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Sous le regard de Jeanne
Sous le regard de Jeanne
Sous le regard de Jeanne
Livre électronique307 pages6 heures

Sous le regard de Jeanne

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À propos de ce livre électronique

En 2030, la France est plongée dans le chaos à la suite de la pandémie de Covid-29, entraînant l’instauration d’une dictature oppressante. Trois jeunes femmes que tout oppose – Cindy, ancienne militaire, Hortense, militante écologiste, et Gersande, issue d’un milieu aristocratique – se rencontrent dans des circonstances dramatiques. Unies par des épreuves communes de répression et d’injustice, elles s’envolent pour le Canada afin de lutter contre la tyrannie française. Leur amitié naissante devient leur arme la plus précieuse dans ce combat acharné pour la liberté. "Sous le regard de Jeanne" vous immerge dans une aventure où courage et solidarité s’entrelacent, invitant le lecteur à réfléchir sur la résilience humaine face à l’oppression.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Joël Tanguy, membre de la Société des Auteurs de Normandie et de la Société des Écrivains Normands, compte à son actif plusieurs romans publiés. À travers ses œuvres, il aborde avec humour et distance des thèmes de société tels que l’éducation, la violence, la rébellion, l’amitié, l’amour, la liberté et la religion. Par son style distinctif, il crée des récits aux temporalités variées, allant du passé au présent, jusqu’à un futur proche. Chaque écrit révèle une réflexion profonde sur la condition humaine.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie1 déc. 2024
ISBN9791042251291
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    Aperçu du livre

    Sous le regard de Jeanne - Joël Tanguy

    Avant-propos de 2037

    Ce récit a été écrit tout au long de la période qui va de mon adolescence dans les années 2020 jusqu’à aujourd’hui, fin 2037. C’est en fait une sorte de journal intime relu et au besoin corrigé à la fin d’une aventure qui me semble globale, en espérant qu’elle soit bien derrière nous. Cela explique le passage parfois inattendu entre le passé, le présent et le futur, ce qui a des conséquences sur la conjugaison. L’éventuel lecteur de ce récit voudra bien me pardonner.

    Hortense dite Horty

    Le Covid-29, vécu par des amoureuses de Jeanne d’Arc.

    Le destin croisé de 3 jeunes femmes en 2030 et…

    En couverture : Jeanne d’Arc interprétée par Milla Jovovich dans le film de Luc Besson.

    Un roman de Joël Tanguy.

    Première partie

    Covid-29

    I

    Interpellation étrange

    Cindy est chez elle, dans son pavillon, confinée avec son mari Jordan, et leurs deux enfants : Jade, âgée de 4 ans et Léo, âgé de 2 ans. Ils vivent dans une ville du Nord, région d’origine de Jordan. Le Covid-29 est différent du Covid-19, qui a causé tant de morts et déstabilisé l’économie mondiale, affectant particulièrement la France, un pays qui a amorti socialement le choc, mais s’est endetté encore plus que les autres pays. Le monde ne s’est pas encore totalement remis de cette crise et la France non plus, d’autant que deux épidémies légèrement moins graves sont survenues entre-temps et que des tempêtes importantes ont considérablement détruit le littoral, qui a reculé à plusieurs endroits. Cindy et Jordan ne roulent pas sur l’or, leurs salaires sont médiocres, mais par rapport à beaucoup d’autres, ils se considèrent comme des privilégiés.

    En 2020, le monde subit la principale crise mondiale sur le plan sanitaire. Les experts sont presque unanimes pour parler d’un choc universel comparable aux deux guerres mondiales du XXe siècle. La France, comme les autres pays, avait mis du temps à réagir, à utiliser l’armée, à confiner les citoyens. Son équipement, non prévu pour une telle situation, était apparu notoirement insuffisant en masques, en respirateurs, en médicaments et l’armée avait été utilisée tardivement et à minima. Le pays était sorti exsangue, enterrant ses nombreux morts et s’était remis en route péniblement, faisant revenir de l’étranger un certain nombre d’activités industrielles et le régime politique a commencé à vaciller, surtout après la révolte des gilets jaunes. Mais l’homme est ainsi fait : aucun pays n’avait vraiment saisi cette occasion pour repartir à zéro avec une nouvelle économie, qui tiendrait compte du réchauffement climatique.

