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La Légende Xenoblade
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Livre électronique600 pages7 heures

La Légende Xenoblade

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À propos de ce livre électronique

Xenoblade est l’histoire d’une renaissance : celle du studio Monolith Soft et de son créateur emblématique Tetsuya Takahashi. Celui-ci a d’abord connu deux échecs successifs dans la réalisation du projet de sa vie. Dévorés par l’ambition démesurée de leurs récits mélangeant science-fiction, philosophie et religion, Xenogears et Xenosaga se sont achevés précipitamment, dans la douleur.
Takahashi a alors changé d’approche. Avec le concours de Nintendo, qui a racheté son studio, il a mis l’accent sur le plaisir de jeu ; en cela, Xenoblade marque tant l’épure et la synthèse que l’aboutissement de la grande série Xeno. Si les histoires se révèlent plus directes, moins denses et alambiquées, elles sont toujours portées par des thèmes profonds et des émotions fortes. Surtout, elles sont sublimées par des aventures épiques, où le joueur est invité à parcourir des plaines s’étendant à perte de vue, sur le corps de gigantesques divinités.
Que ce soit à travers la trilogie Xenoblade ou avec l’épisode expérimental Xenoblade Chronicles X, Takahashi et Monolith ont conquis un nouveau public tout en prouvant que le genre du J-RPG était encore capable d’impressionner et de se renouveler. Coulisses du développement, univers, thématiques, musiques, game design : à travers cet ouvrage, l’auteur Jérémie Priam explore l’ensemble des ingrédients qui ont permis aux jeux Xenoblade de se hisser parmi le fleuron du genre et de devenir des oeuvres de coeur pour des millions de joueurs.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jérémie Priam est passionné par l’imaginaire et la pop culture depuis sa plus tendre enfance, et notamment par les œuvres japonaises. Porté par cet engouement, il rédige lors de ses études un mémoire sur la représentation des femmes dans le manga. Chargé de communication financière le jour et rédacteur occasionnel pour le site Le Journal du Japon la nuit, il signe avec "La Légende Xenoblade" son premier ouvrage.
LangueFrançais
ÉditeurThird Editions
Date de sortie16 juin 2025
ISBN9782377845156
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    Aperçu du livre

    La Légende Xenoblade - Jérémie Priam

    PARTIE I

    GENÈSES

    Nous sommes le 8 décembre 2022 à Los Angeles, lors de la neuvième cérémonie des Game Awards. Les studios et les éditeurs les plus influents de l’industrie sont venus participer à cette grand-messe incontournable du jeu vidéo servant autant à récompenser les titres les plus en vue de l’année qu’à en annoncer de nouveaux en exclusivité mondiale. En conclusion de ce spectacle qui coche toutes les cases du show à l’américaine, faisant se succéder des stars comme Al Pacino ou Michael Madsen, l’orchestre des Game Awards interprète un medley des titres nommés dans la catégorie des jeux de l’année. Davantage que les extraits d’Elden Ring, de Horizon Zero Dawn ou de God of War Ragnarök, c’est l’interprétation de Carrying the Weight of Life de Xenoblade Chronicles 3 qui enflamme le public et les internautes, séduits par le jeu passionné du flûtiste Pedro Eustache, qui entre alors dans la légende d’Internet. Au-delà du côté amusant de cette image, la nomination de Xenoblade 3 dans la catégorie du jeu de l’année révèle l’aura dont dispose aujourd’hui la série Xenoblade, qui s’étend plus loin que les cercles des passionnés de J-RPG. Ses artisans appartiennent à un des studios les plus reconnus du monde, Monolith Soft, qui s’est imposé comme le bras droit de Nintendo sur ses productions. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Il fut un temps où Monolith n’était pas ce studio qui enchaîne avec une régularité insolente les RPG ambitieux, et où Xenoblade était surtout un pari dont le succès était loin d’être garanti. Je vous propose de faire ensemble un petit voyage dans le temps, vers une époque où Xenoblade n’existait pas encore, pas plus que la Switch ou les Game Awards. Monolith était alors un studio qui venait de se brûler les ailes, et dont l’avenir était des plus incertains…

    CHAPITRE 1

    LA NAISSANCE D’UN CHEF-D’ŒUVRE DU RPG

    Le 27 avril 2007, Nintendo suscite l’incrédulité d’une grande partie des commentateurs de l’industrie en annonçant l’acquisition de Monolith Soft. Jusqu’ici détenu par Bandai Namco, Monolith est un studio spécialisé dans le RPG, connu pour les ambitions narratives de son vice-président et principal réalisateur Tetsuya Takahashi. La société sort alors d’une période difficile : la trilogie Xenosaga sur PlayStation 2 (2002-2006), qui devait être le magnum opus de Takahashi, s’est soldée par un échec commercial et a profondément divisé les joueurs qui s’y sont essayés. L’acquisition est ainsi accueillie avec scepticisme, d’autant plus que les philosophies des deux entités semblent diamétralement opposées. Si Monolith est renommé pour son approche narrative du jeu vidéo (dont les excès ont été visibles sur Xenosaga), Nintendo privilégie traditionnellement l’expérience de jeu et le gameplay. La majorité des internautes de l’époque s’interrogent : que diable vient faire la firme de Kyoto dans cette galère ?

    Avec un peu plus de quinze années de recul, il apparaît pourtant que ce rachat constitue le point de départ d’une renaissance créative et commerciale pour Monolith et l’emblématique Tetsuya Takahashi. En adoptant une philosophie de game design influencée par son nouveau propriétaire et en tirant les leçons des erreurs de Xenosaga, Monolith parvient à façonner Xenoblade, chef-d’œuvre qui a donné naissance à l’une des séries de J-RPG les plus reconnues de l’industrie. Mais avant de pénétrer dans les coulisses de la création de la saga, attardons-nous un instant sur la personnalité et le parcours de Tetsuya Takahashi, sans conteste l’un des auteurs de jeux vidéo les plus fascinants de sa génération.

