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La Légende Dragon Quest: Création - univers - décryptage
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Livre électronique366 pages4 heures

La Légende Dragon Quest: Création - univers - décryptage

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À propos de ce livre électronique

Ce célèbre jeu vidéo n'aura plus de secret pour vous...

Dragon Quest est une saga culte de jeu de rôle japonais. Si connue et si respectée qu’un mémorial lui a été consacré dans la ville de Sumoto, qui a vu naître le créateur de la série, Yûji Horii, aujourd’hui une légende tout autant que son œuvre. Journaliste depuis plus de vingt ans, Daniel Andreyev vous fera découvrir la saga Dragon Quest sous un angle inédit, en tant que phénomène social majeur ayant influencé plusieurs générations de Japonais.

L'auteur nous offre toute son expertise en matière de jeu nippon pour décrypter l'histoire de cette saga.

EXTRAIT

On reconnaît une star à l’aura qui en émane. C’est ce qu’on ressent en présence de Yûji Horii. « Le boss ». Toutefois, il s’en dégage aussi une sorte de simplicité. Ma première entrevue avec lui s’est faite au Japon dans des conditions vraiment spéciales. Le prétexte était la sortie d’un Dragon Quest Monsters. Personne n’était dupe, on était là pour rencontrer la star, pas discuter d’un énième épisode dérivé, même si, par courtoisie, on est un peu obligé d’en parler. Car « c’est pour cela qu’on est là ». L’aura qu’il dégage, on la sent aussi à la haie d’honneur incarnée par son équipe et les différentes personnes de l’organisation. Horii est arrivé d’un pas pressé, poli juste ce qu’il faut et s’est assis au centre de la table, devant les journalistes, souriant mais pas trop, vêtu d’une veste assez simple et d’une chemise à carreaux. Cette attitude n’est pas de la fausse modestie, Yûji Horii est totalement conscient de sa valeur. Il sait tout ce que lui doit son éditeur. Il veut aussi montrer que c’est « un gars à l’ancienne ». Et il aime parler de son travail.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Daniel Andreyev est auteur et journaliste. Il a fait ses premiers pas il y a vingt ans dans la presse jeu vidéo durant son âge d’or, pour Player One, Consoles + et également Animeland avec une affinité particulière pour le Japon. Un temps traducteur, il se revendique aujourd’hui du mouvement du New Game Journalism qui met le joueur au cœur de l’expérience du jeu vidéo. Il produit les podcasts After Hate et Super Ciné Battle. Il brasse aussi ses souvenirs avec ses amis dans Gaijin Dash, l’émission de Gamekult consacrée aux jeux vidéo japonais.
LangueFrançais
Date de sortie7 févr. 2018
ISBN9782377840229
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    Aperçu du livre

    La Légende Dragon Quest - Daniel Andreyev

    Illustration

    INTRODUCTION C’EST QUOI DRAGON QUEST ?

    « Oublie ce que tu fuis. Garde tes inquiétudes pour ce vers quoi tu fuis. »

    Michael Chabon,

    Les extraordinaires aventures de Kavalier & Clay.

    IllustrationIllustration

    C’EST une histoire qui commence en fanfare, littéralement. L’ouverture du tout premier Dragon Quest attaque avec des trompes de chasse synthétiques. Dix secondes précises d’instruments 8 bits. Une brève pause, et c’est parti. La mélodie principale s’engage, beaucoup plus imposante et grandiloquente, accompagnant un écran qui vous invite inlassablement à vous lancer dans l’aventure, à appuyer sur « Start ». Ces arrangements varient avec le temps et les épisodes, les trompes se muent en trompettes, le synthétique se fait orchestral, mais l’intention est la même. Pour des générations de Japonais, ces mélodies si caractéristiques vont devenir la signature de la plus grande série de jeux de rôle japonais. Il suffit de quelques notes afin de comprendre que l’on s’embarque pour un long périple. Ce thème nous rappelle qu’un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas, et que c’est au joueur de braver les dangers.

