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Amerop: C'est déjà demain
Amerop: C'est déjà demain
Amerop: C'est déjà demain
Livre électronique339 pages5 heures

Amerop: C'est déjà demain

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À propos de ce livre électronique

En 2050, l'Europe et l'Amérique du Nord ne font plus qu'un et ont soumis le reste du monde. La démocratie n'est plus : les multinationales sont devenues des institutions étatiques. Toute résistance est combattue par les psychiatres et les diverses polices mais alors que les premiers voient des malades mentaux partout, les seconds resserrent leur emprise « sécuritaire ». Nadège et Nicolas font partie de ces gens classifiés anarcho-terroristes parce qu'ils refusent le système d'AMEROP. Leur seul crime : vivre libre en autonomie et en autarcie.
La Police de Sûreté des Individus les débusque pourtant. Commence alors pour eux une fuite éperdue. Nicolas rejoint les « terroristes », des résistants à l'ordre établi divisés en deux camps : les enfants du chaos et les templiers du feu qui survivent en pillant les magasins et font sauter des bâtiments officiels.
Alors que les catastrophes climatiques et humaines s'échelonnent à grande vitesse, s'engage une lutte fratricide qui transformera l'avenir.

LangueFrançais
Date de sortie13 avr. 2014
ISBN9781492904427
Amerop: C'est déjà demain
Auteur

Patricia Epstein Alexandre Barridon

Une femme qui se veut avant tout un être humain, non pas un être servile prêt à l'obédience et corvéable à souhait. Une femme qui revendique son droit d'être libre. Une femme qui voit l'avenir tel qu'il est sans se voiler la face, pour qui la sécurité n'est qu'un leurre qui masque la terreur du monde. Je suis toutes ces femmes à la fois, une mère,une révolutionnaire, une indignée et une insoumise. C'est sans doute pourquoi j'ai voulu vous faire partager ma vision d'un futur, par certains côtés, déjà mis en place. C'est déjà demain!

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    Aperçu du livre

    Amerop - Patricia Epstein Alexandre Barridon

    Patricia Epstein

    AMEROP

    1. C'est déjà demain

    Saisons d'écriture

    Patricia Epstein– Droits d'auteur – 2013

    Tous droits réservés

    Post-face de Mickaël Guichaoua

    REMERCIEMENTS

    Je remercie Anne Velasquez pour ses corrections et conseils avisés.

    Et mon compagnon de tous les jours et pour toujours pour son aide précieuse.

    CHAPITRE I

    Naissance d’un guérillero

    — Regarde chérie !

    Nicolas rayonnant, brandissait un énorme poivron droit devant lui comme une oriflamme.

    — Il est magnifique !

    Sa douce épouse Nadège lui souriait. C’était un des légumes de leur potager biologique dont ils n’étaient pas peu fiers. En ce matin printanier le ventre de Nadège s’arrondissait vers le septième mois de grossesse et leur bonheur était presque entier.

    Le tonnerre parfois grondait pareillement, mais là, aucun orage ne menaçait. Le cœur étreint d’une peur viscérale plombait les jambes de Nicolas : là-haut, tournoyant tel un vautour sur les cadavres, un hélicoptère de la Police de sûreté des individus survolait leur maison. Passé le premier temps de stupeur, Nicolas amena Nadège précipitamment à l’intérieur.

    — Prépare les affaires, vite ! Nous sommes repérés !

    Sans un mot elle courut vers la chambre.

    Pourtant ils l’avaient rêvée et bâtie de leurs propres mains cette maison, dont ils avaient taillé chaque pierre. Au mur un souvenir encadré : le passé qui ne devait pas être oublié. Le vrombissement au-dessus d'eux, les ramena à l'urgence.

    Comment avaient-ils su ? Après tout, ne savaient-ils pas toujours tout !

    Nul n’échappait à la PSI.

