Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE: Théories et pratiques critiques
La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE: Théories et pratiques critiques
La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE: Théories et pratiques critiques
Livre électronique554 pages5 heures

La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE: Théories et pratiques critiques

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Offrant un éclairage stimulant sur les transformations en cours dans nos villes et les controverses qui les accompagnent, Gonzalo Lizarralde nous guide à travers la complexité des dilemmes contemporains. Dans un monde confronté aux répercussions des changements climatiques, à la dégradation écologique rapide et aux injustices sociales percutantes, il nous invite à repenser la notion même de qualité et à revoir notre conception de ce qui est « urgent », « nécessaire » et « viable ».

Il s’agit là d’une exploration courageuse, remettant en question la valeur de la durabilité, de la résilience, de l’efficacité et autres principes fréquemment utilisés dans les disciplines de l’aménagement. Son approche novatrice requiert des outils capables d’intégrer non seulement les critères esthétiques, techniques et économiques d’un projet, mais aussi ses dimensions morales et politiques.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université de Montréal
Date de sortie27 nov. 2024
ISBN9782760650640
La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE: Théories et pratiques critiques

Lié à La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE

Livres électroniques liés

Politique publique pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La LA QUALITE EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE - Gonzalo Lizarralde

    Gonzalo Lizarralde

    LA QUALITÉ EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PAYSAGE

    Théories et pratiques critiques

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: La qualité en architecture, urbanisme et paysage: théories et pratiques critiques / Gonzalo Lizarralde.

    Nom: Lizarralde, Gonzalo, 1974- auteur.

    Collection: Paramètres.

    Description: Mention de collection: Paramètres | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20240006879 | Canadiana (livre numérique) 20240006887 | ISBN 9782760650626 | ISBN 9782760650633 (PDF) |ISBN 9782760650640 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Urbanisme. | RVM: Architecture. | RVM: Écologie urbaine. | RVM: Écoconception. | RVM: Qualité de la vie.

    Classification: LCC HT166.L62 2024 | CDD 307.1/216—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 3e trimestre 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2024

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l'Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Fonds du livre du Canada, le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Para Sebastian y Natalia.

    Avant-propos

    Dans cet ouvrage, à la fois destiné aux professionnels du métier, aux chercheurs et aux étudiants, j’entends proposer une base théorique et pratique de ce qu’est la qualité du projet d’aménagement. Fondée sur des résultats scientifiques mais axée sur la pratique et les praticiens, cette réflexion a pour but d’abolir, dans la mesure du possible, le clivage qui existe dans notre domaine entre le milieu universitaire et celui de la pratique.

    Dans un moment où nos interventions sur la ville et les écosystèmes sont au centre de controverses et de débats de société, nous avons besoin de rapprocher le savoir scientifique du savoir-faire. J’assume ce défi, tout en étant conscient que la rédaction d’un ouvrage hybride comporte son lot de risques. Les universitaires qui cherchent un ouvrage purement théorique trouveront certains passages trop axés sur les détails de l’industrie. Les praticiens à la recherche d’un guide prônant l’action trouveront certains passages trop théoriques.

    Ce caractère hybride est toutefois inévitable si l’on veut apporter une véritable contribution dans le domaine de la qualité du projet d’architecture, d’architecture de paysage et d’urbanisme. Le sujet exige non seulement une analyse rigoureuse des données scientifiques et techniques, mais aussi une réflexion personnelle et collective continue sur les dynamiques de pouvoir existantes, sur nos valeurs, nos perceptions et nos préjugés. La qualité de l’aménagement peut (et doit) être étudiée de façon scientifique. Mais elle s’avère également une construction sociale et politique alimentée par des jugements personnels. La qualité est à la fois l’objet et le résultat de la critique sur notre entourage. Un livre sur le sujet doit donc compter à la fois sur une base empirique solide et sur une réflexion rigoureuse et critique de la société. Cette position à moitié scientifique et à moitié pratique sera utile, je l’espère, pour enrichir les débats actuels sur le sujet, au Québec et ailleurs.