    Chose très rare à l’époque, ce n’est pas un mais trois nom de créateurs qui sont associés à un jeu vidéo. À tel point qu’il devient coutumier de voir leurs patronymes s’afficher au début de chaque partie dans un silence respectueux, avant que le son des cuivres ne retentisse. Yûji Horii, Akira Toriyama, Kôichi Sugiyama. Dans cet ordre. Cette trinité d’artistes est l’âme de Dragon Quest, la série fondatrice du RPG japonais, celle qui a créé les clichés d’un style et même des expressions maintenant utilisées couramment. Leur œuvre se résume en trois modestes idées : de l’aventure, de la simplicité, du cœur.

    Dragon Quest n’est pas le plus ancien jeu de rôle japonais, mais il a été très certainement le fer de lance et le premier phénomène culturel massif du genre au Japon. Trente ans plus tard, ce nom, devenu un style, une marque de fabrique, est célébré par les joueurs. Pour eux, il s’agit de la promesse d’une aventure homérique avec un zeste de nostalgie. C’est aussi, bien entendu, un label symbolisant un empire commercial colossal. En trois décennies, on compte une dizaine d’épisodes canoniques et tout autant de dérivés sur toutes les générations de consoles de jeux. Rien qu’au Japon, on dépasse les soixante millions d’exemplaires de Dragon Quest vendus, toutes versions confondues.

    DRAGON QUEST : UN NOM QUI PERCUTE

    Ce titre, sobre mais percutant, vient de Yûji Horii. S’il a choisi ce nom, comme il l’explique lui-même¹, c’est qu’il y a d’un côté le mot « Dragon », qui parle à tout le monde et de l’autre « Quest », qui signifie « quête », un mot énigmatique aux sens multiples. En choisissant ce nom, Yûji Horii s’est souvenu d’une leçon reçue lorsqu’il fréquentait l’école Gekigasonjuku fondée par Kazuo Koike². Son mentor et ami lui avait un jour dit qu’il était intéressant d’associer un mot facile à retenir et un autre plus compliqué. De plus, selon lui, les titres commençant par les sons « T » et « D » sont beaucoup plus facilement mémorisables pour un Japonais. Le jeune Horii s’est souvenu de ces conseils avant de donner naissance à son œuvre majeure.

    Une nuance d’importance, c’est d’avoir choisi le terme « Dragon », à l’occidentale. Il aurait tout aussi bien pu utiliser « Ryû » le mot japonais usuel. Il avait le choix. Qui plus est, ryû est un mot plein de nuances qui peut s’écrire avec deux kanjis bien distincts Illustration et Illustration . Le premier implique une nuance d’animalité, proche du gros lézard³, tandis que le second, le traditionnel, est plus complexe et apporte une dimension de sacralité et même de divinité⁴. Le paradoxe, c’est qu’il n’est pas tant question de dragons que cela dans Dragon Quest, tout du moins au début. Très vite, nous le verrons, le public japonais va s’emparer du phénomène. Comme tout ce qui est populaire, on va lui donner un surnom. On dira alors « DRAQUE » (prononcé « DRACOUET » –  Illustration ), la tradition voulant que l’on reprenne les deux premières syllabes d’un nom composé. Une contraction efficace, affûtée et unique. Avec DraQue, aucun risque de confusion.