    TETSUYA TAKAHASHI ET MONOLITH SOFT À LA CROISÉE DES CHEMINS

    PORTRAIT DE TETSUYA TAKAHASHI, L’ARCHITECTE DES XENO

    Tetsuya Takahashi est un homme difficile à cerner. À la fois dirigeant d’entreprise (il est le cofondateur et vice-président de Monolith), réalisateur habitué à superviser le travail d’équipes de plusieurs dizaines, voire centaines de personnes, et scénariste principal de ses œuvres, on pourrait presque croire qu’il dispose de multiples personnalités, à l’instar des protagonistes de ses productions. Takahashi incarne sans nul doute l’âme de Monolith, le studio ayant été fondé pour lui permettre de réaliser les œuvres qui lui tenaient à cœur. Ce Janus du jeu vidéo japonais apparaît comme un authentique auteur. Il appartient au club très fermé des créateurs qui ont travaillé pour de grandes sociétés, mais réalisent pourtant des œuvres très personnelles, aux côtés de Hideo Kojima (Metal Gear Solid, Death Stranding), Fumito Ueda (ICO, Shadow of the Colossus) ou Taro Yoko (Drakengard, NieR). Comme ces derniers, Takahashi est habité par une vision unique du jeu vidéo. Mais de façon étonnante, alors que ses titres ont acquis un statut culte auprès d’une communauté passionnée et que le créateur est lui-même grandement respecté par ses pairs de l’industrie, il reste assez peu connu du public et n’apparaît que rarement sur la scène médiatique.

    Aux côtés de son épouse Kaori Tanaka (également connue sous le pseudonyme de Soraya Saga), Takahashi a façonné les titres composant la « série » des Xeno : Xenogears, la trilogie Xenosaga et la saga Xenoblade¹. Bien que les trois univers paraissent à première vue indépendants, Xenogears et Xenosaga partagent des éléments fondamentaux, tandis que la saga Xenoblade s’inscrit davantage dans une optique de continuité thématique et de référence. Chaque épisode de la « série » Xeno est nourri par les nombreuses passions des deux époux : des religions à la science-fiction, en passant par la philosophie, la psychologie analytique, ou encore l’ésotérisme. Cet ouvrage sera l’occasion d’analyser les influences de Xenoblade ainsi que les thématiques et réflexions portées par la série. Il s’agira également de voir, à travers les productions souvent troublées des jeux Xeno, comment les ambitions de Takahashi et sa vision ont évolué au fil du temps. La saga Xenoblade révèle en effet le cheminement de Takahashi concernant sa conception du récit ainsi que sa vision du processus créatif.

    a UN CRÉATEUR UNIQUE

    Lors d’une interview croisée avec Katsura Hoshino, le producteur de la série Persona, pour le site Denfaminicogamer en 2018, Tetsuya Takahashi se présente comme un auteur introverti, voire misanthrope, qui n’apprécie pas vraiment la compagnie et qui préférerait créer des jeux vidéo seul s’il le pouvait. S’il accepte de se prêter au jeu des questions-réponses lors des campagnes de promotion de ses titres, il est évident qu’il n’affectionne que peu l’exercice et s’en passerait bien volontiers. Takahashi se refuse d’ailleurs à apparaître sur les réseaux sociaux pour échanger avec les joueurs, incitant ces derniers à décoder le message de ses œuvres par eux-mêmes plutôt que de rechercher une confirmation de sa part. Cet homme instruit et à l’aise avec l’écriture pourrait certainement exprimer ses idées par d’autres médias, tels que la littérature ou le cinéma. Au début des années 2000, Takahashi avait d’ailleurs voulu repousser avec Xenosaga Episode I la limite entre l’animation et le jeu vidéo : les cinématiques de ce dernier avaient été conçues pour pouvoir être compilées les unes à la suite des autres et visionnées à la façon d’une série télévisée². Takahashi se montre cependant très attaché au format vidéoludique comme vecteur d’histoire, de par sa nature interactive. « J’ai toujours pensé que par rapport à une expérience passive, connaître une expérience active dans laquelle on expérimente des choses a plus d’impact sur nos vies. Je pense que beaucoup de pensées, de concepts et d’idées que j’aimerais représenter dans mes jeux sont plus faciles à transmettre comme je le souhaite à travers un média interactif comme le jeu vidéo », déclare-t-il en 2017 au site Gamespot.

    Le RPG est son genre préféré en tant que joueur ; en tant que créateur, c’est aussi celui qui lui permet de construire un univers dans sa globalité et de donner envie au joueur de s’y plonger. Takahashi confie ainsi à Gamespot en 2015 : « La conception d’univers est vraiment importante pour moi dans la création, et c’est quelque chose […] qui prend du temps. » La longue durée de vie des RPG permet naturellement de renforcer l’immersion du joueur dans l’univers créé par les développeurs ; Takahashi souligne que « cela prend peut-être une trentaine d’heures [de jeu] pour se sentir vraiment immergé dans un rôle et y vivre [dans le monde du jeu], mais ce qui fait que les gens retournent vers ces jeux est le fait qu’ils veulent vivre ces rôles […] » Sa passion pour les RPG nippons (il cite Dragon Quest III et Super Robot Taisen³ parmi ses titres préférés, et Final Fantasy XI est le jeu sur lequel il déclare avoir passé le plus de temps) n’empêche pas Takahashi de jouer à de nombreux jeux occidentaux, notamment des titres en monde ouvert⁴ tels que Grand Theft Auto, The Witcher ou encore Fallout. Le créateur parcourt ces derniers parfois pour le plaisir, mais souvent avec l’œil du réalisateur, cherchant à en analyser les points forts et à disséquer leurs mécaniques de gameplay. Les jeux occidentaux à gros budget sont pour lui des rivaux : il n’envisage pas de réserver ses titres au public japonais, et depuis le premier Xenoblade (dont les ventes en Occident ont dépassé celles du Japon), il note avec attention les réactions du public international. La curiosité du créateur pour les productions occidentales ne se limite pas au cadre des jeux vidéo : « La plupart des films, séries télévisées, romans et jeux que je me procure sont faits en Occident. Je ne le fais pas consciemment ; il se trouve que ce sont les choses que j’apprécie. Par conséquent, j’en suis venu à comprendre qu’il valait mieux que j’essaie de créer naturellement les choses que j’aime », confesse-t-il au Time en 2015.