    Vers une approche critique

    Depuis 2017, la Chaire de recherche Fayolle-Magil Construction en architecture, bâtiment et durabilité de l’Université de Montréal, dont je suis le titulaire, travaille sur une programmation de recherche qui explore les enjeux de qualité du cadre bâti au Québec et ailleurs. Ce livre réunit les conclusions de ce travail. Les résultats proviennent de trois types de travaux menés par notre équipe: la recherche théorique, la recherche empirique et ce que nous appelons «la réflexion structurée» sur la pratique.

    Je n’ai pas la prétention de proposer une nouvelle théorie de la qualité. Toutefois, j’insiste sur la nécessité de déconstruire la notion de qualité et de la reconstruire à la lumière des enjeux contemporains, afin que l’on puisse produire collectivement une théorie critique de la qualité qui pourra guider le travail en aménagement dans l’avenir.

    Le terme «critique» est ici l’élément fondamental de ma proposition1. La théorie critique n’est pas un corpus monolithique en sciences sociales; au contraire, elle est souvent diversifiée, elle a évolué au fil des ans et elle se manifeste de diverses façons dans plusieurs disciplines (Bohman, 2021). Mais de façon générale, il s’agit d’un mouvement avant-gardiste de la philosophie sociale et politique visant à problématiser des concepts généralement tenus pour acquis dans les champs de connaissances. La théorie critique contemporaine appliquée aux sciences sociales puise ses racines dans les travaux de l’école de Francfort, dont les membres les plus importants sont Max Horkheimer, Theodor Adorno et Jürgen Habermas.

    La théorie critique considère souvent que la distinction entre la théorie et la pratique est une position idéologique adoptée par ceux qui ont le pouvoir dans le but de préserver leurs privilèges, et donc le statu quo. Elle met le doigt sur des pathologies sociales et cherche à éliminer le clivage entre le savoir et l’action (Albrecht et Lim, 1986). Elle s’emploie à cerner les influences politiques et culturelles sur la connaissance et la science et – adoptant un positionnement décidément sceptique – cherche à les évaluer dans une forme d’antidogmatisme continu.

    La théorie critique a un caractère politique et éthique (voire normatif) fondé sur une vision de la société post-moderne fortement influencée par le marxisme. Selon Andrew Pendakis, professeur à l’Université Brock, la théorie critique est «fort probablement la culture marxiste la plus sophistiquée jamais produite2» (2017, p. 4). Pendakis explique qu’après les travaux de l’école de Francfort, «il est possible d’être marxiste non seulement dans le domaine de la philosophie, mais aussi de la musique, de la littérature, de la science et de l’art» (ibid.). À cette liste, on ajoutera l’architecture, le design et l’urbanisme. Dans le domaine de l’art et de la culture, la théorie critique s’inquiète de «l’arrivée imminente de la culture de production en masse» (Brouillette, 2017, p. 438) et réclame une forme d’autonomie, d’autocritique et de libération du sujet qui la produit.

    L’approche critique remet fréquemment en question la façon dont les forces du capitalisme domptent l’individu et façonnent les institutions sociales. Elle considère (et déplore) que «les individus (travailleurs, acteurs sociaux, etc.) reproduisent inconsciemment les structures sociales du capitalisme qui, pourtant, les aliènent» (Frère, 2015, p. 4). Dans cette perspective, les individus «assurent la reproduction dudit système en cherchant à tout prix à s’adonner à la consommation de masse ou en glorifiant les valeurs dominantes» (ibid.). L’individu et le savoir sont ainsi à la fois dominés et instrumentalisés pour préserver les mécanismes capitalistes (Bronner, 2017).

