Les Conspirations de Deus Ex: Cyberanatomie d'un jeu culte
Par Anaer
()
À propos de ce livre électronique
Ce dicton souligne l’engouement que suscite encore aujourd’hui le volet originel de Deus Ex, un jeu vidéo pourtant vieux de vingt-cinq ans. Comment définir, de nos jours, l’expérience proposée par cette oeuvre ? Il s’agit à la fois d’un jeu pour ordinateur sorti en l’an 2000, d’un FPS-RPG hybride en 3D, d’un thriller politique parano-cyberpunk, du nec plus ultra de l’immersive sim, etc.
L’auteur André Aerden, en s’appuyant sur une rigoureuse bibliographie ainsi que sur des entretiens exclusifs qu’il a pu mener avec les concepteurs du jeu, offre ici un décryptage riche du premier Deus Ex, des coulisses de son développement jusqu’aux nombreuses thématiques de l’oeuvre, qui trouvent de fortes résonances aujourd’hui : intelligence artificielle, transhumanisme, théories du complot, et plus encore.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné de jeux vidéo depuis trente ans, Anaer se terre dans un cabinet de curiosités bruxellois qui lui sert aussi de chambre à coucher par la même occasion. Il a écrit plusieurs dossiers détaillés pour Gamekult, notamment sur la musique techno dans le jeu vidéo, ou encore sur l'œuvre de game designers d'avant-garde comme Osamu Satô et Haruhiko Shôno. Friand de constructivisme russe et de cinéma de nouvelle vague, intrigué par les rebuts de l'histoire, il écume régulièrement les brocantes à la recherche de vieilleries artistiques, comme d'obscurs vinyles de new wave ou de psych pop pour alimenter sa chaîne BROL Muzik sur YouTube.
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Aperçu du livre
Les Conspirations de Deus Ex - Anaer
Les Conspirations de Deus Ex
Cyberanatomie d’un jeu culte
de Anaer
est édité par Third Éditions
10 rue des Arts, 31000 TOULOUSE
contact@thirdeditions.com
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Le logo Third Éditions est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.
Logo Third éditionsDirecteurs éditoriaux : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi
Édition : Damien Mecheri
Assistants d’édition : Ken Bruno et Ludovic Castro
Textes : Anaer
Préparation de copie : Pierre Van Hoeserlande
Relecture sur épreuves : Charles Vitse
Mise en pages : Bruno Provezza
Couverture classique : Eddie Mendoza
Couverture « First Print » : France Mansiaux
Montage de couvertures : Marion Millier
Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions au jeu vidéo Deus Ex.
L’auteur se propose de retracer un pan de l’histoire du jeu vidéo Deus Ex dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu du jeu vidéo à travers des réflexions et des analyses originales.
Deus Ex est une marque déposée de Eidos Interactive.
Tous droits réservés.
Le visuel de la couverture est inspiré du jeu vidéo Deus Ex.
Édition française, copyright 2025, Third Éditions.
Tous droits réservés.
ISBN numérique : 978-2-37784-533-0
ANAER
TitreLogo Third ÉditionsSOMMAIRE
PRÉFACE
INTRODUCTION
00::IDEA
01::OPERA
02::HISTORIA
03::FABULA
04::MACHINA
05::DOCTRINA
FF::FATALIA
CONCLUSION
POSTFACE
CHRONOLOGIE
BIBLIOGRAPHIE
REMERCIEMENTS
PRÉFACE
par Warren Spector, réalisateur de Deus Ex
JAI COMMENCÉ À RÉFLÉCHIR À UN JEU qui s’appelait Shooter , parfois aussi Troubleshooter , en 1994. Je travaillais chez Origin à l’époque, quand on appartenait à Electronic Arts. Deux choses en particulier m’ont inspiré. D’abord, j’en avais plus qu’assez de la fantasy et de la science-fiction. L’idée de faire un autre jeu où le héros ressemblait à un Mighty Thor en cotte de mailles ou à un fantassin de l’espace en armure plastoc m’était devenue insupportable. Ce que je voulais faire, c’est ce que je m’imaginais être le « jeu de rôle du réel ».
Ensuite, je voulais prolonger la tradition des jeux axés joueur à laquelle j’avais participé avec des titres comme Ultima, Underworld et System Shock. On appelait ces jeux des « simulations immersives », et je ne comprenais pas pourquoi on était les seuls à concevoir des jeux comme ça. Je m’en fichais. J’allais faire des titres comme ceux-là. Et Shooter serait mon prochain.
Le seul problème, c’est qu’Electronic Arts n’était pas intéressé par un jeu qui tournait autour d’un ex-agent de la CIA et des missions qu’il menait pour le compte d’agences du gouvernement qui ne pouvaient risquer de s’y mouiller.
