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Bonnard et les Nabis
Bonnard et les Nabis
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Livre électronique337 pages2 heures

Bonnard et les Nabis

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Pierre Bonnard était le chef d’un groupe de peintres post-impressionnistes. Ils se nommèrent eux-mêmes les Nabis, du mot hébreux signifiant ‘prophète’. Bonnard, Vuillard, Roussel, Denis, les plus illustres des Nabis, ont révolutionné l’esprit des techniques décoratives durant l’une des époques les plus riches de la peinture française. Influencés par Odilon Redon, Puvis de Chavannes, l’imagerie populaire ou les estampes japonaises, ces post-impressionnistes furent avant tout un groupe d’amis fréquentat les mêmes milieux culturels. L’individualisme croissant de leurs créations ébranla souvent l’unité du groupe. Bien que liés par une même philosophie, leurs oeuvres divergeaient nettement. Cet ouvrage permet de les comparer et de les mettre en perspective les unes avec les autres.
Les oeuvres présentées dans cet ouvrage offrent une palette d’expressions merveilleusement poétiques : candide chez Bonnard, ornementale et mystérieuse chez Vuillard, doucement rêveuse chez Denis, âpre jusqu’à l’amertume chez Valloton, l’auteur nous fait partager la vie intime des artistes jusqu’à la source profonde de leurs dons créatifs. Bonnard et de nabis do
LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2015
ISBN9781783108282
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    Aperçu du livre

    Bonnard et les Nabis - Albert Kostenevitch

    Natanson.

    LA VIE

    Article de Christian Zervos, Cahiers d’art, 1947,

    annoté par Matisse, janvier 1948. Collection particulière.

    En octobre 1947, le musée de l’Orangerie à Paris organisa une grande exposition posthume des œuvres de Bonnard. A la fin de cette même année parut un numéro de l’influente revue Cahiers d’Art. Dans son article, figurant en première page, « Pierre Bonnard est-il un grand peintre ? », l’éditeur des Cahiers, Christian Zervos se faisait l’écho de l’exposition. Tout d’abord, Zervos en saluait l’importance dans la mesure où auparavant seules de rares expositions de peu d’envergure permettaient de juger de l’œuvre de Bonnard. Mais, poursuivait Zervos, celle-ci l’avait déçu, car les mérites de l’artiste ne nécessitaient pas pareille exposition : « ...Bonnard, ne l’oublions pas, a vécu ses premières années de travail sous le beau rayon de l’impressionnisme. Il fut en quelque sorte le dernier organe assimilateur de cette esthétique. Mais ce fut un organe si faible qu’il n’en a jamais recueilli la veine vigoureuse. Peut-on s’en étonner ? Dépourvu de nerf et faiblement original, il était impuissant à donner de l’essor à l’impressionnisme, en transfuser le sang dans une langue neuve, remettre ses éléments sur le métier ou, à la rigueur, les tourner à neuf. Bien qu’il soit persuadé qu’on ne doit plus considérer la peinture comme un art de sensation pure, selon la règle impressionniste, il ne peut pas faire intervenir l’esprit, et bien qu’il soit certain qu’il ne s’agit plus pour l’artiste de reconstituer le monde, il ne trouve pas en lui les possibilités de le constituer, comme l’ont fait de son temps les peintres qui ont eu la chance, dès la première heure, de réagir avec force contre l’impressionnisme. Entre ses mains, celui-ci décline et dépérit [1] ».

    Cet éditorial de Zervos était-il une attaque personnelle ? Vraisemblablement, non. Zervos se faisait simplement le porte-parole de l’avant-garde qui, dans sa logique, concevait l’histoire de l’art moderne comme une succession de mouvements anticonformistes qui créaient chacun leur monde, monde toujours plus éloigné de la réalité. Pendant que l’histoire de la peinture se développait sous l’aspect de chronique des courants d’avant-garde, il restait à Bonnard et à ses semblables peu d’espace, d’autant plus que lui-même n’avait jamais cherché à attirer l’attention et se tenait à l’écart du combat. Il ne vivait pas à Paris et était assez rarement exposé.