    En réponse à cette vision de la société et du savoir, la théorie critique propose de résister à la domination. Elle poursuit un objectif de libération afin d’émanciper le savoir et l’individu des forces existantes, à partir d’une réflexion critique et politiquement engagée. «La théorie critique ne se présente pas tout d’abord comme théorie sui generis», explique Rüdiger Bubner, un philosophe allemand et professeur à l’Université de Heidelberg: «Elle ne s’explicite qu’en discutant d’autres positions théoriques» (1972, p. 399). La discussion, la délibération et le dialogue se retrouvent souvent au centre de la production du savoir-pratique critique. Selon Bubner, la théorie critique propose souvent une «réflexion émancipatrice qui accompagne le dialogue et qui dévoile les dépendances de fait» (p. 399).

    Le philosophe américain James Bohman soutient que toute théorie critique doit répondre à trois objectifs: «[E]lle doit expliquer ce qui est erroné dans la réalité sociale actuelle, elle doit identifier les acteurs appelés à la changer, et elle doit offrir à la fois des normes critiques claires et des moyens d’atteindre la transformation sociale désirée» (2021, n.d.). Toute théorie critique est par nature réflexive et refuse ainsi la «systématicité propre à toute pensée se nourrissant de l’illusion de l’auto-suffisance, du mythe de l’identité de la pensée et de l’être» (Abensour, 1982, p. 183). Mais elle ne remet pas seulement en question des concepts abstraits. Elle vise une transformation radicale de la société – une sorte de libération politique et de remise en question des structures de pouvoir existantes.

    Dans le domaine de l’aménagement, la mobilisation de la théorie critique a souvent cherché à mettre au défi les visions rationnelles et positivistes, ainsi que les pratiques globalisantes et instrumentalisées de la conception et de la planification (Albrecht et Lim, 1986). Il existe une longue tradition de théorie critique en architecture, alimentée par les travaux de théoriciens comme Giancarlo De Carlo qui, en 1972, disait déjà que «l’architecture n’intéress[ait] plus personne» (1972, p. 27). Parmi les autres pionniers figurent Manfredo Tafuri, Rem Koolhaas, Fredric Jameson, Bernard Tschumi (Fraser, 2005), et plus récemment, Jane Rendell, Iain Borden, et autres (Borden et Rendell, 2000).

    Il existe également une longue tradition de théorie urbaine critique (Brenner, 2009; Brenner et al., 2011), nourrie notamment par les travaux d’Henri Lefebvre (1968), de Peter Marcuse (2009), d’Ananya Roy (2016), de Tore Sager (2012) et de Jürgen Habermas (1989), entre autres. Enfin, cette tradition, aussi présente dans l’architecture de paysage (Swaffield, 2002; Swaffield, 2006), a donné naissance à la notion de critical landscapes (McAvin et al., 1991) et a renforcé la réflexion critique dans la pédagogie du projet de paysage (Armstrong, 1999). Si l’on reviendra sur ces contributions dans les chapitres suivants, il est important pour l’instant de retenir cinq éléments fondamentaux de la contribution de la théorie critique en aménagement. Ils constituent le socle théorique à partir duquel commence notre réflexion.

    Cinq éléments fondamentaux

    Premièrement, une approche critique reconnaît que l’objet d’architecture, d’urbanisme ou d’architecture de paysage est une construction sociale. Cela veut dire que notre connaissance sur l’objet est façonnée par nos expériences humaines et codifiée par des normes et des cadres sociaux. L’objet n’existe pas indépendamment de l’individu qui le perçoit et le critique.

    Deuxièmement, cette construction sociale se nourrit de la délibération portant sur les positionnements politiques et éthiques en lien avec le projet. La critique et la délibération servent à construire le significat, mais aussi à positionner le projet dans une vision politique et morale de la réalité. Ainsi, selon Forester (1980), toute forme de communication sur le projet d’aménagement est politique.

    Troisièmement, une approche critique a tendance à effacer non seulement les distinctions entre «le savoir» et «l’agir», mais aussi entre l’objet d’aménagement et la critique de cet objet. De cette façon, la critique du projet d’architecture de paysage est considérée par certains comme une forme d’architecture de paysage. Inversement, le projet de paysage est (ou doit être) une forme de critique de la réalité. Loin d’être simplement un objet physique, le paysage devient ainsi une manière de regarder le monde – «landscape is a way of seeing» (Thompson, 2016, p. 47). Cette approche s’applique également à l’architecture et à l’urbanisme, qui deviennent ainsi des façons critiques de percevoir la réalité. «Y a-t-il eu une forme de design ou d’architecture de valeur sans un positionnement critique de quelque sorte?», se demandent souvent les experts influencés par la théorie critique (Hatton, 2004, p. 106).