    Tetsuya Takahashi apparaît en interview comme un homme d’une grande douceur et d’un calme olympien : derrière cette façade se dessine cependant en filigrane un petit côté rebelle. Si ce caractère tempétueux était plus affirmé pendant ses années chez Square, il continue à se manifester de temps à autre. Lors d’une interview pour Denfaminicogamer en 2018, Takahashi souligne : « Ma motivation est nourrie par les émotions négatives. Quand je suis complimenté […] ou que quelqu’un me dit que c’était amusant [à propos d’un de ses jeux], je perds ma motivation. C’est mieux quand on me dit que je suis étrange ou qu’on ne peut jamais dire ce que je pense. » Le créateur a d’ailleurs régulièrement regretté le manque de critiques des joueurs⁵ envers son travail, notamment au Japon : « Après la sortie de Xenoblade, je n’ai pas trouvé beaucoup d’opinions négatives sur Internet. Et pour être honnête, j’en voulais plus. Je voulais plus de négativité à laquelle me confronter et à utiliser comme une source de motivation », affirme-t-il en 2015 à Gamespot.

    Décrit par ses collègues comme un réalisateur perfectionniste et exigeant, Takahashi a certainement été difficile à vivre pour ses équipes, à qui il demandait un dévouement absolu pour concrétiser sa vision. Comme nous le verrons plus loin, il apparaît qu’il a pourtant mis de l’eau dans son vin, se souciant davantage du bien-être de ses employés au fil du temps. Takahashi n’en reste pas moins un éternel insatisfait, dont le perfectionnisme l’amène à se montrer surtout très critique vis-à-vis de son propre travail. « Je ne pense pas avoir déjà eu le luxe de me sentir satisfait », raconte-t-il en 2015 à Game Informer. Plus tard, il confie à Denfaminicogamer que ses œuvres lui paraissent « fausses » en comparaison des films et romans qui ont marqué sa jeunesse, résonnant avec les rêves du garçon qu’il était pour changer profondément sa vie. Si la modestie est un trait courant chez les créateurs japonais, celle-ci semble poussée à l’extrême chez Tetsuya Takahashi, frôlant parfois le syndrome de l’imposteur. Cette attitude s’explique certainement par les échecs successifs qu’il a connus lorsqu’il a voulu réaliser, avec Xenogears puis Xenosaga, l’œuvre de sa vie : une vaste épopée de science-fiction décrivant le destin de l’humanité sur plusieurs millénaires, associant les thématiques de la psychologie analytique, de la philosophie et de la religion. Malgré ces échecs, Takahashi n’a pas pour autant perdu son envie d’écrire : il reconnaît au contraire que dès le développement d’un titre achevé, il enchaîne sur le suivant, nourrissant son travail de ses frustrations et des retours des joueurs. La profondeur thématique des œuvres de Tetsuya Takahashi a certainement contribué à engendrer de nombreuses vocations auprès des joueurs du monde entier. Et même si le créateur n’affectionne sans doute pas vraiment cette reconnaissance, le succès de la saga Xenoblade n’en a pas moins fait de lui l’architecte d’une des séries de J-RPG les plus appréciées des quinze dernières années, reconnue sur ses terres natales comme à l’international.

    a UN JEUNE GARÇON PASSIONNÉ DE SCIENCE-FICTION

    Tetsuya Takahashi est né le 18 novembre 1966 à Shizuoka, une ville japonaise située à mi-chemin entre Tokyo et Kyoto. De constitution plutôt chétive, Takahashi se révèle meilleur pour les études que pour le sport. Pour autant, c’est un enfant qui sait ce qu’il veut : s’il est introverti, sensible et aimable, le garçon peut aussi faire preuve de caractère et se montre souvent têtu. Comme beaucoup d’enfants de sa génération, le petit Tetsuya est marqué par les séries télévisées, notamment par celles de tokusatsuCaptain Ultra (qui débute en 1967) et Ultra Seven (diffusée à partir de 1967-1968). Lors d’une discussion avec le regretté Satoru Iwata, président de Nintendo, en 2015, Takahashi reconnaît que « c’est là que tout a commencé », faisant référence à son goût pour les histoires. Tetsuya Takahashi se prend également très tôt de passion pour les machines et les robots, et commence non seulement à dessiner des fusées ou des vaisseaux, mais aussi à démonter et remonter les appareils qui lui tombent sous la main. C’est le cas de la chaîne hi-fi de son père, qu’il désosse alors qu’il n’est encore qu’à l’école maternelle, ce qui lui vaudra un sermon mémorable de la part de ce dernier. Dans les années 1970, Tetsuya Takahashi dévore avec passion des mangas et des séries d’animation japonaise, notamment dans le genre mecha⁷, et de façon plus large de science-fiction. Le garçon rêve d’imaginer de quoi le futur sera fait ; il est subjugué par les visions de Star Trek et Star Wars au cinéma, et peut passer des journées entières dans les salles obscures de Shizuoka. Il subit de plein fouet le phénomène Mobile Suit Gundam⁸ à la fin des années 1970, et sa fascination pour le mecha ne l’a jamais quitté depuis. Plus de trente ans après, Takahashi confie avec amusement à Satoru Iwata que son fils le qualifie affectueusement de « Gun-ota », abréviation de Gundam otaku.

