Dominus temporis
Par Martin Greenfire
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dès son adolescence, Martin Greenfire se consacre à l’écriture et compte trois romans à son actif. L’idée de "Dominus temporis" émerge après l’achat d’une vieille machine à écrire, qui lui inspire une réflexion sur tout ce qu’elle a pu observer au fil du temps. Ce souvenir l’a conduit à écrire ce roman.
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Aperçu du livre
Dominus temporis - Martin Greenfire
Face à face mortel
Allemagne, en pleine période de dépression, dans les bas-fonds plongés dans la noirceur des années d’après-guerre, dans une ruelle sombre de la capitale allemande, deux hommes se toisent du regard, dans une immobilité totale. Le pavé surchauffé par la chaleur torride de la journée luit presque dans la nuit sous les pieds des deux protagonistes, chacun se tenant à distance raisonnable de l’autre. À la lueur blafarde du seul lampadaire au sodium, dessinant sur le sol brûlant son cercle jaunâtre aux contours obscurs et impénétrables, ils semblent se jauger, se défier, leurs yeux fixant imperturbablement ceux de l’autre, comme s’ils se préparaient à entrer dans un duel d’un temps ancien.
Ils semblent avoir fait abstraction de leur environnement, de la sueur imbibant le liseré de leurs couvre-chefs et s’écoulant en grosses gouttelettes discontinues sur leurs tempes et leurs larges fronts. Une casquette militaire à la visière dégoulinante barre fièrement le front de l’un, tandis que l’autre revêt un élégant borsalino que l’on devine couleur charbon. La tenue noire au tissu imprégné de sueur et au col serré par une cravate, le brassard rouge au disque blanc flanqué de son emblème porté sur le bras gauche, et les bottes en cuir montant jusqu’aux genoux ne laissent aucun doute sur l’origine de l’homme à la casquette. Le second ne porte manifestement qu’un modeste trench-coat en coton, une écharpe enroulée autour du cou, un long pantalon rayé et des souliers noirs accrochant solidement le pavé. Ce dernier tient fermement sous son bras une étrange boîte noire.
Seuls, isolés et stoïques dans le cercle de lumière de ce lampadaire, dans cette chaleur urbaine suffocante, les deux hommes se dévisagent, les yeux plissés et néanmoins menaçants. Leurs regards ne laissent transparaître aucune émotion ; ils sont ceux du prédateur prêt à fondre sur sa proie. Le moment semble figé dans le temps, aucun des protagonistes ne semble oser bouger ne serait-ce qu’un orteil et se contente d’un face-à-face intimidant.
— Allons, sois raisonnable ! Ce que tu tiens sous ton bras appartient à notre Führer et au Reich ! dit l’homme à l’uniforme noir. Je suis son messager, tu n’as qu’à me le laisser et tout ira bien. J’ai fait le voyage juste pour la récupérer, alors sois raisonnable, donne-la-moi.
— Au Führer ? Ce petit caporal n’est pas mon Führer ! Et en aucun cas, il ne pourra avoir cet objet. Et puis d’abord, qu’est-ce qu’il a de si particulier, cet objet, hein, pour que ce grotesque bonhomme à moustache s’y intéresse autant ? S’il a une telle valeur à ses yeux, peut-être vais-je le garder finalement ! répond avec aplomb le deuxième homme.
— Ce ne sont pas tes oignons ! le coupe sèchement l’officier allemand. Bon, je commence à perdre patience ! Donne-moi ce machin, maintenant ! Ou tu en subiras les conséquences.
— Il est dommage que tu veuilles vraiment en arriver là ! Je ne peux me résoudre à te tuer, mais s’il le faut, alors qu’il en soit ainsi… Car c’est moi qui vais te tuer en premier ! Maintenant, tu vas gentiment tourner les talons et dire à ton petit caporal que moi et cette boîte avons disparu… Et ensuite, nous irons tranquillement boire un café.
L’officier allemand reste de marbre, mais sous ses allures de soldat de plomb, son esprit semble un instant déstabilisé par un sentiment mitigé de confusion. Cependant, sa propre nature reprend rapidement le dessus.
— Boire un café avec moi ? Mais qui es-tu, toi, pour que j’accepte de venir boire un café avec toi ? Tu n’es qu’un ennemi du Reich !