    Quatrièmement, la qualité est, dans cette perspective, une construction sociale façonnée par le système politique, économique et social – donc par les intérêts des acteurs. Selon Habermas, toute forme de connaissance est guidée par un intérêt technique ou pratique, indépendant de l’expérience de l’individu. Ces intérêts se manifestent dans le travail, le langage et les relations de pouvoir. Ainsi, une vision critique ne s’intéresse pas uniquement à la qualité de l’aménagement, mais aussi à la façon dont elle est socialement construite et exprimée dans le langage, à la manière avec laquelle elle est influencée par diverses formes de pouvoirs et à ce qu’elle devrait être une fois libérée de ces influences.

    Finalement, la question de la qualité du projet a été prise en compte dans les études sur l’architecture critique, l’urbanisme critique et le paysage critique. Ces travaux se sont souvent concentrés sur la critique du projet d’architecture et sur l’architecture comme critique3 (Bowring, 2020). «Un bâtiment peut être considéré comme architecture, et donc susceptible d’une évaluation critique sérieuse, seulement s’il a un niveau suffisant de qualité», explique Naomi Stead dans son livre Critical Architecture (2007, p. 80). La notion de qualité de l’environnement construit est également au centre du travail de Forester sur la planification urbaine. Dans cette perspective, la qualité du processus de planification est façonnée par les structures d’influence. Une qualité moindre serait ici liée à une méconnaissance des formes de pouvoir, ce qui amènerait les individus à accepter les discours qui servent à manipuler la société (Forester, 1993). Il émerge donc une relation constante entre qualité et égalité – quality and equality – dans certains travaux anglosaxons (Szeman et al., 2017). Or, cette approche refuse une perspective de la qualité fondée sur la production en masse ainsi que sur une acceptation passive de principes éthiques et esthétiques et des moyens de production du moment.

    Cela dit, tout positionnement critique amène son lot de risques.

    Certains philosophes, dont Finalyson (2009), considèrent qu’en dépit du caractère éminemment normatif de la théorie critique (elle cherche à produire un diagnostic et explore comment le monde devrait être), sa base morale est rarement spécifiée, justifiée ou développée. Une théorie critique de la qualité devrait donc s’appuyer sur une solide réflexion ancrée dans la philosophie morale.

    La théorie critique en aménagement a également été la cible de plusieurs attaques épistémologiques et méthodologiques. Certains théoriciens déplorent notamment la mise en œuvre du concept de «communication rationnelle» (communicative rationality) de Habermas dans le domaine de la planification urbaine. Selon eux, la théorie critique se révèle insuffisante pour comprendre le processus de planification. L’insistance mise sur la légitimité du processus (souvent axée sur le consensus parmi les parties prenantes et leur participation à la délibération sur le bien commun) masque d’autres aspects fondamentaux de la pratique tels que les processus de gestion, de conception et de prise de décisions pour résoudre des problèmes (Mäntysalo, 2002).

