Dans l’abîme de dishonored: Refonder l’immersive sim
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Avis sur Dans l’abîme de dishonored
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Aperçu du livre
Dans l’abîme de dishonored - Loïc Delahaye-Hien
Chapitre 1 : Aux origines de Dishonored
Dishonored premier du nom est un miracle. Il naît à la croisée des chemins, entre la France et les États-Unis ; des chemins qui se sont parfois frôlés sans se rejoindre, jusqu’à ce que les étoiles s’alignent. Comment deux créateurs arrivés par un accident heureux dans le jeu vidéo se sont-ils associés pour donner vie à leur jeu rêvé ? Comment un éditeur, qui avait autrefois raté sa chance d’une seule journée, leur a-t-il finalement donné les moyens de leurs ambitions, et a-t-il permis à un jeune studio de renaître d’une période de crise et d’annulations de projets en série ? Comment ce jeu vidéo, dont le genre complexe attire souvent l’estime des critiques, mais rarement le succès commercial, a-t-il pu trouver son public, au-delà même des espérances de ses géniteurs ?
Pour comprendre d’où vient Dishonored, il faut revenir dans le passé. Un retour au début des années 1990 s’impose. Cette histoire commence dans les pages publicitaires d’un magazine de jeux vidéo et sur un formulaire de l’armée de l’air américaine.
La naissance d’Arkane Studios
Nous sommes en 1993. Le Français Raphaël Colantonio vient de suivre des études d’ingénieur, davantage par pression familiale que par passion, et effectue désormais son service militaire. Créatif dans l’âme, il s’épanouit dans le rock ‒ il joue dans son propre groupe ‒ et dans les jeux vidéo, plus particulièrement les jeux de rôle sur PC. Il porte une affection toute particulière à Ultima, la série de RPG de fantasy du studio Origin Systems, l’une des premières et des plus grandes références du genre.
Un jour, en lisant les pages du magazine Joystick, il tombe sur un concours organisé par Electronic Arts (EA)¹ : un questionnaire sur la saga Ultima, et dont la récompense est un voyage à Austin, Texas, afin de tester le huitième volet de la série dans les bureaux du studio. Les questions sont très pointues, mais Colantonio est érudit sur le sujet. Quelque temps après avoir participé, la réponse d’EA le prend par surprise : le concours de Joystick est faux ! Cette publication était bien à l’initiative de l’éditeur, qui souhaitait en fait dénicher des joueurs experts de sa licence afin de s’implanter en France. Le profil de Colantonio intéressant EA, il se voit proposer de rejoindre immédiatement l’assurance qualité de l’entreprise. Il accepte et devient officiellement le huitième employé d’Electronic Arts France depuis sa création. L’éditeur l’assiste dans ses démarches administratives afin de mettre fin prématurément à son service militaire.
Colantonio s’épanouit durant ses premières années dans la société. Il participe notamment à une délégation française envoyée à Austin pour tester les derniers jeux d’Origin Systems. Il s’essaie ainsi à Super Wing Commander, nouvel épisode de la série de combat spatial du studio, et travaille sur System Shock, développé par Looking Glass Studios et édité par Origin Systems. Looking Glass avait précédemment sorti un spin off d’Ultima nommé Underworld, un jeu très estimé par Colantonio pour ses apports en matière d’immersion. La façon dont le gameplay permet d’expérimenter des combinaisons de pouvoirs et des interactions variées au sein des niveaux l’avait particulièrement séduit. System Shock poursuit cette volonté d’approfondir les jeux à la première personne, avec une exigence de level design à la hauteur de la liberté d’action accordée au joueur.
