein dans une entreprise de tuyauterie la semaine, et de manière informelle chez des particuliers le week-end. Avec les extras, Barry achète la nourriture pour le mois. Son salaire – l’équivalent de 350 euros – est économisé sur un compte et sert à payer l’écolage de ses deux enfants et à rembourser les emprunts qui ont servi à acheter progressivement les équipements de base pour la maison, une voiture d’occasion, et depuis peu une petite barque de pêche. Les étrangers réalisent rarement que, dans ces pays, la vie n’est pas moins chère. En fait, ce qui doit être importé, c’est-à-dire presque tout, coûte jusqu’à deux fois plus cher qu’en Europe. La pêche se déroule le samedi après-midi, ou bien le dimanche matin quand l’appel de la côte fait oublier les menaces de châtiment divin. Le paysage est grandiose, avec les îles de la Bouche du Dragon qui se détachent les unes derrière les autres devant la longue ligne verte formée par la côte vénézuélienne. Une côte qu’on approche le moins possible, car les pirates y sont nombreux.

    Patrice est Dominicais. Ne vous fiez pas à ses claquettes vert-jaune-rouge, son short en jean large, son T-shirt et sa casquette de base-ball ; il a déjà passé le cap des cinquante ans. Comme la plupart des Dominicais, qui descendent principalement de déportés africains et de quelques survivants du génocide des Kalinagos, sa peau est d’un noir foncé et ses yeux forment de longues amandes blanches. Sa tête et sa barbe sont rasées de près, ce qui donne à ce personnage jovial l’air d’un éternel jeune homme. Dans le petit village, perché sur un morne volcanique tombant dans la mer déchaînée du canal, tout le monde vous dira qu’« il n’est pas d’ici, mais habite avec nous depuis très longtemps ». C’est un des rares hommes qui n’est ni pêcheur ni agriculteur. Il loue une petite maison située tout en haut du village, au bout d’une route qu’on remonte lentement, en faisant des zigzags pour casser la pente. Une des chambres est occupée par sa fille, qui étudie pour travailler comme comptable, le meilleur travail à la portée des classes populaires. L’autre chambre est sous-louée à des Haïtiens qui attendent d’avoir accumulé suffisamment d’argent pour payer le passage clandestin vers la Martinique voisine. Le fils dort dans le vieux canapé en bois qui trône au milieu du minuscule salon. Patrice dort à terre dans le salon, dans une vieille chaise longue sur la terrasse, ou dans son minibus si ses forces l’ont abandonné là au milieu de la nuit. La mère des enfants travaille en Martinique et envoie de l’argent quand elle peut. À 5 h du matin, alors que le soleil se lève sur la baie taillée dans un cratère de volcan à demi effondré, Patrice court jusqu’au village voisin. Puis il revient en marchant rapidement, avant de plonger dans la mer d’huile, juste devant les cabanes de pêcheurs. À partir de 9 h, il attend dans son minibus à proximité du terminal de croisière pour tenter d’attirer des touristes à la journée qui n’ont pas réservé de tour. Il faut ramener ces visiteurs au bateau à 13 h, avant de tenter un extra avec les touristes qui restent quelques jours. Ceux-là payent moins cher que les Américains du bateau. Mais des extras sont possibles, particulièrement avec les femmes au-dessus de la cinquantaine qui voyagent seules ou entre amies. Dans ces moments-là, Patrice ne réapparaît pas à la maison pendant plusieurs jours. Il passe alors seulement à la sortie de l’école donner de l’argent à sa fille pour les courses. On le reverra bientôt dans un t-shirt neuf et arborant fièrement une paire de lunettes de soleil de marque qu’on lui a achetée dans un des magasins duty free du centre-ville, dont l’accès est interdit aux Dominicais. Bien qu’il se serve encore de son bus comme transport collectif durant les temps morts, il ne lui reste pour ainsi dire rien à la fin du mois, lorsqu’il a remboursé l’emprunt pour son véhicule, payé le loyer et la nourriture. Mais sa fille peut aller à l’école. Le garçon se débrouillera. Il connaît des rudiments de maçonnerie, comme tout le monde, car on construit les maisons en coup de main le dimanche, entre voisins.

