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Rétro Love
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Livre électronique318 pages4 heures

Rétro Love

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À propos de ce livre électronique

Un voyage dans le temps émouvant et rafraîchissant!
Quand Élie monte dans un train, à Chicago, elle ne s’attend à rien de plus que de regagner le Limoilou de son enfance pour y visiter sa famille. Or, à la suite de violentes turbulences durant le trajet, la célibataire dans la trentaine bascule dans une aventure où sa vision de la vie et les codes de séduction qu’elle connaît étonnent grandement les gens qui croisent sa route. Ceci la placera dans des situations cocasses, fâcheuses ou carrément compromettantes.
Dans cette nouvelle réalité, elle fera la rencontre de deux hommes aux attraits et aux caractères opposés qui sauront l’émouvoir chacun à leur façon. La pétillante architecte informatique réussira-t-elle à se persuader de réintégrer sa vie d’autrefois?
LangueFrançais
ÉditeurGlénat Québec
Date de sortie5 févr. 2024
ISBN9782925386018
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    Aperçu du livre

    Rétro Love - Julie Rivard

    Chapitre 1

    Ahhhhhh, fuck me! Et pas dans le bon sens du terme. Pas dans celui qui nous fait soupirer langoureusement et nous fait croire qu’on a été transpercée de plaisir puis arrachée du lit pour grimper au paradis. Non. Dans le sens qu’emploient mes collègues de travail américains quand on vient de leur décharger quarante tonnes de paperasse sur la tête! Bref, je suis frustrée ce matin et la raison en est simple: je dois quitter Chicago pour me rendre à Montréal par avion, puis à Québec en train, et les météorologues viennent de gentiment annoncer des rafales de vent et de neige. Et on se trouve juste à la fin de septembre. Le 23 septembre 2023, pour être plus précise, soit deux jours avant le baptême de l’enfant qui deviendra ma filleule, ce qui implique que ma présence n’est pas que souhaitable, elle est obligatoire.

    – Élie, as-tu fait ton transfert de connaissances à Shondra?

    Je suis architecte informatique et mon équipe doit livrer un système à un très gros client, le mois prochain. Bien sûr que j’ai transféré mes connaissances à Shondra avant de me sauver quelques jours au Canada!

    – Non, Denise, j’ai supprimé tout le progiciel du Cloud et ensuite, pour être certaine d’être congédiée et d’annihiler notre firme de consultants, j’ai foutu le feu aux dossiers papier du bureau. À la semaine prochaine! dis-je en passant devant les cubicules des membres de mon équipe. See ya, peeps¹!

    Je leur adresse un salut exagéré, du genre passager de croisière esseulé apercevant enfin sa douce sur le quai. Puis, je me rends tout droit à mon bureau afin d’y mettre de l’ordre avant mon départ pour l’aéroport O’Hare. Il est presque 9 h 30. J’aurai au moins fait un petit deux heures hyper efficace de mise à jour sur notre dossier actuel… Pour m’épargner du temps et des va-et-vient inutiles, j’ai apporté mon bagage de cabine avec moi, au travail. Ceci m’évitera de retourner à l’appartement que je partage avec ma Scrum Master², Elena, depuis ma séparation d’avec Dylan. C’est-à-dire depuis maintenant deux ans. Dylan était un analyste-programmeur (il l’est toujours, d’ailleurs) et chaque lundi, je prie tous les saints du ciel pour ne pas le croiser à l’un des six étages de chez Noveo, où nous travaillons tous les deux. Ça ne m’est pas arrivé souvent, car je suis passée maître dans l’art de l’évitement. Notre séparation aurait pu être semi-gracieuse, mais elle a vite dérapé dans une mare boueuse et salissante, un peu par ma faute, je dois l’admettre. Bref, il est parti avec l’entièreté de l’ameublement, qui lui appartenait puisque j’étais fraîchement débarquée du Québec à l’époque, ainsi que notre dragon barbu et son vivarium. De mon côté, je n’ai pas conservé grand-chose de réelle valeur, outre la perle grise de Tahiti, montée en pendentif sur une chaîne en or, que Dylan m’avait offerte comme preuve d’engagement. Lorsqu’il est parti, j’ai dû me réinventer et le faire pronto. Merci à IKEA et aux quelques brocantes du coin qui ont épargné mon portefeuille! Mais surtout, merci au conjoint d’Elena de l’avoir quittée au même moment que le mien! J’appelle cela une «affreuse belle coïncidence». Ça nous a évité une totale déconfiture, à toutes les deux, car les apparts coûtent la peau des fesses à Chicago! Et on tient à nos fesses. Non seulement elles sont jolies, mais elles ont encore bien du millage à faire, en ce début de trentaine.