    Au sein même de cette avant-garde, tous n’auraient pas signé l’article de Zervos. Picasso, contrairement à son admirateur qui venait d’éditer le catalogue complet de ses dessins et tableaux, reconnaissait la valeur de la peinture de Bonnard. Lorsque ce numéro des Cahiers d’Art tomba entre ses mains, Matisse nota avec fureur dans la marge, de son écriture large : « Oui! Je certifie que Pierre Bonnard est un grand peintre pour aujourd’hui et sûrement pour l’avenir. Janv. 48 ».[2]

    Matisse était dans le vrai. Dès le milieu du XXe siècle, l’œuvre de Bonnard attire les jeunes peintres plus qu’elle ne le faisait dans les années vingt et trente, par exemple. La gloire vint à Bonnard d’une étrange façon. Dans une certaine mesure, il se fit tout de suite un nom, ne connut ni le besoin, ni la réprobation, alors que les coryphées de l’art moderne ne connurent la célébrité que plus tard, souvent après leur mort. Le stéréo-type de l’avant-garde en usage dans la première moitié du XXe siècle, du peintre maudit, bohème, pauvre, ignoré et aux prises avec les normes établies, ne saurait être associé à Bonnard. Ses toiles se vendaient. Il disposa de bonne heure parmi les peintres et les collectionneurs d’un cercle d’admirateurs fidèles sur lesquels il pouvait compter. Cependant, ces derniers n’étaient pas nombreux. Longtemps, la peinture de Bonnard ne connut pas la ferme reconnaissance générale qu’elle méritait. Pourquoi donc, tout au long d’une vie qui fut loin d’être brève, Bonnard ne parvint-il pas à attirer suffisamment le public ? Cela tient sans doute au caractère et au mode de vie de l’artiste qui fuyait la publicité, les déclarations et même les expositions. Voici qu’en 1946 les organisateurs du Salon d’Automne décidèrent d’organiser une grande exposition de son œuvre. « Une rétrospective ? », demanda Bonnard, « est-ce que je suis déjà mort ? ».

    Pierre Bonnard, La Partie de croquet, 1892.

    Huile sur toile, 130 x 162 cm, Musée d’Orsay.

    Pierre Bonnard, Andrée Bonnard et ses chiens, 1890.

    Huile sur toile, 180 x 80 cm, Collection particulière.

    La structure même de l’art de Bonnard jouait aussi un certain rôle, ignorant l’efficacité de l’influence immédiate, les nuances fluides et fuyantes de son art ne se livrent pas au spectateur qui n’a pas su développer en lui-même un sens aigu de la perception. Il y a encore une raison à cette réserve du public envers Bonnard : sa vie n’eut rien d’extraordinaire, aucun événement sensationnel ne vint la perturber. On ne peut pas la comparer avec celle que connurent Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec. Il n’y avait pas de quoi faire une légende. L’opinion publique, qui sait porter au pinacle ceux qu’hier encore elle ignorait ou haïssait, a tant besoin de légendes ! Il suffit de gommer certains traits, d’oublier certains détails délicats, les légendes aiment la simplicité.

    Mais le temps a fait son œuvre. Ces dernières décennies ont vu changer les sentiments du public à l’égard de Bonnard. Les rétrospectives de son œuvre qui eurent lieu en 1984-1985 à Paris, Washington, Zurich et Francfort-sur-le-Main furent des événements culturels qui connurent un large succès. Quelle fut donc la vie de Bonnard? Il passa sa plus tendre enfance à Fontenay-aux-Roses, près de Paris. Son père était chef de bureau au Ministère de la guerre et sa famille le destinait à faire carrière dans les affaires. Mais l’impulsion initiale imprimée par le milieu bourgeois dont il était issu et qui l’avait conduit à la faculté de droit, commença bientôt de faiblir. Bonnard assiste plus aux cours de l’académie Julian, puis de l’École des beaux-arts, qu’à ceux de la faculté de droit. Le rêve que les élèves de l’École chérissent le plus est de recevoir le Prix de Rome. Bonnard y restera un peu moins d’un an. Il en partira après son échec au concours du Prix de Rome. Le tableau qu’il y présentait sur le thème imposé le Triomphe de Mardochée ayant été jugé insuffisamment sérieux. Les petits paysages peints durant l’été 1888 au Grand-Lemps, dans le Dauphiné, sans recourir aux recettes de l’École des beaux-arts doivent être considérés comme le véritable début de l’œuvre de Bonnard. Ses amis, Sérusier, Denis, Roussel, Vuillard en font grand cas. Ce sont des études des environs du Grand-Lemps, d’une composition simple et au coloris frais qui révèlent un rapport poétique à la nature qui n’est pas sans rappeler Corot.