    LA FIGURE DU HÉROS EN 1986

    Premier RPG japonais grand public, Dragon Quest a défini les codes de tout un genre et de toute une industrie, ne serait-ce que du point de vue du héros. Tout comme le premier Zelda no Densetsu, sorti quelques mois avant Dragon Quest premier du nom, le protagoniste ne parle pas. Son implication dans la conversation se limite à un choix, « oui » ou « non ». Ce qui peut être considéré, parfois, si ce n’est comme une marque de paresse, tout du moins comme une solution économique. La démarche est pourtant la même, celle de placer le héros au centre de l’aventure. « D’une manière générale, je pense qu’un protagoniste qui s’exprime finit par aliéner le joueur. Il l’incarne comme s’il s’agissait d’une extension de lui-même. Dans ce cas, pourquoi donc cet avatar prendrait-il soudainement la parole ? », témoigne Yûji Horii dans un entretien croisé avec Shigeru Miyamoto, le légendaire créateur de Mario et de Zelda. Horii développe son propos avec cette réflexion : « [Le joueur] part alors du principe qu’il est le personnage qu’il incarne jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il s’agit complètement de quelqu’un d’autre. Donner une voix au protagoniste pour qu’il choisisse comment l’histoire va se dérouler mettrait les joueurs mal à l’aise. »

    Pour le trentenaire de Dragon Quest, son éditeur, Square Enix, a organisé un grand rendez-vous pour les fans avec une exposition consacrée à sa série⁶. À l’entrée étaient rassemblés dans une immense salle les dix portraits grandeur nature des héros de la saga. L’ironie, c’est que seul un chiffre romain était inscrit au-dessus de la tête des protagonistes, tous alignés dans le hall en ordre décroissant. Quand l’éditeur communique sur ses documents officiels, il indique systématiquement « Shûjinkô⁷ », ce qui signifie tout simplement « héros ». L’idée originelle de Yûji Horii a toujours été de mettre le joueur au cœur du jeu, à la manière des livres dont vous êtes le héros. Dans une autre pièce, des dioramas représentant les scènes importantes de différents jeux. Un gros marchand qui se fait poursuivre par une cascade en folie, un voyageur qui offre un ruban à un tigre-tueur, et bien entendu quelques combats majestueux contre des démons. Le message, c’est que l’important est de vivre l’aventure.

    UN SUCCÈS SINGULIER

    Le 27 mai 1986, plus de cinq cent mille exemplaires du premier épisode de la série sont mis en vente au Japon. À la fin de l’année, Enix en écoule un million, témoigne Yukinobu Chida⁸, le producteur de la série depuis son origine. Mais si l’avènement de Dragon Quest au Japon est un choc, l’Occident a dû attendre avant de pouvoir découvrir ces aventures fantastiques.

    Les premiers épisodes sont bien sortis aux États-Unis, mais ils ont été rebaptisés Dragon Warrior pour des problèmes légaux⁹. En 1980, il existe déjà un jeu de rôle traditionnel médiéval fantastique appelé DragonQuest et publié par Simulation Publication. Cette situation a duré jusqu’en 2003, où Square Enix a enfin pu déposer son nom pour le marché américain.

    Malgré une ouverture bien plus marquée sur les mangas et les anime en France, Dragon Quest n’est vraiment connu que par l’aura de son dessinateur, Akira Toriyama. Dans l’esprit des fans, c’est l’autre succès de l’auteur, en marge de Dragon Ball. La première œuvre liée à DraQue à débarquer en France est le dessin animé Fly, ou Dai no Daibôken dans sa version originale, d’après un manga édité par la Shûeisha¹⁰. L’ironie de cette modeste prise de contact avec le public français, c’est que le manga ne fait jamais mention de la série de jeux qui l’a inspiré, et sa filiation avec Toriyama n’est pas une seule fois mentionnée. Ce n’est même pas un épisode canonique qui ouvre le bal en Europe, mais un dérivé sur Game Boy Color, Dragon Warrior Monsters, le 25 janvier 1999¹¹. Il va falloir encore quelque temps avant que les liens logiques entre « Dragon », « Ouest », « Toriyama » et « RPG » ne se fassent pour le grand public¹².

    UNE LIGNE DE CONDUITE

    Avec le temps, ce qui a fini par définir le plus un Dragon Quest est la notion de simplicité presque rustique des jeux. Une façon de faire que je nomme « la ligne claire du RPG », en référence au langage graphique de l’école belge de bandes dessinées. Ce style décrit sa volonté d’aller toujours droit au but avec une économie de moyens et d’effets. Ce qui est primordial ici, et marque le parallèle évident avec la BD, n’est pas uniquement le trait simple, mais sa lisibilité. Il s’agit de choix précis et rigoureux, même pour des détails qui peuvent être considérés sans importance. Dragon Quest représente on va le voir à plusieurs reprises dans ce livre, l’incarnation de cette ligne claire du RPG.