    – Tu vas me ramener du sirop d’érable du Québec? me lance Elena, contre le chambranle de ma porte de bureau.

    – Ça fait juste un million de fois que je te rappelle que le temps des sucres est au printemps, dis-je en roulant des yeux.

    – Tu vas sûrement trouver une canne qui traîne quelque part pour la meilleure coloc et collègue du monde entier.

    – Une canne de bines au lard, oui.

    Elle m’envoie aussitôt promener. Je lui souffle un baiser sarcastique. Ce type d’humour caractérise notre tandem depuis le départ. Nos insultes servent de doux compliments. Et j’adore.

    – Sois prudente et reviens-nous en forme pour la mise en production de mercredi matin.

    – Oui, oui, promis, Sauron!

    Je l’ai toujours surnommée ainsi, en référence au personnage de Tolkien, pour me moquer du fait qu’elle a un œil sur toutes les étapes de nos projets. Et aussi puisqu’au moindre détail qui va de travers, elle s’enflamme en une fraction de seconde. Elena m’adresse un joli doigt d’honneur, avant de me souhaiter un excellent voyage. J’enfile mon perfecto de cuir noir, j’empoigne mon sac à main ainsi que mon bagage et je me précipite vers l’ascenseur. À l’extérieur de ma tour de bureaux, c’est plutôt frisquet. Comme d’habitude, il vente, aucune surprise ici. Ce qui m’étonne le plus, c’est le mercure qui a chuté de près de dix degrés depuis hier. Je cours sur la pointe de mes talons hauts pour rejoindre l’abri à structure d’aluminium et au toit vitré de la CTA³. Quelques minutes d’attente plus tard, je saute à bord du train qui suivra la ligne bleue jusqu’au terminal 5 de l’aéroport O’Hare.

    Les trois heures de vol à destination de Montréal se sont bien déroulées. J’ai regardé un film pathétique de Jennifer Lopez et je regrette amèrement les cent douze minutes perdues dans l’abysse infini de cette nullité hollywoodienne. Rendue à YUL, j’ai pris le temps de boire un Espresso Martini et de magasiner un nouveau parfum, La vie est belle de Lancôme, avant de prendre le train de VIA Rail vers ma ville natale, Québec. C’est à cet instant que les prévisions météo pourries se sont concrétisées. Le vent s’est levé et les précipitations ont débuté, en une neige lourde et mouillée. Le train a dû s’arrêter à quelques reprises pour que les rails soient dégagés. J’ai tenté de voir le côté positif de ces délais, soit de pouvoir m’avancer dans mon travail sur mon ordinateur portable et de profiter du repas trois services offert dans ma section, la classe affaires. Non loin de Québec, les conditions météorologiques se sont toutefois aggravées. À travers la vitre sur ma droite, je suis d’ailleurs étonnée d’apercevoir des éclairs à travers la neige qui prend maintenant la forme de grêle.

    – C’est un orage d’hiver, me précise l’homme ventru et moustachu qui est assis de biais avec mon siège. Habituellement, ce genre de phénomène peut se produire au printemps, mais avec le réchauffement climatique, la planète est rendue détraquée!