    Avant elle, il y avait encore un semblant de liberté, qui résidait surtout dans quelques choix commerciaux et dans l’idée qu’on s’en faisait ; mais déjà, se dessinait le spectre hideux de la société telle qu’elle se dressait aujourd’hui à leurs yeux : des humains conditionnés, obéissants, crétins au dernier degré, gavés de propagande télévisuelle, instrument d’un État totalitaire. Les dirigeants eux-mêmes avaient été touchés lors de la grande crise des années 2020. A partir de là on avait éliminé les institutions nationales, transformé les États en régions plus facilement gérables, et uni le monde sous le seul concept de la grande AMEROP. A la tête de celle-ci, les tout puissant consuls:

    - Le capital sécurité dirigé par l'implacable consul Denner Mandenski.

    - Le capital humain à la tête duquel on trouve la charmante Frida Faukenberg.

    - Le capital nutrition et santé, Chantal Gerber directrice de Pilarmo.

    - Le capital énergie, John Mac Ferson,

    - Le capital boursier administré par l'union des banques améropiennes, avec comme directeur Fredrick Calahan

    - Le capital scolaire et culturel Rachida du Cresson

    Chaque capital, ainsi nommé parce que géré par les principaux groupes financiers, édictait ses propres lois.

    — Dépêche-toi ma puce.

    Nicolas appelait très souvent sa femme ainsi.

    — Nous avons peu de temps…

    Elle rangeait les vêtements dans les sacs de toile avec précision, son visage reflétait des soirs de tristesse infinie. Mais Nicolas n’avait pas le temps et ne devait pas s’émouvoir, leur vie était en danger, il fallait faire vite, ne pas se retourner sur la bibliothèque en chêne massif léguée par son père : Pierre-Yves était un vieux marin, la pipe vissée au coin des lèvres, il empuantissait régulièrement le séjour et rendait le petit Nicolas furieux. Comme l’homme qu’il était aujourd’hui, eût aimé sentir à nouveau cette odeur.

    Il caressa une dernière fois les couvertures des livres glanés durant des années au marché noir: les tomes accusateurs du sociologue suisse Jean Ziegler décriés et interdits par Exsheto, fusion de plusieurs compagnies pétrolières, tous les livres traitant de la vie autonome étaient bien sûr prohibés par le capital Nutrition Santé. Celui-ci s’occupait de gaver la population en emplissant les rayons des bigshops, garnis de readyfood, plats tout prêt indigestes, de gadgets et autres inutilités.

    Tous ces trésors... tant d’années de recherche, les laisser là brisait le cœur de Nicolas, mais la vie de Nadège et de leur enfant était en grand danger. Il prit le parti de stocker livres et disques dans une vieille malle en fer qu'il enterrerait dans une fosse creusée autrefois en prévision d'un repérage. Les livres, ses biens les plus précieux si chers à son cœur et ultimes vestiges de la liberté d’expression, enterrés dans son jardin, aux abords de la forêt, dans l'espoir qu’ils ne fouilleraient pas leur terre.

    L’air fraîchissait le soir, Nicolas resta quelques instants à admirer le ciel, il ne voulait pas se retourner sur sa maison, son potager, sa terre. Il ne pouvait se résoudre à laisser périr les chefs d’œuvre amassés, pour certains d'entre eux, sur deux générations: les disques de Georges Brassens, les poèmes de Pablo Neruda, les satires de Voltaire, les films de Bertrand Tavernier, etc.

    Il se souvenait encore avec émotion des soirées de Noël où Nadège et lui écoutaient Brassens à la lueur des chandelles et du feu de cheminée, Arielle, leur chienne bâtarde, recueillie un soir sur le bord de la route, happée par un véhicule, à leurs pieds. Elle allait mieux maintenant, mais ils avaient passé plusieurs jours dans l’incertitude quant à sa survie. Dès lors, elle leur avait été d’une fidélité à toute épreuve et une compagne de tous les instants. En ce moment, elle se tenait assise, droite, tranquille aux côtés de Nadège, sentant le danger, fidèle et prête à les épauler.

    Nadège empilait, quelques provisions et des ustensiles de cuisine, elle ne pleurait pas son visage était de cendre.

