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La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs.
La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs.
La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs.
Livre électronique1 315 pages19 heures

La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs.

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Ma thèse de doctorat concerne les relations entre l'intendant et les villages du département du Doubs de 1750 à 1789. C'est la tutelle du pouvoir royal qui s'exerce sur les communautés villageoises. J'ai exclu de mon travail, les villes et les bourgs.

La Franche-Comté à la fin de l'ancien régime

À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV a annexé la province de Franche-Comté. Elle fut naguère la fierté de Charles Quint, car il détenait le titre, hérité de son grand-père Charles le téméraire, de Comte de Bourgogne. La Franche-Comté, c'est le Comté de Bourgogne libre. Louis XIV ne rencontra que peu de résistance, la province sortait épuisée des guerres de religion entre catholiques et protestants. La tutelle administrative, c'est aussi une arme pour intégrer la province au royaume. La monarchie ne heurte jamais les libertés provinciales en un tel cas de figure, qu'elle sera son attitude en Franche-Comté.

Cadre temporelle de l'étude

1750-1789, cette période correspond au règne de deux rois : Louis XV et Louis XVI. Notre étude s'est arrêtée à l'ouverture des États généraux de 1789, Caumartin de Saint Ange, intendant de Franche-Comté, quitta précipitamment la province en 1789 travestie en femme. Son prédécesseur se nommait Charles André Lacoré, que le roi nomme en 1761, il mourut à son poste en 1784. Ce dernier avait succédé à Bourgeois de Boynes, en poste de 1754 à 1761. C'est un intendant mal aimé, et l'on peut même affirmer que la province le détesta. En même temps qu'intendant, il était président du Parlement de Franche-Comté, le peuple n'admettait pas qu'on

malmène son parlement et ses parlementaires. En 1759, une trentaine de Parlementaires, vent debout, contestait l'autorité de son président. À cette époque, le Parlement était une juridiction d'appel, et un organe politique. Si le roi voulait que ses textes soient appliqués en Franche-Comté, le Parlement devait les enregistrer. De 1750 à 1754, Jean-Louis Beaumont de Moreau exerça la fonction d'intendant dans la province.

LangueFrançais
Date de sortie24 déc. 2023
ISBN9798223447740
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    Aperçu du livre

    La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs. - Tedy RAPPENNE

    université Nancy II

    faculté de Droit, Sciences économiques et Gestion

    La tutelle administrative en Franche-Comté dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

    L’intendant et les communautés d’habitants de l’actuel département du Doubs.

    Thèse

    pour l’obtention du grade de

    DOCTEUR EN DROIT

    Mention Histoire du droit

    ( nouveau régime ) 

    présentée et soutenue publiquement le 15 mai 2001

    par

    Tedy Rappenne

    jury

    Monsieur Louis-Augustin Barriére, Professeur d’Histoire du droit à l’université Jean Moulin, Lyon III.

    Monsieur Pierre Bodineau, Professeur d’Histoire du droit à l’université de Bourgogne.

    Monsieur Renaud Buêb, Maître de conférences d’histoire du droit à l’université de Franche-Comté.

    Monsieur Christian Dugas de la Boissonny, Professeur d’Histoire du droit à l’université de Nancy II.

    Monsieur Sébastien Evrard, Maître de conférences d’histoire du droit à l’université de Nancy II.

    Monsieur André Ferrer,  Maître de conférences d’histoire moderne à l’université de Franche-Comté.

    Madame Aline Logette,  Maître de conférences honoraire d’histoire du droit à l’université de Nancy II.

    Monsieur Hugues Richard, Professeur d’Histoire du droit à l’université de Nancy II, directeur des recherches.

    Remerciements

    ––––––––

    Dans ces quelques lignes au début de notre étude, nous tenons à remercier Madame Logette d’avoir diriger nos travaux, nous remercions Monsieur le Professeur Hugues Richard d’avoir pris la relève de Madame logette dans la direction de cette thèse, quand il fut l’heure pour elle de prendre sa retraite.

    Nous tenons aussi à remercier pour leur accueil et leur sens du service public le personnel de différents lieux où nous avons effectué nos recherches :

    - Les Archives départementales du Doubs

    - La Bibliothèque d’étude et de conservation de la ville de Besançon 

    - La Bibliothèque de la Faculté de Droit de l’Université de Franche-Comté

    - La Bibliothèque de la Faculté des Lettres de l’université de Franche-Comté

    cette thèse est dédiée

    à ma fille Nina 

    et

    Ma douce Amandine

    La Faculté n’entend donner ni approbation, ni improbation aux opinions émises dans la thèse, celles-ci devant être considérées comme propres à leur auteur.

    abréviations utilisées dans le cours de la thèse

    abréviations des archives

    ADD : Archives départementales du Doubs

    aréviations des ouvrages

    Cabourdin lex-hist : Cabourdin (Guy), Viard (Georges) Lexique historique de la France d'Ancien Régime, Armand Colin, 1999.

    Denizart collect : Denizart (Jean-Baptiste) Collection des décisions nouvelles et de notes relatives à la jurisprudence actuelle, 4 volumes, Paris, septième édition, 1771.

    Ferriére dict-droit : Ferriére (Claude-Joseph) Dictionnaire de droit et de pratique contenant les explications et termes de droit, 2 tomes, Paris, 1758.

    Gutton soc.vill : Gutton (Jean-Pierre) La sociabilité villageoise dans l’ancienne France, Paris, Hachette, 1979.

    Guyot rèpert.juris :  Guyot (Pierre-Jean-Jacques-Guillaume) Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale (mis en ordre et publié par), 17 tomes, Paris, 1784/1786. 

    Isambert rec.gen.lois : Isambert (Decrussy, Jourdan...) Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, 29 volumes, Paris, Belin le Prieur libraire éditeur, 1821-1833.

    Lefévre paysans-nord : Lefèvre (Georges)  Les paysans du Nord pendant la Révolution française, Bari, Editori Laterza, 1959.

    Saint-Jacob paysans-bourg : Saint-Jacob (Pierre de) Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, thèse Lettres, Dijon, 1960.

    abréviations des revues

    AESC : Annales, Économies, Sociétés, Civilisations

    AHRF : Annales historiques de la Révolution française

    IH : Informations historiques

    MSHD : Mémoires de la société pour l’histoire du droit des anciens pays bourguignons, comtois et romans

    NRHD : Nouvelle revue historique du droit français et étranger 

    RDP : Revue de Droit public

    RH : Revue historique

    RHD : Revue historique du droit français et étranger

    RHEF : Revue de l’histoire de l’église de France

    RHES : Revue d’histoire économique et sociale

    RHM : Revue d’histoire moderne

    RHMC : Revue d’histoire moderne et contemporaine

    ––––––––

    préliminaire

    La place de l’étude de l’histoire du droit dans les Facultés de Droit, ne nous semble, pas à sa juste valeur. Pour justifier la nécessité de cette étude, nous pouvons citer cette pensée d’un auteur de droit civil :

    L’" Histoire du droit lato sensu (en y englobant les droits de l’antiquité, tout spécialement le droit romain, aussi bien que le droit français antérieur au C.C). — L’histoire peut servir le droit de plusieurs manières :

    1° en permettant - c’est son dessein le plus scientifique, mais le plus aléatoire - d’établir des lois générales d’évolution des institutions juridiques.

    2° en éclairant les institutions du droit actuel, qui ont souvent leur origine directe ou indirecte, dans le droit des siècles passés.

    En fournissant au juriste d’aujourd’hui, qui doit interpréter, construire, voir habiller le droit, l’équité, un fonds d’observations et de réflexions amassé par les siècles ; toute opinion tend à devenir du droit, et une opinion n’est pas a priori, sans valeur juridique - tout au contraire - par cela seul qu’elle sort des millénaires ( nous songeons à cet océan d’idées qu’est le Corpus juris civilis de Justinien ).