Cependant, l’arrivée de la première PlayStation signe un virage pour Electronic Arts, qui délaisse progressivement les productions d’Origin Systems au profit de simulations sportives, jugées plus rentables. Cette direction ne convient pas à Colantonio. Il quitte l’éditeur et travaille brièvement chez Infogrames sur Les Schtroumpfs. Néanmoins, il continue de vouloir créer des titres qui ressembleraient à ceux l’ayant touché en tant que joueur. Il rêve de développer une autre suite à Ultima Underworld (Underworld II : Labyrinth of Worlds, sorti en 1993, n’était pas parvenu à égaler son prédécesseur, sans doute à cause de son développement difficile). En 1999, grâce au soutien financier de son oncle, il fonde Arkane Studios à Lyon. Avec quatre amis², il prend le pari de développer un RPG à l’américaine, et contacte Looking Glass. Cependant, pour créer une suite à Underworld, il faut se plier aux exigences de l’éditeur, Electronic Arts. Colantonio refuse alors de faire des concessions sur la direction du jeu et abandonne la licence Ultima.
Ce titre devient Arx Fatalis, un action-RPG en vue subjective ‒ comme l’était Ultima Underworld ‒ et situé dans un univers de fantasy médiévale où la disparition du soleil a contraint les peuples à se réfugier sous terre. La proposition est originale. Trop, peut-être. Arkane tarde à trouver un éditeur pour son jeu. C’est finalement JoWood qui le publie en 2002. À sa sortie, Arx Fatalis est salué par la critique. Des professionnels comme Richard Garriott³, créateur de la série Ultima, le remarquent. Il permet notamment à Arkane de nouer un partenariat avec Valve, le développeur de Half Life et futur fondateur de la plateforme Steam, qui a conçu un nouveau moteur de jeu, le Source Engine, pour la suite de son titre phare. Au départ, Colantonio souhaite développer Arx Fatalis 2 grâce à cet outil. Cependant, le premier épisode se révèle être un échec commercial. Peut-être trop original, il a surtout manqué de visibilité en sortant un mois après l’un des jeux de rôle les plus importants de cette période : The Elder Scrolls III : Morrowind. Il n’a donc pas généré suffisamment de revenus pour enclencher le développement d’une suite.
Toutefois, les qualités d’Arx Fatalis suscitent l’intérêt d’Ubisoft, qui souhaite travailler avec le jeune studio. Le contrat est généreux et permet à Arkane de s’agrandir en fondant un second bureau à Austin, Texas, afin d’employer des talents des deux côtés de l’Atlantique. De son côté, Ubisoft impose que le prochain jeu du studio soit une adaptation de la licence Might and Magic, dont l’éditeur a récemment acquis les droits après la fermeture de la société 3DO. Arx Fatalis 2 devient donc Dark Messiah of Might and Magic. Il conserve des éléments de son prédécesseur, comme la vue subjective et le décor de fantasy médiévale, mais abandonne une partie de ses éléments de jeu de rôle pour privilégier l’action. L’accueil critique se révèle moins enthousiaste, mais les ventes sont au rendez-vous, cette fois. Le public ignore alors que ce Dark Messiah aurait pu être tout autre, qu’Arx Fatalis 2 aurait bel et bien pu exister. Il a suffi de quelques jours, car la signature du contrat avec Ubisoft a pris de court un autre éditeur renommé, qui souhaitait lui aussi travailler avec Arkane Studios…
Harvey Smith et Austin, l’immersive sim city
Revenons en 1993. Alors que Colantonio bénéficie du soutien d’Electronic Arts pour stopper son service militaire, Harvey Smith s’apprête lui aussi à quitter l’armée. Né à Freeport, Texas, c’est un garçon plein d’imagination pour qui l’écriture et les jeux vidéo permettent de s’évader d’une enfance difficile. Il souhaite rejoindre le programme d’écriture créative de l’université du Maryland. N’ayant pas les moyens de s’inscrire, il s’engage dans l’Air Force, qui lui permet de financer ses études. Il sera notamment mobilisé pendant la guerre du Golfe.