— Si tu savais… répond simplement l’homme au Borsalino.
— Bon ! Il suffit maintenant ! Soit je récupère sur le champ cet objet, soit je t’abats comme un chien, là, dans cette ruelle ! Je compte jusqu’à cinq ! Un ! L’officier allemand sort son arme de son fourreau et en pointe le canon vers son adversaire.
— Tu es bien sûr de ce que tu veux ?
— Deux ! Il arme le chien du pistolet.
L’homme tourne soudain la tête et semble parler à des inconnus dissimulés dans l’obscurité.
— Je ne peux pas le faire ! s’écrie-t-il soudainement par-dessus son épaule en s’agenouillant les bras en croix. Tirez ! Abattez-le !
— C’est quoi ce bordel ? L’officier allemand devient soudainement méfiant ; c’est quoi ce traquenard ? Sa main agrippant l’arme devient tremblante et commence à s’agiter.
— Il n’y a aucun traquenard ! Mais dans l’histoire, c’est toi, au final, qui vas mourir. Mais moi, je ne peux pas te tuer ! Je ne veux pas te tuer !
— Qu’est-ce que tu veux dire par-là, jeune fou ? Allez ! Donne-moi cette boîte maintenant ! Qu’on en finisse sur le champ ! Trois ! La nervosité se lit sur son visage, son regard n’est plus fixé sur son adversaire, mais ses yeux scrutent les coins obscurs pour tenter d’y dénicher des fantômes terrés dans l’ombre.
— Attendez ! Ne tirez pas pour le moment ! Restez en stand-by !
— Quatre !
— Attends ! Attends, je t’en supplie, il faut que je t’avoue quelque chose, quelque chose qui te concerne directement, qui nous concerne… ! L’homme semble être au bord des larmes. Il supplie l’officier allemand ; en tant qu’officier allemand, tu dois au condamné une dernière volonté, une dernière parole. Personne ne tirera si tu m’octroies ce droit. Je te le promets.
— Cinq…
Mais comment ces deux hommes-là en étaient-ils arrivés à se défier ainsi dans une ruelle sombre de Berlin, engagés, dirait-on, dans un duel dont l’issue létale était quasi certaine ?
Afin de comprendre cela, il est nécessaire de remonter le temps, ou plutôt, non, de le descendre.
***
1
Une magnifique acquisition
C’était dans l’intimité, somme toute douillette, d’une minuscule chambre d’hôte au charme campagnard, que tout avait débuté. David contemplait avec des yeux d’enfant sa dernière acquisition. Elle était là, trônant fièrement sur son bureau tel un trophée, brillant de mille éclats scintillants, baignant dans les rayons d’un soleil filtrant à travers des rideaux de mousseline.
Le derrière sommairement calé dans un inconfortable fauteuil, il étira vigoureusement chacun de ses muscles, tortillant son corps comme une anguille dans son panier. Candace, une blonde sulfureuse au corps bodybuildé, la main malaxant affectueusement la base de sa nuque et la tête penchée au-dessus de son épaule, observait chacun des gestes de son bien-aimé. Ce dernier semblait avoir, un temps, retrouvé une enfance trop tôt perdue. Il pouvait sentir son souffle chaud et humide caresser la peau frissonnante de son cou, tant et si bien que son corps fut parcouru par d’agréables secousses.
Ce dernier tendit ensuite ses bras en avant, entrelaçant ses doigts, et, ainsi emprisonnés, fit craquer chacune de ses jointures dans de sinistres crépitements. Ceci fait, il saisit une feuille de papier blanc immaculé, la secoua énergiquement pour en assouplir les fibres, et la glissa délicatement dans le tambour. Emportée par le grincement aigu de la molette d’entraînement, elle s’enroula lentement autour du cylindre jusqu’à atteindre sa position d’attente.
La lumière diaphane, réfléchie par la feuille de papier inondée de soleil, se reflétait en miroir sur le verre transparent de ses lunettes, derrière lesquelles des yeux d’un bleu acier scrutaient avec émerveillement la surface noire satinée de cette merveille mécanique.
— J’y vais ? Il tourna sa tête vers le visage de Candace, et, ses lèvres effleurant celles de la jeune femme, il y déposa un délicat baiser empli d’amour.