    D’une manière générale, on peut dire que le droit trouve dans l’histoire son milieu propre, car il est essentiellement durée, mémoire, rattachement des générations les unes aux autres, enracinement de l’avenir dans le passé, et quand même quand il est révolutionnaire, il se dit la redécouverte de titres anciens que des siècles d’oppression n’avaient pu effacer. "[1]

    Pour mettre en évidence, la pensée de cet auteur, nous pouvons citer les idées d’un auteur d’histoire du droit, en parlant du débat centralisation décentralisation :

    " Alors que la révolution s’était faite en grande partie contre l’absolutisme centralisateur de la monarchie, contre le pouvoir des intendants royaux en province, alors que les réformes de 1789-1790 avaient toutes tendu à une autonomie de la bourgeoisie locale, à la liberté des départements vis-à-vis de Paris, la vie politique, la force, aussi des Conventionnels avaient ramené sous d’autres noms, sous d’autres habits le dirigisme centralisateur tellement honni. La Convention jacobine est un tournant définitif. On quitte les quelques années de réaction à l’emprise de Paris, du pouvoir central, pour y revenir, et pour longtemps. L’Administration locale est progressivement, à partir de 93, reliée à Paris, dépendante du pouvoir central. Robespierre réédite l’oeuvre de Richelieu, de Louis XIV ; les représentants en mission. Les commissaires de la République ou du Directoire renouvellent les intendants. Ainsi s’annonce le XIXe siècle. Bonaparte n’aura pas à innover. Il n’aura qu’a reprendre et à renforcer par la loi de pluviôse an VIII ce qu’avait fait la convention, les préfets sous un autre nom continuent commissaires de la République et intendants. Telle a été la façon dont la France a basculé dans ce qu’il est convenu d’appeler la centralisation napoléonienne que le XIXe siècle n’atténuera que partiellement. Il faudra attendre la loi, dite loi Defferre de 1982 pour revenir au système de la Révolution française, voir les conseils généraux des départements - élus - reprendre l’essentiel de leurs pouvoirs, dont les pouvoirs financiers, au préfet, et celui-ci retrouver le vieux nom de  commissaire de la République . "[2]

    L’étude de l’histoire du droit permet de rattacher des institutions actuelles au passé. L’étude de la tutelle administrative au XVIIIe siècle sera éminemment instructive pour éclairer le débat politique sur la décentralisation qui a agité la France aux XIXe et XXe siècles. 

    Sommaire général

    introduction générale

    Première Partie/la problématique de la tutelle administrative

    chapitre I /  l'organe de tutelle

    section I/l'intendant 

    section II/Les subdélégués 

    chapitre II/les communautés d'habitants

    section I/la communauté d'habitants

    section II/la communauté d'habitants en Franche-Comté

    chapitre III/la politique locale

    section I/ le fondement de la tutelle

    section II/les instruments de cette tutelle

    Deuxième Partie/l’exercice de la tutelle administrative

    chapitre I/ les communaux

    section I/les communaux au XVIIIe siècle

    section II/les amodiations des communaux

    section III/la protection des communaux

    section IV/la conservation des communaux 

    section V/la reconstitution du patrimoine foncier des communautés 

    chapitre II/la prise en charge communautaire de certains besoins

    section I/le lien communautaire à l'épreuve du temps

    section II/les usages collectifs

    section III/les obligations imposées aux communautés

    chapitre III/La problématique des travaux publics

    section I/les conflits de compétence

    section II/le processus décisionnel

    Chapitre IV/La mise en oeuvre des travaux publics

    section I/les travaux publics liés à la vie religieuse

    section II/les travaux publics liés à l'aménagement de la communauté

    Troisième Partie /les conséquences de la tutelle administrative

    chapitre I/la communauté et les notables locaux

    section I/les membres du clergé

    section II/les seigneurs

    section III/les paysans aisés

    chapitre II/l’intendant et le droit

    section I/Le droit appliqué en Franche-Comté

    section II/Le règlement des conflits 

    chapitre III/le développement local

    section I / l'intendant et l'activité économique 

    section II/les infrastructures

    conclusion générale

    annexes

    bibliographie

    table des matières

    introduction générale

    S’il est une institution d’Ancien Régime sur laquelle on a beaucoup écrit, c’est bien l’intendance. Mais, jusqu’à présent, on s’est surtout attaché à l’aspect social de cette institution. De plus, les travaux, qui ont eu pour cadre les pouvoirs de l’intendant, ont une vision de son action globale dans sa généralité, sans s’attacher à une compétence précise de ce représentant du pouvoir central. Nous ne voulons pas remettre en cause la valeur de ces travaux, mais il nous semble que, pour appréhender les pouvoirs réels de l’intendant, il faut s’attacher à l’étude d’une de ses compétences particulières. C'est l’objet de notre étude : la tutelle administrative sur les communautés d’habitants dans l’actuel département du Doubs pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle[1].

    Notre étude est limitée dans l’espace : elle concerne le département du Doubs de la région de Franche-Comté. Qu’est-ce que la Franche-Comté ? Dés le Moyen-Âge, la province connut des changements de souverains au gré des mariages et successions. Ainsi, à la suite d’un mariage avec Philippe II le Hardi (1384) - ce prince, quatrième fils du roi de France Jean le Bon, avait reçu en apanage le duché de Bourgogne en 1363 — le Comté se trouva réunie avec le duché de Bourgogne sous la seconde maison ducale de Bourgogne : celle des Valois, de 1384 à 1477. Philippe le Hardi, duc et comte de Bourgogne, réorganisa en 1394 le Parlement du Comté et l'installa à Dole. Son fils, devenu comte-duc de Bourgogne — Jean sans Peur — soutint la commune de Besançon pour amoindrir la puissance temporelle des princes-archevêques. Son fils, Philippe le Bon, établit à Dole une université (1422). Cette union des deux Bourgognes prit fin avec la mort du quatrième comte-duc, Charles le Téméraire tué à la bataille de Nancy (1477). À la mort de ce dernier s’ouvrit la période autrichienne et espagnole. Marie de Bourgogne, fille du Téméraire, avait épousé l'empereur Maximilien Ier. Mais se posa le problème du choix du suzerain de la province : en 1484, les états de la Franche-Comté reconnurent comme suzerain Charles VIII qui venait de succéder à son père — Louis XI — et qui était fiancé à Marguerite d'Autriche, fille de Marie de Bourgogne et de Maximilien. Mais Charles VIII ayant finalement épousé Anne de Bretagne, les Comtois s'insurgèrent. Cette insurrection prit fin par le Traité de Senlis ( 23 mai 1493), qui rendit la Franche-Comté aux héritiers de Marie de Bourgogne. Maximilien, père et tuteur des petits-enfants de Charles le Téméraire, gouverna la Franche-Comté jusqu'à la majorité de son fils Philippe le Beau. Ce jeune prince, qui parut à peine dans le pays, épousa Jeanne, héritière des Espagnes, et mourut en 1506, laissant pour lui succéder un enfant de cinq ans qui devait devenir Charles Quint. En 1512, Mercurin de Gatinara, devenu cardinal, négocia avec la France un traité, renouvelé en 1522 et garanti par les Suisses, qui neutralisait la Franche-Comté en temps de guerre. Ce traité évita à la Franche-Comté les malheurs de la guerre entre François Ier et Charles Quint. Après la mort de Charles Quint (1558), le Comté passa à la branche espagnole de la maison d'Autriche et lui resta jusqu'en 1674. Sous la domination espagnole, la Franche-Comté vit se développer sa prospérité, ses institutions et ses franchises, jouissant en fait d'une large autonomie. Jusqu'en 1595, la neutralité de la Franche-Comté fut respectée, mais Henri IV, voulant en finir avec le duc de Mayenne qui tenait le duché de Bourgogne et se ravitaillait dans le Comté, la fit envahir. Après cette incursion qui fut dévastatrice, Henri IV se retira et consentit au rétablissement du pacte de neutralité. Bien qu'avantageuse pour le roi de France, la paix de Vervins conclue avec l'Espagne en 1598 ne modifia en rien le statut de la Franche-Comté, qui resta sous la domination espagnole. Puis survint la guerre de Trente Ans. En 1631, la Franche-Comté ayant successivement donné asile à Gaston d'Orléans et à Charles IV de Lorraine, Richelieu estima que la neutralité était rompue, et la Franche-Comté fut entraînée dans la tourmente des opérations militaires de la guerre de Trente Ans. En 1635, Richelieu s'apprêtant à l'envahir, la Franche-Comté entière se dressa contre la France. En 1642, Mazarin, en arrivant au pouvoir, se décida à renoncer au Comté et, comme Henri IV l'avait fait précédemment, lui restitua le bénéfice de la neutralité. Les traités de Westphalie, en 1648, ne firent que confirmer sur ce point le traité déjà intervenu. Mais, dès 1665, à la mort du roi Philippe IV d'Espagne, Louis XIV réclama la Franche-Comté et les Pays-Bas, au nom de sa femme Marie-Thérèse, fille du premier lit de Philippe IV. Les États, réunis à Dole en janvier 1666, prêtèrent serment au nouveau roi d'Espagne, Charles II, mais l'état d'esprit du pays n'était plus le même, et la cause française avait gagné du terrain. Aussi, le 4 février 1668, Condé étant entré en Franche-Comté, Dole et Salins ouvrirent leurs portes après une courte résistance, et Besançon se rendit à la sommation ; en quinze jours, le pays avait été soumis. Mais, trois mois plus tard, le Traité d'Aix-la-Chapelle, mettant fin à la guerre de Dévolution, rendit la Franche-Comté à l'Espagne. En 1674, la guerre étant de nouveau déclarée entre la France et l'Espagne, le duc de Noailles envahit la Franche-Comté. Devant l'énergique résistance rencontrée, Louis XIV lui-même dut venir mettre le siège devant Besançon, et le pays ne se soumit qu'après une très sérieuse campagne de six mois. En 1678, les traités de Nimègue donnèrent le Comté à la France.