    Certes, malgré les nombreuses recherches, personne n’avait trouvé à cette pandémie une cause uniquement climatique, mais tous les spécialistes étaient bien conscients que son développement international, avec une rapidité spectaculaire, était dû à l’accélération permanente des moyens de transport dans le monde. En 2024, quand un nouveau virus, le Covid-23, assez proche du précédent, avait émergé en Amérique latine, la plupart des pays s’étaient immédiatement refermés en tenant compte des leçons de la précédente crise. Le confinement a été immédiat et absolu. En France, c’est l’armée qui livrait les médicaments ou l’alimentation nécessaire aux familles et aux institutions. Les commandes se faisaient par Internet, car presque tout le monde en était équipé. Pour la nourriture, l’armée distribuait des colis préparés dans les grandes surfaces par les militaires en fonction du nombre de personnes résidant dans le foyer. Cette fois, en 2030, pas de folie, seuls les produits indispensables sont distribués, ce qui a permis probablement de limiter le nombre de morts et peut-être même la durée du confinement. Depuis plusieurs années, la population était appelée à se préparer et tout citoyen devait posséder un stock alimentaire d’urgence, régulièrement tenu à jour. Des contrôles étaient effectués et des amendes infligées aux non-prévoyants.

    La sonnerie retentit pour les informer que leurs kits alimentaires leur étaient livrés. C’est Cindy qui sortit pour aller ouvrir la grille tout en restant loin des soldats qui effectuaient la livraison. Elle ouvrit la barrière avec des gants, masquée, prit les deux grands sacs qui étaient posés au sol, remercia d’un signe de tête les soldats et son regard croisa celui d’une femme militaire qu’elle connaissait très bien. C’est cette dernière qui réagit :

    Le lendemain, on sonna de nouveau à la barrière et c’est Jordan qui sortit pour voir qui pouvait bien se présenter cette fois-ci à leur porte, les livraisons étant faites pour plusieurs jours. Deux soldats en uniforme, dont un gradé, l’interpellèrent sur un ton péremptoire en lui disant qu’ils voulaient voir Cindy Lenoir immédiatement.

    Jordan ne comprenait pas ce qui se passait. Il savait que sa femme avait été militaire, il l’avait même rencontrée à ce moment-là, mais elle avait quitté l’armée en 2025 et il ne voyait pas en quoi elle pouvait être concernée. Mais, devant l’air décidé du gradé, il rentra chez lui et appela son épouse. Cindy sortit, elle était vêtue d’un bermuda sans forme et d’un T-shirt, tenue normale pour un confinement à la maison avec des sorties autorisées au maximum dans leur petit jardin et encore, avec un masque. Elle s’avança, intriguée, mais n’alla pas jusqu’à la barrière, elle observa la distance obligatoire de 2 m et attendit :

    L’officier lui montra un document qu’elle ne put lire à cette distance.

    Cindy n’avait pas le choix, elle n’avait pas envie de traumatiser ses enfants et surtout, elle pensait revenir très vite chez elle, pensant que c’était un malentendu. Elle se douta cependant assez vite que ce ne serait probablement pas le cas, quand elle fut saisie par un militaire totalement protégé, et qu’elle fut embarquée dans un fourgon sanitaire. Le gradé, quant à lui, repartit dans un autre véhicule.