    Pierre Bonnard, France-Champagne, 1891.

    Lithographie en 3 couleurs, 78 x 50 cm, Musée de Reims.

    Pierre Bonnard, La Revue Blanche, 1894.

    Lithographie en 4 couleurs, 80 x 362 cm,

    National Gallery of Art, Washington.

    Pierre Bonnard, Portrait de Berthe Schaedlin, 1892.

    Huile sur toile, 31 x 16,5 cm, Galerie Daniel Malingue, Paris.

    Insatisfaits de l’enseignement prodigué à l’École des beaux-arts et à l’académie Julian, Bonnard et Vuillard se mirent à travailler seuls. Ils visitaient assidûment les musées. Durant les dix premières années de leur amitié, rare fut le jour où ils ne se rencontrèrent point. 

    Le groupe des Nabis, réuni par Paul Sérusier, comptait certains membres de l’Académie Julian. Ceux-ci, refusant de s’assimiler à l’impressionnisme, revendiquaient l’influence certaine de Gauguin. Leur nom dérivé de l’hébreu nebiim, dont la signification est « prophète » ou « voyant », symbolise la volonté de retrouver le caractère sacré de l’écriture. Ils sont influencés par l’art japonais, notamment les gravures sur bois, l’art populaire et primitif, ainsi que la peinture symboliste de Puvis de Chavannes. Bien que très différents les uns des autres, ils obéissent à deux lignes de conduite : la déformation subjective, née de l’émotion de l’artiste qui accentue certains aspects de sujet représenté et la déformation objective, qui soumet la représentation à l’ordre nécessaire du tableau. L’absence de perspective, et l’utilisation de tons purs ou assombris les caractérisent. Tous tenteront d’anéantir la barrière entre la peinture de chevalet et l’art décoratif. Ils s’illustreront dans l’illustration, le papier peint, les vitraux, la tapisserie, l’ameublement… Les Nabis regroupaient des artistes tels que Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Félix Valloton, Ker Xavier Roussel, Georges Lacombe, le sculpteur Aristide Maillol ou encore Maurice Denis qui revendiquait qu’« une peinture avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Néanmoins, ils se vouvoient, alors que les autres Nabis tutoient Bonnard.

    Dans les années 1890, Bonnard était loin de fuir la société. Il aimait à se promener longuement avec Roussel, à écouter les tirades prolongées de Denis. Quoique lui-même fût peu loquace, c’était un homme sociable. L’un de ses dessins-souvenirs humoristiques montre la place Clichy, centre du quartier des artistes, jeunes, gais, bohèmes. Bonnard, Vuillard, Roussel la traversent sans se presser. Un peu plus loin, Denis se dépêche avec une chemise sous le bras contenant ses Théories. A leur rencontre, brandissant une lourde canne, s’avance Toulouse-Lautrec.

    Lautrec éprouvait une grande sympathie pour Bonnard et Vuillard. De temps en temps, il leur empruntait quelques tableaux qu’il allait proposer à des marchands de sa connaissance. Il était assez difficile, en vérité, de les intéresser. Lautrec fut enchanté par l’affiche de Bonnard France-Champagne qui fut imprimée avant les siennes. Bonnard emmena alors Lautrec chez l’imprimeur Ancourt, de l’atelier duquel cette même année 1891 sortirent Moulin-Rouge et d’autres affiches célèbres de Toulouse-Lautrec.