    Nous avons choisi la Franche-Comté à la fois par attachement à notre région d’origine, et aussi parce que l’intendance de cette généralité n’a pas suscité un grand nombre de travaux, tout au moins dans l’optique habituelle à l’histoire du droit : jusqu’à présent, l’intendance de Franche-Comté a été pratiquement passée sous silence[2]. Il est vrai que ses archives sont dispersées dans trois dépôts : ceux du département du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône. Si nous avions tenté de les explorer tous les trois, nous n’aurions pu procéder que par sondages. Nous avons préféré effectuer un dépouillement complet de la série consacrée à la tutelle des communautés d’habitants, en nous limitant à un seul fonds : celui des Archives départementales du Doubs[3]. La documentation sur l’intendance y est abondante, mais hétérogène : complète, apparemment, pour certaines affaires, beaucoup plus fragmentaire pour d’autres. Aux Archives départementales du Doubs, c’est la série 1 C qui est dédiée à l’intendance : c’est une masse de documents contenant à la fois des textes législatifs royaux, des décisions de l’intendant, des avis de subdélégués. On constate qu’a été tenté un classement en vastes catégories telles que police générale, assistance, impositions, agriculture, Eaux et Forêts, commerce, postes et messageries, ponts et chaussées, avec parfois des subdivisions. En revanche, tout ce qui se rapporte à la tutelle sur les communautés d’habitant, sous les cotes 1 C 2375 à 1 C 2609, n’a pas fait l’objet d’un tri interne et est donc de consultation moins commode. Mais le fonds, qui semble pratiquement abandonné, est d’une grande richesse : les dossiers les plus nombreux concernent les travaux publics, notamment pour les églises, le problème des communaux, les comptes des communautés d’habitants. En général, ces documents ne posent guère de problèmes de lecture, du moins au plan paléographique, mais certains d’entre eux, détériorés, sont plus difficilement compréhensibles. Nous avons aussi fait des recherches à la Bibliothèque municipale de Besançon. En premier lieu, nous avons consulté quelques dossiers concernant les communautés d’habitants, mais ceux-ci sont constitués de mémoires ou précis rédigés au cours d’une procédure judiciaire. En second lieu, on trouve des ouvrages de praticiens du droit sur la coutume de Franche-Comté ou des recueils de jurisprudence du Parlement de cette province, que ce soit celui de Dole ou celui de Besançon.

    La limitation dans le temps s’imposait d’elle-même, car les Archives départementales du Doubs, au regard de l’intendance, souffrent d’une grande carence : la quasi-absence de documents pour la période antérieure à 1750. En outre, la plus grande partie des documents concerne la période postérieure à 1762, l’explication avancée le plus couramment est l’incendie de l’intendance en 1737. Mais nous pensons que le déménagement de l’intendance, lors de la reconstruction d’un nouveau bâtiment, pourrait expliquer les carences postérieures à 1737. Nous avons donc fait porter notre étude sur les intendances de Charles-André de Lacoré (1761-1784) et de Marc-Antoine Caumartin de Saint-Ange (1784-1790)[4].

    La tutelle sur les communautés d’habitants est double : la tutelle administrative et la tutelle financière. La tutelle est la surveillance par un agent de l’État des actes d’une personne publique, ce n’est pas un contrôle hiérarchique. Le contrôle hiérarchique est le pouvoir de contrôle d’un chef sur son subordonné, alors que la tutelle est le contrôle exercé par un  contrôleur  sur un  contrôlé [5] ; il n’y a pas là de rapport entre chef et subordonné, le contrôle hiérarchique s’exerce au sein d’une même personne publique, alors que la tutelle s’exerce d’une personne publique sur une autre personne publique. L’idée générale de la tutelle est que l’État est le gardien de l’intérêt général, donc il est investi d’une mission de contrôle sur les autres personnes publiques qui ont des intérêts particuliers et qui de ce fait, se trouvent soumises à un contrôle par cette personne publique parce qu’elle a la défense de l’intérêt général. La définition de la tutelle administrative ne résume pas à un contrôle d’un acte. Le pouvoir de tutelle est un pouvoir conditionné : le contrôle ne se présume pas, il ne s’exerce que dans les cas et formes prévus par la législation. Il ne comporte pas le pouvoir de donner des ordres. Les organes de la personne contrôlée ont la responsabilité des intérêts de celle-ci et sont tenus en droit par la réglementation en rigueur. L’autorité de contrôle s’assure du respect de cette norme, mais ne peut agir de son propre chef. Le contrôle de tutelle s’exerce sur les organes et sur les actes. Le contrôle sur les organes peut revêtir plusieurs formes, en premier lieu les organes peuvent être nommés par le pouvoir central, et en second lieu l’exercice d’un pouvoir disciplinaire sur ces organes par exemple la possibilité de suspendre ou révoquer un agent qui a commis des illégalités ou négligé les affaires de la personne contrôlée ou que cet agent a refusé d’obtempérer aux ordres du pouvoir central. Le contrôle sur les actes peut prendre plusieurs formes. La première forme est le pouvoir reconnu à l’autorité de tutelle de déférer à un juge les actes illégaux de la personne contrôlée. La deuxième forme est le pouvoir d’annuler un acte de la personne contrôlée. La troisième forme est le pouvoir d’approbation, un acte ne pourra avoir d’application sans cette approbation. La dernière forme possible est le pouvoir de substitution d’office, ce qui permet à l’autorité de tutelle de faire ou refaire un acte incombant aux organes de la personne sous tutelle. Le but premier de la tutelle est le contrôle de la légalité d’un acte, le but second de la tutelle est le contrôle de l’opportunité d’un acte[6]. Pour apprécier l’intensité de la tutelle sur une personne publique, il faut se référer au contrôle de l’opportunité d’un acte : en effet, le contrôle de la légalité ne peut être que complet, alors que le contrôle de l’opportunité d’un acte ne tend que vers une bonne administration. Les organes d’autorité d’une personne publique peuvent manquer des compétences et de l’expérience nécessaire ou, ce qui peut paraître plus grave, faire preuve de négligence et de partialité. Il est évident que, si le contrôle de l’opportunité est total, la personne contrôlée se trouve dans un état de subordination relativement à l’État central. La France d’Ancien Régime avait-elle un régime administratif décentralisé ? La tutelle s’explique dans un régime administratif décentralisé. La décentralisation consiste à remettre des pouvoirs de décision à des organes autres que des agents du pouvoir central. Dans un État centralisateur, ces organes sont des agents du pouvoir central, et donc le contrôle exercé n’est pas la tutelle, mais un contrôle hiérarchique : il y a là des rapports de chef à subordonné.