— Vas-y ! Cela te fait tant plaisir… Cela fait tellement longtemps que tu n’as pas écrit. Essaie-la !
Tandis qu’il posait à son tour une main sur celle de sa compagne, ses doigts agiles restés libres et tremblotants vinrent délicatement effleurer le clavier en ivoire de sa machine à écrire de collection au noir satiné clinquant. La couche de salissure noirâtre et terne qui recouvrait les touches que l’on devinait à l’origine blanches trahissait le passé des nombreuses extrémités de phalanges qui s’étaient posées sur leur surface patinée au cours de son histoire. Plutôt que de le rebuter, cela, à ses yeux, lui donnait un certain cachet empli d’histoire passionnante.
À la suite d’une rapide recherche sur le web du numéro de série de sa machine, il découvrit qu’elle avait été mise en service en 1933 à Munich, en Allemagne.
Son esprit divagua alors, imaginant combien de rapports passionnants avaient pu être saisis sur son tambour, combien de doigts avaient frappé les touches d’ivoire à la gloire de l’accession au pouvoir d’un certain Adolf Hitler en 1933, la montée de l’Allemagne hitlérienne… Combien d’articles de presse avaient pu marquer le ruban encreur à la gloire des athlètes aryens de l’Allemagne nazie lors des Jeux olympiques de 1936 à Berlin.
Plus tard, pourquoi pas, la machine aurait peut-être été le témoin de la débâcle militaire du siège de Stalingrad, de la bataille meurtrière de Koursk.
Mais encore, pourquoi ne pas imaginer qu’elle ait fait défection pour fuir les forces de l’Axe et rejoindre le clan des Alliés ? Aurait-elle, un tant soit peu, assisté aux exploits des aviateurs britanniques défendant de leur sang le sol de leur enfance lors de la bataille d’Angleterre, ou encore dénoncé l’attaque ignominieuse de la base navale américaine de Pearl Harbor ? Peut-être se trouvait-elle à bord du célébrissime Big-E, le porte-avions CVN-65 Enterprise, lors de la bataille de Midway et de la reconquête du Pacifique par les boys américains. Peut-être avait-elle décrit par ses mots la fin de l’Allemagne nazie, ou les horreurs d’Hiroshima et de Nagasaki, peut-être… Pourquoi pas ? Tant d’histoires à imaginer derrière le clavier de sa nouvelle acquisition.
Et de l’imagination, il en avait à revendre.
— Ohé ! Je t’ai perdu là ! Où es-tu ? La belle Candace interrompit le cours de ses pensées les plus profondes.
— Hein ? Oh ! Pardon, je m’amusais à imaginer une histoire pour cette machine.
— Eh bien, alors, écris-la !
— Errr… Oui, tu as raison.
Alors, tel un pianiste, il agita ses doigts dans l’air comme pour les chauffer, puis un premier enfonça une touche, suivi par un second, sous l’œil bienveillant de Candace.
Un rictus de satisfaction s’afficha sur son visage.
— Et elle fonctionne en plus !
Enfin, le cliquetis mécanique de chacune des touches qu’il sollicitait emplissait la pièce exiguë de sa mélancolie métallique, tandis que la barre à caractère correspondante venait frapper le ruban encreur devant la feuille de papier blanc. Alors que la tête de frappe d’acier frappait le ruban de soie dans un bruit sec, l’empreinte d’une lettre alphabétique apparaissait par transfert d’encre noire sur la surface blanche de la feuille, puis, une lettre s’ajoutant à l’autre, l’ensemble venait à former une combinaison cohérente jusqu’à créer des mots, et des mots formèrent des phrases organisées.
C’était par un beau matin d’un mois d’octobre ensoleillé, tandis qu’un léger voile de brouillard enveloppait les hauts sommets de volcans endormis dans le lointain. Un léger vent de sol se frayait un chemin dans les méandres des étroites rues médiévales du bourg auvergnat de Polignac, apportant son lot de douce sensation de fraîcheur apaisante après un été de canicule étouffante.
À quelques kilomètres plus au nord, le volcan endormi Mont Bar surveillait fièrement le plateau du Velay du haut de son cône, trahissant son origine sulfureuse et faisant écho au donjon et aux 800 mètres de remparts de la Forteresse de Polignac, bien assise sur son roc volcanique.