    Le jeune Tetsuya Takahashi fait également preuve d’une grande curiosité pour des sujets variés, à laquelle on ne s’attend pas forcément de la part d’un enfant de son âge : à la suite d’une conférence sur la religion donnée dans un temple bouddhiste, il devient curieux des sujets liés à la spiritualité et aux idéologies, et commence à s’interroger sur le sens du monde qui l’entoure. Durant son adolescence, il continue à nourrir sa passion pour la science-fiction en dévorant de nombreux magazines spécialisés tels que Starlog (dont la version japonaise est lancée en 1978) et commence à imaginer ses propres histoires. Lors de ses années de lycée, le jeune homme découvre les auteurs majeurs du genre : Isaac Asimov (Fondation), Arthur C. Clarke (Les Enfants d’Icare) et Robert A. Heinlein (Étoiles, garde-à-vous !), qui auront par la suite une influence déterminante dans sa carrière. Curieux de tout, Tetsuya Takahashi commence également lors de ses années d’université à explorer la philosophie, la psychanalyse et la psychologie analytique, en se plongeant notamment dans les travaux du philosophe Friedrich Nietzsche et du psychiatre Carl Jung, dont les concepts auront un poids important sur ses œuvres.

    a DÉBUTS DANS LE JEU VIDÉO

    Takahashi découvre le jeu vidéo par l’intermédiaire de la console TV-Game 6⁹ de Nintendo ainsi que des bornes de Space Invaders et Galaxian au sein d’un magasin de jouets de Shizuoka. En plus des jeux de tir, Takahashi se prend rapidement de passion pour le RPG : il découvre durant ses années d’université Dragon Slayer II : Xanadu de Nihon Falcom¹⁰, un RPG à succès sorti en 1985 sur PC-88¹¹ et qui le rend curieux de l’industrie du jeu vidéo. Après avoir dépensé toutes ses économies dans l’achat d’une PC-Engine¹² en 1987, Takahashi décide de répondre à une offre de graphiste à temps partiel chez Nihon Falcom, l’éditeur de Xanadu. Il y voit l’occasion de renflouer sa bourse tout en mettant à profit son goût pour le dessin. Recruté par l’entreprise, il part dans la foulée s’installer à Tokyo.

    Tetsuya Takahashi commence alors sa carrière en travaillant sur les polices du jeu Sorcerian sur PC-88. Son expérience chez Falcom le conduit à s’intéresser au dessin de sprites, mais il est frustré de ne pouvoir creuser davantage cette piste au sein du studio. Il quitte le développeur en 1990 pour rejoindre une entreprise qui a le vent en poupe : Square¹³, qui vient de signer Final Fantasy III sur Famicom (NES). Le jeune homme est alors affecté comme graphiste à l’équipe de développement de Final Fantasy IV. Il y constate avec amertume le manque de mémoire allouée à l’équipe chargée du graphisme, qui doit se contenter de huit couleurs pour travailler. Prouvant qu’il ne se laisse pas démonter, Takahashi n’hésite pas à solliciter directement le grand manitou de la série Final Fantasy, Hironobu Sakaguchi¹⁴, afin de réclamer davantage de moyens et renforcer l’ambition technique des jeux Square. Le jeune Takahashi étant déjà à l’époque apprécié pour son opiniâtreté et la qualité de son travail, sa demande trouve un écho favorable auprès de sa hiérarchie. Bien des années plus tard, Hironobu Sakaguchi se souvient que « Taka-chan » faisait partie des meilleurs concepteurs graphiques de l’équipe des Final Fantasy, à l’occasion d’un entretien avec Satoru Iwata en 2010.

    Après avoir fait ses preuves sur le quatrième épisode, Takahashi travaille sur les décors de Romancing Saga, puis est affecté à l’équipe de développement de Final Fantasy V où il est promu comme graphiste en chef. Il y rencontre Tetsuya Nomura et Kaori Tanaka, jeunes pousses récemment arrivées chez Square, qui sont affectés au projet FF V en tant que graphistes sous sa supervision. Ils présentent tous trois rapidement des atomes crochus : Kaori Tanaka partage notamment le goût de Takahashi pour la philosophie, la psychanalyse et pour les écrits de Nietzsche, Freud et Jung. L’implication et le talent des trois jeunes gens leur permettent d’être affectés au développement du prochain projet clef de Square : Final Fantasy VI. L’influence de Tetsuya Takahashi sur FF VI est manifeste, le graphiste en chef imaginant notamment le design des emblématiques armures magitech telles qu’elles apparaissent lors de la mémorable introduction du jeu. Durant le développement, Tetsuya Takahashi, Tetsuya Nomura et Kaori Tanaka deviennent des proches dont l’alchimie créative les conduit à s’influencer mutuellement et à se dépasser. Cette osmose de talents et de personnalités contribue à l’ambiance inoubliable qui se dégage de ce sixième épisode, souvent considéré comme l’un des meilleurs volets de la saga Final Fantasy. Dans la vie civile, Tetsuya Takahashi et Kaori Tanaka filent le parfait amour : ils se marient en 1995 et auront par la suite deux enfants.