    L'État étant gardien de l'intérêt général, il contrôle l'action des autres collectivités afin que celles-ci respectent cet intérêt. L'intérêt général est le but de l'action de l’État. Le motif de la tutelle exercée par l’État sur les autres collectivités est que les collectivités locales agissent dans cet intérêt général. Le but recherché par l’État est que la fin de l'action des collectivités locales soit l'intérêt général, mais le problème qui se pose pour nous est de donner une définition de l'intérêt général. L'intérêt général est une notion qui est souvent utilisée, sans que l’on en donne une définition adéquate. Une réalisation d'intérêt général est une réalisation qui représente en tant que telle, un intérêt, une utilité pour l'ensemble des individus et pour chacun d'eux, que ce soit directement ou indirectement. On se rend compte que tendre vers un but d'intérêt général ne peut être réalisé que si chaque individu renonce à certaines choses ou même accepte des sacrifices par rapport à ses objectifs. La recherche de l'intérêt général n'est possible qu'au détriment des intérêts particuliers des individus ou des groupes sociaux. On s'aperçoit que cette notion est ambiguë : d'un coté elle recherche l'utilité commune, de l'autre, elle peut être en contradiction avec les aspirations de chacun. Le but d'intérêt général ne peut être imposé que par l’État. Dans cette première approche de l'intérêt général, on s'aperçoit qu'il manque une précision : l'intérêt général, c'est l'intérêt de tous, d'un ensemble de personnes, et cela pose obligatoirement la question de savoir qui sont ces personnes et de quel ensemble il s'agit. En se mettant à la place de l’État, les individus dont il s’agit sont les personnes qui se trouvent dans la sphère des pouvoirs de l’État : c'est l'assise géographique de ces personnes qui permet de déterminer cet ensemble de personnes. Mais au niveau des personnes elles-mêmes, l'intérêt général a de sens que pour des individus liés entre eux. En effet, pour des individus seulement liés par le fait d'être, sous l'autorité d'un État, le rapport qui les unit est trop mince pour que l'idée d'une fin d'intérêt général soit consciente. Ces individus entre eux sont des étrangers,  ils ne sont conscients d'un intérêt général que lorsqu’ils sont liés entre eux par un intérêt commun. Ce sentiment d'un intérêt commun peut être le sentiment de former un corps, une communauté. Ces deux approches de l'intérêt général montrent l'ambiguïté de cette notion. L'intérêt général est un objectif utile à l'ensemble des individus formant une communauté placée dans la sphère du pouvoir d'un État. Cet intérêt général est admis par chacun des individus qui acceptent des sacrifices personnels pour la réalisation de cet objectif.

    Le problème de la tutelle administrative et de la recherche de l'intérêt général est de vaincre les intérêts particuliers des groupements d'individus vivant dans des communautés infraétatiques ne visant que la réalisation d'intérêts particuliers. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la tutelle administrative : un contrôle des actes des collectivités locales pour assurer la réalisation de l'intérêt général. Quels critères sont employés par les autorités de tutelle pour assurer la réalisation de cet objectif ? L’étude par nous entreprise pourrait apporter des éléments de réponse à cette question. 

    Quand la Franche-Comté fut annexée, le roi avait promis de maintenir la province dans ses privilèges. L’article 2 de la capitulation stipulait, les institutions, établissements et instructions du Parlement seront observées (sic) et suivies, comme du passé, en tous et en chacun leurs points et la justice administrée, suivant le droit commun et les loix civiles et romaines, comme aussi suivant les coutumes ordonnances et edicts de Franche-Comté et non d’autres [7]. Malgré cet acte, le roi va installer ses agents dans la province et donc pour ce qui nous intéresse, l’intendant. L’oeuvre de l’intendance sera d’intégrer la province dans le royaume. C’est la tutelle des communautés d’habitants qui met ce personnage en contact direct avec la vie locale et qui lui permet de mettre en œuvre la politique d’intégration. La politique suivie par les premiers intendants de la province nous est, pour une grande part inconnue[8], mais en étudiant l’action de Lacoré et de Caumartin de Saint-Ange, nous pourrons apprécier les résultats obtenus par ces premiers intendants[9]. A priori, en exerçant la tutelle, l’intendant va se trouver au centre des conflits qui agitent les communautés d’habitants. Le XVIIIe siècle étant le siècle des innovations, des mouvements d’idées, l’intendant va-t-il transmettre ces idées nouvelles aux communautés d’habitants ? Si oui, quelle fut la réaction des habitants des campagnes ?

    Mais la deuxième moitié du XVIIIe siècle correspondra à une monarchie faible, consciente des demandes d’innovations et de changements de la société. Elle essayera de suivre ce mouvement, mais elle rencontrera l’opposition de la noblesse, du haut clergé et des parlementaires. Par rapport à cette résistance, le pouvoir royal va reculer, on assistera à l’annonce de grandes réformes, puis à la levée des oppositions et au recul du pouvoir royal. L’intendant sera-t-il, à l’image du pouvoir royal, un agent faible qui reculera devant les oppositions[10] ?

    La tutelle sur les communautés d’habitants ne peut être dissociée de l’effort fait par la monarchie pour étendre son autorité, au détriment des pouvoirs locaux. L’histoire de la tutelle administrative sur les communautés d’habitants peut servir à comprendre le processus d’extension de la souveraineté du roi sur le territoire[11]. L’histoire de la tutelle administrative est inséparable de l’histoire politique de la France. Le choix de l’institution qui exercera cette tutelle n’est pas anodin, selon qu’il s’agit d’un agent du pouvoir central ou d’un agent des pouvoirs locaux. Si c'est l’agent du pouvoir central qui exerce cette tutelle, il est évident que ce pouvoir a la maîtrise des décisions sur l’ensemble du territoire. Si c'est un agent d’un des pouvoirs locaux, c'est ce pouvoir qui va élaborer une politique et le pouvoir central aura peu d’emprise sur la vie locale. La lutte pour imposer la tutelle exercée par un agent du pouvoir central ne peut être dissociée de la volonté du pouvoir central d’avoir la maîtrise de fait sur le territoire. Même si la souveraineté du roi commence à être reconnue dés la fin du Moyen-Âge, la maîtrise du territoire, le pouvoir d’impulser une politique étatique à l’ensemble de la Nation, semble être plus tardive. L’intendant répond à cette exigence de maîtrise du territoire. Les circonscriptions religieuses des évêques constituèrent un modèle pour le pouvoir royal quand il installa des  commissaires départis  dans tout le royaume. À vrai dire, ce n’est pas une idée nouvelle, puisque cette technique de la maîtrise du sol se pratiquait déjà sous l’empire romain. À l’apogée du règne des rois des deux premières races, l’institution des comtes répondait à cette attente. Il est vrai qu’au fil du temps, ceux-ci devinrent indépendants du pouvoir central. Cette maîtrise du territoire n’a pas impliqué un État centralisateur, c'est-à-dire un État qui nommait tout les membres des différentes personnes publiques. La France d’Ancien Régime connaissait un État décentralisé : aux premiers temps des Capétiens, il n’existait qu’un embryon d'État, du moins des domaines importants du rôle de l’État étaient assurés par des personnes étrangères au pouvoir central. Au redressement de l’institution étatique a correspondu une meilleure compréhension du rôle de l’État et de ses fonctions. La tutelle des communautés va tout à fait dans ce sens : en imposant un agent du pouvoir central pour contrôler les communautés d’habitants, l’État finissait sa conquête de l’espace. 

    La tutelle sur les communautés d’habitants revêt des aspects multiples et nous avons dû faire un choix. Comme exemples de problèmes que nous avons volontairement laissés de côté, on peut citer les impositions, les Eaux et Forêts, encore que pour la compréhension de certains litiges nous avons dû les évoquer accessoirement. En revanche, il nous a paru indispensable de faire porter, l’essentiel de nos recherches sur les deux éléments les plus importants de la vie rurale à la fin du XVIIIe siècle, et sur lesquels s’exercent donc une tutelle étroite de l’intendant : les travaux publics et l’usage des communaux. Dans une première approche de la tutelle, il faudra étudier les institutions qui sont concernées et le fondement de la tutelle. Il faudra s’interroger sur cet agent du pouvoir central qui va exercer la tutelle, essayez aussi de connaître l’administration dont il pouvait disposer pour assurer son rôle. Il l’exerce sur des communautés d’habitants : il faudra tenter de définir ce terme et le mode d’organisation de ces collectivités locales. Puis il conviendra de s’interroger sur le fondement de la tutelle. Ces trois points seront étudiés dans une première partie : la problématique de la tutelle. Il faudra s’interroger ensuite sur la mise en œuvre de cette tutelle. Elle sera abordée à deux points de vue : la tutelle sur les travaux publics des communautés d’habitants et sur le patrimoine foncier de celles-ci : les communaux. Ces deux points seront étudiés dans une deuxième partie : l’exercice de la tutelle. Enfin, une troisième partie tentera de déterminer les conséquences de la tutelle, à la fois pour les habitants des campagnes et leurs relations sociales, et pour l’intendant lui-même : comment s’efforce-t-il de régler le contentieux, quasi quotidien, des communautés d’habitants, quel droit applique-t-il — droit royal ou coutume — participe-t-il vraiment au développement local ? 

