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Citoyen de Ville Joie: Souvenirs d'un orphelin
Citoyen de Ville Joie: Souvenirs d'un orphelin
Citoyen de Ville Joie: Souvenirs d'un orphelin
Livre électronique175 pages2 heures

Citoyen de Ville Joie: Souvenirs d'un orphelin

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À propos de ce livre électronique

Citoyen de Ville Joie, Souvenirs d'un orphelin est le premier ouvrage de Steve Marchand et se veut le fruit d'une intense réflexion de l'auteur sur les quelques quatre années de son enfance pendant lesquelles il fut orphelin. Son histoire, écrite au temps présent et dans un français international, nous fait passer par toutes les émotions alors qu'il raconte la longue et difficile quête pour qu’on lui trouve une famille.
LangueFrançais
ÉditeurBookBaby
Date de sortie30 avr. 2014
ISBN9782981436702
Citoyen de Ville Joie: Souvenirs d'un orphelin

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    Aperçu du livre

    Citoyen de Ville Joie - Steve Marchand

    merci.

    «Est-ce que c’est toujours là?»

    La question est venue à la fin d’un long repas au cours duquel nous avions bu presque autant que nous avions mangé. Le vin qui avait coulé à flot ce soir-là pourrait facilement expliquer pourquoi j’ai dû m’arrêter pour y penser. La vérité est que peu importe que ce soit du vin ou de l’eau qui dilue le sang qui coule dans mes veines, jamais auparavant n’avais-je hésité à répondre à une question portant sur les jeunes années de ma vie.

    Pas même quand la question venait de moi.

    Je croyais le sujet m’être en fait si familier que cette hésitation a bien failli se transformer par la suite en une légère obsession plutôt que de devenir la réflexion intense qu’elle fut ultimement.

    Avant d’entendre cette question, quand je revisitais en pensées cette période trouble de mon enfance, les images scintillaient dans ma tête comme la bande-annonce d’un film tout juste derrière mes yeux, ce qui a fini par me faire croire que c’est là que doit se trouver l’esprit humain.

    La trame sonore accompagnant les images qui résumaient ces quelques quatre années était de Cat Stevens. Un réflexe qui trouve toute sa logique quand on connaît l’histoire entière.

    Les transitions entre les scènes, quant à elles, étaient faites de mots aux lettres blanches qui apparaissaient et disparaissaient doucement sur un fond noir: Peur, Douleur, Honte, Conflit. À la toute fin, je pouvais voir le mot Émotions prendre forme de l’autre côté d’un signe d’égalité, comme s’il devenait la somme de tous les autres mots.

    S’il ne devait y avoir qu’un seul mot pour résumer ces moments de ma vie, il faudrait absolument que ce soit celui-là.

    Des mots donc, qui sont simples, courts, durs. Dans les rares occasions où il m’arrivait de raconter certains extraits des évènements en question, ce sont ces mots qui réduisaient mon auditoire au silence lorsque je les récitais. Un silence qui durait jusqu’à ce que j’ajoute à mon histoire les émotions de l’époque. C’est là que les questions de ceux qui m’écoutaient semblaient fuser aussi naturellement que mes réponses, dans une danse au rythme que je croyais avoir parfaitement maîtrisé avec le temps.

    Nos émotions ne sont rien d’autre que notre réponse à ce qu’essaie de nous dire l’univers qui nous entoure; plus notre accord ou notre désaccord est grand avec ce que notre intérieur entend, plus l’émotion est grande. Et pour chacune de ces émotions, il y a un souvenir d’intensité égale. Ç’est comme ça que certaines images restent en nous si longtemps. Celles de notre premier amour par exemple.

    Dans mon cas, les émotions sont la raison pour laquelle je me rappelle ces années de mon enfance avec autant de détails, et elles expliquent pourquoi mes réponses avaient l’habitude de venir si facilement lorsqu’on me questionnait à leur sujet.

    À tout le moins, ç’était vrai jusqu’à ce que je sois plongé avec cette question dans un silence aux arômes de vin rouge.

    À ne pas s’y méprendre, le souvenir de mon premier amour est lui aussi toujours là, bien présent. Et pourquoi pas, Annie était aussi belle que les journées de l’été pendant lequel nous nous sommes fréquentés.

    Les images qui décrivent mon enfance peuvent surgir de nulle part et occuper mon esprit sur une période qui s’étire à leur gré, que je recherche ou non leur compagnie. Elles peuvent être déclenchées tout bonnement, par exemple par une scène de départ jouée par des acteurs à la télé ou dont je suis témoin dans la vie. Un simple mot entendu au loin ou même une fragrance subtile est tout ce dont mes sens ont besoin pour lancer le visionnement. Des moments de tous les jours aussi anodins qu’ils puissent être sont des opportunités incessantes de me rappeler que pendant un certain temps de ma jeunesse, ma propre vie ne m’appartenait pas.