David et sa compagne profitaient de leurs vacances communes, loin du tumulte de leur vie citadine de Montréal. Ils avaient trouvé logis dans une magnifique ferme auvergnate traditionnelle transformée en chambre d’hôte dans la périphérie du Puy-en-Velay. Mais en ce jour même, ils avaient entrepris de visiter la glorieuse forteresse de Polignac qui, bien ancrée dans la roche de son socle volcanique, semblait toujours veiller sur Le Puy-en-Velay et sa plaine environnante. Ils n’avaient alors aucune idée de ce qu’ils y découvriraient.
***
2
La fuite
Une pluie diluvienne battait bruyamment le pavé de l’étroite venelle de Munich, brutalement extraite de sa torpeur par le tintamarre strident de sifflets tenus serrés entre les dents d’individus en chemise brune. Leurs bras, fagotés dans le trop tristement célèbre brassard rouge flanqué du svastika nazi, ces hommes coiffés de képis dégoulinants s’agitaient fiévreusement dans la faible luminosité des lampadaires à vapeur de sodium, l’arme au poing.
Leurs voix nasillardes claquaient en allemand, cinglant des injonctions qui se confondaient dans le vacarme tonitruant environnant.
— Halte ! Halte, ou je fais feu ! s’écria l’une d’elles.
Soudain, des coups de feu crevèrent le voile impénétrable de la nuit, tandis que des projectiles venaient ébrécher le pavé dans un sifflement cinglant. Une silhouette noire, coiffée d’un couvre-chef, déboucha soudainement de la pénombre, tel un diable sortant de sa boîte. L’homme trébucha maladroitement, son pied ayant accroché une plaque en fonte de voirie mal ajustée. Il se releva, péniblement, une main en appui sur le corps métallique d’un lampadaire. Arcbouté, il haletait bruyamment. L’eau dévalait la courbure de son dos et ses épaules en une cascade tumultueuse, tandis qu’un long filet de sang rouge s’écoulait de son bras ballant et venait mourir en une traînée écarlate, mêlée à la pluie battante sur les pavés sombres.
Baigné dans ce faible halo de lumière formant un cercle parfait autour de lui, il leva la tête, son visage dissimulé sous l’ombrage de son couvre-chef. Ses yeux scrutaient profondément l’obscurité, dans l’espoir vain de trouver le salut pour semer ses poursuivants. Il pensa qu’il devait rapidement quitter les lieux, trop exposé sous la lumière du lampadaire. Ses craintes furent rapidement justifiées lorsqu’il perçut les voix qui semblaient se rapprocher.
Les sifflets discontinus apportaient toujours confusion et chaos dans son esprit. Alors qu’une inextricable panique commençait à prendre le contrôle de ses sens, un jet de lumière jaune apparut soudain dans l’embrasure d’une porte que l’on venait d’entrouvrir. Une silhouette se glissa par l’ouverture, sortant timidement un pied méfiant sur la marche extérieure. Puis, une tête s’avança dans le faisceau lumineux et, comme montée sur un pivot mécanique, pivota lentement autour du cou pour inspecter les environs. Enfin, un bras discret lui fit signe.
— Pssst ! Eh ! Vous ! Par ici, venez vite !
La voix, à peine audible, noyée par la pluie et la confusion environnante, l’intimait à se hâter.
Le temps n’était pas à la réflexion. Les ombres menaçantes commençaient déjà à se dessiner sur les murs des immeubles derrière lui, et l’on devinait la silhouette tournoyante d’une arme de poing brandie au bout d’un bras tendu.
L’homme se redressa, porta une main tremblante sur son bras blessé, et, cahin-caha, il se rua vers la porte de son probable salut. D’un rapide coup d’œil, il constata que l’entrée donnait sur une petite boutique de libraire. La porte s’ouvrit complètement pour le laisser entrer, tandis que son mystérieux sauveur l’empoignait fermement par le bras pour le précipiter à l’intérieur.
Ensuite, ce dernier balaya rapidement le sang maculant son porche, le recouvrant d’un épais paillasson. La pluie se chargea de faire disparaître le reste, le diluant dans son flot continu.
— Merci ! Le regard du fuyard croisa celui de l’homme.