    L’affiche France-Champagne, commandée à Bonnard en 1889 par le négociant en vin É. Debray, devait jouer un rôle particulier dans sa carrière. Elle lui rapporta ses premiers honoraires, négligeables par rapport à ceux de Meissonnier, mais des honoraires quand-même, qui le convainquirent que l’on pouvait vivre du métier d’artiste. A ce même moment, Bonnard échoua à ses examens universitaires. Il se peut que Bonnard ait ainsi brûlé les ponts derrière lui, s’interdisant tout retour en arrière, pour se consacrer exclusivement à l’art. Le 19 mars 1891, Bonnard écrivait à sa mère : « Je ne verrai pas mon affiche placardée sur les murs. Elle ne sera prête qu’à la fin du mois. Mais j’ai touché cent francs ! Je t’assure que j’étais fier d’avoir ça dans ma poche [3] ! ».

    Pierre Bonnard, Portrait de l’artiste par lui-même, 1889.

    Tempera sur carton 21,5 x 15,8 cm, Collection particulière.

    Pierre Bonnard, La Vie du peintre,

    Feuilles d’un cahier de dessins. Crayon et plume,

    touche de lavis, vers 1910. Collection particulière.

    Pierre Bonnard, Le Pont, 1896-1897.

    Lithographie en 4 couleurs, 27 x 41 cm.

    A la même époque, Bonnard envoie cinq tableaux au Salon des Indépendants; à la fin de l’année il expose à la galerie Le Barc de Bouteville avec Toulouse-Lautrec, Bernard, Anquetin et Denis. Au cours de l’entretien accordé au journaliste de I’Echo de Paris venu à l’exposition interviewer les artistes, Bonnard refusa de révéler les noms de ses maîtres préférés, déclara n’appartenir à aucune école et affirma essayer de faire quelque chose de personnel et s’efforcer d’oublier ce qu’il avait appris à l’Ecole des beaux-arts.

    Autre événement encore en 1891 : la Revue blanche n’est plus éditée à Bruxelles mais désormais à Paris. Bonnard et les autres Nabis n’éprouvèrent aucune difficulté à s’entendre avec l’éditeur de la revue, Thadée Natanson, ancien élève du lycée Condorcet d’où venait Vuillard, Roussel et Denis. Natanson réussit à faire collaborer à sa revue les peintres, les écrivains et les musiciens les plus doués. Les frontispices de la revue sont dus à Bonnard et Vuillard; Mallarmé y publiait ses vers, Proust, Strindberg, Oscar Wilde et Maxime Gorki leurs œuvres; Debussy y apportait sa contribution, on discutait de l’œuvre de Léon Tolstoï.

    Personnellement, Natanson consacra son premier article à Utamaro et à Hiroshige. Il n’est pas exagéré de dire que la Revue blanche fut le meilleur périodique des années 1890. L’atmosphère qui régnait à la rédaction, où les Nabis venaient souvent, était véritablement créative. Le soutien personnel accordé par Natanson aux artistes avait une grande importance. Il était du même âge que ceux qu’il aidait et ne craignait pas de suivre ses engouements. Même les amis de Natanson, comme ils s’en ouvrirent à lui plus tard, doutaient que l’on puisse accorder sa confiance à un homme qui décorait sa maison de tableaux de Bonnard ou de Vuillard.

    Pierre Bonnard, La Petite Blanchisseuse, 1896.

    Lithographie en cinq couleurs 30 x 19 cm,

    Paris, Bibliothèque nationale.

    Natanson peignit dans ses souvenirs le meilleur portrait littéraire de Bonnard qui soit : « Le premier Bonnard que j’aie est un jeune homme maigre, parfois penché, avec plus de deux dents proéminentes toutes blanches. Il était timide et myope. Autour de ses joues un peu de poil châtain frisait et, sur son nez, se tenait tout droit, très près de ses yeux, de leurs prunelles foncées, un petit lorgnon cerclé de fer rouillé parfois, comme on en portait à la fin du siècle dernier. Il parlait peu mais pouvait montrer déjà le portrait de sa vaste grand-mère — chez laquelle il habita tout d’abord à Paris, rue de Parme, — portrait fait en Dauphiné, des poulets blancs picorants d’un côté du bas de la robe. Mon nouvel ami ne s’aventurait qu’avec beaucoup de précautions dans les théories touchant la peinture mais

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