    Toute l’industrie pousse les jeux vers plus de sensationnalisme, les grosses productions à devenir de plus en plus cinématiques dans leur approche de la narration. Yûji Horii a voulu, tout au long de sa carrière, raconter ses histoires avec les moyens du bord, presque en décalage avec la technique de son temps. Ce n’est pas un hasard non plus si les bruitages n’ont quasiment pas changé au fil des années. D’un épisode à l’autre, c’est toujours le même son qui vient ponctuer une porte qui s’ouvre ou un escalier que l’on monte. Quand les personnages gagnent un niveau d’expérience, une mélodie de quelques notes part dans les aigus, invariablement la même. Cela peut paraître ringard d’utiliser toujours la même banque de sons, mais c’est aussi une stratégie très intelligente. Bien avant que le retro-gaming ne devienne une mode et un courant, ces sons sont autant de balises mémorielles qui parlent au public japonais.

    Pour mieux comprendre l’importance de Dragon Quest dans l’inconscient collectif japonais, il convient d’abord de revenir sur sa genèse. Parler de cette série, c’est aussi faire le portrait de ses créateurs atypiques, au moment précis où l’industrie est en train de se former et de s’organiser. Saisir pourquoi DraQue demeure un phénomène, trente ans plus tard, pourquoi ce style si élémentaire et chaleureux fait encore recette, tels sont quelques-uns des objectifs de cet ouvrage.

    À cette époque où dans la narration tout est décompressé, où les dialogues sont surécrits pour à la fois mettre de l’ambiance et faire de l’exposition, la saga de Yûji Horii leur oppose une simplicité toute naturelle, comme si ce qui définissait le mieux un Dragon Quest aujourd’hui était son infinie modestie.

    Illustration

    1 Dans un épisode de Game Center CX « Special Yûji Horii, l’homme qui a créé Dragon Quest ».

    2 Auteur de mangas cultes, Kazuo Koike a notamment travaillé sous la direction de Takao Saitô sur la série Golgo 13. Il a ensuite scénarisé le célèbre manga Baby Cart et participé à ses adaptations cinéma dans les années soixante-dix, en compagnie du dessinateur Gôseki Kojima. Plus tard, il va collaborer avec Ryôichi Ikegami à la création de Crying Freeman. Né en 1936, Kazuo Koike continue toujours d’enseigner. Ses anciens élèves de renom sont Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Urusei Yatsura, Inuyasha), Tetsuo Hara (Hokuto no Ken) ou encore le game designer Akira Sakuma, responsable de la série de jeux Momotarô Dentetsu. En compagnie de Yûji Horii, il a tenu des keynotes communes dans le but de promouvoir ses cours.

    3 Ce distinguo vient d’un numéro de Famitsû de 1994, le plus important magazine japonais de jeux vidéo, dont la publication est hebdomadaire.

    4 C’est d’ailleurs celui-ci que Son Gokû et ses amis invoquent dans Dragon Ball, un manga qui, lui aussi, a choisi d’avoir un titre avec « Dragon » à l’occidentale.

    5 Entretien de 1989 retrouvé par la « Game Staff List Association Japan », se déroulant peu avant la sortie de Dragon Quest IV, alors que Shigeru Miyamoto travaille sur Zelda : A Link to the Past.

    6 Dragon Quest Museum a eu lieu en 2016 au Shibuya Hikarie, à Tokyo, avant d’être déplacé à Osaka.

    7 Cependant, dans les screenshots adressés à la presse, l’éditeur et le développeur jouent un peu avec les patronymes des héros. A la place du nom du joueur, on pouvait souvent lire « Enix », « Arus » ou, encore plus récemment, « Eito » (Eight) et « Naïn » (Nine).