    Difficile donc de me cacher pour éviter ces souvenirs ou d’en vouloir à ceux qui les éveillent. La Terre ne peut cesser de tourner simplement parce qu’elle risque de me gifler au passage.

    «Est-ce que c’est toujours là?»

    On me demandait si mon enfance était constamment là, dans ma tête et dans ma vie de tous les jours. On voulait savoir si je la voyais tout le temps. La raison de mon silence qui a suivi est que, jusqu’à ce qu’on me pose cette question, je n’avais pas remarqué à quel point mon passé était effectivement toujours là. Il était devenu une partie si organique de mon quotidien que je ne pouvais même plus noter sa présence.

    Il y a bien sûr des pensées pires que celles-ci pour occuper un esprit. J’accepte que ces images soient toujours là, sans égard à leur nature ou aux mots qui les décrivent, parce qu’elles me sont devenues chères avec le temps. Ces expériences ont sans aucun doute laissé des cicatrices physiques et émotionnelles, certaines plus profondes que d’autres, mais qui peut se vanter de ne pas en avoir? Une cicatrice n’est rien d’autre que le souvenir tangible d’un moment particulier de notre existence qu’on a vécu avec grande intensité, pour le meilleur ou pour le pire. On poursuit son chemin malgré la douleur, souvent grâce à la force que l’on ne trouve nulle part ailleurs que dans la fierté d’avoir su traverser le moment même de la blessure. Le cœur humain peut non seulement battre avec une constance mystérieuse, il peut aussi se débattre avec une énergie déconcertante.

    Mon histoire est singulière, certes, mais le but n’est pas de la comparer avec celle des autres en espérant que ce soit la mienne qui soit la pire, comme bien des gens aiment trop souvent le faire. Elle n’est que différente, avec ses scènes marquantes et ses acteurs aux âmes généreuses qu’on se sent béni d’avoir eu la chance de rencontrer.

    Elle a aussi ses vilains personnages. D’où mes cicatrices, je présume.

    Ce texte n’est aucunement un geste d’accusation, bien que j’avouerai volontiers que la colère a rendu difficile une courte période de ma vie. J’ai graduellement absorbé les évènements de mon enfance pour finalement les accepter pour ce qu’ils furent: la vie, simplement, telle qu’elle se déroule parfois pour certains d’entre nous. Telle qu’elle fut pour moi. Continuer de vivre dans la colère à cause de ceux qui ont rendu ces années difficiles aurait été comme tourner le dos à ceux qui, de leur côté, ont travaillé si fort pour essayer de me les rendre plus faciles.

    «Est-ce que c’est toujours là?»

    Dans la longue réflexion qui a suivi cette question, j’ai réalisé qu’au cours des années je n’avais raconté que certaines parties de mon histoire à des gens ici et là, mais jamais le récit au complet.

    Jamais, et à personne. Pas à ma famille, pas à mes amis les plus proches. Pas même à moi.

    J’ai été forcé de constater que depuis que ces faits se sont produits, seulement certains d’entre eux avaient été privilégiés par ma mémoire et avaient fait l’objet de débats internes ou de discussions à haute voix. Ce fut le premier pas vers la conclusion que si c’était pour être toujours là, dans ma tête, il valait peut-être mieux creuser un peu plus profondément pour essayer de trouver le reste des images et voir si je pouvais me rappeler toute l’histoire.

    Et puis, pendant que j’y étais, pourquoi ne pas en profiter pour tenter de mettre des phrases complètes sur ces images au lieu de simples mots isolés.

    Si je suis confiant quant à l’ordre des évènements, je ne fais pas de promesses concernant leur position dans le temps ou le décor dans lequel ils se sont déroulés. J’ai obtenu mes antécédents des Services Sociaux, donc la chronologie doit être assez près de la réalité mais, mon dossier est incomplet, ayant même été égaré pendant un bout de temps à l’époque. On dit que les écrits restent, encore faut-il que le papier sur lequel ils sont couchés soit préservé.

    Ce qui suit est presque entièrement basé sur mes souvenirs. Il est vrai que quelques-uns d’entre eux sont embrouillés, mais la plupart sont si clairs que je peux encore les goûter, les sentir et les ressentir. Pour ce cadeau, je me dois de lever mon chapeau à la force des émotions.

    «Est-ce que c’est toujours là?»

    Oui, c’est toujours là. C’est là qui scintille tout juste derrière mes yeux.

    L’après-midi où j’ai été séparé de ma famille. Mon premier matin à Ville Joie. Mon meilleur ami, Alain. Danielle et les familles qui m’ont ouvert grand leurs portes.

    Tout est là.

    Voyons si je peux trouver les mots.

    Ce qui suit est basé sur les souvenirs de l’auteur et représente le fruit de sa réflexion.

    *Des noms ont été changés, soit parce qu’ils ont été effacés par le temps, soit pour protéger l’identité de certaines personnes.