    Cette critique, particulièrement importante pour notre réflexion, peut s’appliquer au domaine du projet. Bien que plusieurs travaux se soient intéressés à la construction sociale et à la délibération sur la qualité, peu d’études ont mobilisé la théorie critique en ce qui a trait à la mise en œuvre du projet. Pour la plupart des théoriciens, le rôle de la réflexion critique consiste à définir ou redéfinir l’œuvre (à la fois objet physique et discours). Ainsi, les aspects liés à la réalisation et à la matérialisation de l’œuvre sont souvent laissés à d’autres acteurs (non concepteurs) et à d’autres domaines de la pensée – par exemple la gestion et la construction. Peu d’adeptes de l’approche critique se sont intéressés à la façon dont l’œuvre traverse (ou doit traverser) les démarches de la mise en œuvre. Cela semble paradoxal pour une approche fortement ancrée dans les approches marxistes. Malgré les influences de ces approches sur la théorie critique, la réflexion critique sur la qualité de l’objet se dissocie souvent de la compréhension des forces qui influencent les moyens de production. Étrangement, le positionnement critique en aménagement s’intéresse grandement à la réflexion sur la planification et la conception, mais beaucoup moins aux processus de réalisation. Dans une approche critique, la qualité est certes perçue comme socialement construite et dynamique pendant les phases de planification et de conception, mais relativement stable dans les phases subséquentes. C’est comme si la délibération critique de la qualité pouvait garantir sa stabilité dans le temps. La théorie critique est indispensable pour comprendre non seulement le processus de planification et de conception, mais aussi celui de la production.

    Positionnement pratique critique

    Suivant les préceptes de la théorie critique, je m’interroge ici sur la façon dont la notion de qualité est, et a été, utilisée pour dominer la conception, la planification et les moyens de production du projet, ainsi que pour instrumentaliser le praticien afin de préserver les intérêts des élites économiques et politiques.

    Les praticiens et les chercheurs en architecture, en urbanisme et en architecture de paysage ont tout intérêt à se libérer de pratiques que j’appelle des «fausses baguettes magiques» et des «cadres éthiques préfabriqués». On présente souvent ces pratiques et ces cadres comme des stratégies «prêt-à-porter» à coût garanti. Mais celles-ci répondent à des structures de pouvoir ayant pour but de préserver les privilèges qu’accorde le statu quo à un nombre limité d’acteurs. Ces stratégies contribuent ainsi à renforcer une forme de capitalisme sauvage, trop axé vers les supposés bénéfices du marché et de la consommation. Elles sont des outils d’influence des politiques néolibérales et de la mondialisation imposant une croissance économique sans limite. Aveuglé par ces «solutions» vendues comme des recettes faciles à mettre en œuvre, le praticien contribue, souvent à son insu, à maintenir et à renforcer ces formes de pouvoir. Le principal problème est qu’il croit aider à améliorer le monde, alors qu’en réalité son travail ne participe que très faiblement à réduire les injustices sociales telles que le racisme, la ségrégation, l’exclusion, la marginalisation et le maintien des structures patriarcales et de domination.

    Les acteurs de l’industrie du bâtiment ainsi que les donneurs d’ouvrage devraient ainsi revoir certaines pratiques et remettre en question des principes actuellement tenus pour acquis: durabilité, résilience, participation, collaboration, innovation, etc.

    L’analyse théorique

    Les résultats que je présente dans ce livre se fondent sur l’analyse de plus de quatre cents articles et livres scientifiques. Mon équipe et moi avons examiné les principaux ouvrages sur la théorie de la qualité dans les domaines suivants: architecture, construction, gestion de projets, urbanisme, architecture de paysage et design. Nous avons sélectionné des ouvrages à partir de mots-clés favorisant l’approche critique tels que «critique en architecture», «paysage critique», «urbanisme critique», etc. La recherche de la littérature en anglais s’est focalisée sur la notion de critical studies en combinaison avec social value, quality, qualities, value et values4.

    Toutefois, conscients des limites d’une vision critique, nous avons élargi notre recherche pour inclure les champs d’étude suivants: la phénoménologie, le pragmatisme, les approches féministes et postcoloniales, et d’autres concepts comme la rationalité limitée et l’approche délibérative. En raison du manque d’études mobilisant une approche critique sur les moyens de production du cadre bâti, nous avons consulté des documents sur l’industrie de la construction, la gestion de projets et la commande publique en aménagement.

