Le Babouchier Migrateur
Par Alain Dizerens
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À propos de ce livre électronique
Dans une stridence de métal, le train s’engagea sur un splendide pont suspendu dont les grandes voiles treillissées de titane laissaient chanter leur armature au vent.
À soixante mètres au-dessus du vide, heureux d’échapper à la pesanteur qui l’avait tenu encoffré toute l’année, le babouchier éprouva le sentiment de sauter dans l’inconnu, comme un brodeur d’escales avide de colorier le monde sans retouche, à même la pulpe de l’existence.
Au-delà du fleuve, des tours en verre fumé se découpaient d’une façon presque irréelle sur le bleu éthéré du ciel.
Au moment où la locomotive lança un cri déchirant, il comprit qu’il venait de fausser compagnie à son passé et qu’une nouvelle page de vie s’offrait à lui. En apesanteur entre deux rives, il savoura cet instant suprême avant d'ouvrir son guide qu'il feuilleta distraitement, conscient que sa destination importait peu puisque sa destinée s’était remise en mouvement.
Soudain, un étrange pays attira son attention : Krishnewrhubarbe.
Aussitôt, il se plongea dans la lecture...
Alain Dizerens
[ENGLISH] · Alain Dizerens was born in Geneva in 1948. In his 20s, feeling restless and with a constant urge to explore the world, he finds a job with a humanitarian organization and so his adventures begin, often more life threatening than recreational. In his book Breadline one can discover the autobiographical account of a young man impatient to find his place in this world and escape the endless cohort of the industrialized society, he combines the odd jobs to make a living and saves up just enough to finance his trips abroad. From Switzerland to the Vietnam war, back to Europe and again off to Cameroon, the author describes his personal story of survival through continuous curiosity and courage to face life in most dangerous of places. Throughout his life, Alain Dizerens has also worked in kabbutz (Israel) and in Hong Kong among other places around the world. After a Bachelor of Arts in Philosophy and several decades of teaching, Alain Dizerens also presented a variety of “crosstalk kinetic” (dance, electro) performances, particularly in the context of the Swiss summer in Geneva in 1986. He has written other books – Miroir-Temps and l’Arpenteur sidéral among many as well as published a number of photo e-books. Written with a poetic touch, his books quickly absorb the reader in a realistically magical universe, which at the same time never lacks a bit humor. [FRANÇAIS] · Alain Dizerens est né à Genève en 1948. Dans ses jeunes années, avec l’envie très profonde d'explorer le monde, il trouve un emploi dans une organisation humanitaire et se lance ainsi dans des aventures souvent périlleuses. Dans un de ses livres, «Casse-croûte», on peut découvrir le récit autobiographique d'un jeune homme impatient de trouver sa place dans le monde et d'échapper à la société de consommation. Il combine les petits boulots pour gagner sa vie en économisant juste assez pour être en mesure de financer ses voyages à l'étranger. Du Cameroun au kibboutz (Israël), de la guerre du Vietnam à Hong Kong, l'auteur décrit son histoire personnelle en affrontant avec courage la vie dans des lieux parfois dangereux. Après un baccalauréat en philosophie et plusieurs décennies d'enseignement, Alain Dizerens a également présenté des concerts de " diaphonie cinétique " (danse, électroacoustique), en particulier dans le cadre de l'été suisse, à Genève, en 1986. Il a publié d'autres livres - Miroir-Temps, Mica D’eau, l'Arpenteur sidéral ainsi qu’un certain nombre de photos e-books. Écrits avec une touche poétique, ses récits plongent rapidement le lecteur dans un univers magique qui ne manque pourtant jamais d’humour. BIBLIOGRAPHIE - 2007 - Casse-Croûte, traduit en anglais sous le titre Breadline - 2008 - Miroir-Temps - 2010 - L'Arpenteur sidéral et Le Pèse-Providence - 2012 - Coquards pour Somnambules - 2013 - Miroir-Temps 2 - 2014 - Babouchier Migrateur - 2014 - Mica d'eau
En savoir plus sur Alain Dizerens
Miroir-Temps I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’Arpenteur sidéral Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTrans: Faust - Phorescence Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMiroir-Temps II Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCasse-croûte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCoquards pour somnambules Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMica d'Eau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’Isoloir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Le Babouchier Migrateur - Alain Dizerens
Une région attira soudain son attention : Technotripalium.
Méritait-elle le déplacement ?
D’après son guide, il était recommandé d’y faire une brève halte pour écouter des chanteurs de baume superposer leurs timbres grégoriens aux sifflements des testeurs de tombes qui vérifiaient sous terre l'étanchéité des cloisons
Si l’étapier avait de la chance, il lui serait permis de voir à l’oeuvre des dynamométreurs d'émotions, des raccommodeurs d'orgueil ou des amadoueurs de torts qui tissutaient les remords ou rebisuquaient la culpabilité !
Le travail était colossal pour retendre la gaieté, ressemeler l'enthousiasme, lessiver les humeurs, rincer le désespoir, repriser l'honneur ou récurer le repentir, mais tous les barbifieurs de l’âme humaine s’y entendaient…
Il était même question de calibreurs de baisers qui roulaient des patins si longs qu'ils n'arrivaient plus à reprendre leur respiration !