Alors, l’idée est partie dans un tiroir virtuel quelque temps.
Ce « quelque temps » est arrivé à sa fin quand j’ai quitté Looking Glass, qui avait été l’étape d’après dans ma carrière. J’étais en pourparlers avec Westwood, un studio d’Electronic Arts, ironiquement, pour travailler sur un jeu de rôle Command & Conquer. Et je me suis dit que je pourrais dépoussiérer le descriptif de Shooter, en changer le scénario, et enfin faire ce jeu que j’avais voulu faire quelques années auparavant. Cette fois, EA a mordu et j’étais sur le point de signer un contrat quand est arrivé John Romero… Mais tout ça, vous pourrez le lire dans les pages qui suivent.
Avance rapide jusqu’à ce que je signe chez Ion Storm. Deux choses clefs sont arrivées : j’ai recruté le programmeur Chris Norden pour diriger l’équipe technique et Harvey Smith pour gérer les concepteurs. Si je dois à John Romero une dette qu’il m’est impossible d’honorer, et il n’y a pas de doute là-dessus, je dois aussi une telle dette à Chris et à Harvey. Sans eux, il n’y aurait pas eu Deus Ex. Alors, Chris, Harvey, si vous lisez cela : merci !
Avance rapide maintenant jusqu’à trois ans après. Deus Ex est sur le point de sortir. Et je suis en panique. On avait fait un jeu où il était possible de se battre, de se faufiler, de discuter… de résoudre les problèmes comme on l’entendait… de décider laquelle de trois idéologies déterminerait le destin de l’humanité. Mais je savais que les affrontements n’y étaient pas aussi bons que dans de vrais jeux de tir. Je savais que la furtivité n’était pas à la hauteur de vrais titres d’infiltration. Et nos mécaniques rôlistes n’étaient pas aussi robustes que celles des vrais RPG. Si les gens nous comparaient à ces vrais jeux, on était morts, mais s’ils pigeaient qu’on était à 75 % aussi bons et qu’ils pouvaient jouer comme ils le voulaient, on allait dominer le monde. Je ne savais pas ce que ça allait donner.
Ce n’est pas à moi de dire ce que ça a donné, mais la fierté m’envahit à l’idée que, plus de vingt ans après sa sortie, les gens continuent à parler de Deus Ex et à y jouer. Je suis fier que tant de jeunes concepteurs m’aient raconté qu’ils se sont lancés dans le jeu vidéo ou qu’ils ont fondé leur studio après avoir découvert Deus Ex, et, sans donner de noms, que même des vétérans aient changé leur manière de concevoir les choses après avoir joué au jeu. Je suis fier que les joueurs réfléchissent à comment ils ont résolu la myriade de défis que propose le titre ; que personne ne parle de boss ou d’énigme, mais de toutes ces manières, variées et parfois imprévues, avec lesquelles ils les ont surmontés. Je suis fier qu’on ait imaginé une aventure où les joueurs étaient en mesure de se surprendre eux-mêmes et, mieux, de nous surprendre nous par leur ingéniosité. Je suis surtout fier qu’ils débattent encore de quel destin était selon eux la meilleure chose pour l’humanité. (Non, ne me demandez pas, je ne vous dirai pas lequel j’ai choisi…)
Au bout du compte, j’esquisse toujours un sourire quand je me rends compte qu’on est parvenus à faire réfléchir les gens à de vraies questions à travers leur manière de jouer. Les jeux peuvent être fun, ils devraient l’être, mais ils peuvent être plus, bien plus encore. Si Deus Ex a aidé à prouver que cela était vrai, alors c’est que Jake Shooter a mené à bien la plus importante de toutes ses missions.
INTRODUCTION
« D ÈS QUE QUELQU’UN EN REPARLE , quelqu’un d’autre le réinstalle. »
Voilà l’engouement que suscite toujours aujourd’hui Deus Ex, un jeu vidéo pourtant vieux de vingt-cinq ans. Si l’on en croit ce dicton, le désir de se replonger encore et encore dans l’aventure n’y est pas pour rien. Deus Ex, qu’est-ce que c’est ? Un jeu pour ordinateur sorti en l’an 2000. Un FPS-RPG hybride en 3D. Un thriller politique parano-cyberpunk. Le nec plus ultra de l’immersive sim. Le joueur y incarne JC Denton, un supersoldat aux ordres d’une coalition antiterroriste de l’ONU qui se retrouve entraîné dans les méandres d’un complot mondial où se croisent Illuminés de Bavière et hommes en noir. Mais encore ? Deus Ex, c’est la culmination d’expérimentations vidéoludiques menées tout au long des années 1990 par des passionnés qui s’étaient donné pour devoir de repousser les limites du médium. C’est aussi une remarquable capsule temporelle témoignant de cette décennie liminale séparant 1991 de 2001, mais son propos ne manque pas pour autant d’une impressionnante prescience – parfois à notre grand dam.