Après avoir servi l’armée pendant six ans, Smith se trouve désemparé au moment de remplir un formulaire de renseignements : orphelin, il ne dispose d’aucune adresse à laquelle faire retourner ses affaires. Il se souvient alors de ses années de scout à Austin, ainsi que d’un ami qui y vit toujours. Il inscrit son adresse, se rend chez lui et retrouve son ancien camarade, désormais testeur pour Origin Systems. Lui-même grand amateur d’Ultima, Smith rejoint à son tour le studio, également dans l’assurance qualité. L’une de ses principales fonctions consiste à présenter les jeux auprès d’équipes internationales d’Electronic Arts. Il reçoit par exemple la délégation française de Colantonio lors du développement de Super Wing Commander en 1994.
Rapidement, l’expertise de Smith lui permet de gagner en responsabilité. Il se montre très critique au moment de la sortie d’Ultima VIII, ce qui encourage Richard Garriott à lui confier une équipe afin de développer une seconde édition du jeu corrigeant la plupart des failles mécaniques et narratives. Smith tire profit de ce succès pour enfin travailler sur son propre titre. Technosaur est un projet de jeu de stratégie en temps réel mêlant dinosaures et lance-roquettes, inspiré de Dune II : La Bataille d’Arrakis⁴. Il entre toutefois en conflit avec EA à propos de la direction du titre, et choisit d’ignorer les conseils de l’éditeur, forçant ce dernier à annuler le projet. Plusieurs membres de l’équipe sont alors renvoyés. Smith, frustré par cette expérience malheureuse, décide de quitter Origin Systems.
Un ancien membre du studio, Warren Spector, le contacte alors pour travailler avec lui. Entre autres cocréateur d’Ultima Underworld, celui-ci s’est vu offrir par John Romero, le père de Doom, les clefs de la filiale Ion Storm d’Austin, ainsi que les moyens de créer le jeu de ses rêves. Ensemble, Smith et Spector souhaitent prolonger la formule d’Underworld et de System Shock en mêlant vue à la première personne, science-fiction et espionnage. Le produit de cette union se nomme Deus Ex. Lorsque ce dernier sort en 2000, il s’agit d’un succès critique et commercial. Smith est alors propulsé à la tête de la suite, Deus Ex : Invisible War, mais le désir de la sortir simultanément sur consoles et PC complique son développement. Lorsqu’il paraît en 2003, le titre n’égale pas son prédécesseur, et Smith lui-même manifeste sa déception. L’année suivante, il travaille comme designer additionnel sur le troisième épisode de la série Thief, acquise après la fermeture de Looking Glass. Thief : Deadly Shadows est le dernier jeu auquel il contribue avant de quitter Ion Storm.
Les parcours de Smith et Colantonio se rejoignent en 2008 : toujours en contact depuis la période Origin Systems, ils se rapprochent depuis que la compagne du premier travaille chez Arkane Austin. Tous deux partagent la même passion pour un certain genre de productions, ces « jeux à la première personne avec de la profondeur », comme ils les appellent. Naturellement, Colantonio propose alors à Smith de rejoindre Arkane.
Le prochain jeu
Après la sortie de Dark Messiah en 2006, Arkane souhaite développer un nouveau projet sur Source Engine : The Crossing. Ce qui n’était au départ qu’une expérimentation du studio prend rapidement de l’ampleur. Jeu de tir à la première personne, The Crossing mêle aventure en solo et multijoueur dans un mode d’affrontement asymétrique où il est possible de prendre le contrôle des ennemis dans la partie d’autres personnes. Cette mécanique n’est pas sans rappeler ce qu’Arkane proposera en 2021 avec Deathloop. Le Paris uchronique qui sert de décor au jeu est l’œuvre de Viktor Antonov, concept artist derrière Cité 17 de Half Life 2.
Toutefois, le coût du projet dépasse les moyens d’Arkane. Pour survivre, il leur faut se rapprocher d’un éditeur ‒ dont l’identité n’a jamais été dévoilée ‒ qui accepte de les financer. Les termes du contrat sont renégociés à plusieurs reprises, toujours en défaveur du studio. En vue d’obtenir des fonds supplémentaires, Arkane signe des contrats avec d’autres entreprises pour aider ces dernières à compléter le développement de leurs jeux. Le studio réalise notamment une partie du level design et de l’animation de BioShock 2⁵, et construit des cartes multijoueur pour Call of Duty : World at War.