    Le véhicule parcourut une distance relativement longue et Cindy se rendit compte qu’ils entraient dans un camp militaire. Elle savait qu’il y avait une caserne dans la ville du nord de la France où ils habitaient, mais elle ne la connaissait pas, car, ayant quitté l’armée il y a plusieurs années, elle ne s’intéressait plus à ce milieu. Le véhicule traversa une caserne, où étaient affairés de nombreux soldats, les uns en uniforme de l’infanterie et masqués, les autres en combinaison antivirale. Elle fut amenée à l’entrée des urgences de ce qui devait être l’hôpital militaire, du moins, c’est ce qui était indiqué. Elle fut embarquée à travers les couloirs, assise sur une chaise et prise en charge par un homme, couvert des pieds à la tête par une combinaison, qui se présenta comme médecin militaire et qui l’emmena pour faire des tests. Elle subit une série d’examens, notamment une prise de sang, puis des soldats vinrent la rechercher, également en combinaison, et elle fut alors conduite, après une marche assez longue, à l’autre bout de la caserne. On l’arrêta dans une pièce où on la fit se dévêtir entièrement. Elle fut fouillée de fond en comble, avant de devoir se savonner scrupuleusement et d’être rincée au jet d’eau froide. Ses vêtements furent jetés dans une poubelle spéciale et on lui donna un short et un débardeur de l’armée ainsi que des chaussettes kaki et de grosses chaussures. Elle se retrouva seule dans une cellule d’à peu près 6 m² avec juste un matelas au sol, une simple couverture, un lavabo, des w.-c. et une bouteille d’eau. Elle s’effondra sur ce qui pouvait ressembler vaguement à un lit. Elle se mit à pleurer, pensant à ses enfants et à son mari, qui ne savaient même pas ce qu’elle était devenue. Elle ne comprenait absolument pas sa situation.

    Elle avait quitté l’armée correctement après avoir fait son année de service volontaire, puis cinq ans d’engagement. Elle n’avait aucun souvenir d’un quelconque problème administratif. Le souvenir récent de la veille, de la soldate Aurélie, qui lui avait dit qu’elle faisait partie de la réserve, n’avait même pas éveillé son attention, mais la situation présente l’obligeait à reconsidérer sa vision des choses. Cette fille avait été avec elle dans un cantonnement ou une opération, elle ne se souvenait même pas où et elle n’avait aucun souvenir d’un éventuel conflit avec elle. Elle savait qu’elle était réserviste, comme tous les soldats qui avaient fait au moins un an, mais ne se rappelait absolument pas avoir été contactée récemment. Lui revenait en revanche, comme un cauchemar, la crise sanitaire de 2024-2025, liée au Covid-23. Elle l’avait vécue en deux temps. D’abord en Afrique, où elle était au Tchad en train de se battre contre Daech, puis en France, où elle avait été rapatriée pour intervenir dans les banlieues, où la crise sanitaire s’était transformée en révolte pour une partie de la jeunesse. L’armée ayant dû intervenir durablement pour assurer le maintien de l’ordre. « Casser du jeune », comme l’ordre lui en avait été étaient donné, ne lui avait pas plu, elle qui était issue de ce genre de quartier. Elle se reconnaissait dans cette jeunesse, ayant été elle-même déviante lors de son adolescence, c’était d’ailleurs la principale raison de son entrée dans l’armée.

    On lui amena un triste sandwich, une autre bouteille d’eau, mais personne ne répondit à ses questions. Pendant presque deux jours, elle resta ainsi à réfléchir et à se demander ce qui se passait. On la fit sortir, elle était assez sale, n’ayant eu qu’un lavabo pour se laver. On lui fit porter un masque et des gants sanitaires. Elle suivit les militaires, cette fois, elle-même en tenue vaguement militaire, mais eux aussi portaient un masque et des gants. Ceux qui l’accompagnaient la laissèrent debout devant une porte et lui dirent d’attendre. Au bout de 10 minutes environ, un sous-officier vint lui ouvrir la porte et, sans lui dire un mot, il lui intima l’ordre de le suivre. Elle se retrouva, toujours debout, face à plusieurs officiers supérieurs qui la toisèrent sans lui dire quoi que ce soit. Le silence était pesant, jusqu’à ce que celui qui était au milieu, le plus gradé, qui portait les galons de colonel, se décide à lui parler :

