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L’OEuvre de Makoto Shinkai: L’orfèvre de l’animation japonaise
L’OEuvre de Makoto Shinkai: L’orfèvre de l’animation japonaise
L’OEuvre de Makoto Shinkai: L’orfèvre de l’animation japonaise
Livre électronique468 pages7 heures

L’OEuvre de Makoto Shinkai: L’orfèvre de l’animation japonaise

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À propos de ce livre électronique

Projeté sur le devant de la scène par le succès planétaire de Your Name. Makoto Shinkai est désormais l’un des grands noms de l’animation japonaise et chacun de ses films est un évènement. Il a réussi à fédérer, projet après projet, une base de fans toujours plus passionnés et conquis par la douceur et la splendeur de ses histoires. Si ce livre revient sur l’évolution de son cinéma, son ambition est surtout de plonger dans l’énergie débordante, la mélancolie palpable et les thèmes qui font de ses films des petits bijoux de réalisation et d’émotion. Tout en traitant de ses techniques visuelles et de la précision de ses images, il s’intéressera aussi à l’intangible et à la façon dont, chez Shinkai, la beauté s’articule à un propos sur l’adolescence, et la sensibilité propre à cette période de la vie, qui fait de son œuvre, sinon une voix majeure de notre époque, au moins l’une des plus touchantes et justes dès qu’il s’agit de parler d’altérité et d’amour.
LangueFrançais
Date de sortie31 juil. 2023
ISBN9782377844135
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    Aperçu du livre

    L’OEuvre de Makoto Shinkai - Alexis Molina

    CouverturePage de titre

    LES FILMS QUE L’ON AIME NOUS HANTENT . Ils nous habitent. Ils ne sont rien, un bout de pellicule, quelques gigas sur une clef USB, de petits disques gravés. Et pourtant, alors même qu’ils ne sont au mieux que des capsules de mensonge où tout est faux, ils nous changent. Ils sont les fantômes qui occupent les maisons de nos vies et y matérialisent, dans les angles et la poussière, l’invisible et le merveilleux. Ils sont, dans les manoirs de nos existences, ce qui a été, ce qui aurait pu être et ce qui sera.

    Et c’est là sans aucun doute le miracle de l’image de cinéma. Elle n’est jamais qu’une image prisonnière d’une chronologie. Au contraire, elle est la définition même de ce que Gilles Deleuze appelle « l’image-temps » : une image qui nous sauve du temps, qui l’agglomère et porte en elle-même toutes les temporalités. Elle est le regard de Yuri, à la fin d’Une affaire de famille (Kore-eda, 2018), où brille toute la tristesse accumulée pendant le film, mais aussi tout l’espoir qui le suit. Elle est la main de Maximus, dans Gladiator (Scott, 2000), qui caresse les champs de blé autant que les fantômes de ceux qu’il a perdus. Enfin, elle est également riche du temps de celui qui la regarde. Parce qu’une scène, au cinéma, inclut aussi l’expérience du spectateur. Celle devant laquelle on a échangé notre premier baiser, celle qui nous a fait verser des larmes, ou celle qui nous a forcés à détourner le regard.

    Si le miracle a de quoi impressionner au cinéma en prises de vues réelles, quid de l’animation ? Pas d’acteur, pas de corps comme support, pas de « réel ». Et pourtant. À la fin de la série Cowboy Bebop (Watanabe, 1998), quand la caméra s’élève sur un corps dans un escalier et une lumière surexposée, le miracle a lieu. Il y a un peu de bleu, une tache de noir, un peu de rouge, beaucoup de blanc. Mais il y a surtout le poids de 26 épisodes, et celui qu’il aura dans la vie du spectateur : « You gonna carry that weight. » De même, quand, à la fin de Evangelion 3.0 + 1.0 Thrice Upon A Time (Anno, 2021), Shinji commence à courir, le miracle a lieu. Dans Haikyû !! (Mitsunaka, 2014-en cours), le miracle a lieu. Chez Miyazaki, le miracle a lieu, encore et encore. Chez Hosoda, ou dans Fullmetal Alchemist : Brotherhood (Irie, 2009-2010) et dans bien d’autres œuvres, le miracle n’a de cesse d’advenir. Tout est faux, tout est dessiné, et pourtant. Les anime que l’on aime nous hantent. Ils sont des images qui s’impriment sur nos vies, les déforment et les refaçonnent. Ils sont du temps aggloméré, des « cristaux de temps », des condensés d’émotions et d’époques, de souvenirs et de rêves qui explosent en une image et une scène : un corps dans un escalier, une créature fusionnant un chien et un enfant, un robot au crépuscule, un pirate tenant un drapeau…