    Ils étaient de ces enfants de révolutionnaires qui avaient refusé la livetech, les femmes en accouchant chez elles et les hommes en dissimulant les grossesses de leurs épouses. Des enfants de la liberté.

    A la nuit tombée, ils étaient prêts, Nadège avait sellé leurs deux chevaux et ficelé les bagages sur ceux-ci.

    — Nicolas, nous pouvons partir !

    Nicolas emmenait sa femme dans une bergerie qu'il avait repéré dans la montagne lors de ses voyages de prospections. Elle était isolée et en bon état. Ils se retrouvèrent sur le perron, un peu trop émus, aussi ne tardèrent-ils pas à enfourcher leurs montures. La nuit était fraîche mais pas froide ; afin de ne pas laisser trop de traces, ils avaient décidé de passer par les bois, bien qu’il en restât fort peu depuis la décision de déboisage général prise par le capital énergie. Ils avançaient doucement pour ménager Nadège sur le terrain cahoteux. Le bruit du vent dans les branchages, les feuilles mortes craquant sous les sabots des chevaux, les ombres qui se dessinaient sous la pâleur de la lune leur semblaient effrayants dans le contexte de fuite. Les pauses duraient quelques minutes pour ne pas perdre de temps et éviter d'effrayer davantage Nadège.

    Au petit matin, ils devaient avoir parcouru une trentaine de kilomètres. Un pâle soleil éclairait la plaine qui s’étalait devant eux.

    Nicolas pensait que le capital sécurité mettrait tout de même un à deux jours avant d’envoyer à leurs trousses leurs hélicoptères. Il ne voulait pas imaginer ce qui arriverait s’ils tombaient entre leurs mains. Désormais ils ne pouvaient plus reculer, condamnés au courage et à la fuite. Thomas Paine disait : « Lorsqu’une loi est injuste, il faut savoir désobéir », il n’aurait pas imaginé à son époque à quel point la désobéissance serait nécessaire pour vivre libre aujourd’hui ! Il n'y avait plus que l’illusion du mot LIBERTE, sur ce point le capital humain avait travaillé les citoyens avec suffisamment de subtilité pour établir en eux la même croyance aveugle en leur État que celle qu’ils avaient autrefois en Dieu; chaque individu était persuadé que le gouvernement d’AMEROP était là pour l’aider et le guider. Toutefois la propagande intensive distillée dans les cerveaux amoindris avait épargné quelques altermondialistes.

    Ils savaient qu’il fallait hâter le pas lorsqu’ils étaient à découvert. Les prés qui s’étalaient face à eux étaient entourés de barbelés comme la plupart des espaces naturels transformés en prairies d’élevage intensif.

    Il faudrait franchir les barbelés et Nicolas savait que sa femme ne pouvait le faire seule ; aussi ferait-il sauter son cheval puis, celui de Nadège et enfin reviendrait-il la chercher pour la porter. Ces tribulations, non seulement les ralentiraient, mais exigeraient des efforts particulièrement pénibles pour Nadège, de plus, ils devraient traverser la plaine au galop pour gagner du temps. Un très gros risque pour Nadège, mais c'était la seule solution qui s'offrait à eux. Nicolas, en tête, ses longs cheveux au vent, ne se retournait pas sur sa femme, il entendait le galop régulier de son cheval, elle était forte, il lui faisait confiance, mais la sourde angoisse de la perdre le tenaillait sans cesse.

    Ils stoppèrent à l’orée d’un village au pied des montagnes, fait de maisons en vieilles pierres, vestiges d'un heureux passé ; le traverser, cependant, restait un défi. Au fond des petits villages, les habitants aussi endoctrinés par une propagande distillée au compte-goutte par le capital humain, croyaient bien faire en vous dénonçant à la P.S.I., grâce aux nombreuses publicités vantant les vertus d'Amerop.