    Je feins un faible rire poli. Je réinsère ensuite l’écouteur que j’avais retiré de l’une de mes oreilles, je hausse le volume de ma musique et j’ouvre le navigateur Web. J’y entre les mots «orage hivernal» et clique sur le premier lien scientifique fiable apparu à mon écran. «Lorsqu’un soudain front froid apparaît au-dessus d’une masse d’air chaud, des nuages convectifs se forment. La turbulence qui se crée au sein de ces nuages engendre un frottement entre les gouttelettes d’eau et les particules de glace. Le contact entre ces charges positives et négatives provoque de l’électricité statique, donc des éclairs et du tonnerre à travers la neige, ce qui peut être assez spectaculaire.» Je jette un autre coup d’œil vers ma fenêtre. Le ciel sombre est zébré d’électricité bleutée. Au bas de mon écran, l’horloge indique seulement 18 h 21, mais il fait aussi noir qu’à minuit! Un tintement électronique attire alors mon attention vers l’écran de mon ordinateur où une petite fenêtre intempestive est apparue. Une notification Messenger de ma mère. J’ouvre son message:

    Ton père est déjà arrivé à la Gare du Palais. Tout le monde t’attend pour le dessert. J’ai fait mon fameux gâteau au fromage, bleuets et citron. Et puis tu ne devineras jamais qui j’ai croisé à la SAQ⁴ hier après-midi! Ton ancien ami du primaire, Éloi Archambault. Il va bien et il paraît très bien, aussi .

    Sacrée maman, avec ses clins d’œil aucunement subtils qui ne bernent personne! Et ce cher Éloi… Lui et moi, on avait l’habitude de plaisanter en prétendant être des jumeaux, car on avait les mêmes initiales et presque le même prénom. Éloi Archambault et Élie Armand. C’était assez inusité pour deux enfants du même quartier! Je me souviens qu’Éloi passait son temps à jouer avec sa trousse du «parfait petit chimiste», qu’il avait reçue de ses grands-parents, à Noël. Pendant que je faisais du BMX à l’extérieur, il s’encabanait pour faire fondre des matières, dissoudre des substances et chauffer des fioles! Je me demande ce qu’il est devenu…

    – Excusez-moi, mais aviez-vous l’intention de les manger? me demande alors le moustachu en pointant le sachet de biscuits secs sur mon plateau.

    Mais qui ose demander cela à une pure étrangère? C’est mon repas, après tout! Les gens dans les transports en commun me fascinent, parfois… pour ne pas dire très souvent! Ce serait mignon s’il s’agissait d’un enfant, mais c’est un homme à cravate d’une cinquantaine d’années! Je m’apprête à lui répondre que j’ai bien l’intention de les manger quand je me souviens du dessert mentionné par ma mère. Et puis j’ai une soudaine envie de pousser l’étude sociologique plus loin, alors je me ravise.

    – Prenez-les, mon cher monsieur, ça me fait plaisir!

    Les prunelles luisantes, comme si je venais de lui offrir des truffes blanches à sept mille dollars le kilo, le moustachu s’empare de mon sachet de biscuits, en hume le délicat arôme… et le glisse dans sa poche de veston. Il ne les mange même pas, il les garde pour plus tard! Pas croyable, le bonhomme! Tandis que je le dévisage, une baisse de tension fait clignoter les lumières. Tous les passagers se retournent vers les fenêtres du wagon. Les forts vents ont transformé les précipitations en poudrerie. Dire que je n’ai même pas pensé à ressortir mon épais manteau d’hiver, trop habituée que je suis aux automnes américains plus cléments. L’éclairage frétille de nouveau. Je perds le Wi-Fi sur mon portable pendant un bref instant, mais par chance, la connexion finit par reprendre. Je commence donc à rédiger un message de réponse à ma mère. C’est alors qu’un bruit assourdissant éclate au-dessus de ma tête. Le même son qu’a déjà fait le gros transformateur électrique, à l’arrière de mon appartement, en court-circuitant. J’ai à peine le temps d’apercevoir l’heure à mon écran, 18 h 23, quand celui-ci devient complètement noir, tout comme l’intérieur du train, d’ailleurs. Des passagers retiennent leur souffle alors que d’autres s’exclament. Mal à l’aise, je lance des regards furtifs ici et là.

    – Un éclair vient de frapper le train! s’écrie mon voisin de banquette.