Aujourd’hui, Deus Ex, c’est aussi une franchise. Le jeu a eu droit à une première suite en 2003, puis à un reboot en 2011, qui lui-même a été suivi d’un nouvel épisode en 2016. Il existe même désormais des spin off et des adaptations en roman et en comics. Ce livre ne s’intéressera cependant pour l’essentiel qu’au Deus Ex d’origine, le tout premier. Pourquoi ? Conçus une décennie plus tard par des développeurs différents, les reboots sont de très bons jeux, qui méritent d’être appréciés à leur propre titre, mais ils n’ont pas la richesse visionnaire de l’original. Je suis convaincu que celui-ci se suffit à lui-même en tant qu’objet d’analyse, et que son originalité comme sa profondeur justifient qu’il reste l’exclusif sujet de notre attention.
Par souci de cohérence, la rétrocontinuité établie par le reboot n’est donc pas prise en compte, et ne sera considéré comme canon que ce qui a été élaboré pour le jeu d’origine. Il s’agit essentiellement bien sûr de ce que l’on peut voir, lire, ou entendre dans le jeu en lui-même, mais aussi dans une certaine mesure de sources officielles annexes, comme les guides. Cela inclut les anecdotes exclusives à la bible scénaristique, document interne qui a servi de ligne directrice lors du développement, rendu public sous une version annotée deux ans plus tard, et que les créateurs eux-mêmes préconisent d’intégrer avec souplesse au canon. L’intrigue s’ancrant dans le « monde réel », s’y mêlent de surcroît, sous une forme plus ou moins fantasmée, des éléments issus de notre réalité : lieux, organisations, événements, idéologies… Ce qui peut en être déduit servira donc aussi de matière historique. Par ailleurs, la localisation francophone officielle me paraissant imparfaite, je me suis permis de fournir mes propres traductions pour les dialogues cités ; leur exactitude relève de ma seule responsabilité.
Je me suis efforcé de rester fidèle non seulement au fond, mais aussi à la forme de Deus Ex. Un peu de la même manière que celui-ci s’était donné pour objectif de décloisonner les genres, ce livre adopte une approche transdisciplinaire puisant à la fois dans les lettres et dans les sciences. Le jeu fourmillant de références au passé et au futur, à la culture populaire et à la littérature savante, à des auteurs précis et à des œuvres réelles ou pas, l’abondante bibliographie devrait satisfaire les curieux qui souhaiteraient creuser certains sujets davantage. J’ai aussi cherché, tout en restituant de manière factuelle le contexte précis de la création de Deus Ex, à inscrire les thématiques qu’il traite dans une perspective critique sur l’actualité, qui sera forcément empreinte de ma propre subjectivité. Ces partis pris, je l’espère, permettront à l’ouvrage de rester aussi ouvert que le demeure aujourd’hui le jeu vidéo qui l’a inspiré.
« Si je n’espère qu’une chose, c’est qu’on n’oublie jamais que tout a commencé grâce à une souris. »
Walt Disney, maître légendaire du dessin animé
« Le fun
est un bon point de départ, mais notre tâche de concepteur exige que nous allions plus loin. »
Doug Church, maître secret du jeu vidéo
UN JOUR À NEW YORK
Il ne supporte pas qu’on l’appelle « M. Spector », alors ça sera Warren.
Warren est né le 2 octobre 1955, à Manhattan. Fuyant l’Estonie soviétique, ses aïeux étaient comme beaucoup d’autres réfugiés d’Europe de l’Est venus s’installer sur la côte est des États-Unis. C’est donc grâce aux vicissitudes de l’histoire qu’il a eu la chance de croquer dès son plus âge dans la Grosse Pomme. Il évolue dans un environnement pas toujours facile pour un « petit gros juif¹, comme il aime à se décrire lui-même… mais ça ne l’a pas empêché de garder de très beaux souvenirs de sa jeunesse new-yorkaise. « Grâce au ciel, j’ai grandi à New York ! Comme Paris, c’est une ville pour fanatiques, et j’étais un fou². » Il est d’ailleurs resté un supporter inconditionnel des Knicks, l’équipe de basket qui représente sa ville natale à la NBA.