    Le couple n’avait pas le choix, ils avancèrent donc avec prudence, main dans la main, tenant leurs montures par la bride, Arielle sur le qui-vive. Sur leur passage, les fenêtres se voilaient, les portes se fermaient, la population fuyait ; une sensation de fin du monde, l'impression d'une peur intense traversait les murs les plus épais. Ces maisons respiraient autrefois, la joie de vivre et le bonheur familial. Nicolas et Nadège se sentaient à la fois oppressés et tristes, comme lorsque l’on vient de perdre un être cher, ils avaient perdu leur monde...

    Le bruit lointain d’un hélicoptère les fit sursauter, « Ils sont rapides ces salauds » pensa Nicolas. Oui ils étaient rapides et organisés, le capital sécurité avaient fait de la lutte contre le terrorisme sa priorité et le celui-ci se nichait pour eux dans tout humain déviant du droit chemin. Ainsi ils étaient déjà à leurs trousses. Nicolas en regardant sa femme, devina dans ses yeux le fil de ses pensées : leur jolie maison envahie de gardes armés, les photos jetées à terre, brûlées, le lit éventré, les armoires vidées, leur potager saccagé. Et malgré la force de caractère de Nadège, Nicolas suivit des yeux la larme qui coulait le long de la joue de son aimée, noyant son cœur de désespoir. Il fallait avancer coûte que coûte.

    — Pssst, par ici.

    Une porte basse venait de s’ouvrir sur la droite, et la moitié d’un visage de vieillard apparut par l’entrebâillement ; au point où ils en étaient, il fallait tenter la confiance. Ils pénétrèrent dans une petite cour et le vieillard ferma prestement la porte derrière eux en tirant un verrou d’acier. Il leur tendit une main usée par le temps et les travaux, une main franche:

    — Bonjour, je suis Glen.

    Cette voix chaude, cette main calleuse, directe, où passait l'amitié, voilà tout ce qu’il fallait à Nadège et Nicolas pour reprendre espoir ; ainsi tout n’était pas perdu… Ils pouvaient encore croire en l’amitié et l’entraide. Glen en était la preuve, ce brave rude vieillard leur sauvait la vie comme on offre un verre.

    Il les fit entrer dans sa maison :

    — Ne restons pas dehors, ils nous épient en permanence.

    Il avait parlé à voix basse comme si on avait pu l'entendre de l'hélicoptère quelques centaines de mètres plus haut. Nicolas pouvait imaginer la vie de ce vieillard perdu seul dans ce village de montagne, terré dans sa chaumière. Il lui sourit et l'émotion qu'il vit naître dans les yeux du vieil homme n'atteignit pas le bord de la paupière.

    — Vous devez avoir faim, nous allons nous restaurer.

    Il sortit d’une marmite encore fumante une louche remplie de ratatouille !

    — Mon potager donne de belles aubergines, leur dit-il en souriant.

    La chaleur humaine de ce personnage les réchauffait plus sûrement que la ratatouille. Désormais, l’amitié porterait toujours le visage de Glen.

    — Je vous aurais bien gardés mais vous n’êtes pas à l’abri ici, ces salopards ont des mouchards partout.

    Le cœur serré, ils prirent congé.

    — Cet homme me rappelle le Pierrot », murmura Nadège.

    Le Pierrot, c’était son grand-père. Elle l’avait pourtant peu connu car c’était un voyageur qui était plus souvent sur la route qu’auprès de sa femme. Lorsqu’il revenait pour une ou deux semaines maximum à la demeure de Mamie, il passait son temps à raconter des histoires extraordinaires de voyage, de personnages fantastiques, il cuisinait de bons petits plats et apprenait à danser la gigue à Nadège. C’était quelqu’un Le Pierrot !

    Glen en les voyant gravir le sentier repensait à son village, autrefois lorsqu'il avait marié la Claudine devant tous les habitants festoyant au son des bignous. Qu'étaient-ils devenus aujourd'hui ? Il passa une main affectueuse sur la tête d'Arielle, que Nicolas lui avait confiée.

    Nicolas s'était promis qu'un jour il reviendrait chercher sa compagne à quatre pattes, mais dans l'urgence de leur situation, elle les aurait encombré. La voir gémir à leur départ lui fendit le cœur.