    Un murmure inquiétant déferle telle une grande vague, de l’arrière de notre wagon jusqu’à l’avant. Les freins se mettent à grincer sur les rails alors qu’un roulement de tonnerre à l’extérieur fait croître l’angoisse déjà présente à l’intérieur. Un aveuglant flash de lumière inonde les fenêtres de la façade de droite. Le train essaie de ralentir sa course. D’une main, j’agrippe le rebord de mon siège. De l’autre, mon ordinateur qui glisse sur mes cuisses. La dernière chose que j’aperçois est une employée de VIA Rail, en costume marine, turquoise et jaune, dévaler l’allée pour tenter de rassurer les gens. Puis, une puissante secousse fait tout basculer dans le néant. Je perds connaissance. C’est le black-out total.

    Une série de «bips» résonnent en écho, comme une trame sonore lointaine, diffuse, jouant en boucle. Mes paupières sont closes, mais je ne dors pas. Je perçois mon environnement. J’entrevois des silhouettes passer; elles ressemblent à des ombres chinoises à travers un papier de riz. Ces silhouettes impersonnelles sont fort occupées, mais lorsqu’elles se croisent, elles prennent le temps de parler de moi. Je les entends.

    – Élie Armand. Trente ans. Elle est originaire de Limoilou, mais elle voyage avec certains documents américains. On n’a pas trouvé son passeport, mais je présume qu’elle a encore sa citoyenneté canadienne parce qu’elle a une carte un peu bizarre sur laquelle c’est écrit «Régie de l’assurance maladie du Québec». Ça doit être une compagnie d’assurances privée. En as-tu déjà entendu parler?

    – Jamais, non!

    – On a aussi trouvé son permis de conduire, mais…

    Cette femme n’a pas trouvé mon passeport, car je l’ai caché dans le double fond en nylon de mon bagage de cabine. Pourquoi son timbre de voix est-il aussi grave et pourquoi hésite-t-elle à ce point en mentionnant mon permis de conduire? La suite de la conversation aurait dû me l’expliquer, mais elle me mêle davantage.

    – … à la date de validité, c’est indiqué juin 2020, ajoute la dame. Et l’expiration est en 2027.

    – Mais voyons donc! s’exclame l’autre infirmière, ahurie.

    – Ça doit être les plus grosses erreurs de typo que j’ai jamais vues de ma vie!

    – Hâte qu’elle se réveille pour qu’on puisse la questionner. On n’a pas réussi à retrouver des membres de sa famille.

    Les effets des sédatifs commencent à s’étioler. Mes paupières frémissent. Mes yeux s’ouvrent en deux minces fentes. J’observe les infirmières, qui affichent un air perplexe et semblent tenir un conciliabule de la plus haute importance.

    – Excusez-moi, dis-je dans un filet de voix. Est-ce que je pourrais avoir un peu d’eau?

    Les infirmières pivotent sur elles-mêmes en une nanoseconde. L’une empoigne une cruche d’eau en plastique beige rosé, tandis que l’autre vient à mon chevet pour prendre mes signes vitaux et vérifier l’état de mon poignet gauche. J’apprends par le fait même que j’ai une entorse et quelques ecchymoses au haut du corps, mais rien de plus grave. On m’explique qu’on m’a administré des calmants en raison d’une crise de panique, agrémentée d’hyperventilation, au sortir de l’ambulance. Tout ceci est nébuleux dans mon esprit. C’est comme si ces dames me racontaient un récit dont je ne suis pas le personnage principal. Je me sens zéro concernée par leurs anecdotes médicales. Jusqu’au moment où…

    – Le train! m’exclamé-je, en émergeant du brouillard. J’étais dans le train vers Québec! Ma famille m’attend pour le baptême du bébé de ma sœur.

    Les infirmières paraissent ravies de ma déclaration. L’une d’elles attrape le combiné d’un vieux téléphone carré et massif à cordon en forme de tire-bouchon. On jurerait une relique tout droit sortie de la maison de campagne creepy de mon arrière-grand-père! L’infirmière au téléphone me répète qu’elles ont tenté de retrouver un de mes proches, sans succès. Je m’empresse de lui donner le numéro de mes parents. Elle sourcille et appuie sur les touches à ma place, vu ma foulure. Elle patiente en pianotant des doigts sur la table de chevet.