    Plutôt que d’approfondir l’analyse de ces ouvrages de référence, je me concentrerai sur les «espaces» entre divers corpus théoriques. J’explore ainsi les zones de rencontre (ou de séparation) entre les théories les plus importantes. Ce principe de travail portant sur les interfaces s’applique également à mon analyse du bâtiment, du paysage, du projet urbain, de la réglementation, de la gouvernance et des politiques publiques. Les chevauchements entre ces objets d’étude m’interpellent davantage que les objets eux-mêmes. Par exemple, l’arrimage entre le projet et le plan urbain ou entre la politique publique et l’industrie de la construction m’intéresse plus que chacun de ces éléments pris séparément.

    Je travaillerai donc dans des zones peu explorées se situant entre les corpus de la gestion de projets, du design, de la construction, de la planification, de la politique publique, de la philosophie morale, et d’autres domaines de recherche. Par exemple, beaucoup de travaux traitent du caractère politique de la participation citoyenne dans la planification urbaine ou de l’impact de la collaboration des professionnels sur l’innovation dans la performance énergétique des bâtiments. Mais peu de recherches critiques traversent ces deux domaines d’études. Quelle est la composante politique de la collaboration entre professionnels pendant le processus d’innovation? Quel est l’effet de la participation citoyenne sur l’innovation dans les aspects du bâti?

    La recherche empirique

    Le travail de notre équipe se fonde sur l’analyse de dizaines de rapports techniques et professionnels produits par des institutions québécoises. Les conclusions découlent aussi de l’analyse de plus de quarante entrevues réalisées auprès d’architectes, d’architectes de paysage, d’urbanistes, de dirigeants d’entreprises, de donneurs d’ouvrage et d’entrepreneurs, et ce, dans le cadre de trois projets de recherche:

    un projet financé par l’ONG Équiterre sur l’incidence des processus décisionnels sur la qualité de bâtiments durables;

    un projet financé par la Ville de Montréal sur les processus menant à la qualité de projets publics;

    un projet de recherche-action financé par la Ville de Laval afin d’explorer l’opérationnalisation des principes d’action novateurs dans le domaine de l’urbain.

    Nous avons également participé activement à deux partenariats de recherche.

    Le premier est un partenariat canadien sur les enjeux de mise en place de l’innovation et des écosystèmes d’innovation, financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH). Au sein de ce partenariat, nous avons développé deux sous-projets de recherche: l’un s’intéressant aux enjeux de la mise en place de la conception intégrée au Québec, et l’autre se penchant sur les processus d’adoption des innovations dans la construction en bois dans la province. Ensemble, ces deux sous-projets ont fait l’objet de vingt-huit entrevues entre 2020 et 2023.

    Le deuxième est un partenariat québécois s’intéressant aux risques liés aux inondations, financé par les Fonds de recherche du Québec (FRQ). Dans ce partenariat, nous avons travaillé sur un projet portant sur les répercussions des inondations et des risques sur la Municipalité régionale de comté (MRC) de Vaudreuil-Soulanges. Il a fait l’objet de plusieurs entrevues auprès de maires, de responsables à la planification et de professionnels.

    Nous avons comparé les résultats obtenus dans ces cinq projets avec ceux de deux initiatives subventionnées par les FRQ et réalisées entre 2007 et 2013. La première a mené à la production de cinquante études de cas de projets réalisés au Québec (chacune ayant fait l’objet d’environ trois entrevues). Lors de la deuxième, réalisée en partenariat avec l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, nous avons comparé les meilleures pratiques en aménagement au Québec et en France. Ainsi, nous avons fait huit visites de projets à Montréal, Québec, Nantes, Toulouse, Paris et Bordeaux. Enfin, plusieurs résultats sont issus de cinq travaux de thèse menés par des doctorants affiliés à notre équipe de recherche. Ces thèses portent sur la programmation urbaine, la gestion de projets de développement durable, la conception intégrée, les discours du développement durable et la décarbonation de l’industrie de la construction.

    Tous ces projets empiriques ont fait l’objet de certifications éthiques répondant aux exigences de l’Université de Montréal et des organismes subventionnaires en ce qui concerne le travail avec des êtres humains. Les personnes interviewées ont signé un consentement de participation à la recherche. La plupart de leurs commentaires sont anonymisés. Cependant, nous avons obtenu des autorisations pour identifier certains répondants, notamment quand il s’agit d’acteurs connus du milieu et ayant joué un rôle important dans des projets publics phares au Québec.