    Première Partie/La problématique de la tutelle administrative

    Cette première partie consiste pour nous à dégager le cadre des difficultés de la tutelle administrative au XVIIIe siècle. Les problèmes soulevés par cette tutelle sont nombreux et variés, nombre d’entre eux seront vus dans les parties subséquentes. Les problèmes qui seront abordés ici peuvent être regroupés en trois thèmes, d’abord quel est l’organe qui assurera la tutelle, ensuite sur qui va-t-elle s’exercer, et enfin essayer de dégager les cadres de la politique locale au XVIIIe siècle ? La difficulté qui se pose au XVIIIe siècle pour la tutelle administrative, c'est l’assujettissement des collectivités locales à la volonté royale. Pour réaliser cette mainmise de l’État sur celles-ci, il faut que cette tutelle soit exercée par un personnage qui lui est subordonné. Les collectivités locales qui vont être assujetties à cette tutelle sont les communautés d’habitants, il nous faudra, les définir et décrire le droit applicable à leur organisation. La tutelle, voilà un mot qui peut paraître désobligeant au XXe siècle, en effet ce terme, en droit civil s’applique aux modes de gestions des biens de certains incapables — mineurs par exemple — au XVIIIe siècle comment était perçu la tutelle ? Que recouvrait ce mot ?  Les communautés d’habitants étaient-elles considérées comme des mineures ? Les communautés d’habitants dans le cadre de la tutelle avaient-elles le choix d’élaborer une politique locale ?

    Pour répondre à ces questions, nous pensons qu’il faut examiner dans un premier chapitre l’organe de la tutelle : l’intendant ; dans un deuxième chapitre, les personnes subissant cette tutelle : les communautés d’habitants ; le troisième chapitre sera consacré à la politique locale : l’encadrement des choix de cette politique et les instruments qui sont à la disposition des collectivités locales.

    chapitre I/l’organe de tutelle

    L’organe de tutelle est l’intendant, qui est personnage. Il faut s’attacher à ces pouvoirs pour essayer de comprendre la fonction de cette personne dans sa généralité. En Franche-Comté qui étaient-ils ? Cette province, qui fut rattachée à la fin du XVIIe siècle au royaume, allait-elle subir une politique spéciale pour la nomination des intendants ? Ceux-ci possédaient-ils des pouvoirs spéciaux pour les pays d’annexions ? Existait-il une politique royale pour les pays conquis pour les intégrer au royaume ? Mais ce personnage, comme on le verra, qui semble disposer de pouvoirs considérables pouvait-il administrer une province sans collaborateurs ? Qui étaient-ils ? Les intendants suivaient-ils une politique particulière pour leur nomination ? Quels étaient les pouvoirs de ces collaborateurs ?

    Pour étudier cette question, nous verrons dans une première section les intendants, avant d’aborder dans une deuxième section les collaborateurs de l’intendant : les subdélégués.

    Section I/Les intendants

    Pour mieux nous permettre d’apprécier la situation en Franche-Comté (§ II), nous étudierons dans un premier temps cette institution dans le royaume (§ I). Ce qui nous permettra de faire la comparaison avec la situation franc-comtoise.

    § 1/L’institution

    Dans cette vue générale de cette institution, nous nous proposons d’étudier en premier lieu les compétences de l’intendant (A) ; puis d’aborder les services administratifs de l’intendance (B), il semble évident que, pour mener à bien ses diverses compétences, l’intendant devait disposer d’un personnel administratif.

    Les compétences de l’intendant

    Dans quel cadre géographique s’exerçaient les pouvoirs de l’intendant ? Quelles sont les compétences de l’intendant ? Quelle est la source des compétences de l’intendant ? On peut aussi se demander quels étaient ses rapports avec les autres institutions. Enfin, dans le cadre de ses fonctions, pouvait-il être amené à collaborer avec d’autres institutions ?

    L’intendant, commissaire départi, a son champ de compétence délimitée dans une circonscription administrative : la généralité[1]. La France d’Ancien Régime était divisée en généralités. La France comprenait trois sortes de pays au point de vue de l’impôt : les pays d’élection, où l’impôt était réparti par des magistrats spéciaux appelés les élus sous la surveillance de l’intendant ; les pays d’États avaient gardé le droit de voter et de répartir eux-mêmes l’impôt au sein d’assemblées provinciales qu’ils avaient conservées ; enfin les pays d’impositions ou pays conquis où la répartition se faisait directement par l’intendant. Cette simple différenciation administrative influe sur la compétence de l’intendant. La généralité fut lors de sa création une circonscription financière ; née de la création de seize recettes générales en 1542. L’Édit de Poitiers de juillet 1577 créé dix-sept Bureaux des Finances, soit un par généralité. À la fin du XVe siècle, les maîtres de requêtes sont envoyés en chevauchées et, dès le début du XVIIe siècle, ces commissaires vont dans les provinces accomplir des missions très précises. Esmonin cite le cas d’une commission où, en 1617, le bénéficiaire avait la possibilité de présider le Bureau des Finances[2]. Les compétences fiscales de l’intendant, la répartition de la taille notamment, ont abouti à ce que celui-ci, lors de son installation à demeure dans les provinces, ait pour cadre de sa commission la généralité, ce qui amena une restriction des compétences des officiers des bureaux de finances, non sans heurts. Mais ce principe doit être nuancé[3] au XVIIe siècle : les généralités manquent de stabilité, certaines sont réunies pour un moment, d’autres naissent du démembrement d’intendance ancienne, d’autres naissent de conquêtes comme Besançon, d’autres l’espace d’une occupation comme celles d’Ath, Hirbourg, Luxembourg, Audernarde, Nice, Nancy. En 1679, il y avait vingt-trois intendances, à la fin du XVIIIe siècle, on en comptait trente-deux[4].

    L’intendant, commissaire départi, représentant stable et permanent du roi dans la province, bénéficiant de l’aura de son commettant, car au début il était le transmetteur des ordres du roi, et l’informateur[5] pour ce qui concernait sa province. Ses compétences étaient fixées par sa lettre de commission et celles-ci peuvent être classées en quatre catégories : la justice, la police[6], les finances, l’administration militaire. S’agissant de la justice, l’intendant avait droit d’entrée dans tous les tribunaux, il enquêtait et établissait des rapports sur les tribunaux et les magistrats, il veillait à la dette des corps d’officiers de judicatures et aux opérations relatives aux offices[7]. Pour la police, ses compétences étaient plus variées, dans une première série, on peut classer la catégorie des tutelles sur les communautés d’habitants[8], des hôpitaux, des ecclésiastiques, des corporations ; dans une seconde catégorie on peut classer le maintien de l’ordre public : il avait la direction de la maréchaussée, la santé publique avec ses rapports en cas d’épidémie, la lutte contre la mendicité qui allait de la répression au début du XVIIIe siècle à l’organisation des dépôts de mendicité, le contrôle des jeux, les enquêtes et avis sur les librairies, les contrôles et répression sur les personnes en marge de la société française d’Ancien Régime, notamment les juifs, les protestants, les étrangers, la répression des révoltes ; dans une troisième catégorie, on peut classer les interventions économiques, que ce soit les infrastructures, les mesures en cas d’épizooties, l’application de la réglementation de certaines activités, la navigation fluviale et l’énorme contentieux des défrichements et des mines, ainsi que la création ou participation à des sociétés d’agriculture. En matière de finance, on trouve le contentieux fiscal9, dont celui de la taille, sa préparation et sa perception, mais ici cela va dépendre de la nature du pays où se trouve la généralité - pays d’États, pays d’Élection ou pays d’annexions - la compétence de l’intendant sera plus étendue dans les pays d’annexions, moindre dans les pays d’Élection. En effet, il partagera cette compétence avec les élus, sa compétence dans les pays d’États dépendra de la vitalité de ces États. L’Administration militaire concerne essentiellement le mouvement des troupes, leur logement, le service des vivres, la levée de la milice[10], la recherche des déserteurs ; certaines de ces compétences seront partagées avec le Gouverneur.