    Aucune réponse au numéro que vous avez composé, répète-t-elle mot à mot en se réessayant.

    Même message d’erreur préenregistré. Tandis qu’elle me fait répéter le numéro de mes parents, croyant sûrement que ma mémoire me fait défaut en raison des médicaments, sa collègue empoigne un épais livre sur lequel j’entrevois «Annuaire alphabétique». Mais c’est quoi, cette brique? Je fronce les sourcils, plus désorientée qu’à mon réveil.

    – Quel est le nom de votre père, mademoiselle Armand?

    Je le lui mentionne; elle ne le trouve pas. Elle fouille de nouveau dans l’annuaire, en mouillant le bout de son doigt pour tourner les pages avec plus d’efficacité. Ses recherches restent vaines. Le brouillard s’épaissit.

    – Essayez le nouveau numéro de ma sœur, lui proposé-je. Il est enregistré dans mes contacts, si vous me donnez mon cellulaire…

    – Votre quoi? Dites-moi plutôt le nom de son mari, dit la dame au bottin.

    – Ils sont juste conjoints de fait. Je pense que la maison est au nom de ma sœur.

    – Ça m’étonnerait! réagit l’infirmière, outrée, en posant une main sur sa gorge.

    Ça y est, je me sens complètement perdue! Je me redresse sur mes oreillers, cherchant à capter les moindres éléments du décor. Je tente de m’accrocher à un indice, n’importe lequel, qui m’éclairerait sur la situation insensée dans laquelle j’ai été catapultée! Je remarque alors les coiffures en chignon banane des femmes, ainsi que leurs souliers rétro qu’on trouverait à la friperie où ma coloc Elena me traîne parfois. Je déglutis de travers, un brin paniquée.

    – Pouvez-vous me montrer la couverture de votre gros livre? demandé-je dans un seul souffle.

    – Et pourquoi donc? rétorque l’infirmière.

    – Montrez-la-moi, s’il vous plaît!

    C’est là que j’aperçois son titre complet: «Annuaire alphabétique des noms de Québec 1960.» Mon sentiment de panique grimpe en flèche. Mes battements cardiaques s’accélèrent et mon souffle devient irrégulier. Je respire par saccades. Les infirmières abandonnent leurs tâches pour se positionner de part et d’autre de mon lit. Lorsque je prononce quelques paroles confuses et que mon teint se fait rubicond, elles craignent une seconde crise de panique. Elles essaient quelques techniques pour me calmer les nerfs: profondes inspirations-expirations, compresses fraîches au front, mains pressées entre les leurs. Rien n’y fait! Elles m’administrent donc une seconde dose de sédatif, un peu plus faible cette fois. J’entre vite dans un état muy tranquilo, comme si j’avais ingurgité deux ou trois cocktails sur une plage du Mexique. Je leur souris bêtement, sans toutefois perdre de vue mon questionnement quant à l’année aperçue sur le bottin.

    – On va vous laisser vous reposer un peu, mademoiselle Armand. On reviendra vous voir d’ici une vingtaine de minutes.

    – Vous en profiterez pour balancer votre annuaire de l’ancien temps au recyclage! Ha! ha!

    – Faire quoi?

    – Le mettre au recyclage, vous savez, le petit bac bleu! dis-je en ricanant. Savez-vous où se trouve mon iPhone? insisté-je en scannant la pièce comme un radar. Pour le numéro de ma sœur…

    Les dames se dévisagent avec stupéfaction. J’ai l’étrange impression qu’elles s’inquiètent à mon sujet et me jugent, même. Comme si j’étais juste bonne pour l’hôpital psychiatrique. Pourtant, mes paroles ont du sens. Je ne suis pas si droguée que cela. J’ai déjà vu et vécu pire! Lorsque je m’apprête à sortir du lit pour partir à la recherche de mon bagage, elles reviennent auprès de moi avec la ferme intention de m’en dissuader.