    Ce sont ces garçons qu’on retrouve dans les rues des villages et des villes, l’œil dur et le ventre à moitié vide. Une cicatrice sur le front garde le souvenir de jeux d’enfance trop près d’une barrière en tôle ondulée. Travailleurs occasionnels, ces garçons constituent une proie de choix pour les trafiquants en tout genre qui cherchent des revendeurs, et font souvent les frais des descentes musclées de la police qui cherche des boucs émissaires. Entre ces activités, on les retrouve à « tenir » le coin de la rue, à se défier, et à siffler les jeunes filles qui remontent rapidement de la boutique dans leur robe de maison. Elles passent la tête haute sans un regard pour eux, la bouche de travers, les gratifiant au mieux d’un tchwip⁵¹ sonore. Ailleurs, au contraire, on mise tout sur le garçon en espérant qu’il deviendra comme mon ami Fitzroy, un jeune homme qui travaille dans un magasin du centre-ville la semaine, et qui passe ses week-ends en mer pour pouvoir prendre soin de ses petites sœurs, de sa mère, de sa femme et de son jeune enfant. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu sourire au souffle des baleines qui passent au large et qu’on aperçoit depuis les ouvertures béantes du salon. Les travaux sur la maison se sont arrêtés à la fin des économies, juste avant la pose des fenêtres et l’application d’un enduit et de la peinture. Deux matelas par terre, un canapé, une gazinière, un congélateur, un frigidaire et un tuyau d’eau dehors, pour une famille de huit. Pour l’eau chaude, il faudra monter aux sources sulfureuses situées dans la forêt de manguiers et de moubins au-dessus du village. Je conçois qu’il soit difficile de vivre désespéré dans le plus bel endroit du monde. Je me demande si Fitzroy voit toujours cette beauté, ou si l’envie de voir ailleurs, ne serait-ce qu’ailleurs dans l’île, et le désespoir sont déjà plus forts. Fitzroy est l’un de ces « sacrifiés vivants » que chante Bob Marley⁵², comme celui qu’on pousse à partir « là-bas », dans le froid, jongler entre des métiers éreintants et sous-payés, pour renvoyer chaque mois le plus possible au pays.

    Objectifs et organisation de l’ouvrage

    Qu’est-ce, en somme, que la géographie populaire? La géographie populaire que nous proposons ici, en prolongement de travaux précédents⁵³, est une géographie qui s’attache à la description et à l’analyse des espaces (physiques, économiques, démographiques, politiques, etc.) des sociétés du point de vue du plus grand nombre des personnes concernées ; c’est-à-dire du point de vue des classes populaires⁵⁴ locales. Cette géographie populaire ne s’adresse pas spécifiquement à un public de géographes ou à un public « éclairé » (catégorie définie par des éditeurs visiblement influencés par l’esprit des Lumières…). La géographie populaire s’adresse à tous les publics, en essayant de donner aux locaux et aux étrangers, aux spécialistes et aux non-spécialistes, des informations claires et précises, regroupées selon une méthodologie propre à la géographie et aux sciences humaines. Dans l’esprit qui était celui d’Ernest Hemingway, sans prétendre à son talent littéraire, cela va de soi, la géographie populaire se doit d’employer le langage le plus simple et compréhensible possible, sans perdre en précision. Le jargon doit en être strictement exclu quand il n’est pas utile et expliqué. Surtout, la géographie populaire est une géographie de terrain qui parle de l’expérience concrète des classes populaires. Ce premier ouvrage de géographie populaire sera inévitablement incomplet et partiel dans l’accomplissement de ces objectifs, mais, espérons-le, il laissera une trace qui pourra être suivie dans l’avenir.

    Nous nous accordons avec Michel Foucault pour dire que :

    si je devais écrire un livre pour communiquer ce que je pense déjà, avant d’avoir commencé à écrire, je n’aurais jamais le courage de l’entreprendre. Je ne l’écris que parce que je ne sais pas encore exactement quoi penser de cette chose que je voudrais tant penser […]. Je suis un expérimentateur en ce sens que j’écris pour me changer moi-même et ne plus penser la même chose qu’auparavant⁵⁵.