Sa maman est prof, et elle l’a emmené découvrir tout Manhattan, celui des galeries du MoMA et des music-halls de Broadway. Son père, lui, est dentiste… et la dentisterie, c’est le plan de carrière que les Spector envisageaient pour leur fiston. « Ils voulaient que je sois orthodontiste, et que je fasse mes films le week-end », se souvient Warren. « C’était ça, le grand projet de vie qu’ils me réservaient³. » Warren se découvre en effet très tôt une passion pour le cinéma, suffisamment intense pour que le plombage des caries soit aussitôt rayé de la liste. À l’en croire, elle est née quand il n’avait que 2 ans, assis devant la télé, où passait Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney… ou peut-être était-ce Le Septième Voyage de Sinbad, le film d’aventure en Technicolor, celui avec les monstres en stop-motion de Harryhausen ? Certes, Warren multiplie les centres d’intérêt en grandissant ; il envisage de devenir paléontologue, avocat même. Il adore aussi les guitares et les bagnoles ; aujourd’hui, il en a une vingtaine chez lui – des guitares, pas des bagnoles. Il n’y a pas si longtemps encore, il lui arrivait de jouer dans un petit groupe de blues rock, les Two-Headed Baby. Cette curiosité qui brasse large, il la doit notamment à environnement stimulant, qu’il me décrit avec une certaine nostalgie : « J’ai fait de chouettes écoles, et sans doute mieux encore, j’y ai appris à aimer le débat (respectueux), et que ne pas être d’accord pouvait être une bonne chose. J’ai porté ça avec moi toute ma vie. » Dès ses 13 ans, cependant, il sait déjà avec certitude que ce qui le passionne vraiment, c’est bien le cinéma : « Quand je suis entré au lycée, je suis devenu le plus gros cinéphile de la planète, du genre sept jours sur sept », assure-t-il. « J’allais vraiment au cinéma au moins une fois par jour, sans blague⁴. » Le personnel ne prenait même plus la peine de vérifier sa carte de membre ; il faisait partie du décor. Il est particulièrement fan de dessins animés, ceux de Walt Disney comme ceux de Chuck Jones, à une époque où ce pan du septième art n’est pas encore vraiment pris au sérieux en tant que mode d’expression artistique. Warren s’essaye même au court-métrage avec sa petite caméra Super 8… mais ça marche moyen. Pas grave, il sait quoi faire : à défaut de réaliser ses propres films, il va étudier en long et en large ceux de ses auteurs préférés, comme les comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood. Warren part d’abord s’installer à Chicago pour intégrer la prestigieuse université Northwestern en 1973. Il en sort diplômé d’une licence en théorie du cinéma quatre ans plus tard. Il ne compte cependant pas en rester là. Alors, en 1978, il déménage à Austin, au Texas, à 3 000 bornes de sa ville natale. Pourquoi si loin ? D’abord parce qu’il en avait marre du froid, mais surtout… pour suivre sa copine de l’époque. « Très mauvaise raison », me concède-t-il, « mais je suis heureux de l’avoir fait. » C’est effectivement là-bas qu’il va brillamment poursuivre ses études de cinéma, sur le campus local de l’université du Texas. Le mémoire qu’il écrit pour conclure sa maîtrise ? « Les cartoons de la Warner Brothers : une histoire critique ». Évidemment. Un effort de recherche hors norme, et même pionnier en la matière : il s’agit de l’un des tout premiers travaux proposant un catalogue exhaustif des dessins animés produits par la célèbre compagnie, où l’on découvre bien d’autres personnages encore que Bugs Bunny ou Titi et Grosminet. Warren envisage même d’en faire un livre, mais il est pris de court par Jerry Beck, depuis devenu éminent historien du cinéma d’animation américain. Qui sait, à quelques jours près, peut-être le parcours de Warren aurait-il été très différent… Qu’à cela ne tienne, il continue sur sa lancée et décide d’entamer un doctorat. C’est un cheminement très exigeant, qui lui permettrait à terme d’intégrer le monde académique et de diriger des recherches. Il est parfaitement capable de s’en sortir ; il a la passion, et il a la niaque… mais c’était sans compter sur l’influence qu’aurait un drôle de livret sur la trajectoire que prendraient ses études.
Warren est cinéphile, mais il est aussi mordu de jeux de plateau. « J’ai commencé avec des jeux qui avaient des petites pièces carrées en carton et dont chaque partie prenait dix heures⁵, se souvient-il – du genre des wargames commercialisés par Avalon Hill, comme Starship Troopers, son tout premier. Son jeu de société préféré ? Acquire, une simulation de spéculation immobilière, sorte de mélange entre Monopoly et Risk, un peu compliquée, mais très captivante une fois qu’on a pris le pli des fusions-acquisitions de chaînes hôtelières. Il faut cependant attendre 1978, juste après l’obtention de son premier diplôme, pour que ce passe-temps se mue en vocation. Là, il fait la découverte la plus importante de sa carrière – peut-être de sa vie.