    – Restez couchée, disent-elles avec une fermeté bienveillante, tout en appuyant sur mes épaules.

    – À part mon poignet, je suis pas si blessée que ça, protesté-je sans trop d’effronterie. Est-ce que je pourrais me rhabiller? Je me souviens que j’avais un manteau de cuir, un top blanc en dentelle et des jeans…

    – Désolée, mademoiselle Armand, mais votre jean était trop abîmé par l’accident. On a dû le jeter.

    Noooooonnnnn! Ma paire de jeans préférée!

    – Qu’est-ce que… que vous voulez dire par «trop abîmé»? balbutié-je en raison du calmant.

    – Deux déchirures au niveau des genoux.

    Noooooonnnnn! C’était voulu! J’ai acheté ce jean tel quel, à deux cents dollars US, chez Prada, sur Oak Street, à Chicago. Ces femmes ont jeté aux poubelles une pièce de haute couture italienne… et neuve, par-dessus le marché! Je me retiens de verser une larme.

    – Aussi, pardonnez notre indiscrétion, mais en cherchant vos papiers d’identité, on a trouvé euh… autre chose… et puis…

    – Bref, l’aumônier de l’hôpital viendra vous faire un brin de jasette après votre repos.

    Les infirmières se volatilisent alors dans le couloir. Engourdie, je m’avoue vaincue et me laisse retomber sur le matelas. Qu’est-ce que cette mention ridicule d’un aumônier? Je me trompe ou c’est une espèce de prêtre? Pour quelle raison voudrait-il me rencontrer? J’ai beau repenser au contenu de ma valise, je ne vois pas ce qui pourrait être scandalisant. Ce rêve que je suis en train de faire est le plus déjanté qui soit! Moi qui suis une dormeuse invétérée, je n’ai jamais eu aussi hâte de me réveiller.

    1.Au revoir, les mecs!

    2.Personne responsable de la santé d’une équipe, qui en supervise les cérémonies Scrum et qui est chargée de veiller à ce que les membres de cette même équipe vivent les valeurs de la méthodologie agile.

    3.Chicago Transit Authority: opérateur des transports publics de la ville de Chicago, Illinois, États-Unis.

    4.Société des alcools du Québec.

    Chapitre 2

    Pendant que j’essaie de réfléchir à ma situation, qui ressemble davantage à une œuvre de science-fiction qu’à un réel fait vécu, j’entends un faux toussotement. Je tourne la tête sur mon oreiller pour aviser la porte. Un homme se tient dans l’encadrement. Il est grand, svelte, et paraît très bien malgré une ecchymose à la tempe. Je baisse le regard de quelques centimètres: pas de croix dorée pendant au bout d’une chaîne autour de son cou. Alléluia, ce n’est pas l’aumônier! J’esquisse un sourire pour favoriser un premier contact.

    – Je m’excuse de vous déranger, mais je voulais prendre de vos nouvelles, dit-il d’une voix posée. Je peux entrer?

    Son extrême politesse est si charmante que je lui permets d’entrer, tout en espérant qu’il ne s’approche pas trop près de moi, quand même. Je dois avoir une tête affreuse! De quoi a l’air mon mascara? Encore intact ou en coulisses lugubres? Et mes cheveux? Je parie que mon sommeil forcé a accentué ma rosette arrière, celle qui me fait toujours une couette rebelle en forme de point d’interrogation! L’inconnu s’avance vers moi, mais reste debout, les paumes appuyées sur le dossier de la chaise se trouvant de biais avec le lit. Ses yeux sont magnifiques. Un mélange de gris et de vert. Ses traits sont bien dessinés, élégants.

    – Je m’appelle Laurent. Je suis l’ambulancier qui vous a porté assistance, après le déraillement de train.

    C’est donc ce qui s’est réellement passé? J’ai survécu à un accident ferroviaire? Le fin duvet de mes avant-bras se hérisse d’un seul coup et une sueur froide glisse entre mes omoplates. L’impact d’être encore en vie après un tel accident me frappe de plein fouet. Je suis à

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