    L’objectif de ce livre est d’essayer de comprendre autant que de tenter d’expliquer. L’ouvrage s’organise en deux grands volets, d’importance inégale. La première partie est consacrée à la Caraïbe, la seconde aux Caribéens, pour autant qu’on puisse dissocier le contenant du contenu. Le premier chapitre est une esquisse étymologique : de qui et de quoi parle-t-on quand on évoque la Caraïbe? Le deuxième chapitre plonge au cœur des dynamiques terrestres qui ont concouru au façonnement de cette région et de ses îles, tout en introduisant les liens entre homme et nature dans cette région à travers les aspects climatique, topographique, etc. Les deux chapitres suivants sont consacrés aux différentes populations qui ont été amenées à former les peuples caribéens : déportés africains, esclaves de maison, esclaves des champs et Noirs marrons, coolies indiens et chinois, colons européens, rescapés du génocide amérindien, Arabes du Levant… Le cinquième chapitre s’intéresse au mélange de ces populations (de la ségrégation héritée à la créolisation inévitable), à leurs lieux d’existence et à leurs économies de vie et de survie. Le dernier chapitre clôt l’ouvrage en introduisant quelques réflexions sur les cultures caribéennes : langages créoles, religions indigènes et musique locale.


    1 Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes, Paris, Gallimard, 2007.

    2 Pierre Clastres, La Société contre l’État, Paris, Les Éditions de Minuit, 1974.

    3 Richard Price, Rainforest Warriors, Human Rights on Trial, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2011.

    4 Béatrice Collignon, Les Inuit : ce qu’ils savent du territoire, Paris, L’Harmattan, 1996.

    5 L’écrivain trinidadien Earl Lovelace commence son roman Salt (1996) par l’évocation de cette coutume.

    6 Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 1988.

    7 Dans les espaces marqués par la déportation et l’esclavage des Africains, le marronnage désigne la résistance des captifs et particulièrement l’acte libératoire de la fuite.

    8 Aimé Césaire, Les armes miraculeuses, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1970.

    9 Conte rapporté par le colonel Wallace Sterling, leader contemporain des Marrons de Moore Town (Jamaïque) lors d’une interview menée par l’auteur le 6 juillet 2014.

    10 José Martí, « Our America », The Cuba Reader : History, Culture, Politics (CHOMSKY, Aviva et al., dir.), Londres, Duke University Press, 2003.

    11 L’ouvrage est paru pour la première fois en anglais en 1980. Pour l’édition française : Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, de 1492 à nos jours, Paris, Agone, 2002 ; Montréal, Lux éditeur, 2006.

    12 « Howard Zinn : How I Want to Be Remembered… », Common Dreams, 29 janvier 2010, http://www.commondreams.org/video/2010/01/29-2

    13 Lloyd Bradley, Bass Culture : Quand le reggae était roi, Paris, Éditions Allia, 2005.

    14 Ibid.

    15 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 1961.

    16 Édouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1997.

    17 Gavin Menzies, 1421, The Year China Discovered America, New York, William Morrow Paperbacks, 2008.

    18 Ivan Van Sertima, They Came Before Colombus : The African Presence in Ancient America, New York, Random House, 1976.

    19 Hernan Horna, La Conquête des Amériques vue par les Indiens du Nouveau Monde, Paris, Demi Lune, 2009.

    20 Grand Khan est un titre longtemps porté par les souverains mongols de Chine et mentionné pour la première fois en Occident par Marco Polo. Les Européens du XVe siècle croyaient, à tort, que les khans existaient encore. On comprend ici que Colomb est toujours convaincu de naviguer à proximité du Japon et de la Chine.

    21 Michel Balard, Journal de Christophe Colomb, Paris, Imprimerie nationale, coll. « Voyages et découvertes », 2003.

    22 Jean de la Cosa, Journal de bord de Jean de la Cosa, Second de Christophe Colomb. Présenté et commenté par Ignacio Olaguë, Paris, Éditions de Paris, 1956.

    23 Ibid.

    24 Loi de 1503 décrétée par la reine Isabelle, citée dans Michael Palencia-Roth, « The Cannibal Law of 1503 », Early Images of the Americas : Transfer and Invention, (WILLIAMS, Jerry et al., dir.), Tucson, University of Arizona Press, 1993.