Quatre ans auparavant, alors que Warren commençait ses études, deux apprentis concepteurs de jeux sur table avaient eu l’idée de rédiger un livret d’instructions mélangeant les principes stratégiques du wargame et les codes narratifs de la fantasy. Rassemblés sous l’égide d’un game master le fascicule en main, les joueurs n’avaient plus besoin que d’un plateau, de pièces et de dés pour imaginer leurs propres aventures fantastiques. Ces créateurs, Gary Gygax et Dave Arneson, lui trouvèrent un titre prosaïque : il s’agit ni plus ni moins de Donjons & Dragons. En l’espace de quelques années, ils ont fait du « jeu de rôle » un véritable phénomène social d’envergure plus que nationale. « J’ai acheté la version en boîte blanche – celle où les joueurs devaient inventer une bonne moitié des règles, concept de génie s’il en est⁶, se rappelle Warren, qui en fut un des précoces adeptes… et rapidement un accro. C’est la révélation. Pourquoi raconter des histoires aux gens, se dit-il, quand on peut, par l’entremise du jeu, raconter des histoires avec eux ? Avec ça, plus qu’une passion, il se trouve une mission. « C’est un peu pathétique », glisse-t-il, « mais toute ma carrière n’a été qu’une tentative de reproduire cette sensation que j’ai eue en 1978, lorsque j’ai pour la première fois joué à Donjons & Dragons⁷. » La première fois, mais certainement pas la dernière : cette partie originelle n’est que la modeste amorce d’une campagne quasi hebdomadaire qui durera une décennie. Elle verra Warren et les autres voyous du « gang des rats » gravir un à un les échelons des bas-fonds de la cité de Shang, une mégapole côtière aux relents d’égouts. Une épopée très personnelle dont il garde jalousement les détails : « Si je vous raconte comment ça s’est fini, je vais me mettre à pleurer, alors je vous laisse faire appel à votre imagination⁸. »
Cette nouvelle mission approche de l’obsession, mais elle n’empêche pas Warren de rester un étudiant assidu. Bien d’autres s’y sont fait prendre ! En tant que doctorant, il est même déjà un peu prof : donner des cours fait partie de sa formation. C’est aussi, il se trouve, si l’on exclut un bref job aux archives de la bibliothèque universitaire, sa seule source de revenus… Alors, quand il apprend qu’il est sur le point de perdre son poste pour faire de la place aux autres doctorants qui se bousculent dans la file, c’est un peu la panique. Il n’avait pas du tout prévu qu’il pourrait se retrouver sur le carreau et, à ce stade, il ne peut qu’espérer un miracle. « J’étais assis là, à me demander comment je payerais le loyer du mois prochain », se souvient Warren, « quand j’ai reçu un coup de fil de Christopher Frink⁹. » Chris, un pote avec lequel il a bossé au Daily Texan, le journal étudiant de l’université, est le miracle qu’il attendait. Il a justement une offre à lui proposer, un modeste poste d’éditeur adjoint au Space Gamer, un magazine consacré au jeu de plateau tourné vers la science-fiction. Ce n’est pas forcément très bien payé, mais Warren est à la fois soulagé et emballé. Non seulement il ne va pas finir à la rue, mais, en plus, il va pouvoir gagner sa vie en bossant sur des jeux ! Il saute à pieds joints sur l’occasion les yeux fermés… mais du coup, quid du doctorat ? Eh bien… tant pis. Il y est presque ; il n’y a plus qu’une dissertation à faire. Toutefois, sa décision est prise. « Ma mère en pleure encore¹⁰ », paraît-il. C’est comme ça : il a préféré le titre d’éditeur de magazine à celui de docteur ès lettres. Et c’est ainsi que Warren fait, en septembre 1983, son premier pas dans sa longue épopée ludique…
DONJONS & ILLUSIONS
Space Gamer, c’est aussi et surtout l’une des vitrines de Steve Jackson Games. Fondée trois ans auparavant par un autre mordu ayant eu l’idée folle de laisser tomber ses études pour aller concevoir des jeux, la petite entreprise s’était rapidement fait connaître grâce à ce qui reste aujourd’hui l’un de ses produits phares : Illuminati, un jeu de cartes machiavélique et déjanté qui pousse les joueurs à se trahir par sociétés secrètes interposées dans leur quête de domination du monde. On aura l’occasion d’en reparler… Cette première expérience est formatrice pour Warren, et il garde d’ailleurs un immense respect pour Steve Jackson : « C’est Steve qui a été mon premier mentor », affirme-t-il. « De gamer, il a fait de moi un game designer¹¹. » De toute évidence, Warren est bon élève, et il apprend vite. À peine quatre mois après avoir débarqué, il est déjà promu rédacteur en chef – un rôle avec plus de responsabilités, mais dont il ne se contente pourtant pas. La couverture du troisième numéro de l’autre magazine de la boîte, Fantasy Gamer, paru en janvier 1984, annonce La Chose dans les ténèbres, un module pour le jeu de rôle lovecraftien L’Appel de Cthulhu. Il a été développé par un trio dont Warren faisait partie. C’est son premier jeu.