    Été 1975. C’est l’été qui suit mon sixième anniversaire de naissance. Je m’amuse avec des enfants du voisinage dans l’étroite ruelle derrière le bâtiment dans lequel j’habite avec ma mère, mes frères et ma sœur, et où nous louons un petit appartement au beau milieu du quartier de la ville où vivent les plus pauvres des pauvres.

    Rien qui sorte de l’ordinaire n’arrive jamais ici, ce qui fait que le temps s’écoule si lentement qu’il donne l’impression que chaque jour n’en finira plus de finir, surtout l’été. Les enfants ici n’ont jamais l’air de grandir et nos vieux restent vieux pour toujours.

    D’aussi loin que je puisse me souvenir, personne sur notre rue n'a jamais rien possédé de valeur et d'après ce que je peux voir dans les yeux de chacun des adultes, ils semblent tous avoir perdu l'espoir d'améliorer leur sort. La seule justice de la pauvreté est dans la parité de l’effet qu’elle a sur le regard de ceux qui vivent dedans. Puis, quand on passe ses journées entières là où il n'y a jamais rien à envier des autres, abandonner vient beaucoup plus facilement qu'on le croit. C'est peut-être mieux ainsi. La pauvreté comme celle d'où je viens fait rarement bon ménage avec les rêves dans le cœur humain.

    Il n’y a donc presque rien à partager. À vrai dire, la seule chose que les adultes acceptent de partager est un balcon mais, c’est seulement parce qu'ils y sont contraints en raison de la façon dont la bâtisse a été construite. Les locataires ont malgré tout trouvé une façon de garder une certaine distance entre eux en délimitant leur portion de balcon avec des caisses de bouteilles de bière vides. Beaucoup de caisses de bouteilles de bière vides.

    Quant à nous, les jeunes, nous ignorons tout de notre pauvreté puisque nous n'avons pas le droit de dépasser les limites de la ruelle, sauf quand nos mères nous envoient au magasin du coin. Et ceux, parmi nous, qui ont la chance d’avoir un téléviseur ne sont pas très enclins à en faire bénéficier les autres. Nous n'avons donc aucune idée de ce à quoi ressemble le reste du monde. Une vraie bénédiction qui explique, par exemple, pourquoi nous ne voyons rien d'étrange au fait que les fenêtres de la plupart des logements soient couvertes de pages de journaux au lieu de rideaux; nous ne savons pas ce que sont des rideaux et nous ne savons pas que nous sommes trop pauvres pour en avoir. Pour nous, si c'est comme ça ici, ç’est comme ça partout. Quand le papier a jauni après avoir trempé trop longtemps dans un mélange d'humidité et de nicotine, on achète tout simplement un autre journal.

    Dehors, des cordes à linge à la douzaine, tirées à perpétuité vers le bas par le poids des brassées de lessive quotidiennes, relient les bâtisses grises de notre côté de la ruelle à leurs jumelles qui nous font face. J’aimerais pouvoir dire que les vêtements fraîchement lavés font contraste avec la teinte démoralisante du voisinage, mais une énorme brassière beige et un t-shirt autrefois blanc qui s’égouttent côte à côte au-dessus de la ruelle font bien peu pour ajouter de la couleur au reste du tableau.

    Toutefois, pour l’œil facile à amuser d’un enfant, cette multitude de cordes prend des airs de toile d’araignée géante. Nous passons parfois des après-midis entiers couchés sur le dos au milieu de la ruelle avec nos doigts pointés vers le ciel, à essayer de deviner quelle corde est connectée à quelle adresse.

    Les maris sans emploi se bercent sur leur portion de balcon et sirotent bière après bière pendant que leurs femmes restent à l’intérieur pour rouler suffisamment de cigarettes afin que tout le monde ait de quoi fumer jusqu’au coucher. Elles s’assurent aussi que les repas soient prêts à temps, ce qui est sans doute la tâche la plus facile de leur journée parce qu’ici, personne ne commande à la carte. Une canne de ragoût ou une canne de fèves au lard, c’est le menu du jour, tous les jours.

    Mais pas pour notre famille. Chez nous, c’est du beurre d’arachide, supposément bon soit pour le déjeuner, soit pour le dîner ou soit pour le souper. Ce qui fait que je mange du beurre d’arachide au déjeuner, au diner et au souper.

    Voilà donc, hommes et femmes qui passent leurs journées entières à seulement quelques pas les uns des autres pour n’échanger que lorsqu’ils s’engueulent et pour ne bien s’entendre que lorsque vient le temps d’engueuler en chœur leurs enfants.

    Elles sont là mes racines.

    Par chance, je suis si jeune et le sol lui-même est si pauvre qu’elles n’ont pas pu s’y ancrer bien solidement.

    Avec un tel voisinage, il est facile d’imaginer notre surprise quand une grosse voiture dispendieuse et d’un blanc éclatant tourne sur notre ruelle pour se diriger vers nous. Figés sur place avec nos bouches ouvertes, nous regardons le mastodonte s’avancer lentement. Lorsqu’il

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