    On emmena la pauvre Cindy, totalement désespérée, vers le bâtiment principal de la caserne. On lui fournit un paquetage, avec deux tenues de soldat de deuxième classe, puis on l’emmena à l’armurerie où on lui remit un fusil-mitrailleur. Elle fut ensuite conduite à l’étage dans un grand dortoir, dont les lits de camp étaient espacés. Une armoire en métal était placée à côté de ce qui allait être son lit de camp. On lui demanda de se doucher, de se changer et de ranger le reste de ses affaires dans son armoire, puis elle dut suivre le sous-officier pour rejoindre la troupe, qui était en entraînement. Il s’agissait d’appelés ou de volontaires qui s’entraînaient avant d’intervenir sur le terrain. On lui expliqua que son entraînement allait durer deux semaines avant qu’elle soit envoyée sur le front de la pandémie.

    Cindy n’était plus très entraînée. Avec son métier à horaires non fixes, elle n’avait pas le temps, ni même la possibilité de faire du sport, et en plus, elle n’en avait pas les moyens. Elle aurait pu faire du jogging, c’est gratuit. Au début, c’est ce qu’elle faisait, mais elle avait été refroidie par une agression, un matin de bonne heure, où deux types, armés de couteaux, l’avaient poussée dans un retranchement. Elle avait pu s’échapper, mais avait reçu une balafre sur la joue, elle avait eu chaud. Puis, les nuits à gérer « la famine » de ses deux enfants avaient eu raison de son sommeil, puis de son courage.

    Elle souffrit terriblement au milieu de jeunes qui avaient 10 à 12 ans de moins qu’elle, la plupart volontaires et certains bien entraînés. Résultat, elle devait faire des pompes, en punition de son retard aux parcours d’exercice. Les pompes, ce n’est pas comme le vélo, cela ne revient pas tout de suite, si l’on n’a pas de biceps. Elle n’avait pas le choix, elle fit des efforts et progressa assez vite. Tous les soirs, il y avait des cours théoriques, et ç’a été le plus dur pour Cindy, car l’armée avait aussi compris que l’apprentissage par l’image et les méthodes audiovisuelles n’étaient pas bons pour les cerveaux des jeunes.

    Au moment du débat sur le retour de la majorité à 21 ans, les scientifiques avaient démontré que le cerveau humain se développait jusqu’à au moins 25 ans et les méthodes pédagogiques devaient tenir compte de ce phénomène. Les dégâts constatés sur la génération Z avec les tablettes, les smartphones et les téléviseurs attestaient d’une perte de QI de près de 20 % chez les gros consommateurs qui passaient plus de 5 heures par jour sur les écrans. L’armée, déjà accusée de tous les maux depuis le retour de la conscription, ne voulait pas être accusée de participer à cet abêtissement généralisé et donc, était revenue, comme l’école d’ailleurs, au traditionnel tableau et aux cahiers. Les cours magistraux sur la défense, sur la sécurité, sur le rôle de l’armée dans les pandémies et sur l’histoire de France étaient de retour en salle. Cindy se retrouva dans un groupe de jeunes gens qui avaient 15 jours d’avance sur elle, leurs classes ayant déjà commencé. Ce groupe était constitué de jeunes sortant du système scolaire.

    Cindy était sortie de l’école il y avait presque 14 ans et en plus, elle n’avait jamais été une bonne élève, sans doute en raison de sa dyslexie, mal traitée, ou plutôt, diagnostiquée, mais non traitée, pendant son enfance et son adolescence. En fait, elle savait à peine lire et faisait des fautes d’orthographe de manière catastrophique. En revanche, elle était assez douée en calcul. Dans son travail, en qualité de cheffe de rayon, cela ne la gênait pas trop, elle savait parfaitement compter, lire suffisamment pour comprendre les consignes. Elle aurait été incapable de lire un livre, à condition qu’elle en ait eu envie. Pendant ses 6 ans d’armée, cela l’avait empêchée de gravir les échelons. C’est la raison pour laquelle elle n’avait pas pu devenir sous-officier en plafonnant dans le rang comme quartier-maître, même si elle avait servi dans les commandos marins et y avait excellé. Pour elle, la théorie faisait toujours défaut.