    En somme, une image de cinéma, et par extension une image d’animation, n’est jamais uniquement ce qu’on en voit à l’écran. Elle déborde. Il y a la richesse visuelle, les détails de la couleur, de la lumière, du cadre, des personnages, des décors. Il y a la richesse du sens : les intrigues emmêlées, les métaphores, les niveaux de lecture et les références. Et puis, il y a le reste. Les émotions, la catharsis, l’empathie, l’émerveillement, la fascination, le temps condensé. Tout ce qui fait qu’une fois la lumière revenue dans la salle, une fois le générique terminé, on en redemande, on pense déjà à la prochaine séance.

    Parmi la jeune génération de réalisateurs de films d’animation, un homme plus qu’aucun autre s’est fait une spécialité de cette densité des images. Du climax de ses films aux moments les plus anodins, de ses lents travellings sur le ciel à ses gros plans capturant les détails d’une expression, chacune de ses œuvres est une malle débordante dans laquelle n’importe quel plan semble porter de multiples promesses.

    Cet homme, c’est bien sûr le réalisateur, scénariste et animateur Makoto Shinkai, et le livre ici présent a pour ambition d’ouvrir le coffre au trésor de son cinéma. De ses premiers courts-métrages réalisés en solitaire dans sa chambre jusqu’au succès mondial de Your Name. (2016), il s’est imposé, en à peine plus de vingt ans, comme l’un des regards les plus singuliers de l’animation japonaise. Outre un style visuel immédiatement identifiable, ce sont ses obsessions, pour les amours déçues, pour la plasticité du temps, la distance et la teinte douce-amère de l’expérience adolescente qui ont fait de lui l’un des grands noms de sa génération d’animateurs et de réalisateurs. Mais, avant de tourner la clef dans la serrure et de plonger dans la richesse de ses images virtuoses ou de ses récits bouleversants, permettons-nous néanmoins de poser une scène comme prologue. Une scène a priori éloignée de ses films, mais, en territoire shinkaien, tout est lié.

    Nous sommes le soir, dans une maison pas vraiment bien rangée, pour ne pas dire franchement désordonnée. Il y a des montagnes de papier sur la table et un tapis poussiéreux au sol. Un chien noir et blanc dort sur un pouf orange, près du feu. La lumière est chaude, une odeur de nouilles sautées – pour cela, on ne peut que se fier à notre narrateur – flotte dans l’air. Sur un canapé d’angle, orange lui aussi, un jeune adolescent est penché sur le bol fumant et mange les nouilles qui parfument la pièce et qu’il a cuisinées, la veille, avec sa mère – là encore, il faut faire confiance au narrateur, ou insérer un bref flash-back, en gros plan, sur leurs mains s’affairant dans la cuisine. Face à lui, relié à la télé, un vieil ordinateur portable est posé sur un tabouret rouge. Sur l’écran, Tokyo bouillonne sous la pluie. C’est une avalanche de détails, de reflets. Dessinée d’une main de maître, la ville est verte, on en sentirait presque la moiteur jusque sur le canapé. Un gros plan nous révèle que les yeux caramel de notre protagoniste brillent. Il a 16 ans, il mange seul chez lui le soir, et sa vie vient de changer. Il découvre Makoto Shinkai. Son monde s’élargit. L’animation devient un outil pour s’approprier Tokyo et le monde : tout ça est dessiné, mais tout ça est réel. Comme la boule au ventre quand Takao observe Yukari à la dérobée dans The Garden of Words (2013).