    S’il semble que tous les astres sont alignés pour lui, Takahashi commence pourtant à se sentir à l’étroit sur la série phare de Square. Bien qu’on lui ait permis d’apporter une touche plus steampunk à l’univers de Final Fantasy, il rêve de pouvoir se libérer des carcans de la fantasy pour écrire de riches histoires combinant sa passion pour la science-fiction, la psychologie analytique, la spiritualité et les récits de dimension cosmique. Les nouvelles ambitions de Square dans la seconde moitié des années 1990 vont alors constituer pour lui une formidable occasion.

    a DE FINAL FANTASY À XENOGEARS

    Une fois le développement de FF VI terminé, Hironobu Sakaguchi réunit une petite équipe chargée de réfléchir au septième épisode de la saga, composée de Yoshinori Kitase, réalisateur du sixième volet, ainsi que de Tetsuya Takahashi, Kaori Tanaka et Tetsuya Nomura. Le travail du trio sur le prototype de FF VII se fait cependant par intermittence, car ils sont affectés à d’autres projets jugés prioritaires, tels que Chrono Trigger ou Front Mission. Tetsuya Takahashi et Kaori Tanaka continuent pourtant de réfléchir en parallèle au concept de FF VII, et le couple élabore une ébauche de scénario mettant en scène un protagoniste disposant de multiples personnalités. De son côté, à l’occasion de son travail sur Chrono Trigger, Takahashi fait la rencontre de Yasunori Mitsuda, un jeune compositeur talentueux qui deviendra par la suite l’un de ses plus proches collaborateurs.

    L’équipe chargée de poser les bases de FF VII est reformée peu de temps après la sortie de Chrono Trigger. Tetsuya Takahashi se souvient de cette époque comme une période où il se montrait souvent « belliqueux » avec ses supérieurs et ses collègues. La question qui cristallise ces tensions concerne le choix de l’aspect graphique du jeu : Takahashi s’oppose alors vivement à l’utilisation de décors prérendus en images de synthèse et milite pour des décors en 3D qu’il juge plus pertinents pour représenter l’univers du jeu. Dans la foulée, le projet de scénario de Takahashi et Tanaka est présenté à Hironobu Sakaguchi. Ce dernier considère que la proposition est trop complexe et radicale pour un épisode de Final Fantasy, mais n’apprécie pas moins l’originalité et l’audace du synopsis. Estimant que son protégé est prêt à voler de ses propres ailes, Sakaguchi offre enfin à Takahashi la possibilité de diriger son premier jeu en tant que réalisateur. Ce dernier est tout d’abord chargé de concevoir une suite à Chrono Trigger, mais le projet finit par changer considérablement de forme au cours de développement, Takahashi ayant obtenu le feu vert de sa direction pour lancer une nouvelle licence.

    Le nouveau titre prend le nom de code « Project Noah ». Son synopsis, écrit par Kaori Tanaka et Tetsuya Takahashi, s’appuie sur la proposition initiale rédigée pour Final Fantasy VII : une mystérieuse intelligence artificielle s’écrase sur une planète où elle engendre la vie. Le récit qui en découle est une ode aux univers chers aux deux époux, de la philosophie à la psychanalyse, en passant par les mecha. La fantasy des FF est abandonnée pour une vaste fresque de science-fiction s’attachant à décrire le destin de l’humanité entière, plus sombre, plus mature et plus complexe que les autres productions de Square. Il reste maintenant à insérer cette formidable ambition narrative au sein d’un jeu vidéo, ce qui ne sera pas sans difficulté.

    a XENOGEARS, LE TITRE CULTE

    L’œuvre prend le nom définitif de Xenogears, la particule xeno, préfixe d’origine grecque, renvoyant à une chose étrangère, différente, extraterrestre pourrait-on dire, d’après le point de départ du scénario. Les Gears désignent les mecha présents dans le jeu : le « Gun-ota » Takahashi avait toujours rêvé de mettre en scène des machines géantes, et Xenogears lui en donne l’occasion parfaite. L’équipe de développement intègre des artistes talentueux tels que le dessinateur Kunihiko Tanaka, qui conçoit l’apparence des personnages, le compositeur Yasunori Mitsuda, ainsi que le directeur artistique Yasuyuki Honne. Les membres de l’équipe doivent satisfaire l’idée de Tetsuya Takahashi : comme un pied de nez à Final Fantasy VII qui utilise des décors fixes précalculés et des personnages en 3D, le réalisateur réclame des décors en 3D et des personnages en 2D, avec des rotations de caméra permettant au joueur d’appréhender l’environnement dans son ensemble. Ce choix se révèle compliqué à gérer pour l’équipe de développement, qui doit apprendre la 3D sur le tas, tandis que Takahashi ne cesse d’enrichir et d’étendre le récit du jeu.

    Xenogears constitue ainsi un véritable cas d’école de production mouvementée. Malgré l’ardeur mise à la tâche par l’équipe, la période de développement d’une année et demie fixée par Square semble bien trop maigre pour concrétiser la vision de Takahashi. Ce dernier parvient à arracher à sa direction une rallonge de six mois et l’octroi d’un second disque de jeu, mais il paraît clair que Xenogears ne sera jamais terminé à temps. La solution la plus simple serait de couper une partie du contenu prévu, mais Takahashi, droit dans ses bottes, s’y refuse : hors de question pour lui de proposer une histoire incomplète, d’autant plus que Xenogears représente seulement le cinquième acte de la vaste saga de science-fiction en six épisodes qu’il a en tête. Plutôt que de supprimer des chapitres entiers, le réalisateur choisit une solution drastique : retirer du second CD du jeu la quasi-totalité des séquences d’exploration, et présenter la conclusion du récit par le biais de longues phases textuelles entrecoupées d’affrontements. Ce choix sans concession, allié à la puissance émotionnelle et narrative des dernières heures de Xenogears, marque au fer rouge les joueurs tout comme l’histoire du jeu vidéo, et confère rapidement au titre un statut de culte auprès d’une communauté passionnée.