    Le sentier devenait difficile à gravir, il y avait plus de deux heures qu’ils marchaient et Nadège montrait de sérieux signes de fatigue bien qu’elle ne se plaignît pas.

    — Allons encore un effort et nous ferons une pause, l’informa Nicolas sur un ton entraînant comme si son enthousiasme pouvait donner à Nadège la force nécessaire de tenir encore.

    En dépit de sa lassitude et le poids du bébé en son ventre tendu, elle sourit à son mari avec tendresse :

    — Pas de problème mon amour.

    Une heure passée, ils se reposèrent au pied d’un vieux sapin, ils étaient à plus de mille cinq cents mètres d’altitude et le froid se faisait plus mordant. Le paysage devant eux n’avait rien à voir avec celui qu’avaient connu leurs parents. Les forêts avaient été rasées au profit de l’agriculture intensive, qui réduisait la lande en surfaces d’herbe rase entourées de barbelés ; les vaches qui y paissaient avaient des pis gigantesques, disproportionnés, gonflés à l’extrême par l’hormotage : procédé qui consistait à introduire dans la nourriture des bovins un additif triplant leur quantité de lait. Parfois certaines vaches mourraient les pis éclatés en beuglant de douleur. Les champs de blaïs qui s'étalaient à perte de vue finissaient de gâcher la vue.

    Comment en étaient-ils arrivés là en si peu de temps ? Les rares cultivateurs de nourriture biologique appartenaient au monde clandestin des enfants du chaos. Nicolas en avait vaguement entendu parler mais, il pensait alors à une affabulation. Aujourd’hui, il croyait qu’ils existaient quelque part, il irait les rejoindre un jour ou l’autre. Cette pensée le fit sourire et il regarda sa femme. Malgré la fatigue, les efforts, les émotions, elle était magnifique ; elle frissonnait un peu, il mit sa jaquette de laine sur ses épaules en un geste de protection, elle lui sourit à son tour, le soir n’allait pas tarder à tomber, il fallait repartir.

    Ils reprirent péniblement le chemin. Brutalement, Nadège se courba en deux et hurla de douleur :

    — Mon trésor, ma chérie, que se passe-t-il ?

    Nicolas, anxieux, s’était précipité auprès de sa femme mais celle-ci gardait les dents serrées, visiblement en proie à une douleur cinglante, puis, reprenant son souffle :

    — Ce n’est rien, on peut continuer.

    Bien qu’elle s’efforçât de donner à sa voix un ton serein, Nicolas se doutait de sa souffrance intense et sentit soudain monter en lui une haine implacable contre ce système totalitaire. Il arrivait même à être compréhensif envers les Templiers du feu, ce groupe anarchiste formé vers les années 2020, qui régulièrement faisait sauter toutes sortes d’édifices étatiques dont, en dernier lieu, un Sanatorium. Ils avaient fait, lors de cet attentat, une dizaine de morts. Nicolas ne cautionnait guère ce genre de révolte. Mais aujourd’hui, face à sa femme qui souffrait dans une fuite éperdue par la seule faute d’avoir voulu vivre libre, il eut volontiers fait sauter lui aussi, n’importe quoi pour leur faire payer. Malgré la déclaration de Nadège, il ralentit le pas, ne voulant pas forcer l’allure au-delà de ses capacités.

    Après une bonne grimpée, ils aperçurent à la lune montante un ancien refuge de guide de montagne, ils décidèrent d’y passer la nuit. La vieille porte de bois grinça sous la poussée, ils eurent la surprise de constater qu’un feu brûlait déjà dans l’immense cheminée de pierre, mais il était trop tard pour faire marche arrière. Nicolas installa Nadège sur une chaise de bois brut qui lui parut fort secourable, tant sa femme était fourbue ; Nicolas était en train de rentrer les derniers bagages, lorsqu’en se retournant, il fit face à un être mi-ours mi-homme. Sa barbe immense, hirsute, environnait un visage carré, massif, halé, au nez proéminent :

    — Holà mon gars ! D’où viens-tu ?