    Les cas présentés dans le livre

    Dans les chapitres suivants, je présente plusieurs projets d’architecture, d’urbanisme et d’architecture de paysage réalisés récemment au Canada. La plupart des professionnels qui travaillent au Québec seront sûrement familiers avec ces exemples. Étant donné que les lecteurs de l’extérieur de la province ne connaissent probablement pas ces projets, quelques informations contextuelles aideront à en saisir l’importance.

    J’aborderai le cas de la coopérative d’habitation le Coteau Vert, dans le quartier Rosemont de Montréal. Un grand nombre d’acteurs publics, privés et de la société civile se sont engagés dans ce projet à caractère communautaire. La valeur de cette initiative va bien au-delà du projet d’architecture lui-même. Elle s’insère dans le cadre d’une démarche de revitalisation urbaine plus large, qui a inclus la construction d’infrastructures et de projets immobiliers ainsi qu’une offre de services à la collectivité. Ici, la solution aux enjeux de mobilité, de paysage et d’accès aux services complète les enjeux de la qualité architecturale. Dans un contexte de pénurie de logements abordables, cette coopérative émerge comme une solution pertinente dans un quartier en processus de gentrification5.

    J’analyse ensuite le cas de la reconstruction du centre-ville de Lac- Mégantic, une ville d’environ 6 000 habitants située dans le sud-est de la province (voir l’image 00.1). Ce cas – à caractère urbain, architectural et de paysage – nous aidera à comprendre certains enjeux éthiques liés au processus de reconstruction qui a eu lieu après qu’un tragique incendie a détruit les quartiers centraux de la ville.

    Je présente le cas des zones d’intervention spéciale dans la région métropolitaine de Montréal, et me concentre sur les conséquences d’une politique urbaine ayant eu des répercussions importantes sur plusieurs villes de cette région.

    Dans un autre chapitre, il sera question de l’école des Marguerite à L’Île-des-Sœurs (voir la localisation sur l’image 00.2). Il s’agit d’un projet controversé, non pas à cause de la solution architecturale retenue, mais de son emplacement dans un quartier reconnu pour ses qualités urbaines et paysagères. Je présenterai également le projet de la Maison du développement durable, un bâtiment de cinq étages érigé dans un quartier du centre-ville de Montréal, axé sur la culture et les événements (voir image 00.2). Le projet, qui a reçu trois importantes certifications environnementales ainsi que plusieurs prix et distinctions6, permettra d’illustrer de nombreux aspects liés au confort et à la performance technique des édifices de bureaux.

    Je me tourne ensuite vers un grand projet urbain en Ontario, en me concentrant notamment sur les controverses autour du projet de revitalisation urbaine connu sous le nom de «Waterfront Toronto», ainsi que sur le processus de planification et l’abandon subséquent de l’initiative de ville intelligente appelée «Toronto Sidewalk Labs». Il s’agit de projets urbains ayant des composantes de paysage, de mobilité, et de développement immobilier et commercial. J’aborde également un important projet de mobilité: le Réseau express métropolitain (REM) de Montréal. Ce projet majeur d’infrastructure, axé sur un nouveau système de trains électriques, se veut un complément aux réseaux de transport collectif existants (voir le tracé à l’image 00.2). Enfin, je parle du projet de centre commercial Royalmount à Montréal. Ce projet commercial de grande ampleur a eu des retombées urbaines significatives dans un secteur traditionnellement industriel et commercial et caractérisé par l’intersection de deux autoroutes majeures. Tous ces projets me serviront à expliquer les principales controverses liées à la transformation urbaine, à la requalification des sites et aux enjeux de paysage ainsi qu’au développement résidentiel et commercial.