    Puis, près du feu, le chien se réveille. On ne s’occupe pas assez de lui à son goût, alors il prend les choses en main. L’air de rien, il se rapproche de l’ordinateur et pose son museau sur le clavier. Pas de réaction, alors il pousse un peu, jette un regard au jeune homme. Pas de réaction. Nouvelle poussée. L’ordinateur vacille, alors le garçon doit bien se lever, s’occuper du chien, lui faire une place sur le canapé et le caresser un peu avant de relancer le film. Puis la magie reprend. En plus de l’odeur des nouilles et de la pluie, au-dessus du canapé flotte désormais celle des poils rêches, réchauffés par le feu devant lequel le chien dormait. Cette scène, bien sûr, est un souvenir. Anodin, banal. Une soirée comme tant d’autres. Et pourtant, le voilà couché sur le papier, dans les premières pages d’un livre qui n’aurait jamais existé sans lui. D’ailleurs, est-ce vraiment un souvenir ? Ou plutôt des souvenirs ? Un agglomérat de moments que dix années ont transformé en une origine aussi précise que virtuelle. C’est le propre de la mémoire – nous revenons à Deleuze, et Bergson avant lui – de fusionner les époques : le présent est réel, le reste est virtuel. En d’autres termes, les souvenirs sont des choses changeantes, qui interagissent constamment avec elles-mêmes. Peut-être que dans la « réalité passée », le soir où le chien a poussé l’ordinateur de son museau n’était pas le même que celui où notre personnage – l’auteur de ce livre, cela va de soi – regardait pour la première fois The Garden of Words. Peut-être que ce jour-là, la maison était bien rangée (mais j’en doute). Peut-être même que cela n’est jamais arrivé, que le chien n’a pas vraiment poussé l’ordinateur, qu’il est juste passé à côté. Ou qu’il l’a fait, mais sans regarder vers notre personnage. Toujours est-il que le souvenir de cette scène, lui, s’est imprimé clairement dans notre mémoire et est devenu un « cristal de temps », pour reprendre l’expression de Deleuze : il y a eu l’image telle qu’elle était – « réelle » – lorsqu’elle est arrivée, et puis il y a, dans la mémoire, son devenir virtuel. Le cristal de temps, c’est le lieu de ce dédoublement où se joue un choix entre l’image miroir – le souvenir – et le « réel se déroulant ».

    Pour le dire plus simplement, la mémoire est subjective, elle isole et découpe des moments, leur donne une valeur qui n’était pas la leur à l’instant où ils sont arrivés. Elle est, à partir de l’insignifiant, de l’anecdote, un travail de création par le montage, par la mise en scène. C’est là le sens de ce long détour. Consciemment ou non, Makoto Shinkai sait, mieux que tout autre réalisateur, que le cinéma, autant que d’histoires, d’actions et de sentiments, est une affaire de mémoire – d’ailleurs, c’est exactement ce qu’il confiait au journal Le Monde, au sujet de son travail sur les lumières : « Tout cela parce que je veux affecter l’image d’une qualité de souvenir, lui donner la substance changeante de la mémoire¹. » C’est une affaire de temps réencodé, remodelé. Qui s’écoule, nous échappe et que l’on rattrape. Une affaire insignifiante, faite de petits riens devenus de grands touts dès lors qu’ils passent par le prisme d’une caméra. Il sait que le cinéma, c’est une soirée sur un canapé, un chien contre soi et un film à la télé. C’est une promesse sous un cerisier, un regard vers l’horizon un soir d’été, une canette de bière sous la pluie. C’est un instant que l’on saisit et qui se grave indélébilement à la surface de notre cœur, de notre mémoire, qui réagence les maisons de nos vies.

    Une dernière fois, avant d’entrer dans le vif du sujet, reposons la question. De quoi Shinkai est-il le nom ? Les amateurs de chiffres diront donc que c’est celui du réalisateur à l’origine du troisième plus gros succès de l’animation japonaise, Your Name. Par souci de continuité, les historiens en herbe du cinéma en ont fait celui du successeur de Hayao Miyazaki comme porte-étendard de l’animation. Pour ses détracteurs, il est le nom d’un faiseur d’images, doué mais incapable de se renouveler. Quant aux journalistes, aux critiques et à ses fans, ils ont mis, sous l’égide du nom de Shinkai, une pléthore d’idées : réalisateur de la séparation, de la distance, de la connexion, des amours déçues et du temps qui passe. S’il y a définitivement une part de vérité dans tout cela, le livre entre vos mains s’attachera à montrer qu’il est bien plus. Le nom d’un orfèvre des sentiments et du temps. D’un réalisateur qui, dans le grenier de sa mémoire, a trouvé la clef du plus beau des coffres au trésor, et qui est bien décidé à en dévoiler, film après film, image débordante de vie après image débordante de vie, tous les secrets.