    Malgré l’abord amical, Nicolas restait sur la réserve; dans le monde où il vivait, trop de confiance pouvait amener à la mort. Il ne répondit pas tout de suite au salut de l’homme. Lorsque celui-ci pénétra dans le refuge, il jeta un regard rapide à Nadège et, sortant un lièvre de sa gibecière :

    — Nous ferons ce soir bon repas, mère Nature a été généreuse !

    Il accrocha au-dessus de la cheminée, un vieux fusil encore fumant. Dans le même temps, une jeune femme, environ la trentaine, pénétra à son tour dans le refuge. Elle alla directement à Nadège, posa ses mains sur son ventre :

    — Il ne va pas tarder ce petit là…

    Soulevant Nadège, son bras autour de ses épaules, la femme l’amena jusqu’au lit de bois, pourvu d’un bon matelas de paille et d’un solide cadre.

    Quelques minutes plus tard, la pièce était emplie d’une délicieuse odeur de viande rôtie accompagnée de celle d’une soupe de légumes. La jeune femme s’était présentée à eux, disant s’appeler Tajalita, elle était de nationalité sud-américaine ; comme toutes les dirtygirls. L’homme ours était en fait son mari, Norbert, trappeur endurci, et tous deux vivaient en nomades depuis de longues années. Bien qu'elle eût été pucée à son arrivée en AMEROP, un médecin libertaire avait enlevé sa puce.

    Tajalita avait préparé une potion à base d’herbes qu’elle fit boire à Nadège :

    — La petite va avoir son enfant, fais-moi chauffer de l’eau Nono !

    Elle ouvrit une vieille malle et en tira un drap blanc qu’elle demanda à Nicolas de partager en plusieurs morceaux. Il s’était agenouillé auprès de Nadège et lui tenait la main, elle était aussi blanche que le drap qu’il venait de couper. Tajalita, après l’avoir examinée, dit :

    — Ça se passe mal, l’enfant se présente à l’envers il faut le retourner.

    Bien sûr elle avait donné auparavant à Nadège une potion calmante, mais cela serait loin de suffire pour une telle opération. Lorsque les mains de Tajalita retournèrent l’enfant, Nadège s’évanouit sous la douleur. Il fallait la ranimer à tout prix, elle devait expulser l’enfant.

    — Nono aide moi !

    Norbert saisit un flacon contenant des sels et les fit respirer à Nadège, elle se réveilla aussitôt comme consciente d’un devoir qu’elle devait accomplir et sous la pression du bébé se mit à pousser de toutes ses forces, encouragée par les compliments de Tajalita :

    — C’est bien il arrive, courage je vois la tête, tu auras un beau bébé ne te laisse pas aller, pousse !

    Les efforts de Nadège pour mettre au monde leur enfant rendait Nicolas honteux de lui-même, jamais quoi qu’il fasse à l’avenir, il ne pourrait égaler un tel courage ! Il était si fier de sa femme.

    Il la revoyait jeune et insouciante quand il l’avait rencontrée un après-midi de juin au marché noir artisanal. Il venait y quérir de vieux livres dont il était féru, elle recherchait des broderies pour sa Mamie. Dès qu’il l’avait croisée il avait su d’instinct qu’il ne vivrait que pour elle. Elle lui avait souri, il avait bien failli se faire prendre par les huissiers des arts du capital scolaire et culturel, toujours prompts à traquer les contrevenants à l’art autorisé par l’État qui ne ressemblait à rien.

    Soudain, les pleurs du bébé emplirent le petit refuge d’une vie nouvelle, Tajalita le tenait par les pieds comme un trophée piscicole :

    — C’est un garçon !

    Nadège serra faiblement la main de Nicolas, dans un souffle :

    — Il s’appelle Pierrick.

    Puis elle s’évanouit, du moins c’est ce qu’il sembla à Nicolas, car Norbert, posant ses doigts sur le cou de la jeune femme, déclara sombrement :

    — Elle est morte.