    Les rapports avec le Gouverneur[11] tiennent plus de rapports personnels que de la hiérarchie institutionnelle. Ainsi en Bourgogne, où le Gouverneur était le Prince de Condé, le prestige d’un tel personnage pouvait à lui seul empêcher les intendants d’outrepasser leurs compétences ; en revanche, à Soissons, l’intendant jouissait d’une bien plus grande liberté, car le Gouverneur qui détenait le gouvernement de Paris n’y faisait que de rares apparitions[12]. Mais cette conception, d’un Gouverneur effacé et d’un intendant tout puissant, sans collaboration entre les deux institutions a été critiquée par un auteur[13] du moins au XVIIe siècle, on peut se demander quelle est la place des Gouverneurs à la fin de l’Ancien Régime. D’une manière générale, on peut dire que la fonction de Gouverneur n’est plus qu’une fonction d’apparat, il est en ce qui concerne les honneurs le premier personnage de la province, mais, au niveau des pouvoirs, le premier personnage est l’intendant. L’abaissement des Gouverneurs est dû aux souvenirs de la Fronde et du rôle qu’ils y ont joué : ces personnages étaient de grands seigneurs enclins à vouloir participer au pouvoir ; or l’évolution des institutions ne pouvait le tolérer. Les intendants issus de la bourgeoisie devaient tout au roi ; ils furent dès le début, jusqu’à leur suppression, de fidèles serviteurs du pouvoir royal.

    Les relations avec le Parlement ne pourront être que conflictuels, du fait que ces deux institutions incarnent deux aspects différents de la fonction publique : l’une les offices, l’autre les commissions ; la différenciation des deux modes de nomination a pour effet que les officiers sont indépendants du pouvoir royal et que les commissaires sont subordonnés au pouvoir royal. Il ne faut pas oublier que le pouvoir royal en créant des institutions, le plus souvent laisse subsister les anciennes, ce qui ne pouvait qu’être générateur de conflits. En particulier dans le domaine de la police et de la justice, les zones de tension avec les intendants étaient tangibles. En matière de police, les Parlements participaient à la formation de la règle de police, notamment avec les arrêts de règlement, pouvoir que possédait aussi l’intendant. Le Parlement dans sa fonction, qui est la justice, se voyait dépossédé de certaines attributions par l’intendant. On le voit nettement dans le témoignage de contemporains, ainsi selon Terray dans une correspondance avec du Cluzel, le commissaire départi devait réformer les abus qui naîtraient d’une fausse interprétation de la loi, même s’ils étaient vérifiés par les Parlements et qu’il devait informer, le pouvoir royal des problèmes soulevés par l’exécution d’une loi[14]. Les Parlements admettaient-ils cette intrusion dans leur sphère d’activité ? Les intendants ont-ils exercé cette compétence ? Ces deux questions ne semblent pas avoir été étudiées. L’intendant représentant du pouvoir royal allait être la cible des Parlements, dans leur lutte contre ce pouvoir. Les Parlements s’étant investis d’une mission de représentation nationale allaient entrer en conflit avec le pouvoir royal, et leur opposition aux ordonnances des intendants prenait parfois des connotations politiques. Un cas mérite d’être cité en exemple. L’intendant de Caen, Fontête, avait pris une ordonnance de réformation des corvées royales ; le Parlement de Normandie avait censuré cette ordonnance : s’abritant derrière la défense des  loix traditionnelles et sa volonté de défendre la population contre des abus et malversations, ce Parlement s’opposait à la réforme des corvées. Un arrêt du Conseil du 20 juillet 1760 cassa l’arrêt du Parlement Sa Majesté n’a pu regarder les dispositions dudit arrêt que comme un attentat formel à son autorité, et comme une entreprise insoutenable, qui sous prétexte d’informer de prétendus abus et malversations, ne tend à rien moins qu’à détourner les peuples de la soumission qui lui est due . Cette formule révèle que le roi considère la censure des ordonnances des intendants comme une atteinte à son autorité. Le pouvoir royal ne se trompe pas : l’attaque des Parlements contre les intendants est une attaque contre l’autorité royale, les intendants font écran entre le pouvoir royal et les mouvements d’humeur de la Nation : en défendant les ordonnances des intendants, le roi défend son autorité. La démonstration du caractère politique de cette opposition peut être faite par des remontrances que ce Parlement fit le 10 août 1760, où il dénonce les corvées, ce travail d’esclave, qui met la condition des hommes au-dessous de celle des animaux domestiques [15]. Cette dénonciation d’un conflit entre l’intendant et le Parlement a été remise en cause par un auteur qui estime que dans la réglementation de la police, notamment par les arrêts de règlement, le Parlement de Paris et l’intendant ont collaboré[16]. En fait, on a d’autres exemples de la lutte entre l’intendant et certaines juridictions : la Cour des Aides de Montauban en est une parmi d’autres. Le conflit portait sur les compétences concernant les questions financières des communautés. À vrai dire, cette Cour connaissait ce genre d’affaires avant le ministère de Colbert ; des aménagements furent trouvés pour lui permettre de connaître de la vérification des dettes des communautés conjointement avec l’intendant, sans pour autant qu’elle puisse connaître des appels contre les ordonnances de ce dernier. Pour ce qui est des redditions des comptes des communautés, la Cour perdit ses compétences, mais essaya de se déclarer compétente pour juger des litiges engendrés par ces opérations. Après plusieurs avancées et reculs du pouvoir relativement à cette Cour, vers les années 1750, les compétences de cette Cour en matière financière sont devenues minimes, le pouvoir royal ira même jusqu’à lui interdire de porter le nom de Cour de Finances. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, cette Cour mena la guérilla contre l’intendant Lescalopier : elle lui reprochera notamment de vouloir ruiner les communautés par des dépenses inutiles. Cette affaire fut terminée par un arrêt du Conseil du Roi qui cassa diverses décisions de cette Cour et la mutation de l’intendant en juin 1756[17]. Le Parlement de Toulouse revendiquait au XVIIIe siècle la tutelle sur les communautés d’habitants, il invoquait une universalité de juridiction[18]. Cette prétention de ce Parlement tend à démontrer que les compétences de l’intendant étaient contestées. Il semble que les Parlements ne se soient pas complètement dessaisis de la compétence en matière de tutelle des communautés d’habitants, un autre exemple nous est donné par le Parlement de Navarre[19]. Il arrive cependant que les diverses compétences de l’intendant soient plus ou moins restreintes au plan local. Nous prendrons comme exemple la généralité d’Angers, où des lettres patentes du roi du 29 mai 1779 donnent la compétence de la voirie aux juges ordinaires, à part quelques exceptions[20]. Cet exemple est frappant, car la connaissance de la voirie fait partie des compétences traditionnelles de l’intendant. Peut-être, de hauts personnages ont-ils influencé le roi, ou est-ce une marque de la faiblesse du pouvoir royal contre les sautes d’humeur de quelques éléments perturbateurs de la Nation ?

    Ces escarmouches avec les autres institutions démontrent que de toute manière les compétences de l’intendant ont été introduites au détriment des compétences des autres corps, mais nous découvrons dans les différentes généralités des situations différentes qui sont fonction de la résistance plus ou moins forte aux empiétements de l’intendant. L’intendant, organe d’administration et de justice dans un État moderne et centralisateur, devra composer avec les agents de cet État qui ont été introduits à une époque antérieure ! Même si le pouvoir royal ne mettait pas la construction d’un tel État dans ses projets à venir, du moins pouvait-il, imaginer l’évolution des institutions, surtout si on se place aux XIIe ou XIIIe siècles, mais, le tort de la monarchie, c'est d’avoir laissé subsister les compétences d’institutions vieillies, tout en créant de nouvelles institutions ayant ces mêmes compétences.