    L’auteur

    Quand il n’est pas en train de se noyer en essayant de surfer, Alexis Molina a soit un livre dans les mains, soit un film sous les yeux. À l’occasion, on peut aussi le trouver agrippé à une manette ou concentré sur un manga, selon les envies. « Légèrement » obsédé par Haruki Murakami, et en bon adepte de l’adage « soigner le mal par le mal », il a fait face à son addiction en en développant une autre… pour le cinéma d’Hirokazu Kore-eda (et le Coca). En parallèle de ses études de lettres et de beaucoup de temps perdu sur LoL, il a commencé à écrire pour différents médias. Passé par Eclypsia, il est désormais responsable cinéma au Journal du Japon où, entre deux articles ou interviews de réalisateurs, il ne manque jamais, pour boucler la boucle, de pondre quelques lignes sur Murakami ou des surfeurs japonais inconnus.

    Crédit photo : ©Amine Ait Aissa

    Une grève générale et un palace parisien. Une première rencontre avec Makoto Shinkai, surtout dans ce contexte, ça ne s’oublie pas. C’est dans cette suite immense et pas assez chauffée, en écoutant ses réponses précises et calmes, qu’est née la première idée de ce livre. Comme dans ses films, à l’origine de tout, à commencer de cet ouvrage, il y a toujours une rencontre !


    1 MACHERET Mathieu, « Makoto Shinkai, météorologue des sentiments, au cœur de l’animation japonaise », Le Monde, 7 janvier 2020. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/01/07/makoto-shinkai-meteorologue-des-sentiments-au-cœur-de-l-animation-japonaise_6024985_3246.html

    DANS UN LIVRE SORTI AU JAPON EN 2008, puis publié à l’étranger par Vertical Comics sous le titre A Sky Longing for Memories : The Art of Makoto Shinkai ¹, des collaborateurs du réalisateur se sont prêtés au jeu de l’interview pour décrire leur relation à Shinkai et son travail. Parmi eux, Takumi Tanji et Akiko Majima, deux background artists ayant travaillé sur la quasi-totalité de ses films, ont été chargés de décrire la première impression qu’il leur a faite. Pour le premier, il avait un air « juvénile ». Quant à la seconde, elle l’a trouvé « angélique ». Et c’est bien l’impression que m’a fait Makoto Shinkai lors de notre rencontre pour une interview dans un grand hôtel parisien. À 50 ans tout juste passés, il a encore l’air d’un jeune trentenaire. Si cela tient en partie à l’épure de son style vestimentaire, c’est aussi lié à la sérénité de son attitude et de son élocution. En interview, toujours affable, il choisit ses mots avec soin et donne des réponses aussi complètes que réfléchies. Bien que cette impression de calme qu’il dégage contribue à lui donner une « aura » singulière, elle participe également d’un « mystère Shinkai ». Car le réalisateur, aussi loquace qu’il soit quant à ses techniques de réalisation, parle peu de lui-même et, en dehors de quelques anecdotes concédées aux journalistes ou à ses fans, il est au fond difficile d’écrire sa biographie et de mettre le doigt sur qui il est.