    Tajalita en baignant le petit, pensait que la liberté avait enlevé sa mère à cet enfant, et pourtant Tajalita choisirait toujours la liberté.

    Nicolas regardait hébété le corps de sa femme, si belle dans la mort, presque souriante, comme déjà en présence d'un ange lumineux. Jamais il n’avait ressenti un tel vide, une souffrance si brutale. Rien ne l’apaiserait. Il ne sentait pas les larmes de feu qui coulaient sur ses joues, ni la pression de la main amicale de Norbert sur son épaule. La main de Nicolas ne se détachait pas de celle de sa femme. Les pleurs de son enfant que lui tendait Tajalita, enveloppé dans une peau de bête, lui montrèrent sa voie. Il prit le petit être entre ses bras :

    — Pierrick, désormais toi et moi feront route ensemble.

    Bien que la douleur frappât ses côtes et hurlât dans sa tête, Nicolas en regardant le petit être pour lequel Nadège venait de donner sa vie, se dit que lui aussi donnerait la sienne pour le protéger. La voix de Norbert résonna :

    — Allez, viens manger mon gars, il faut prendre des forces.

    Tajalita recouvrit entièrement Nadège du drap blanc. Bien que n’ayant pas faim, Nicolas savait que Norbert avait raison, il lui fallait des forces car le chemin qui l’attendait serait encore plus pénible et plus compliqué avec Pierrick qu’il ne l’avait été avec Nadège. Après le repas, Norbert entretint Nicolas :

    — Tu ne peux pas partir comme ça, sans but, la P.S.I. à vos trousses, le petit est trop faible, il a besoin de prendre des forces. Nous t’accompagnerons jusqu’à une maison protégée où l’enfant pourra grandir un peu. Tajalita restera à vos côtés durant les premiers mois. Bien sûr, tu sais maintenant que rien n’est définitif en ce nouveau monde. Il te faudra un jour ou l’autre repartir.

    Norbert et Tajalita, deux amis de plus. Au cours de leur vie sédentaire, Nicolas et Nadège, vivant en autarcie, n’avaient pas eu d’amis ; en moins de quelques jours, la destinée lui en avait amené trois, mais elle lui avait aussi arraché sa femme, ainsi la vie était-elle cruelle et bienveillante à la fois, ainsi la liberté demandait son offrande.

    Chapitre II

    Les enfants du chaos

    — Mickaël, as-tu gagné quelques nouveaux partisans ?

    Le géant qui interpellait ainsi le jeune homme, dépassait les deux mètres, les traits taillés à la serpe, la voix presque caverneuse. Ce dirigeant de l'organisation s'enquerrait de savoir si celle-ci allait s'agrandir. En effet, les cigognes étaient envoyées régulièrement dans Amerop pour informer les gens de l'existence des enfants du chaos et de ce qu’ils proposaient, afin de remplir les rangs des bonnes volontés pour réussir à changer le monde. Ces incursions dans l'univers améropien étaient très risquées, beaucoup d’agents y avaient déjà laissé leur vie. Les cigognes habitaient en marge de la confrérie des enfants du chaos afin de ne pas pouvoir révéler quoi que ce soit d’important en cas de capture.

    Ce jour-là, Jean était passé pour remonter un peu le moral des troupes ; les dirigeants se relayaient régulièrement pour encourager les « fantassins » qui allaient au combat à pied contre les « canons » des propagandistes. Dimanche passé ils avaient enterré un des leurs et les esprits parfois flanchaient ; sans le secours et les encouragements des dirigeants, certaines ouailles redeviendraient des firmotech. De retour au campement, qui changeait tous les deux mois, Jean prit sa tête massive entre ses mains, les coudes appuyés sur ses cuisses musclées : le découragement restait l’ennemi le plus terrible qu’il devait affronter. Il revenait sans cesse et les prétextes ne manquaient pas : manque de nourriture, maladie, efforts de chaque jour et enfin la mort omniprésente. Bien qu’il n’eût que quarante et un ans, Jean se sentait vieux, si vieux que le tombeau ne lui semblait pas si éloigné. Les responsabilités qui pesaient sur ses épaules, pourtant impressionnantes, étaient de plomb. Il faisait partie de cette caste de personnes qui ne pouvait pas se permettre de craquer. Encore un jour sans nouveau venu, il y avait plus d’un mois que personne ne s’était engagé et les enfants du chaos avaient un urgent besoin de combattants.