    8 Témoignage tiré du documentaire Dragon Quest30th Soshite Aratana Densetsu he, 2016.

    9 Dragon Warrior arrive en août 1989 sur NES aux Etats-Unis. La saga reste localisée jusqu’au quatrième épisode, en octobre 1992, avant de connaître un long hiatus, qui se termine le 25 janvier 1999 avec la sortie de Dragon Warrior Monsters. Il est à noter que ces versions occidentales respectent la tradition de toujours proposer des jaquettes immondes n’ayant strictement aucun rapport, même lointain, avec le design original et le style d’Akira Toriyama.

    10 Édition française originale de J’ai lu. Véritable originalité née d’un hasard éditorial, Dai no Daibôken fera l’objet de plus amples présentations le moment venu dans ces pages.

    11 Encore une fois, on peut trouver cette première approche de Dragon Quest assez absurde, mais en 1999, sortir quelque chose qui ressemble à un clone de Pokémon paraît plutôt logique. C’est l’éditeur Eidos Interactive qui se charge de cette première escarmouche en Europe.

    12 Cependant, la France a aussi, en son temps, une tradition du jeu import. Dragon Quest était l’affaire d’une poignée d’initiés.

    Illustration

    CHAPITRE PREMIER — YÛJI HORII, CE HÉROS DE MANGA

    « Notre métier, Mistress Weldon, est de ceux qu’il faut commencer tout enfant. Qui n’a pas été mousse n’arrivera jamais à faire un marin complet, au moins dans la marine marchande. Il faut que tout devienne leçon et, par suite, que tout soit en même temps instinctif et raisonné chez l’homme de mer — la résolution à prendre aussi bien que la manœuvre à exécuter. »

    Jules Verne, Un capitaine de quinze ans.

    IllustrationIllustration

    ON RECONNAÎT une star à l’aura qui en émane. C’est ce qu’on ressent en présence de Yûji Horii. « Le boss ». Toutefois, il s’en dégage aussi une sorte de simplicité. Ma première entrevue avec lui s’est faite au Japon dans des conditions vraiment spéciales. Le prétexte était la sortie d’un Dragon Quest Monsters. Personne n’était dupe, on était là pour rencontrer la star, pas discuter d’un énième épisode dérivé, même si, par courtoisie, on est un peu obligé d’en parler. Car « c’est pour cela qu’on est là ». L’aura qu’il dégage, on la sent aussi à la haie d’honneur incarnée par son équipe et les différentes personnes de l’organisation. Horii est arrivé d’un pas pressé, poli juste ce qu’il faut et s’est assis au centre de la table, devant les journalistes, souriant mais pas trop, vêtu d’une veste assez simple et d’une chemise à carreaux. Cette attitude n’est pas de la fausse modestie, Yûji Horii est totalement conscient de sa valeur. Il sait tout ce que lui doit son éditeur. Il veut aussi montrer que c’est « un gars à l’ancienne ». Et il aime parler de son travail.

    Un peu dégarni, on l’imagine volontiers crapotant clope sur clope devant sa télé en train de réfléchir à sa prochaine action dans un wargame typiquement nippon¹, vision influencée par le fait que, pendant des années, toutes les photos le montraient avec une cigarette au bec. Ou derrière son bureau, accoudé à une moto, répondant à des interviews, penché sur les documents de son jeu. Il avait toujours ce côté Easy Rider japonais, en plus gentil et plus poli. Pendant de longues années, il s’est défini comme un « free writer », un auteur free-lance, et il en a sans doute gardé toute l’attitude. Mais l’accessoire le plus important, chez lui, ce sont ses lunettes. Rectangulaires et fumées, elles complètent le personnage. On se le figure très bien en train de scanner les gens en sa présence, mais elles sont pourtant nettement moins intimidantes que ces lunettes noires qu’il avait souvent l’habitude de porter également. Beaucoup d’artistes japonais que j’ai eus la chance de rencontrer au fil des années y avaient recours : la timidité maladive est quelque chose de très courant chez eux. Parfois, ils refusent tout simplement les photos, même lors des entrevues publiques et des interviews.