Son collègue Greg Costikyan, de son côté, avait imaginé un jeu de rôle totalement original s’inspirant de l’univers des dessins animés… mais celui-ci en était resté à l’état de simple concept. Quand Warren tombe dessus, c’est naturellement le coup de foudre, et il insiste pour le sortir du placard. Mieux encore, il obtient le feu vert pour se charger personnellement d’en faire un produit fini, avec le précieux soutien de son collègue Allen Varney. S’inspirant des Tex Avery, il met l’accent sur l’imprévisibilité des sessions : les instructions encouragent même les joueurs à contourner les règles pour déconcerter le game master – pardon, ici, on dit « l’animateur ». L’idée, c’est de pousser les joueurs à prendre l’animateur de court par la seule force de leur imagination, un peu comme quand Wile E. Coyote se ramasse un trompe-l’œil en pleine figure… TOON, c’est son titre, est commercialisé à la fin de l’année après avoir épaté la galerie en festival. Un franc succès, intemporel même, puisque, quarante ans plus tard, il sera toujours possible de trouver le jeu sur les étagères des magasins de jeux de société. Ce n’est pourtant que la cerise sur le gâteau de cette belle année 1984… Un peu plus tôt, alors qu’il farfouillait dans les rayons d’un marchand de bédés, Warren croise le regard d’une employée du magasin, Caroline, elle aussi une créative, puisqu’elle collaborera plus tard en tant qu’écrivaine avec George R. R. Martin (Le Trône de fer). « Oui ! C’est elle ! » se dit-il tout bas. Ils se marieront trois ans plus tard.
Warren et Allen coopèrent à nouveau en 1985 dans le cadre d’une extension de Paranoia, un jeu de rôle de science-fiction satirique conçu entre autres par Greg pour le compte de West End Games. Les joueurs y incarnent des « troubleshooters » – gardons le mot en tête –, des agents de la police secrète au service d’une capricieuse intelligence artificielle au contrôle de la cité Alpha. Ajoutez-y un système de loyauté volontairement pervers et l’influence de quelques sociétés secrètes, et voilà les participants prêts pour une sacrée partie de double jeu. Dans l’épisode imaginé par Warren, Envoyez les clones, il est question de plonger dans les égouts pour y pourchasser des subversifs parrainés par une célébrissime chanteuse de pop. De toute évidence, Warren s’amuse bien là où il est… mais il est sur le point de recevoir une offre qu’il ne pourra pas refuser. Ses talents ne sont pas passés inaperçus et, début 1987, il est contacté par une plus grosse boîte qui voudrait de ses services. Elle est basée au Wisconsin, il faudra donc partir s’installer de l’autre côté du pays. Néanmoins, le salaire est alléchant, et, surtout, l’entreprise en question, c’est TSR… Tactical Studies Rules, les créateurs de Donjons & Dragons ! Pour celui dont la vie fut et continue d’être définie par D&D, c’est naturellement une consécration. Pourtant, ce sera aussi, paradoxalement, l’occasion d’une cruelle prise de conscience.
Non pas que Warren ait perdu sa passion pour les jeux, loin de là. Il participe avec enthousiasme à de nombreux projets : il contribue à l’extension du jeu de rôle d’espionnage Top Secret, il conçoit un jeu de rôle loufoque basé sur le dessin animé Rocky and Bullwinkle Show avec le futur créateur de Planescape. Il écrit même des livres de jeu Marvel Super Heroes, un sur la Chose des Quatre Fantastiques, et un autre sur les X-Men avec Caroline. Il officie aussi comme éditeur sur la deuxième version du manuel des Règles avancées officielles de Donjons & Dragons. Justement, au sujet de D&D : chez TSR, il fait la rencontre de gens brillants, qui adorent leur métier, mais qui sont selon lui entravés par un certain conservatisme managérial. C’est que l’entreprise tient beaucoup à son image de marque, et, quand on en est créateur, on ne joue pas comme on veut avec la légende. « Les concepteurs là-bas étaient d’un talent prodigieux et, pour être franc, d’une ambition à laquelle les costards-cravates n’étaient pas disposés à laisser libre cours¹². » À peine deux ans après son arrivée, Warren commence à étouffer sous cette contrainte… et à se demander si passer son temps à hésiter entre un dé à dix ou un autre à douze faces pour telle ou telle règle est vraiment ce qu’il souhaite faire de sa vie. Ce qu’il veut créer, c’est du role-playing, pas du roll-playing ! « Ce qui comptait quand on jouait à D&D, ce n’étaient pas les jets de dés, les statistiques et les classes », martèle-t-il. « Ça, c’étaient les meilleurs outils que Gygax et Arneson avaient pour simuler un monde fantastique, un monde crédible. Et je trouvais qu’on pouvait aller plus loin¹³. » En effet, à ce stade, il existe désormais un nouvel outil formidable pour simuler cette expérience avec une complexité accrue : un ordinateur.