Alors que la signature du contrat pour The Crossing approche, Doug Church ‒ collègue de longue date de Warren Spector ‒ contacte Arkane de la part d’Electronic Arts afin de leur soumettre un projet singulier : LMNO. Ce dernier fait partie d’une série de trois jeux issus d’une collaboration entre EA et le réalisateur Steven Spielberg⁶. Du pain béni pour Colantonio, ravi de s’entendre dire non à l’éditeur de The Crossing pour passer à un autre projet.
Dans LMNO, le joueur doit escorter une jeune extraterrestre lors d’un road trip, de la côte est à la côte ouest des États-Unis. Le jeu repose beaucoup sur la communication non verbale entre les deux personnages. Ce projet pousse notamment Arkane à peaufiner son système de combat au corps à corps, Spielberg ne souhaitant pas d’arme à feu dans le jeu. Cependant, lors d’une pause déjeuner, Colantonio reçoit un appel de Church qui le laisse livide : Electronic Arts, comme beaucoup de gros éditeurs à cette période, doit resserrer la ceinture à cause de la crise économique qui vient de débuter en 2008. En conséquence, le projet LMNO, jugé trop coûteux, est annulé.
Le salut d’Arkane viendra-t-il de Valve ? L’éditeur propose en effet au studio de reprendre les rênes d’un projet de spin off de Half Life 2. Nommé Ravenholm, celui-ci se révèle très stimulant pour l’équipe, qui conçoit l’asile de cet épisode comme un gigantesque puzzle où le personnage principal ne joue pas avec le feu mais avec l’électricité, au moyen d’une physique très travaillée et d’un armement permettant une large palette de combinaisons, à la fois pour explorer les niveaux et pour affronter les ennemis mutants. Une fois de plus, le projet se révèle toutefois trop coûteux, et Valve décide de l’annuler. Les développeurs tentent d’assembler tout ce qu’ils ont produit afin de présenter une version alpha, mais rien n’y fait. Il s’agit encore une fois d’un souvenir douloureux pour l’entreprise.
Arkane compte désormais une quarantaine d’employés et vient d’essuyer des annulations en série. Pour assurer sa survie, Colantonio réalise une interview où il informe de la disponibilité du studio. Une occasion qu’un éditeur ne manquera pas, après avoir échoué une première fois à se rapprocher d’Arkane. En effet, Bethesda avait déjà contacté l’entreprise après la sortie d’Arx Fatalis, mais il lui avait fallu du temps avant de revenir auprès des Lyonnais, et Ubisoft l’avait alors pris de vitesse. Cette fois, l’éditeur américain est prêt à s’associer avec Arkane. Sa maison mère, ZeniMax Media, vient alors d’acquérir id Software, studio à l’origine des licences Doom et Wolfenstein, et souhaite s’entourer d’autres experts dans leur domaine. Bethesda confie ainsi à Arkane un projet d’immersive sim à la première personne où le joueur incarnerait un ninja surnaturel dans le Japon médiéval. Le projet possède déjà son titre : Dishonored.
Les fondations de l’immersive sim
L’ADN de Dishonored est riche de plusieurs décennies d’histoire du jeu vidéo. Il porte l’héritage du parcours de ses développeurs au sein d’Origin Systems, d’Ion Storm et des premières productions d’Arkane. Les jeux dont ce titre s’inspire peuvent être regroupés sous le genre que l’on nomme immersive sim. La première mention de ce terme provient de Warren Spector, au moment de la sortie de Deus Ex. On parlait auparavant de « jeu à la première personne avec de la profondeur », comme Colantonio, ou d’action simulation à propos de Troubleshooter, un projet de jeu (jamais paru) de Spector datant de 1994 et portant déjà plusieurs idées de Deus Ex. Toutefois, Spector lui-même attribue la paternité du terme à son collègue Doug Church, avec lequel il a développé Ultima Underworld, l’un des titres fondateurs du genre.