    Les marchands de propagande capitaliste avaient rivalisé d’ingéniosité et ne dédaignaient pas le moins du monde avoir recours aux mensonges les plus éhontés pour convaincre le peuple qu’il vivait dans un monde idéal. A partir de 2030, ils avaient cessé toute publicité, le peuple ayant été converti. Les experts, autrefois payés par les multinationales pour truquer les statistiques, pouvaient aujourd'hui se consacrer entièrement aux projets améropiens.

    La liberté d’expression était considérée par tous les journalistes comme naturelle sous Amerop bien qu'elle n'existât pas. Les publicités prenaient la forme de petits reportages si bien montés qu’on ne pouvait critiquer les braves gens d’y croire pleinement. Autrefois il y avait eu beaucoup de petites associations vantant le bio, le retour à la nature, le commerce équitable, le développement durable, les énergies renouvelables etc., mais toutes ces tentatives avaient avorté. Accusées de désinformation par le capital nutrition et santé, elles avaient dû fermer leurs portes. De plus elles n'avaient su unir leurs forces pour lutter contre les multinationales. La solidarité n’était pas de mise, chacun se croyait plus ou moins à l’abri et malgré quelques discours alarmistes, personne n’imaginait combien les associations étaient réellement en danger et elles continuaient de prêcher toutes pour leurs paroisses. En ces temps-là certains pensaient que leurs enfants prendraient conscience de la gravité de la situation planétaire et les accuseraient de l’avoir détruite. Bien au contraire certains de ces enfants des « bourgeois bohèmes » des années 2000 étaient devenus de fervents propagandistes d’AMEROP et de son système. Ils arrosaient les terres de nouveaux produits phytosanitaires plus puissants et plus dangereux encore qu’autrefois. Ils vantaient même les méthodes du capital humain qui asservissait les travailleurs au rang de robots. Des ouvriers infatigables grâce aux drogues, qu’ils avaient l’audace d'appeler les nerfavifs. Ceux-ci habitaient dans des firmotours, Les services étatiques et leur contremaître, pouvaient à tout moment les joindre directement par le biais de leur bigscreen ou par l'intermédiaire de leur visiorollex. Les gens étaient toujours sur le qui-vive. Il n’y avait pas de logement plus grand car la nouvelle directive du capital humain des années 2030 réduisait à deux le nombre d’enfants autorisés. Pour rencontrer l’âme sœur il fallait demander l’autorisation au bureau du capital humain qui convoquait les deux parties face aux spiritcoachs qui jugeaient s’ils étaient bien compatibles. Après quoi ils emménageaient dans leur appartement et si la femme travaillait pour une autre société, ils étaient tout de suite regroupés au sein de la même entreprise. Les firmotech, gagnaient beaucoup d’argent au vu de leur fiche de paie, mais en réalité, après déduction des charges, ils ne leur restaient qu’une centaine de rop. Beaucoup s’empressaient de dépenser une bonne partie de leur avoir dans les jeux télévisés qui pullulaient promettant : des vacances de quelques jours dans une des îles des coclub, un an de nourriture gratuite dans un Bigshop, ou un avoir de mille rop sur leur puce. L'argent en tant que tel, pièces, billets, n'existait plus. Chaque améropien touchait son salaire sur sa puce, géré par leur U.B.A.

    Les bars, l’alcool et le tabac avaient été supprimés car contre-productifs : en fait, tout exutoire avait été supprimé, le capital humain veillait à la santé mentale et au bon comportement de tout le monde. Jean pensait à tout cela en

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