Warren n’a pas vraiment connu les jeux vidéo dans son enfance. Cette industrie n’existait tout simplement pas encore. Il y avait les bornes PONG, oui, mais pas grand-chose d’autre. Il faut attendre la sortie des machines Atari et le tout début des années 1980 pour que survienne un premier coup de cœur. « Le titre avec lequel j’ai compris que le jeu vidéo était beaucoup plus qu’un passe-temps, c’est Star Raiders. » Warren ne manque pas d’admiration pour cette simulation de combat spatial conçue par l’ingénieur Doug Neubauer, bluffante pour son époque. « Ce jeu a changé ma vie. Un ami m’avait invité et, lorsqu’il m’a ouvert sa porte, j’ai vu la vingtaine de personnes qui constituaient notre groupe de joueurs de Donjons & Dragons agglutinées devant le poste de télévision. Il y avait là une amie qui jouait… » Et là, c’est le déclic : « En l’observant, j’ai compris qu’elle ne jouait pas : elle pilotait le vaisseau spatial, elle sauvait l’univers¹⁴. » C’est donc âgé de 25 ans que Warren se découvre aussi une passion pour les jeux vidéo. Il garde également de très bons souvenirs de The Prisoner, un jeu d’aventure expérimental inspiré de la série de psycho-espionnage du même nom qui passait à la télé dans les années 1960. Conçu en 1980 par David Mullich, que l’on connaît surtout aujourd’hui pour son travail sur les Heroes of Might and Magic, c’est l’un des premiers titres à faire usage du « méta » dans son intrigue et ses mécaniques : « On était convaincus que le jeu faisait vibrer le clavier sous nos doigts, même si ce n’était pas vrai du tout¹⁵, se souvient encore Warren.
Le titre qui a vraiment tout changé ? Ultima IV : Quest of the Avatar, sorti en 1985 sur Apple II. Là, pour Warren, il y a très nettement un avant et un après. « C’est Ultima IV qui m’a convaincu que les jeux vidéo pouvaient être plus que des monstres à tuer et des princesses à sauver¹⁶, se réjouit-il. Il est d’ailleurs loin d’être le seul à avoir vécu ce jeu comme une révolution ; l’œuvre constitue un véritable marqueur générationnel. Formidable tournant historique, ce quatrième épisode de la série culte, celle qui a plus que toute autre posé les bases du RPG tel qu’on se le conçoit aujourd’hui, est plus qu’un jeu de rôle : c’est une véritable quête initiatique. Avec un système de huit vertus pour socle, les différentes actions n’y sont plus de simples calculs risque-récompense, elles entraînent aussi des conséquences sur le plan moral. Les choix que les joueurs décident de faire façonnent leur avatar et disent quelque chose d’eux. Pour Warren, aucun doute, c’est là que se trouve l’avenir du jeu de rôle, pas dans les livrets.
Dans le cadre de son boulot chez TSR, et aussi parce qu’il adore ça de toute façon, Warren se retrouve souvent dans des conventions pour fans de fantasy et de science-fiction. Au Texas, le gros événement en la matière, c’est ArmadilloCon. Un jour, en 1988, alors qu’il y est invité en tant que panéliste pour faire sans profonde conviction la promotion de l’actualité D&D, il se retrouve à côté d’un excentrique chevalier qui, lui, parle de son nouveau jeu vidéo. Cet homme, c’est Richard Garriott, alias Lord British, le créateur des Ultima ! Warren boit ses paroles, et, rapidement, les deux barbus sympathisent autour de la conception commune qu’ils se font du jeu de rôle. « Richard avait pigé. Il voyait dans les jeux tout ce que je voulais qu’ils soient¹⁷. » Des atomes crochus… et une rencontre fatidique. Quelques mois plus tard, alors que Warren boulotte chez TSR, le téléphone sonne. Warren décroche. C’est Denis Loubet, un ancien employé de Steve Jackson Games. Maintenant, il dessine les couvertures des Ultima chez Origin Systems, la boîte de Richard. Il lui propose sans détour de venir travailler avec eux, le studio étant en pleine expansion depuis sa fondation en 1983. Oui, ils l’ont appelé directement au bureau. Warren a sans doute été un peu gêné sur le moment, mais ça ne l’a pas empêché de prendre sa décision sur-le-champ. Il n’aura finalement fallu à Warren que deux ans pour revenir à Austin… et y rester pour de bon, cette fois-ci. Aujourd’hui, il est formel, il n’en sortira plus : « Il faudrait une explosion pour me déloger d’Austin. Celle d’une bombe atomique, je crois¹⁸. »
REFAIRE LES MONDES
C’est en qualité de producteur que Warren débarque chez Origin, en avril 1989. Il est leur vingt-sixième employé ; d’ici quelques années, la boîte en comptera plus de trois cents.