    Retour à l’entretien avec Yûji Horii. Un des nombreux attachés de presse occidentaux se tourne vers moi : « Vous avez de la chance, vous pouvez lui poser toutes les questions que vous voulez, même celles dont on rêve. » Le responsable est un peu optimiste : dans une salle avec trois journalistes, il y a cinq RP² pour veiller sur le big boss. On ne peut justement pas tout lui demander, on fait attention à la moindre phrase. C’était en 2006 et Dragon Quest n’a alors ni l’aura ni le succès qu’on lui connaît en Occident en 2017. Le rapport de force entre la presse et la saga était un peu différent : la série avait besoin des journalistes pour se faire un nom.

    D’une manière générale, Yûji Horii m’a toujours paru plus relax au cours des interviews suivantes. Au Japon, il y a une sorte de protocole à respecter, alors que l’on sent que la discussion pourrait être plus enjouée si la rencontre avait lieu à l’étranger. Ce jour-là, je lui ai demandé ce que ça lui faisait de voir que Pokémon s’était largement inspiré de l’un de ses jeux³. Il m’a rétorqué qu’il ressentait plutôt de la fierté, avant d’expliquer que, selon lui, les jeux sont très différents. Quand il se retire de la pièce, son escorte le suit à la trace, laissant derrière eux une grosse impression de vide. « C’était donc lui, le grand manitou de Dragon Quest », me suis-je alors dit.

    C’est à ce moment que j’ai compris une chose sur Yûji Horii : il est véritablement un héros de manga. De sa naissance à la création de Dragon Quest, il a littéralement eu le parcours d’un protagoniste typique d’un de ses jeux vidéo ou d’un manga. Pour étayer cette métaphore, et mieux entrer dans le sujet Dragon Quest, je vais d’abord vous raconter la vie passionnante de ce héros de shônen.

    YÛJI HORII ORIGINES, « L’AGITÉ DU BOCAL »

    Yûji Horii rappelle souvent qu’il est originaire de la préfecture de Hyôgo et donc du Kansai. Il a évoqué cette attitude toute personnelle qui l’anime. Au Japon, on la nomme : Ichibiri Seishin. Littéralement, ça se traduit par « agité du bocal », une expression qui désigne à la fois quelqu’un de loufoque, burlesque et doté d’un penchant certain pour la déconnade.

    Yûji Horii avait tout pour être un original. Il vient au monde le 6 janvier 1954 dans la ville de Sumoto. Situé dans la préfecture de Hyôgo, « Sumoto-shi » se trouve sur l’île naturelle d’Awaji. Le climat y est subtropical humide, les hivers frais et les étés violemment chauds, comme souvent dans la région du Kansai. Si d’aventure vous vous y rendiez, l’endroit est célèbre pour ses oignons et ses oranges dites « naruto », nommées d’après le détroit où se forme le fameux tourbillon de Naruto, un phénomène naturel causé par les marées contraires des îles de Shikoku et d’Awaji. Car oui, même face à la mer, le plus beau des paradis nous rappelle toujours que l’enfer n’est jamais loin, surtout au Japon. En plus des typhons fréquents, il y a aussi les tremblements de terre. L’épicentre du grand séisme de Hanshin⁵, qui a ravagé Kobe, se trouvait précisément dans l’île d’Awaji. Dire que la nature et la mélancolie d’une planète dévastée sont au cœur des préoccupations de bon nombre de créateurs japonais est une évidence. Chez Yûji Horii, cet attachement se matérialise non seulement dans son œuvre, mais plus concrètement, des années plus tard, par sa participation à la « taxe de la terre natale⁶. »