— Pas le temps de me remercier ! Plus vous laisserez eau et sang couler sur ce plancher, plus il sera difficile d’effacer vos traces… Vous le ferez après. Maintenant, hop ! Sautez à travers cette trappe, et silence, huh !
Sans réfléchir, le blessé se jeta dans l’ouverture du sol, qui fut aussitôt refermée par un lourd panneau de bois renforcé. Il se retrouva alors dans une obscurité totale. Il entendit au-dessus de sa tête le bruissement d’un objet traîné sur le sol, probablement un large tapis disposé là pour dissimuler l’ouverture. Puis, il perçut le mouvement agité d’une serpillière frottant le plancher. Il ressentit alors sur son visage la froideur des gouttelettes d’eau mêlées à son sang qui perlaient à travers les imperfections du parquet au plafond.
Soudain, des coups sourds et insistants ébranlèrent la porte d’entrée, tandis qu’une forte voix hurlait à gorge déployée de l’autre côté. Les à-coups se faisaient de plus en plus violents, ébranlant les gonds. L’homme, au-dessus, se hâta de faire disparaître les dernières traces, puis il répandit généreusement de l’eau savonneuse sur le parquet qu’il étala rapidement avec sa serpillière.
— Voilà, voilà ! s’écria-t-il tandis qu’il se hâtait vers la porte.
Alors que cette dernière pivotait lentement sur ses gonds, la lumière de la pièce révéla peu à peu le visage au menton carré d’un individu coiffé d’un képi dégoulinant d’une eau froide et ruisselante. Droit dans ses bottes montantes de cuir noir, l’imperméable trempé cachant l’uniforme réglementaire d’un officier de la Sturmabteilung, la redoutable milice nazie plus sinistrement connue sous l’abréviation SA, l’homme fit irruption dans la pièce comme en terrain conquis.
— Nous recherchons un ennemi de l’État ! s’écria l’Obersturmführer allemand d’une voix cinglante.
Il ôta son képi détrempé qu’il plaça sous son aisselle et passa une main couverte de taches de rousseur dans ses cheveux blonds taillés à la légionnaire, tout en faisant un rapide signe de l’autre main. Aussitôt, une nuée de sbires surexcités pénétra avec force à l’intérieur de la boutique exiguë.
— Holà ! Doucement, hein ! C’est fragile, tout ça !
Sous le plancher, entendant les bruits sourds des bottes martelant le parquet au-dessus de sa tête, le cœur du fuyard cognait sa poitrine, son sang battait dans ses tempes en un bruit assourdissant. Il sursautait à chaque fracas d’objet chutant au sol. Chaque seconde, il s’attendait à voir la lumière jaillir sur son visage, signe que la trappe venait d’être soulevée.
Alors, comme pour se rassurer, la main collée sur sa blessure dont il sentait le sang chaud glisser sur sa peau, il plaqua son dos contre la paroi, espérant que la pierre dissoudrait ses formes, le rendant invisible.
Soudain, il ressentit un souffle chaud et humide dans son cou, semblable au souffle d’un dragon. Une présence se pressait contre lui. Il sursauta violemment lorsqu’une main se plaqua sur ses lèvres, étouffant le cri instinctif qu’il allait pousser avec véhémence.
— Chut ! chuchota une voix féminine tout près de son oreille.
L’odeur suave d’un parfum enivrant vint chatouiller ses narines.
— Qui êtes-vous ? murmura-t-il à son tour.
— Pas pour le moment ! répondit-elle, en forçant la tête de l’homme vers le haut, comme pour l’obliger à se rendre compte de ce qu’il se passait au-dessus de sa tête.
En effet, à l’étage, une armée d’hommes en chemises brunes fouillait chaque pièce, chaque recoin, de fond en comble, sans ménagement pour les objets et livres de collection, qui, fragiles et précieux, chutaient parfois lourdement sur le sol.
— Alors, où est-il ? questionna brutalement l’Obersturmführer.
— Je ne vois pas de qui vous voulez parler ! Je suis dans ma boutique, et je n’ai vu personne !
— Ah bon ? répondit l’officier, l’air narquois. Et là ! Ces traces d’eau ! Qu’est-ce que cela signifie ? Il pointait d’un doigt tremblant de nervosité les empreintes humides sur le sol.