    Au moment de discuter les processus de projet, je traiterai de celui du stade de soccer de Montréal. Il s’agit d’un bâtiment sportif, mais aussi d’un aménagement de paysage, dans un emplacement particulier en raison de sa proximité avec une ancienne carrière et un secteur à vocation résidentielle. Ici, je me concentre sur les aspects relatifs à la collaboration pendant le processus de conception.

    Je présente les controverses entourant la planification et la construction de l’échangeur Turcot à Montréal, à l’intersection de deux autoroutes majeures. Ce grand projet d’infrastructure (certains considèrent qu’il était le plus important au Canada pendant sa construction) visait à remplacer l’ancien système avec un ensemble de viaducs ayant un nouveau tracé et une nouvelle configuration. Il incluait une série d’initiatives de paysage et d’aménagement urbain visant à réduire l’impact visuel et sonore de l’infrastructure. Ce projet me permettra d’examiner les enjeux éthiques liés à la participation citoyenne. J’explore également le processus de transformation urbaine dans les environs du canal Lachine et du quartier Griffintown, dans le sud-ouest de Montréal. Traditionnellement industriel, ce secteur a connu une transformation rapide grâce à des projets résidentiels et de restauration des structures patrimoniales et de paysage. Le cas illustre les avantages et les inconvénients de la gentrification urbaine, cause – ou conséquence – de la qualité physique de l’aménagement.

    Enfin, j’examine le cas de la promenade Samuel-De Champlain, située dans la ville de Québec. Ce projet urbain et d’architecture de paysage me sert à expliquer plusieurs enjeux liés à la mise en œuvre des espaces de qualité. Il comporte trois phases, où les considérations de design d’espace public et de paysage ainsi que les usages récréatifs, de contemplation et de loisir déterminent les principes de transformation urbaine.

    Ces cas, de natures et d’échelles différentes, permettent d’illustrer les controverses éthiques liées à des travaux publics, privés et communautaires, ainsi que des initiatives d’architecture, de design urbain, d’architecture de paysage, de planification urbaine, d’infrastructure et de réhabilitation urbaine.

    Positionnement méthodologique: la réflexion critique

    Notre équipe a également mené une série d’actions que nous appelons des activités de «réflexion critique». Il s’agit d’espaces de discussion servant à mettre en question les pratiques; ces espaces sont structurés à partir d’un cadre d’analyse critique défini par notre comité scientifique. Dans ces activités, l’objectif a été de collecter des explications par un groupe hétérogène d’acteurs. Par la suite, nous avons interprété collectivement les données recueillies à partir de la conversation structurée et des méthodes herméneutiques. Ces activités comprennent des focus groups, des rencontres modérées par un animateur, des présentations faites par des professionnels et des séances de synthèse et d’analyse.

    La première activité de réflexion structurée a été organisée en collaboration avec un organisme public à Laval. Celle-ci a inclus trois séances de formation et de réflexion de deux heures chacune avec huit professionnels. Nous avons exploré en particulier les processus de projets de maintien d’actifs dans le secteur public.

    La seconde a eu lieu en collaboration avec une douzaine de professionnels d’une firme de gestion de projets à Montréal. Nous avons abordé les processus de réalisation de projets de rénovation et de maintien d’actifs publics, notamment du point de vue de la planification et de la gestion.

    La troisième a été mise en place pour traiter du démontage du pont Champlain à Montréal et de la transformation des espaces autour de l’ancienne structure. Nous avons regroupé une dizaine d’étudiants à la maîtrise et de jeunes professionnels pendant une dizaine de jours de travail collaboratif de recherche et de planification.

    La quatrième concerne la tenue de trois ateliers avec des parties prenantes engagées dans le logement abordable et social à la Ville de Laval. Nous avons rassemblé une dizaine d’acteurs et sept étudiants en architecture, urbanisme, architecture de paysage et gestion de projets.

    Nous avons organisé cinq séminaires «Interfaces» sur des enjeux liés à la qualité, qui ont réuni trente-sept spécialistes provenant des disciplines de l’architecture, de l’urbanisme, de la gestion et de l’architecture de paysage, ainsi que

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1