    Lors de sa sortie au Japon en février 1998, Xenogears récolte des critiques plutôt positives, malgré la confusion suscitée par le second disque du jeu. Le titre bénéficie de ventes honorables au vu de la relative faiblesse de la campagne de promotion mise en place par Square, avec 900 000 exemplaires distribués au total. Ce résultat est cependant perçu comme un semi-échec pour l’éditeur, qui avait conditionné la mise en chantier d’une suite à l’atteinte d’un million d’exemplaires écoulés. À sa sortie aux États-Unis, Xenogears rencontre un succès d’estime avec 300 000 exemplaires vendus ; la presse salue également l’ambition et l’originalité de la proposition. Hélas, le jeu ne sortira jamais de façon officielle en Europe, et de nombreux joueurs n’auront d’autre choix que de se tourner vers l’émulation¹⁵ pour découvrir Xenogears.

    a LA NAISSANCE DE MONOLITH SOFT

    Après la sortie de Xenogears, Takahashi commence à prendre ses distances avec Square. Le malaise du créateur est accentué par les remous que connaît l’entreprise à l’époque : le succès international retentissant rencontré par Final Fantasy VII conduit l’éditeur à ériger Final Fantasy comme le pilier principal de sa stratégie commerciale. Le triomphe de la licence nourrit les ambitions de la firme : celle-ci se voit déjà en nouveau Disney japonais, redéfinissant les frontières entre le cinéma et le jeu vidéo dans des productions grandioses, dont le long-métrage Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit, en cours de conception par Hironobu Sakaguchi, ne serait que la première étape. Cette folie des grandeurs marque bientôt la fin de la frénésie créative de Square, qui avait produit des titres dans une importante diversité de genres dès le milieu des années 1990. De nombreux employés quittent la société en raison de différences créatives et pour pouvoir choisir librement leurs projets, notamment le compositeur de Xenogears, Yasunori Mitsuda, en 1998, ainsi que Kaori Tanaka, l’une des deux principales plumes derrière l’écriture de Xenogears.

    De son côté, Takahashi n’a qu’une idée en tête : étendre l’univers de Xenogears. Dans l’ouvrage Xenogears Perfect Works, publié au Japon quelques mois après la sortie du jeu, le réalisateur nourrit les spéculations des fans en décrivant les grandes lignes des événements de cinq autres épisodes de Xenogears, gravant ainsi dans le marbre l’existence d’une saga en six volets. Sa détermination se heurte cependant aux priorités diamétralement opposées de Square : Takahashi comprend qu’il n’aura jamais le feu vert pour mettre en chantier plusieurs suites, d’autant plus que son soutien et mentor Hironobu Sakaguchi a déménagé à Hawaii, où il a fort à faire entre son travail sur Final Fantasy IX et sur le film Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit. Takahashi choisit alors de quitter Square pour monter sa propre société, qui lui permettrait de concrétiser les projets qu’il a en tête. Le créateur fait ses cartons dans le courant de l’année 1999, en compagnie d’une vingtaine de personnes ayant travaillé sur Xenogears, dont le directeur artistique Yasuyuki Honne. Ils sont accompagnés par le producteur Hirohide Sugiura, un des plus grands admirateurs de Xenogears au sein de Square. Ce dernier se révèle un allié précieux dans leur entreprise, car son vaste carnet d’adresses permet à l’équipe de commencer rapidement à démarcher plusieurs investisseurs potentiels. Parmi ceux-ci, Namco se montre particulièrement intéressé par la proposition de Takahashi et de son équipe : le RPG est un genre qui a le vent en poupe à la fin des années 1990, et l’éditeur aimerait compléter son catalogue de plusieurs jeux de rôle emblématiques pour accompagner la jeune série des Tales of. Le président et fondateur de Namco, Masaya Nakamura, assure ainsi Takahashi et son équipe de son soutien financier pour leur nouvelle aventure. Le 1er octobre 1999, le studio de développement Monolith Soft voit officiellement le jour en tant que filiale de Namco, présidée par Hirohide Sugiura, avec Tetsuya Takahashi et Yasuyuki Honne comme vice-présidents. Les équipes de Monolith se mettent alors rapidement au travail sur un ambitieux RPG ayant le nom de code « Project X ».

    a LA MALÉDICTION XENOSAGA

    Le « Projet X » prend le nom définitif de Xenosaga Episode I, un nouveau RPG pour la PlayStation 2 développé par une partie de l’équipe ayant travaillé aux côtés de Takahashi sur Xenogears. Yasuyuki Honne rempile comme directeur artistique, tout comme le character designer Kunihiko Tanaka et Yasunori Mitsuda à la composition. Kaori Tanaka reprend son poste de scénariste et occupe un rôle clef dans la conception du jeu : sous le pseudonyme de Soraya Saga, elle écrit près de la moitié de la vaste fresque de science-fiction qui se dessine. Une fois encore, Takahashi ne veut pas se contenter d’un seul jeu et conçoit Xenosaga comme une série en six épisodes, à raison d’un titre par an. Abordant entre autres les questions de la création de l’univers, de la réincarnation des âmes, des formes de religion ou encore de la conscience humaine, l’idée initiale de Takahashi et de Kaori Tanaka pour Xenosaga est peut-être plus ambitieuse encore que ce que le couple avait en tête pour Xenogears. Le projet de Takahashi consiste à repartir des bases de Xenogears (notamment esquissées dans l’Episode I évoqué dans Perfect Works) pour proposer le nouveau point de départ d’une vaste épopée spatiale.