— Quoi, ça ? Après toute une journée de clients sous la pluie dans ma boutique, je nettoie le sol, quoi de plus normal ? rétorqua l’homme en s’appuyant sur le manche de sa serpillière.
Mais dans sa précipitation, il commit une erreur qui n’échappa pas au regard pénétrant de l’Allemand.
— Vous nettoyez à grande eau un plancher, sans même vous donner la peine d’enlever une magnifique pièce de tapisserie ? Il se baissa et tâta de ses doigts le tissu. Il est tout imbibé d’eau, c’est dommage…
L’homme et la jeune femme entendirent alors le bruit sourd du talon du milicien qui frappait le sol, cherchant à détecter une différence de sonorité dans la consistance du bois sous ses pieds. Soudain, il s’arrêta sur un point précis, d’où émanait une résonance toute différente.
— Et là-dessous ! C’est quoi, huh ?
— Ma cave.
— Hum, je vois…
L’homme en dessous commença à paniquer, tandis qu’un léger bruissement se fit entendre au-dessus de lui, indiquant que le tapis glissait sur le sol.
— Une cache, huh ? s’exclama l’Obersturmführer, le regard furieux ; je n’aime pas que l’on se foute de moi, surtout lorsque l’on cherche à dissimuler des ennemis de l’État !
Il empoigna alors violemment l’homme par le bras.
— Viens là, mon gaillard ! Il s’adressa à l’un de ses soldats. Toi, surveille cette trappe ! Que personne n’en sorte ! Il plaça un homme en faction devant le panneau de bois cachant les deux fugitifs.
— Nous sommes faits comme des rats ! L’homme enfermé dans le sous-sol, qui s’avérait désormais être une prison mortelle, commença à s’agiter nerveusement.
— Chut ! Calme-toi ! Tu vas nous faire repérer ! susurra la jeune femme à son oreille comme pour le rassurer dans l’adversité de leur sort.
Après avoir réajusté sa casquette sur la tête, l’officier allemand traîna sans ménagement l’homme dans la rue qui n’opposa aucune résistance. Il le fit s’agenouiller sur le pavé détrempé de la ruelle et sortit son arme de son étui, un Luger rutilant, dont il cala le canon contre le front du bibliothécaire.
Ce dernier sentant sa dernière heure arriver demeura cloîtré derrière un mur aussi silencieux que méprisant et leva la tête en dernière défiance, faisant face au visage de son bourreau. La pluie battante ruisselait sur son front et s’écoulait en longs filets ondulants sur ses épaules. Malgré l’eau qui noyait sa vision, il plongea son regard profondément dans ceux de l’homme lui faisant face. Ce dernier sembla soudainement gêné par le regard persistant de sa victime.
Les yeux de l’Obersturmführer fuyaient inconsciemment ce dernier affront, évitant de croiser les pupilles dilatées qui le fixaient d’une manière si provocante. Il releva son Luger, poussa un « Scheiße ! » de dépit tout en esquissant une grimace ennuyée, puis contourna sa victime pour n’avoir que son dos devant lui. Mais il ne s’attendit certes pas à ce que cette dernière ne lui fasse volte-face à son tour en pivotant sur ses genoux, pour de nouveau avoir un face à face de défiance avec son bourreau.
— Ne bouge pas nom de nom ! jura l’Allemand ; j’ai horreur que l’on me résiste ! Il appela deux autres miliciens à son aide.
— Vous autres, tenez-moi cette vermine fermement ! Je ne veux plus qu’elle bouge !
Les deux comparses saisirent alors fermement l’homme par les épaules, le contraignant fermement accroupi sur le sol. Ce dernier sentit alors l’acier froid de la bouche du canon se positionner sur l’os occipital de son crâne. Sentant venir sa proche fin, il abaissa la tête en fermant les yeux.
Soudain, deux détonations assourdissantes déchirèrent le silence de la nuit, claquant tels des coups de fouet. Les yeux du supplicié vacillèrent à un millième de centième de fraction de seconde tandis que la mort envahissait ses sens. Sa bouche s’ouvrit, laissant s’échapper un dernier souffle de vie. Les miliciens relâchèrent le poids mort de son corps qui bascula lourdement en arrière, heurtant violemment le sol. De derniers frémissements agitèrent un instant ses membres, puis il se figea dans le temps, saisi par les ténèbres.