    Malheureusement pour elle, pendant son instruction, avant de partir sur le front anti-Covid, son niveau est resté insuffisant. Elle comprenait tout, mais elle ne savait pas prendre des notes et quand elle était interrogée, elle ne pouvait pas répondre, ce qui la faisait passer pour légèrement déficiente. Humiliée par la situation, elle perdait tous ses moyens à l’oral et se mettait à bégayer, ce qui lui valait, au mieux, quelques sourires de ses camarades, au pire, des quolibets. Son handicap s’était encore davantage remarqué lors de ses cours à Lorient, à l’âge de 17 ans, car elle avait d’abord été matelot fusilier-marin, souffrant pendant neuf semaines de formation, mais sans échec, avant de rejoindre plus tard les fusiliers marins. Ce qui l’avait sauvée alors, malgré ses notes catastrophiques à l’écrit, c’étaient ses bonnes réponses à l’oral et surtout un excellent niveau sportif et une combativité à toute épreuve. Elle avait eu la chance de croiser sur son chemin un homme bien, un jeune officier promis aux plus hautes fonctions, un humaniste, le capitaine Marc Dussole. Ce dernier l’avait encouragée, soutenue et suivie tout au long de sa carrière, et même après sa sortie de l’armée. Le psychologue de son bataillon lui avait dit qu’elle devrait se faire accompagner par un orthophoniste, car elle avait un très bon niveau intellectuel, mais son niveau scolaire ne lui permettrait pas de progresser dans l’armée et difficilement à l’extérieur. Après ses six ans d’engagement, l’armée avait joué le jeu en l’aidant à se réinsérer. Elle avait pu se faire embaucher dans une chaîne de grandes surfaces ayant des relations commerciales avec l’armée.

    Pendant, 15 jours, notre pauvre Cindy a subi un entraînement intensif. Elle n’était plus dans le coup, elle ramait pour suivre les jeunes volontaires, âgés de 17 à 20 ans pour la plupart, mais elle n’avait pas le choix. Quand elle ne suivait pas, un croche-pied la faisait tomber et elle s’écorchait les genoux, elle était en short, ou parfois le visage, si elle n’avait pas le temps d’amortir la chute et se retrouvait couverte de boue. Mais elle a vite rattrapé le niveau, ce qui l’a empêchée de déprimer, car elle n’en avait pas le temps, elle était écrasée de fatigue. En même temps, elle sentait revenir en elle le plaisir de l’effort, les endorphines, secrétées par l’effort et le quasi-orgasme, bien connu des coureurs de fond, qui lui donnaient un plaisir inégalable. Sa famille lui manquait, bien entendu, mais elle réalisait à quel point son travail en grande surface, comme employée, puis comme cheffe de rayon, surtout quand elle travaillait en poissonnerie, le pire moment de sa vie professionnelle, l’avait éloignée de ce qu’elle aimait, la vie au grand air, l’action, la vie, la vraie vie.

    En effet, même après une douche, un savonnage minutieux des ongles, on a toujours l’impression de sentir le poisson. Le rayon de supermarché, c’était loin de ce qu’elle aimait, mais il fallait bien accepter le recyclage proposé par l’armée, car le salaire de Jordan était insuffisant et elle ne se voyait pas mère au foyer. En revanche, l’effort physique, le risque, l’adrénaline, c’était son truc. Elle commençait à retrouver des sensations qu’elle avait particulièrement aimées à l’armée, avant d’en être dégoûtée par le rôle répressif qu’on lui a fait jouer à la fin de son incorporation. Après sa journée d’entraînement physique, ponctuée de cours théoriques, son corps était fourbu et son cerveau prêt à éclater. Elle s’endormait dans son dortoir, sitôt couchée. Certains faisaient les imbéciles, picolaient et voulaient l’entraîner, mais elle ne se laissait pas distraire, elle voulait retrouver sa liberté et sa famille le plus vite possible. Elle savait que son comportement serait observé, elle connaissait l’armée. Les jeunes l’appelaient « la mémé », mais elle s’en moquait.