    Dans ces divers domaines, l’intendant devait travailler en concours avec d’autres institutions. Ces institutions sont nombreuses et nous nous proposons de voir la collaboration de l’intendant avec le corps des Ponts et Chaussées, les travaux publics constituant un domaine important des activités de l’intendant, peut-être celui dont les traces sont encore visibles aujourd’hui, puisque l’intendant dans chaque généralité a amélioré les voies de communication, embelli les villes, et aménagé les villages[21]. Le corps des Ponts et Chaussées est subordonné à l’intendant, celui-ci correspond directement avec l’Intendant des Finances chargé des Ponts et Chaussées. Il est chargé de la surveillance du personnel, il peut demander des mutations ou des révocations. L’intendant a l’initiative des propositions de travaux et a la direction de leur exécution ; il réglemente la corvée dans sa généralité ; c'est devant lui que se font les adjudications, le contentieux des travaux publics lui appartient, il possède la police de la voirie[22] et accorde les permissions de voirie. Cette compétence en matière de travaux publics peut connaître des variantes selon les généralités : dans la généralité de Paris, qui est un pays d’élection, il doit partager cette compétence avec d’autres institutions[23] ; dans les pays d’États, cela dépendra de la vigueur des États et on assiste à un partage des compétences entre ces deux institutions. Si le corps des Ponts et Chaussées est uniforme et si les membres de ce corps sortent de la même école, chaque généralité a sa police des chemins, sa réglementation pour les corvées. La diversité règne tellement que l’Intendant des Finances chargé des Ponts et Chaussées se perd, et est obligé de demander une multiplication des rapports et mémoires. Cet aperçu démontre les incohérences de l’Administration d’Ancien Régime : on crée un corps uniforme de  fonctionnaires  mais ceux-ci devront travailler sous les ordres d’un commissaire qui, lui-même, doit adapter son administration aux privilèges du pays, aux coutumes locales, aux résistances particulières qui ont pu entraver son administration. Nous nous apercevons avec cet exemple que l’intendant dans son action peut être amené à collaborer finalement avec d’autres institutions, du fait du peu de moyens humains mis à sa disposition.

    les services administratifs de l’intendance

    Dans sa généralité, l’intendant devait, au moins pour assurer une certaine continuité dans son action, s’entourer de collaborateurs. Nous ne parlerons que plus tard des subdélégués, nous nous attacherons ici à étudier le bureau de l’intendance. 

    Le bureau de l’intendance est le service administratif de l’intendance. Quelquefois, ce service est dirigé par le subdélégué général, mais ce personnage ne se rencontre pas souvent, ou pas de matière continuelle, la caractéristique de ce subdélégué général, c'est qu’il était nommé par le pouvoir central, tandis que les autres membres des bureaux étaient à la discrétion de l’intendant. En l’absence du subdélégué général, c'est le premier secrétaire de l’intendance qui était chargé de la coordination des services de l’intendance. Il est à signaler que, dans la France du Nord, le premier secrétaire de l’intendance était subdélégué général[24]. Le bureau de l’intendance est caractérisé par la diversité des modèles, l’organisation est différente d’une généralité à une autre, ou même d’un intendant à un autre dans la même généralité. L’intendant organise ses bureaux comme bon lui semble, ou plus probablement selon les ressources financières dont il dispose. François-Xavier Emmannuelli[25] nous donne des exemples sur l’organisation de ces bureaux, l’effectif peut varier de cinq à Strasbourg en 1710, neuf à Bordeaux en 1746 puis onze, quinze à Caen ou à Rennes vers 1785, dix-sept à Châlons à la fin de l’Ancien Régime, dix à Aix en 1790. Ces chiffres démontrent la faiblesse des moyens humains de l’intendance, la diversité des situations, dont il semble qu’elle ne soit pas due à l’importance de la généralité, ni à sa situation géographique. L’exemple strasbourgeois est éloquent : voilà une intendance qui est placée à la frontière Est, dans une zone sensible, et l’organisation de ses bureaux est seulement de cinq personnes. Après l’effectif de ces bureaux, ce même auteur nous parle de leur organisation[26]. Ce qui caractérise cette organisation, c'est son empirisme et l’exemple rennais est significatif : chaque intendant réorganise les bureaux, mais il faut attendre l’intendance de Bertrand de Molleville (1784-1788) pour qu’il ait un peu de clarté et de rationalité dans l’organisation de ce bureau. À Dijon, l’organisation de l’intendance est peut-être plus rationnelle avec quatre bureaux, chacun ayant une spécialisation. Ces exemples montrent les différences qui peuvent exister dans les bureaux de l’intendance, puisqu’on va de la rationalisation dans son organisation à son empirisme. On peut donc s’interroger sur le travail effectif de l’intendant servi par des bureaux si peu organisés. Le manque de spécialisation des effectifs laisse entrevoir peut-être le manque de connaissance technique des dossiers, parce que si le gros des troupes des bureaux est formé de commis, copiste, il y avait tout de même des chefs de bureau pour préparer les dossiers des affaires soumises à l’intendant. Cette organisation des bureaux n’est peut-être pas due seulement aux intendants, mais comme nous l’avons signalé, elle est sans doute liée au peu de moyens financiers destiné à subvenir aux charges du personnel, François-Xavier Emmannuelli, nous donne le total des rémunérations des membres des bureaux dans quelques intendances27 : en 1750 à Bordeaux il s’élève à sept mille-cinq-cents livres ; à Aix en 1790 à quatorze mille livres ; à Caen en 1786 à vingt un mille soixante et onze livres ; à Valenciennes à plus de vingt-deux mille livres ; à Rennes en 1782 à vingt-cinq mille deux cent soixante-sept livres. L’exemple rennais nous montre l’inflation des rémunérations : en effet en 1764 les charges des rémunérations s’élèvent à dix mille quatre-vingt-deux livres, d’ailleurs de grandes disparités existent entre Aix et Rennes, car à la même époque la différence est de onze mille deux cent soixante-sept livres. Selon les chiffres fournis par cet auteur, la différentiation de ces charges serait à chercher dans la différence des rémunérations du personnel. Ainsi, un premier secrétaire, chef de bureau, perçoit en 1790 à Aix entre sept cent soixante livres et mille quatre-vingts livres, tandis qu’à Dijon cette rémunération s’élève à dix mille livres ; mais les disparités entre copistes sont moins fortes : à bordeaux un copiste coûte en 1750 entre cinq cents et six cents livres, à Rennes en 1768 entre trois cents et six cents livres, et à Aix en 1790 à six cents livres. Ces éléments de l’organisation des bureaux de l’intendance nous incitent à relativiser la notion de l’omnipotence de l’intendant : avec si peu de moyen, lui était-il possible de faire face en cas de crise grave, ou de conflit avec d’autres institutions ? L’intendant était avant tout un centre d’impulsion de la vie administrative provinciale ; pour pouvoir mener à bien ses missions, il avait besoin du concours d’autres institutions. Cela explique que dans certains pays d’États, où les États provinciaux étaient puissants, il se trouvait paralysé[28].

    Au terme de cette présentation de l’intendance, nous pouvons remarquer que les auteurs en général ne mettent pas en avant un rôle qui nous semble primordial de l’intendant dans les pays d’annexions, c'est la politique d’intégration de ces pays dans le royaume : en annexant une province, le pouvoir royal installe son administration et notamment l’intendant, or quelle peut-être la volonté royale dans ce geste, sinon l’intégration de la province dans le royaume ? La Franche-Comté n’échappe pas à la règle : lors de son annexion, le pouvoir royal installe un intendant. Comme cette province ainsi que nous le verrons[29] connaissait d’autres mœurs administratives, on peut logiquement se demander comment elle va assimiler cette nouveauté.

    § II/La situation en Franche-Comté

    L’intendance de Franche-Comté a priori devrait connaître des spécificités, du moins si on prend en compte que la province a été annexée, et avait connu des moeurs administratives différentes. Ceci pourrait conduire le pouvoir royal à avoir une politique particulière envers les provinces annexées. Pour essayer d’apporter des éléments de réponse, nous étudierons dans un premier point l’intendance en Franche-Comté (A), avant d’aborder les services administratifs de celle-ci dans un second point (B). 