Le nom d’immersive sim évoque le but premier de tous ces titres, à savoir l’immersion, c’est-à-dire la capacité du joueur à se plonger dans un univers fictionnel, et, pour reprendre le concept du poète et critique anglais Samuel Coleridge, à suspendre son incrédulité de manière consentie, à accepter un monde et ses règles comme s’il s’agissait de la réalité. Harvey Smith a parfois qualifié ce genre d’hybride entre le first person shooter (FPS) et le jeu de rôle.
La proximité de ces deux genres remonte à 1979 avec Akalabeth : World of Doom, premier titre de Richard Garriott. Dans ce qui n’était au départ qu’un projet d’école, il existe déjà la recherche d’une immersion par la perspective : si le joueur est représenté par une croix lorsqu’il se déplace sur la carte, pénétrer dans un donjon apporte une vue subjective. D’autres RPG s’approprient par la suite la vue à la première personne : The Lords of Midnight (1984) de Mike Singleton, dont la technique de landscaping permet de générer des décors en 3D à une échelle réaliste selon la position du personnage et la direction de son regard ; ou encore Corporation (1990), une dystopie cyberpunk mêlant des phases de combat, d’infiltration et de piratage informatique.
La même année sort le premier jeu de Warren Spector, Ultima VI : The False Prophet. Polyvalent et rôliste confirmé, celui-ci contribue à élever le niveau de production du titre. Il expérimente un processus créatif qu’il réitérera plus tard avec Deus Ex : s’isoler pendant plusieurs semaines afin de concevoir, avec les autres réalisateurs, une documentation volumineuse (ou game bible) sur l’histoire et les systèmes du jeu. Ainsi, l’immersion se situe au cœur de son projet. Pourtant, Spector fait le choix contre-intuitif d’abandonner la vue subjective dans les donjons ‒ présente dans les volets précédents ‒ afin d’adopter une perspective uniforme : le joueur parcourt l’ensemble du monde en vue isométrique, sans différence d’échelle entre la carte, les villes et les donjons. Le monde d’Ultima VI prend vie grâce à un niveau d’interactivité inédit, permettant par exemple au joueur de superviser, du sac de grains jusqu’au four, la production de son propre pain. Spector est lui-même surpris des possibilités de gameplay qui émergent des systèmes qu’il a conçus quand les testeurs se les approprient, par exemple lorsque l’un d’eux exploite la petite taille de son personnage pour outrepasser un puzzle sans le sort requis. Plus encore que l’immersion, il prend alors conscience du véritable enjeu de ces systèmes approfondis : la liberté.
Lorsqu’il rejoint Looking Glass, le studio de Paul Neurath, Spector continue de travailler sur des RPG plus immersifs se démarquant de la plupart des jeux de rôle sur ordinateur, qu’il juge trop focalisés sur la stratégie et la gestion de personnages. Ultima Underworld (1992) reprend les ingrédients d’Ultima VI dans un unique donjon en 3D, l’Abysse stygien. Le titre est développé en parallèle de Wolfenstein 3D de John Carmack. Les deux font le choix d’une caméra à la première personne combinée au combat en temps réel, donnant la sensation au joueur d’être jeté dans l’arène.
La création suivante de Looking Glass, System Shock, se détourne de la fantasy pour situer son action dans la Citadel, un bac à sable science-fictionnel où le joueur incarne un pirate informatique face à SHODAN, l’intelligence artificielle ayant pris le contrôle de la station spatiale. Le jeu étend les capacités de la caméra subjective et des mouvements du protagoniste développés depuis Underworld, tout en proposant une narration plus épurée : le joueur n’échange plus avec des personnages non jouables (PNJ). Au lieu de dialogues à choix jugés trop lourds, l’exposition du lore⁷ de System Shock passe par des morceaux d’histoire sous forme de mails ou d’enregistrements qui émaillent la progression. Cette manière de raconter sans ôter au joueur le contrôle du personnage inspirera plus tard, en 2007, les enregistrements audio de l’immersive sim art déco de Ken Levine, BioShock.