    Malheureusement, l’histoire se répète : l’équipe de développement vit un véritable calvaire lors de la production du jeu. Le développement de Xenosaga Episode I : Der Wille Zur Macht (« La Volonté de puissance », d’après la notion de Friedrich Nietzsche) semble combiner tous les éléments requis pour tourner au désastre : la production commence alors que l’équipe n’est pas complète et qu’une partie de celle-ci est encore inexpérimentée. Les développeurs se frottent de plus aux difficultés de programmation posées par le fameux Emotion Engine, le processeur central de la PlayStation 2, et le moteur graphique du jeu ne sera achevé que six mois avant la date limite fixée pour la sortie… En pleine tempête, Takahashi est contraint de revoir ses ambitions à la baisse et d’amputer le jeu d’une grande partie du contenu prévu.

    L’accueil réservé à Xenosaga Episode I à sa sortie en 2002 au Japon est mitigé : le jeu écoule seulement 450 000 exemplaires sur ses terres natales, loin du Final Fantasy killer espéré par Namco. Il apparaît clair que Monolith ne pourra jamais réaliser dans un laps de temps raisonnable cinq jeux supplémentaires de la même ampleur, ce qui amène l’éditeur à revoir de façon drastique ses plans pour la série Xenosaga. Namco décide de reprendre les rênes de la saga, en évinçant Kaori Tanaka (qui exerçait en tant que freelance) et Tetsuya Takahashi de la production de l’Episode II. Takahashi, qui quitte d’ailleurs la vice-présidence de Monolith durant cette période, ne participe ainsi qu’indirectement à l’Episode II, cédant son siège de réalisateur à son disciple Koh Arai¹⁶, même s’il reste officiellement mentionné comme « auteur originel et superviseur » au générique. Yasunori Mitsuda cède également sa place de compositeur à Yuki Kajiura, car sa vision ne correspondait pas aux idées de Namco pour le projet. Xenosaga Episode II est ainsi profondément différent du concept original de Tetsuya Takahashi et Kaori Tanaka. Malgré la volonté de Namco de toucher un large public, l’expérience se solde une nouvelle fois par un échec. S’il reçoit des critiques assez positives de la presse, Xenosaga Episode II : Jenseits von Guns und Böse (« Par-delà le bien et le mal », d’après un ouvrage de Nietzsche) est accueilli fraîchement par les joueurs japonais, déçus par le nouveau système de combat et par une histoire jugée inachevée. L’Episode II réalise des ventes bien inférieures à celles du premier, avec 250 000 exemplaires écoulés dans l’Archipel et environ 300 000 aux États-Unis. De façon curieuse, alors que le premier épisode n’est jamais sorti en Europe, Xenosaga II est édité sur le Vieux Continent, où il ne réalise que des ventes dérisoires. Namco et Monolith enfoncent le dernier clou dans le cercueil de Xenosaga peu de temps après, en annonçant la conclusion prématurée de la série avec le troisième volet, marquant ainsi l’annulation pure et simple des épisodes qui devaient faire suite à « l’arc de Shion », l’héroïne de la trilogie. Takahashi est alors rappelé pour mener la série à son terme, avec plusieurs projets modestes (notamment Xenosaga Pied Piper, un jeu sur téléphone portable scénarisé par Kaori Tanaka avant sa mise à l’écart, et Xenosaga Episode I.II sur DS, qui reprend – et réécrit en partie – les deux premiers jeux) en plus de l’Episode III.

    Xenosaga Episode III : Also sprach Zarathustra (Ainsi parlait Zarathoustra, d’après le célèbre essai de Nietzsche), sorti en 2006, est souvent considéré comme le baroud d’honneur de la série : les équipes de Monolith sont non seulement parvenues à conclure de façon satisfaisante la saga, mais aussi à produire un excellent RPG à la réalisation et au gameplay soignés. Cela intervient cependant bien trop tard pour inverser la tendance : si les retours des joueurs et de la presse sont très bons, les ventes du jeu se révèlent plus faibles encore que celles des épisodes précédents, avec seulement 150 000 exemplaires écoulés au Japon et moins de 100 000 aux États-Unis. La série Xenosaga se solde ainsi par un échec commercial pour Namco, devenu Bandai Namco depuis la fusion avec le fabricant de jouets Bandai à l’automne 2005. Xenosaga représente finalement un souvenir doux-amer pour les fans qui ont cru au potentiel de cette saga unique dans le monde du jeu vidéo, déchirés entre l’épilogue bouleversant amené avec l’Episode III et leur déception de voir à nouveau le grand œuvre de Takahashi inachevé.

    UNE NOUVELLE ÈRE POUR MONOLITH

    a LE STUDIO AU PIED DU MUR

    Après la sortie de Xenosaga Episode III en 2006, Monolith Soft est à un moment charnière de son histoire. Le studio ne peut s’attendre à aucune bienveillance de la part des dirigeants de Bandai Namco depuis l’échec commercial de la trilogie. Les ambitions de Monolith sont perçues avec méfiance par les pontes de l’éditeur, qui se demandent que faire de cette équipe qui n’a jamais signé le moindre succès commercial ni achevé une production en respectant le calendrier et le budget fixés. C’est dans ce contexte que le président de Monolith, Hirohide Sugiura, sentant le vent tourner, commence à rechercher de nouveaux partenaires à la philosophie proche de celle du studio. Sugiura prend ainsi contact avec Nintendo pour leur suggérer que Monolith serait un atout précieux pour le constructeur, et pourrait apporter des titres uniques à son catalogue.

    a LA RENCONTRE ENTRE DEUX TITANS

    Ce rapprochement ne sort pas de nulle part : pendant qu’une partie du studio travaillait à Xenosaga Episode II, le troisième cofondateur, Yasuyuki Honne, avait été contacté par Nintendo pour imaginer un épisode de la série Mother destiné à la GameCube. Si cette collaboration n’a rien produit de concret, Nintendo et Monolith ont cependant continué à travailler ensemble pour réaliser Baten Kaitos : Les Ailes éternelles et l’Océan perdu, conçu en partenariat avec le studio Tri-Crescendo. Bien que moins ambitieux que Xenosaga, le RPG reçut un accueil extrêmement chaleureux à sa sortie en 2003, les joueurs ayant été conquis par sa direction artistique d’une grande poésie et son système de combat original et profond. Le succès commercial modeste du jeu n’empêcha pas la mise en chantier d’un nouvel épisode peu de temps après, aboutissant à Baten Kaitos Origins, une préquelle sortie en 2006 au Japon et aux États-Unis.