Qu’est-ce qu’un producteur, exactement ? Tout le monde sait à peu près ce que font un concepteur, un programmeur, ou un graphiste – mais un producteur, pas trop. Sa tâche est moins clairement définie. De fait, son activité tend à différer de boîte en boîte, de projet en projet, de personne en personne. Souvent, ce sont de purs managers, qui ont la charge de surveiller l’état d’avancement du projet. Néanmoins, ça, ce n’est pas le genre de Warren. Quand je lui pose la question, il se définit lui-même comme un « producteur créatif ». Il n’est pas là que pour réprimander les membres de l’équipe si quelque chose se passe différemment de ce qui était prévu, il doit aussi et surtout s’imprégner de ce qui anime ceux qui bossent sur le projet tout en apportant sa propre brique à l’édifice. « J’étais responsable de tout ce que fait généralement un producteur : le budget, l’emploi du temps, bref, m’assurer que le jeu soit fini… mais je ne m’en suis jamais contenté. Si c’était tout ce que j’avais à faire, je n’aurais jamais survécu plus de quarante ans dans ce médium de fou », m’assure-t-il. « Alors, je me suis toujours impliqué dans les aspects créatifs, la conception, principalement. »
Les modèles exemplaires qui l’ont inspiré ? Walt Disney, d’une part, évidemment, pourrait-on dire, mais aussi David O. Selznick, d’autre part, légendaire producteur d’Hollywood, celui d’Autant en emporte le vent. « Je ne me compare absolument, mais alors absolument pas à ces gars-là en matière de talent ou d’influence », me précise-t-il aussitôt, « mais j’ai calqué ma carrière sur les leurs. Eux aussi étaient producteurs
, mais ils apportaient leur cachet à tout ce sur quoi ils travaillaient, et, en plus de ça, ils se faisaient les défenseurs acharnés de ces choses précises que leur travail devait incarner. » Cette défense acharnée, c’est d’ailleurs sans doute ce qui caractérise le mieux la démarche de Warren en tant que producteur créatif. Il est persuadé que les jeux vidéo vont transformer la culture populaire, et il veut être partie prenante de cette transformation, pas l’observer depuis les coulisses. « On voulait vraiment changer le monde. On voyait vraiment un énorme potentiel dans les jeux vidéo comme forme d’expression artistique et comme moyen de communication », résume-t-il de son expérience chez Origin. « On parlait de changer le monde. Et, bon, nous, on ne l’a pas changé, mais les jeux vidéo, si, ils ont changé le monde¹⁹. »
Le premier projet sur lequel Warren planche est Space Rogue, réalisé par Paul Neurath, qui avait d’ailleurs rejoint Origin trois ans auparavant pour y porter un jeu de société de Steve Jackson sur ordinateur. Quand le jeu est fini, pratiquement toute la contribution de Warren est passée à la trappe : « Paul ne s’en souvient probablement pas, mais il m’a demandé de bosser le scénario et l’organigramme des missions. Je l’ai fait. Il a tout benné et tout refait lui-même. Probablement la bonne décision²⁰. » Rude entrée en matière ! Il faut avouer que cette première tâche n’a rien d’évident : le titre est un ambitieux jeu de rôle hybride, faisant régulièrement basculer le joueur du combat galactique en vue subjective à l’exploration planétaire en vue du dessus. Il en tirera malgré tout une précieuse leçon : « Cette idée de mélange des genres me parlait. Beaucoup. Je m’en suis par la suite servi comme fondation pour beaucoup de mes propres jeux. Ça, je le dois à Paul²¹. »
Warren a plus de succès avec Richard Garriott. L’enjeu est pourtant de taille : à peine s’est-il familiarisé avec les rudiments du développement de jeu vidéo qu’il se retrouve déjà à travailler sur le sixième Ultima ! Un grand bond pour la série, de surcroît, puisque