    25 Hernan Horna, op. cit.

    26 Phillip Baker, Rasta Gang, Paris, Moisson rouge/Alvik, 2009.

    27 Édouard Glissant, Le discours antillais, op. cit.

    28 « I met History once, but he ain’t recognize me », tiré du poème The Schooner Flight. Disponible intégralement en ligne : Derek Walcott, « The Schooner Flight », Poetry Foundation, http://www.poetryfoundation.org/poem/177932

    29 UQAC « Albert Camus : Discours de suède, 1957 », http://classiques.uqac.ca/classiques/camus_albert/discours_de_suede/discours_de_suede_texte.html

    30 Gérard Dussouy, Les théories géopolitiques, Traité de Relations internationales (I), Paris, L’Harmattan, 2006.

    31 Ibid.

    32 Michel Foucher, La Bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde, Paris, Éditions François Bourin, 2011.

    33 La petite île de Sainte-Lucie (160 000 habitants) a donné naissance à deux lauréats du prix Nobel : Derek Walcott (littérature) et Arthur Lewis (économie).

    34 Arthur Lewis, « The industrialisation of the British West Indies », Caribbean Economic Review, vol. 12, 1950.

    35 En simplifiant à l’extrême, le néolibéralisme naît en 1938 avec le colloque Walter Lippmann et ses politiques sont immédiatement mises à l’essai dans la colonie étatsunienne de Porto Rico, avant d’être appliquées dans le reste du monde au cours des années 1960 et 1970.

    36 CEPAL, « Strategies of Industrialization by invitation in the Caribbean », http://www.eclac.org/publicaciones/xml/7/23587/L.68.pdf

    37 Ces écrits furent récemment compilés dans : Lloyd Best et Kari Levitt, The Theory of Plantation Economy : A Historical and Institutional Approach to Caribbean Economic Development, Kingston, UWI Press, 2009.

    38 Taïmoon Stewart, Debt Crisis in the Periphery as Continuity of the Imperialist Thesis : The Specificity of the Industrializing Commonwealth Caribbean, Unpublished Ph.D dissertation, Saint Augustine, Trinidad & Tobago, University of the West Indies, Institute of International Relationships, 1993.

    39 Voir : Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences po, 1997.

    40 John Perkins, Les confessions d’un assassin financier, Paris, Ariane, 2005.

    41 Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, op. cit.

    42 Guy Hénocque, Élisée Reclus, Paris, Éditions du Monde libertaire/Alternatives libertaires, 2002.

    43 Propos d’un employé du Raffles Resort lors d’une interview menée par l’auteur en octobre 2008.

    44 Voir : Romain Cruse, L’antimonde caribéen, entre les Amériques et le Monde, Thèse de doctorat, Arras, Université d’Artois, 2009.

    45 Ces câbles en acier forment ce qu’on appelle les nappes sommet du pneu.

    46 Voir : Romain Cruse et Fred Célimène, La Jamaïque, les raisons d’un naufrage, Pointe-à-Pitre, Presses de l’Université des Antilles et de la Guyane, 2012.

    47 Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer, Paris, Gallimard, 1952.

    48 Aussi appelés poissons rouges ou vivaneaux dans les territoires francophones de la Caraïbe.

    49 « Jamaican Fishermen Rescued By Mexican Navy », The Gleaner, 30 août 2012, http://jamaica-gleaner.com/latest/article.php?id=39555

    50 « Fishermen Home », The Gleaner, 18 mars 2012, http://jamaica-gleaner.com/gleaner/20120318/lead/lead23.html

    51 Bruit produit par la pression de la langue contre les dents et qui marque, aux Antilles comme en Afrique, le mépris pour son interlocuteur.

    52 Bob Marley, Jamming.

    53 Romain Cruse, Géopolitique d’une périphérisation du bassin caribéen, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011.

    54 Le terme de classe populaire étant relativement flou, on considérera ici qu’il englobe les 60 à 80 % de la population (ou plus dans des cas extrêmes comme Haïti) qui évoluent hors de l’emploi stable et valorisé et dans les bas étages du salariat.

    55 Daniel Defert et al., Michel Foucault. Dits et écrits, Volume I.

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