    À la fin de son initiation, elle a été envoyée au front. Elle a rejoint une unité et s’est retrouvée simple soldate, logée sous une tente, avec un équipement plus que spartiate. Elle devait faire la police jour et nuit et alimenter la population, une mission d’ordre public d’autant plus difficile qu’elle avait été positionnée dans un quartier sensible, où les jeunes ne respectaient ni le couvre-feu ni l’interdiction de circuler. Il fallait les faire sortir des caves, les faire entrer dans leurs appartements, verbaliser, et parfois les emmener en prison. Le pire, c’étaient les arrestations de fugueurs, parfois armés, dans des véhicules volés et les soldats devaient respecter les consignes de sécurité. Courir en cosmonautes avec les combinaisons, ce n’était pas l’idéal. Dans ce quartier, il n’y avait pas de chars. La France les avait déployés de manière très large, pour la première fois à ce niveau, mais il n’y en avait pas assez pour couvrir tout le pays, ni même toutes les banlieues, et on manquait d’équipages formés.

    Un jour par semaine, elle devait aussi être de garde dans le camp de prisonniers, justement pour la plupart, des délinquants qui s’étaient fait prendre sans autorisation de sortie, mais aussi des maladroits, des distraits et des malchanceux qui tentaient de rejoindre leurs maîtresses… Ces derniers étaient maltraités par les autres. Il fallait alors intervenir, parfois durement, pour faire cesser les bagarres et protéger les plus faibles. Elle comprenait la manœuvre et elle avait déjà fait ce travail lors de la dernière crise, avant sa sortie de l’armée. Elle a été repérée par une gradée qui lui a demandé d’où elle sortait. Elle lui a raconté son aventure, le soir, autour d’une bière. Cette jeune officière, qui exerçait son premier commandement, l’a prise sous sa coupe, trop heureuse de trouver quelqu’un de compétent pour l’assister, mais aussi avec qui bavarder. Une mère de famille qui avait été militaire, c’était une aubaine, car le niveau volait bas et elle était la seule officière.

    Elle fit évoluer Cindy rapidement, utilisant ses compétences en lui faisant commander une petite équipe, un poste de sous-officier, sans en avoir le galon. Le soir, parfois, cette officière l’invitait à discuter, elle racontait sa vie et la jeune saint-cyrienne, qui sortait tout juste de l’adolescence, a appris beaucoup de choses d’elle. Mais son niveau d’instruction militaire était élevé, elle était très intuitive et elle apprit aussi beaucoup de choses à Cindy. Elle s’appelait Gersandre de Luce de Pontavy. Elle était issue d’un milieu aristocratique et militaire, mais elle avait appris la simplicité pendant ses années de scoutisme. Elle avait également passé presque toute sa vie en internat, de la sixième à la terminale, puis en classe préparatoire à Saint-Cyr, à Versailles, avant de rejoindre l’ESM de Saint-Cyr Coëtquidan en Bretagne. Elle était tout sauf snob et se prit d’amitié pour Cindy, lui permettant de téléphoner à sa famille, lui promettant de l’aider.

    Gersandre avait même réussi à emmener Cindy prier avec elle dans la tente qui servait de chapelle. Certes, Cindy était baptisée, mais elle avait suivi juste un peu de catéchisme. Elle s’était mariée à l’église et n’avait pas fait baptiser ses deux petits, car ni elle ni Jordan n’étaient croyants et encore moins pratiquants. Gersandre avait conservé de son enfance, du scoutisme et de

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