Au même instant, l’écho foudroyant des détonations parvint à l’endroit où étaient enfermés l’homme et la jeune femme, qui tressautèrent d’effroi.
Ils se serrèrent alors l’un contre l’autre dans un corps à corps empreint de terreur. Bientôt, ils entendirent au-dessus de leur tête le retour d’une paire de bottes à l’allure bien décidée.
— Tu me fais confiance ? questionna la jeune femme.
L’homme n’eut même pas le temps de répondre que la trappe s’ouvrit brutalement, inondant la pièce de lumière. Une tête apparut à travers l’ouverture, et en inspecta minutieusement l’intérieur.
— Rien à signaler ! Mein Obersturmführer ! commenta la tête.
— Comment ça, rien à signaler ? répondit la voix furieuse ; descendez voir s’il n’y a pas d’issues !
Un homme descendit alors dans la cave, et en inspecta chaque recoin. Il constata que la pièce ne comportait aucune sortie ou porte dérobée lorsque soudain son pied glissa sur quelque chose de visqueux. Il se baissa, tâta le sol de ses doigts qu’il porta à ses yeux.
— Il y a du sang sur le sol ! s’exclama-t-il ; s’il y avait quelqu’un, il y a longtemps qu’il s’est volatilisé !
— C’est assurément impossible ! ragea l’officier ; nous étions sur ses talons ! Il ne pouvait pas nous échapper ! Continuez à chercher, démolissez-moi cet endroit pierre par pierre ! Il doit y avoir une quelconque porte dérobée menant à un tunnel sous-terrain ! Trouvez-le-moi, c’est un ordre !
Il se tourna alors vers le corps de l’homme qu’il venait d’exécuter froidement. Ce dernier gisait sans vie, le visage contre terre, son sang noyé dans le ruissellement tumultueux de la pluie. Ses yeux figés dans le temps grands ouverts semblaient fixer avec intensité ceux de l’officier.
— Que me cachais-tu, vieil homme ?
***
3
Une violente agression
— Oh ! Tu as vu ? C’est journée de brocante dans la forteresse aujourd’hui !
— Oui, j’ai vu ! répondit Candace, peut-être rapporterons-nous quelques antiquités de cette région au pays… Mais pas d’excès, huh ! Nous ne voudrions pas être en surcharge bagages lors de notre retour ! Elle esquissa un clin d’œil malicieux qu’il saisit au vol.
— Ne t’en fais pas ! Je serais sage comme une image… répondit simplement David.
— Mouais, c’est ça ! Et il gèlera en enfer… rétorqua Candace qui assurément connaissait bien son homme.
Ils prirent leurs jetons d’accès au centre d’accueil, puis ils s’engagèrent sur le chemin d’accès pentu. La pente était rude, mais le magnifique panorama qu’offrait le paysage de vallons verdoyants aux collines aux dos arrondis avec en arrière-plan les silhouettes crêtées des Monts d’Ardèche suffisait à faire oublier la rudesse de l’ascension.
À un moment, ils levèrent la tête et furent subjugués par le poids de l’immense rempart de la forteresse qui les surplombait. La pierre brune volcanique dans laquelle il était fait semblait absorber la lumière pour n’en laisser échapper qu’une lueur mystique.
Alors qu’ils s’engageaient sur le chemin d’accès aux six portes défensives, juste avant les tourniquets d’entrée, un homme surgit soudainement de nulle part, attrapant le bras de David dans une forte étreinte.
— Monsieur ! Je vous en conjure, n’y allez pas ! s’exclama l’inconnu avec une voix empreinte d’une vive émotion.
— Comment ? rétorqua David, on se connaît peut-être ? Il se plaça instinctivement devant Candace, la poussant discrètement vers les cages sécurisantes des tourniquets.
— Non ! Vous ne me connaissez pas, moi, oui ! répondit l’homme, vous commettez une erreur, vous ne devez pas vous rendre dans la forteresse ! Croyez-moi !
David se débattait vigoureusement afin de se soustraire de l’étreinte qui tenait son bras dans un étau.
— Mais enfin, vieux fou ! Lâchez-moi donc !