« Du vent ! », s’exclama le babouchier qui passa à une autre contrée : la Lincuistrerie... où la langue n'était jamais considérée comme un moyen, mais toujours comme une fin en soi.
D’après son guide, les Lincuistreriens étaient tellement absorbés par le repérage des unités constitutives de chaque acte illocutoire qu'ils ne savaient plus parler et encore moins réfléchir ! À force de sémantaliser, métalangualiser et vouloir tout rendre signifiant, ils en avaient fini par oublier le signifié ! Ils bafouillaient, s'embrouillaient, réduisaient toutes les interrogations philosophiques à de simples problèmes linguistiques.
Mais pas de n’importe quelle manière, attention, car dans ce pays la banalité se tenait toujours en tenue de soirée… et ce qui aurait pu passer ailleurs pour un consternant lieu commun devenait, en Lincuistrerie, d'une profondeur inouïe puisque les habitants le transposaient dans un autre champ lexical !
Personne ici n’aurait jamais osé dire « que la fonction du langage consistait à communiquer entre les hommes au moyen de la parole. » Pareil truisme gagnait beaucoup à être transformé en «Input linguistique qui cherchait à atteindre la condition même du sens afin de véhiculer un vécu de significations assujetti à un système de signes vocaux par l'entremise d'une capacité articulatoire qui restituait le tractus langagier à partir d'une combinatoire référentielle servant de support au message porteur du locuteur !»
Voilà qui avait quand même une tout autre allure, mais le péché mignon des Lincuistreriens se situait à un niveau différent : le discours occulté. Pour eux, c’était seulement dans un trou de parole que le sens prenait toute son importance !
« Parfaitement exact ! » confirmaient les Béabotiens et les Béabarthiens qui adoraient ergoter sur une virgule, pinailler sur un tréma ou se prendre de bec pendant des heures pour savoir si un sous-connecteur contre-argumentatif pouvait se cacher derrière un connecteur reformulatif.
« Pas de toponymie défaillante, et encore moins de phonèmes fricatifs, alvéolaires ou psittacico-prépalataux », martelaient ces précieux pédants imbus de la scientificité de leur démarche.
Issus d’une souche lincuistrienne cultivée en serre depuis des générations, les Béabotiens et Béabarthiens n’arrêtaient pas de se faire la guerre pour des querelles de zeugmas, crosses de chiasmes, hypallages à double verbiage, hyperboles qui picolent et prétendue supériorité d'un oxymore sur une paronomase. Chez les uns, « la salope d’épitrope qui galope » était un monumental contresens aux rimes superfétatoires alors que pour les autres une synecdoque n’avait jamais voulu dire que le tout se prenait les parties !
- Béotien, va ! Le sens perdrait de sa pertinence s’il avait toujours du sens ! proclamaient les Béabarthiens.
- Faux ! répondaient les Béabotiens pour qui une concaténation était une caténaire conne et sans ambition !
- « Qui s’excuse s’accuse ! », ricanaient les Béabarthiens lorsqu’ils se voyaient traités de catachrèses ou d’hyperboles atrophiées.
Moins ils avaient à transmettre et plus ils décortiquaient le langage, utilisant un vrai verbiage de verbeux qui n'osaient pas dire leur nom : des songe-creux.
« Pays suivant ! », hurla le babouchier.
En Archangelicus, dans un louable esprit de tolérance, ils répètent sans cesse à leurs enfants que l'homme est naturellement bon et que l'amour du prochain représente l’unique finalité sur terre. Tous les jours, les enseignants apprennent donc à leurs élèves à tendre l'autre joue chaque fois qu'ils reçoivent une raclée.
Première leçon : « Il y a plus de plaisir à recevoir des coups qu'à en donner ! L'amour est un passe-partout qui ouvre la porte de tous les cœurs !»
Refusant de croire que le mal est inscrit en l'homme, les Archangelicusiens ont choisi de parier sur la bonté innée de l'homo sapiens, mais les gosses ne sont pas masochistes pour autant et se règlent leurs comptes en catimini. Souvent, ils arrivent même à l’école complètement éclopés et lorsque le maître leur demande de s'expliquer, ils louvoient :
- Les yeux pochés ? Mais non ! C’est à cause de la crèche, M'sieur ! J’essayais de la rafistoler au moment où le sapin est tombé...
- Rhésus, mon petit, tes abajoues tremblent ! Tu ne pourras pas mentir ainsi toute ta vie ! Va au coin et baisse ton pantalon !
- Non ! M'sieur, c’est trop la honte...
- Ne discute pas.
Depuis longtemps déjà, quand ils dérogent à leurs sacro-saints principes, les Archangelicusiens sont obligés d'offrir leurs callosités fessières à tout le clan en guise de punition !
Nul besoin au voyageur de s’offusquer, car il s'agit d'un réel progrès par rapport à leurs ancêtres qui devaient tendre l’arrière-train et se mettre à terre dans la position humiliante d'une femelle désireuse de s'accoupler. Fort heureusement aujourd'hui, après avoir réussi à s'inventer tout un lexique symbolique d'une extrême complexité, les Archangelicusiens n'ont plus recours à des moyens aussi dégradants et se contentent