    Malgré les turpitudes naturelles, l’endroit est paradisiaque. C’est entre les pins et les jonquilles, au bord de la mer, que le jeune Horii prend goût au rêve et à l’évasion. Ce n’est pas un hasard si bon nombre de ses héros commencent leurs aventures sur une île qu’ils finissent par quitter. C’est même un véritable archétype. Dans Dragon Quest VII, il met littéralement le joueur dans la peau d’un fils de pêcheur épris de grandes épopées qui découvre par la suite que le monde est beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît. Comme dans le manga Dragon Quest : Dai no Daibôken, qu’il a supervisé, où Dai vit isolé sur l’île de Dermline, peuplée d’animaux et de monstres qui vivent en paix jusqu’à ce qu’un démon se réveille et brise cette harmonie. Les souvenirs d’enfance de Horii vont devenir un des matériaux de base dans ses créations.

    Horii est également très joueur. Dès le primaire, il s’adonne au smartball (sorte de pachinko simplifié), puis découvre le mah-jong qui le passionne. Souvent, il détourne les règles de jeux de cartes pour inventer une nouvelle forme d’amusement. Issu d’un milieu modeste – son père est vitrier – , le jeune Yûji rêve déjà de réussite et il s’imagine faire une carrière d’avocat. Cela ne dure pas.

    C’est en arrivant au collège qu’il se met à dévorer les mangas. Jusque-là, il suivait le cursus classique d’un garçon de son âge et fréquentait quelques clubs intrascolaires, mais rien de spécifique. Ces clubs sont très importants dans le fonctionnement social de l’école puisqu’en plus de s’y faire des amis, c’est souvent là-bas qu’on forme ses goûts et que l’on alimente ses passions. Il s’adonne à la natation, au saxophone et il apprend la cérémonie du thé avant de consacrer tout son temps au club de manga. Une fois arrivé au lycée, Yûji est déterminé : il veut devenir mangaka.

    Le rêve de Yûji Horii a finalement toujours été de raconter des histoires et il a eu la chance de s’en rendre compte très tôt dans sa vie. Bien décidé à dessiner des mangas, il passe ses nuits à travailler sur le sujet, grignotant alors sur son temps de sommeil, ce qui lui vaut de multiples punitions pour ses retards en série. Alors qu’il n’est qu’à dix minutes de son école à vélo – ce qui est un vrai luxe au Japon – , il arrive en retard presque deux cent fois au cours de sa deuxième année de lycée⁸. C’est un passionné acharné.

    Suivant les conseils de son frère, il profite des vacances d’été de sa troisième et dernière année de lycée pour essayer d’accomplir son rêve : il postule pour devenir assistant de Gô Nagai. À l’époque, le futur créateur de Mazinger Z, Devil Man, Cutey Honey et Grendizer⁹ est l’un des dessinateurs de mangas les plus populaires du Japon avec Shôtarô Ishinomori et Osamu Tezuka. On est en pleine explosion de l’animation à la télé japonaise et le jeune homme se prend à rêver de rentrer dans la prestigieuse liste des assistants de Gô Nagai, car ces derniers sont nombreux à s’être fait un nom par la suite. Yûji Horii rencontre enfin le maître... mais malheureusement, le courant ne passe pas et il essuie donc un refus. Ce destin avorté de mangaka peut presque se lire entre les lignes des jeux que Horii va concevoir. Dragon Quest n’est pas seulement le premier RPG japonais classique, c’est aussi l’archétype d’un récit shônen à l’instar de Dragon Ball. Il ne s’agit pas simplement de s’adresser aux jeunes garçons, c’est un genre qui exalte des valeurs positives comme l’abnégation, l’amitié, le courage, la volonté, où les anciens ennemis deviennent alliés. Horii n’aura de cesse de le répéter tout au long de son œuvre, « tout repose sur la manière de raconter l’histoire. »

    « BON, MAINTENANT, JE FAIS QUOI ? »

    C’est la question que s’est littéralement posée le jeune Horii, peu après ce refus, lorsqu’il ne lui restait plus que quelques mois pour choisir ce qu’il devait faire

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