Lorsque ce dernier rejoint Looking Glass en 1995, il soumet un concept intitulé Dark Camelot, un jeu de rôle médiéval à la première personne sur la quête du Graal. Le projet évolue jusqu’à se centrer sur une unique classe de départ, le voleur. La furtivité se retrouve au cœur de l’expérience de jeu, à travers une gestion des sons produits par le joueur et de l’influence des différents niveaux de luminosité. Thief : The Dark Project sort en 1998, la même année que l’immersive sim de Valve, Half Life, qui s’inscrit dans la continuité des jeux de tir subjectifs d’id Software, tout en reprenant la profondeur systémique et narrative de System Shock, ainsi que son cadre science-fictionnel. Toutefois, Half Life se détache de la liberté d’exploration des jeux de Looking Glass en prenant le parti de séquences scriptées, et ce, en vue de proposer une aventure plus cinématographique.
Lorsque la préproduction de Deus Ex débute à Ion Storm Austin, Warren Spector et Harvey Smith analysent leurs expériences passées chez Origin Systems et Looking Glass, puis réfléchissent au type de jeu de rôle qu’ils souhaitent développer à l’avenir. Ce travail de réflexion aboutit à la publication en 1999 d’un manifeste sur le site Game Developer pour « renouveler les jeux de rôle du prochain millénaire ». Spector s’adresse par le biais de cet article à ses collègues développeurs, et les invite à réfléchir à leur façon de concevoir des RPG à la lumière des récents succès de jeux comme Diablo, Daggerfall ou Final Fantasy VII.
Le concepteur structure son manifeste en plusieurs axes, des « commandements du jeu de rôle » :
◊Faire en sorte que chaque partie soit unique, avec une variété de solutions et de conséquences pour le protagoniste et son environnement.
◊Expliciter les objectifs à atteindre, de sorte que le joueur se concentre sur la façon de résoudre un problème plutôt que de devoir l’identifier.
◊Enrichir les interactions avec les PNJ et l’environnement afin de rendre le monde du jeu crédible.
◊Concevoir une variété d’améliorations pour le protagoniste (objets, compétences, relations), qui permettent de créer des builds⁸ variés.
◊ Ne pas négliger l’impact que le jeu peut avoir s’il développe un propos qui dépasse la simple succession de puzzles et de combats.
En définissant ainsi les fondements de l’immersive sim, Spector place le joueur au centre de l’expérience. Ce dernier en devient le moteur, et ne doit plus obéir à des contraintes héritées du jeu de rôle sur table, où les règles du maître du jeu prévalent. Cette maîtrise du joueur émerge d’un gameplay conçu pour multiplier les interactions possibles, que ce soit avec le décor, les ennemis ou entre les facultés elles-mêmes. En créant ces systèmes basés sur la physique ou le comportement des adversaires, ce n’est plus le développeur qui conditionne la réussite de l’action du joueur par le biais du code, mais le joueur lui-même, par son imagination et son propre apprentissage de ce qu’il est possible d’accomplir. Parce que la physique des immersive sims cherche à imiter ‒ parfois en exagérant ‒ celle de notre monde, il devient facile d’intégrer ces règles systémiques. C’est par exemple le cas dans les extraits dévoilés de Ravenholm⁹, où le jeu met à sa disposition de l’eau, un pistolet à clous et de l’électricité. Il faut alors concevoir un univers crédible, qui sera source d’apprentissage au même titre que le gameplay. Ce cadre doit se montrer suffisamment souple pour donner l’impression au joueur qu’il pourrait « casser » le jeu par une maîtrise suffisante sans que ce soit réellement le cas.
Ces questionnements, cet héritage, Arkane Studios se les approprie dès la conception de son premier jeu, Arx Fatalis. Ce dernier, conçu comme une suite spirituelle d’Ultima Underworld, en reprend la vue subjective,