    Une fois Baten Kaitos Origins terminé, Monolith entreprend la production d’un titre destiné à la nouvelle console de Nintendo : l’étrange Disaster : Day of Crisis sur Wii. De façon étonnante, le studio s’écarte alors du RPG pour réaliser un jeu d’action « cinématique » dans lequel le joueur doit survivre à une catastrophe naturelle tout en affrontant des terroristes. Durant le développement de Disaster, les fondateurs de Monolith sont approchés par Shinji Hatano, chargé de la gestion des licences et du marketing chez Nintendo, concernant la possibilité d’une acquisition du studio par la firme de Kyoto. Les pères de Monolith se montrent réceptifs aux arguments de Nintendo, qui leur promet de pouvoir travailler sur des projets originaux jamais vus ailleurs, conçus dans un esprit d’indépendance. L’annonce officielle a lieu le 27 avril 2007 : Bandai Namco et Nintendo entérinent le rachat de Monolith Soft par le constructeur, qui devient l’actionnaire majoritaire du studio en acquérant 80 % des parts. Monolith rejoint ainsi le cercle restreint des studios de développement détenus par Nintendo : le constructeur préfère généralement entretenir des relations privilégiées avec ses partenaires et n’acquiert que très rarement des entreprises extérieures. Ce rachat intervient en effet à un moment bien particulier : Nintendo est alors confronté comme l’ensemble de l’industrie japonaise à des développements de plus en plus gourmands en personnel du fait des capacités techniques croissantes des consoles. Pour continuer de proposer régulièrement des jeux à son public, Nintendo doit renforcer ses effectifs et multiplier les partenariats, d’autant plus qu’à l’époque, le constructeur doit approvisionner à la fois la Wii et la DS.

    Cette acquisition s’inscrit également dans la volonté de Nintendo de diversifier les genres de jeux présents sur ses machines, en proposant des titres adressés aux joueurs confirmés. « Nous nous demandons en permanence [chez Nintendo] comment toucher une variété d’utilisateurs différents. Un élément qui nous permet de toucher un certain type de joueur – le core gamer – est de passer un partenariat avec d’autres entreprises. Nous étions à la recherche de quelqu’un pour nous aider à concevoir des jeux avec ce public spécifique en tête », se souvient Hitoshi Yamagami, producteur chez Nintendo. L’acquisition de Monolith vient ainsi combler un vide notable dans le catalogue du constructeur : si la NES et la Super Nintendo ont proposé de nombreux RPG de qualité, la Nintendo 64 et la GameCube ont manqué cruellement de jeux de rôle emblématiques dans leur ludothèque, freinant de façon considérable leur succès au Japon. Si aucun des dirigeants ne l’affirme directement, il n’est pas impossible que Nintendo entretienne alors l’idée de lancer sa propre série phare de RPG. Ce rachat ouvre dans tous les cas une période de profonds changements pour le studio.

    a LE CHANGEMENT DE PHILOSOPHIE DE TAKAHASHI

    Au moment où s’ouvrent les discussions autour du rachat, les équipes de Monolith travaillent sur Disaster : Day of Crisis, destiné à la Wii, mais aussi sur Soma Bringer, un action-RPG pour Nintendo DS produit par Tetsuya Takahashi. Bien que Soma Bringer soit un projet de moindre ampleur que les productions habituelles de Monolith, son développement révèle un changement d’approche du studio dans sa conception du game design, qui converge vers celle de son futur propriétaire. Pour Xenogears et Xenosaga, l’équipe de Takahashi avait commencé par travailler sur l’histoire du jeu, matérialisée par une bible exhaustive décrivant l’univers et les personnages. Les autres éléments avaient ensuite été construits petit à petit autour du contenu scénaristique. Cette façon de procéder portait la marque de Takahashi, pour qui l’ensemble du jeu devait servir sa vision narrative. Si cette méthode a fonctionné tant bien que mal pour accoucher dans la douleur du chef-d’œuvre Xenogears, elle s’est révélée particulièrement problématique avec Xenosaga. Les ambitions démesurées du réalisateur avaient non seulement entraîné des dépassements de budget systématiques et de nombreux reports, mais s’étaient également heurtées au manque d’expérience de l’équipe de développement et aux moyens insuffisants alloués au projet. Il a fallu attendre Xenosaga Episode III pour que le plaisir de jeu se révèle finalement à la hauteur, mais il était alors bien trop tard pour redorer le blason de la série auprès du public.

    Après l’échec de la trilogie Xenosaga, Tetsuya Takahashi et Soraya Saga (qui signe le scénario de Soma Bringer) se sont profondément remis en question. Conscients des limites de la scénarisation toute-puissante, transmise en majorité par des scènes cinématiques, les deux époux ont décidé de revenir à l’essentiel : le plaisir de jeu. Soraya Saga témoigne en 2010 de ce nouvel état d’esprit auprès de Siliconera : « Avec les progrès de la technologie, les RPG sont devenus considérablement plus beaux et dramatiques, mais nous avons appris de notre expérience que les jeux vidéo ne doivent pas être seulement quelque chose que l’on regarde. Je ne dis pas que les joueurs n’ont pas besoin de bonnes

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