    Les intendants

    Les intendants de Franche-Comté soulèvent de nombreuses questions. Ces questions peuvent être regroupées en deux questions générales : premièrement qui étaient-ils ? Puis, comme deuxième question, on peut se demander, dans l’exercice de leurs fonctions, quels rapports ils eurent avec les autres institutions.

    Le pouvoir royal lors de la conquête a installé des intendants dans la province conquise et qu’ils restèrent jusqu’à la révolution. Mais en dehors des différences de caractère qui sont inhérentes à la nature humaine, il semble qu’il n’y ait guère d’homogénéité dans le corps des intendants. Deux phases peuvent être distinguées dans la lignée franc-comtoise des intendants : la première semble celle de la mobilité alors que la seconde révèle une stabilisation certaine de l’institution : le cas de Lacoré est un exemple type de cette sorte d’intendant puisque Charles-André de Lacoré a été intendant d’avril 1761 à 1784.

    Dans la première phase, nous verrons que des exceptions existent. Michel de Pelletier de Souzy fut intendant de Franche-Comté du 19 février 1668 au 13 juin 1668[30], puis lui succéda Chéruel[31]. À partir de 1674 : Germain-Michel Camus de Beaulieu, de 1674 à 1683 Louis Chauvelin, puis de 1683 à 1698 de La Fond, Jean-Baptiste Desmarets de Vaubourg de juin 1683 à juin 1699[32], André de Harrouys de 1700 à 1702[33], Louis de Bernage fut intendant de 1702 à 1708[34], Pierre-Hector le Guerchoys fut intendant du 24 mai 1708 jusqu'en septembre 1717[35], Olivier Lefrévres d’Ormesson du Chéray le fut du 14 septembre 1717 au 30 mars 1718, celui-ci décéda en fonction à Besançon[36].

    Pendant la période de stabilisation de l’institution, nous trouvons : Charles Deschiens de la Neuville qui fut intendant du 11 avril 1718 jusqu’en juillet 1734[37], Barthélemy de Vanolles fut intendant du 30 juillet 1734 jusqu’en 1745[38], Jean-Nicolas Megret de Serilly fut intendant du 16 février 1745 jusqu’en 1750[39], Jean-Louis Moreau de Beaumont fut intendant du 30 juillet 1750 au 9 août 1754[40], Pierre-Ètienne Bourgeois de Boynes fut intendant de septembre 1754 jusqu’en mai 1761[41], Charles-André de Lacoré le fut de 1761 jusqu’au 30 janvier 1784[42] puis vint le dernier intendant de la province : Lefèvre de Caumartin de Saint-Ange d’août 1784 jusqu’en 1790[43].

    De cette liste des intendants qui se sont succédés en Franche-Comté, on peut tirer quelques conclusions intéressantes. D'abord, la phase de mobilité de l’institution concerne le règne de Louis XIV. Pourtant, le cas de La Fond interdit la généralisation. En effet, celui-ci fut intendant pendant quinze ans, et la comparaison avec d’autres provinces nous révèle une mobilité plus importante, telle : la généralité de Limoges avec dix-huit intendants, celle de Moulins avec seize intendants, celle de Poitiers avec dix-sept intendants, celle de Rouen avec dix-neuf intendants. Par contre, certaines généralités connurent une certaine stabilité : nous citerons le cas de la Bretagne avec trois intendants, la Franche-Comté, avec neuf intendants, dans la période du règne de Louis XIV, cela semble correspondre à une moyenne. D’autres généralités connaissent une évolution semblable, telle la Bourgogne avec sept intendants, Caen : onze intendants, la Champagne : neuf intendants, Lyon : neuf intendants, Metz : neuf intendants[4]4. Il faut souligner que pendant la période de 1686 à 1787, la généralité d’Orléans ne connut que huit intendants[45]. Il ne semble pas que le pouvoir royal suive une politique particulière dans la nomination des intendants. Certes, on pourrait nous souligner que la Franche-Comté est située sur la frontière de l’Est et de plus que c’est une province récemment annexée, le pouvoir semble éprouver des difficultés pour faire appliquer sa législation, ceci pourrait expliquer la mobilité des intendants. Nous pourrions répondre que la Bretagne bien que n’étant pas sur la frontière de l’Est a connu un plus petit nombre d’intendants et pourtant la monarchie a eu des difficultés pour faire admettre les intendants. En fait, il nous semble qu’il faut plus rechercher la solution dans le clientélisme dans le processus de nomination, car, à côté des arguments rationnels de nomination, il devait sûrement exister des considérations personnelles[46]. Mais il ne faudrait pas en conclure que les relations personnelles se sont atténuées par la suite : des considérations plus rationnelles sont entrées en jeu. En effet, comme nous le verrons la tutelle sur les communautés d’habitants avait eu pour effet de transformer les intendants en administrateurs. Par rapport à leur rôle de surveillance des institutions, la mutation était profonde. Pour nous, c'est cette mutation qui a amené le pouvoir royal à stabiliser la fonction d’intendant, car il était devenu par son rôle d’administrateur une institution stable. Pour assurer une certaine cohérence à son administration, il fallait qu’il s’inscrive dans la durée. Une deuxième conclusion s’impose : tous les intendants de Franche-Comté ne sont pas des novices dans leur fonction puisqu’ils sont passés dans une autre intendance, avant d’être nommés à Besançon. Mais à la fin de l’Ancien Régime, on assiste à une atténuation de ce phénomène. En effet, Caumartin de Saint-Ange, si Besançon est bien son deuxième poste, le premier fut plus bref, car il restera intendant de Bretagne pendant un mois[47]... Peut-être, la province ne fut-elle plus considérée comme une province difficile et que l’assimilation au royaume se trouvait achevée[48]. Mais on ne peut exclure que des relations personnelles soient entrées en jeu. Enfin, on remarquera que les intendants de Franche-Comté semblent tous issus du même moule, celui de la bourgeoisie, avec des parents ou grands-parents entrés dans l’Administration, par la voie de l’office et dont les enfants gravirent les échelons de la hiérarchie sociale pour arriver au monde de la haute Administration. Certes, il y a des exceptions : ainsi se présente le cas de Caumartin de Saint-Ange. La montée dans l’échelle sociale et l’appartenance à la haute Administration date du début du XVIe siècle ; nombreux sont ses parents qui sont ou ont été intendants, membres du Conseil, Présidents du Grand Conseil[49]. Le cas de La Fond est aussi atypique : il ne vient pas d’une famille d’officiers de justice, ses parents étant liés aux milieux financiers[50].

    Dans la période que nous étudions, il y a que deux intendants : Charles-André de Lacoré et Caumartin de Saint-Ange. Quelques auteurs se sont intéressés à Charles-André de Lacoré[51], mais il semble que Caumartin de Saint-Ange ait moins inspiré les historiens[52]. Il est vraisemblable que, si Charles-André de Lacoré a plus attiré l’attention, c'est dû au fait que c'est son intendance qui dura le plus longtemps et de ce fait il a pu marquer la province de son administration. Les œuvres architecturales sont là pour nous rappeler son souvenir, à un tel point qu’une rue porte son nom à Besançon, à vrai dire plutôt une ruelle. Peut-être, les historiens ont-ils dressé un portrait trop flatteur de Lacoré, en en faisant un esprit ouvert aux lumières. Nous ne contestons pas ce point de vue, mais en réalité Charles-André de Lacoré, n’était pas un intendant exceptionnel, il était en réalité un personnage conforme aux autres intendants de la seconde partie du XVIIIe siècle. Charles-André de Lacoré a introduit une loge maçonnique à Besançon, se plaisent à dire certains auteurs, comme si la franc-maçonnerie eut été un mouvement prérévolutionnaire. L’appartenance à la franc-maçonnerie ne s’accompagne pas nécessairement d’une hostilité à la société d’ordre. En tout cas, Lacoré crée la première loge maçonnique à Besançon en 1764 ; l’on adjoignit une loge féminine dont sa femme fut la présidente, comme lui même protecteur de la loge maçonnique. Cette initiative de l’intendant fut suivie de la création d’autres loges maçonniques comme celle de la Concorde, constituée par le Grand-Orient le 17 août 1775.

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