    Il y a bien sûr le factuel. Né dans la préfecture de Nagano sous le nom de Makoto Niitsu, Makoto Shinkai a grandi dans la ville de Koumi, en pleine campagne. Il a étudié la littérature à Tokyo, à l’université Chuo, puis a commencé à travailler dans le jeu vidéo, réalisant des cinématiques pour Falcom Games. C’est là-bas qu’il s’est formé à l’infographie – la création d’images assistée par ordinateur, CG (computer graphics en anglais) – en travaillant notamment sur les cinématiques de jeux comme Ys II. Il y a aussi rencontré le compositeur Tenmon, qui signera par la suite les bandes originales de ses premiers films. C’est en parallèle de ce job dans le jeu vidéo qu’il fabrique ses premiers films, jusqu’à tout plaquer, après le succès de Elle et son chat (1999), pour réaliser The Voices of a Distant Star (2002) en solitaire. Voilà à quoi se limitent les informations le concernant sur le site de CoMix Wave Films, la société qui distribue tous ses films depuis La Tour au-delà des nuages (2004). Ça, et une liste de récompenses longue comme le bras. Mais cela dit, au fond, bien peu de choses sur qui est vraiment Makoto Niitsu, ainsi que sur l’itinéraire qui a fait de lui Makoto Shinkai. Alors, comme dans ses films, pour tirer son portrait, il faut se lancer dans l’assemblage d’un puzzle disparate et complexe. Nagano, la littérature, l’arrivée à Tokyo et un début de carrière éminemment solitaire en sont les pièces angulaires, à n’en pas douter. De même, un voyage à Londres qu’il évoque dans A Sky Longing for Memories semble être un autre moment pivot de sa carrière. Une impression que l’évolution de sa filmographie après ce séjour londonien ne manque pas de confirmer, en faisant l’une des pièces centrales du puzzle Shinkai. Néanmoins, si l’on sait que c’est là-bas qu’il a découvert le groupe de rock japonais RADWIMPS – qui signera ensuite les B.O. de Your Name. (2016) et des Enfants du temps (2019), cette parenthèse britannique reste un mystère sur lequel le réalisateur n’a jamais vraiment communiqué. Il espérait en faire un nouveau départ et une occasion de sortir de sa zone de confort. Succès ou échec, il faut faire jouer son imagination pour le dire. Quelques détails de sa vie personnelle nous sont aussi parvenus. On sait par exemple que la doubleuse de Elle et son chat et The Voices of a Distant Star, Mika Shinohara, était alors sa petite amie, mais qu’il est désormais marié à l’actrice Chieko Misaka avec laquelle il a une fille, actrice elle aussi. Pourtant, là encore, cela ne répond pas à notre question : qui est Makoto Shinkai ?

    Dans une interview qu’il m’avait accordée à la sortie des Enfants du temps, il m’avait fait cette confession, quant à son rapport au ciel : « Depuis que je suis petit, j’adore observer le ciel. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas encore de smartphone, et donc les heures que les gens passent aujourd’hui à regarder leur téléphone, moi je les passais comme ça, en regardant le ciel. Pour moi, c’est un écran extraordinaire – déjà on peut le regarder gratuitement et c’est un univers grandiose. Je me sentais vraiment très heureux quand j’observais le coucher du soleil, puis après le ciel où les étoiles commençaient à apparaître². »

    C’est ici, peut-être, que tout commence et que notre puzzle prend forme. On l’a dit, Makoto Shinkai vient d’un village de moins de 5 000 habitants de la préfecture de Nagano. Il est issu de la campagne, comme bon nombre de ses personnages : Hodaka dans Les Enfants du temps ou Mitsuha dans Your Name. Une origine qu’il revendique et dont il fait, d’interview en interview, une forme de matrice, évoquant tantôt sa fascination pour les paysages montagneux de son enfance : « Dans les années 1970, c’était encore plus idyllique que maintenant, ma maison était entourée par la nature. J’ai toujours été captivé par cet environnement. Je regardais le ciel tous les jours, me perdant dans mon propre petit monde. J’étais plus un enfant tête en l’air que romantique³ » ; tantôt son sentiment de dépaysement lorsqu’il est arrivé à Tokyo. Or, ce sont des thèmes que l’on retrouve de manière omniprésente dans ses films. Le désir de « monter à la capitale », le regard amoureux sur sa ville de ce Tokyoïte d’adoption, la nostalgie pour une campagne riche en images et paysages, ainsi que le déchirement entre une ruralité idyllique, mais franchement barbante, et une urbanité aussi vibrante qu’étouffante.

    Et si ses films étaient la clef de sa vie ? Après tout, il le dit lui-même au sujet de Your Name. : « Le personnage féminin [Mitsuha] qui veut aller à Tokyo, c’était moi quand j’étais adolescent. Aussi, le personnage dont le père gère une compagnie de construction [Tessie] et qui dit à ses amis qu’il restera dans cette ville pour toujours et qu’il y deviendra vieux, c’était moi, car mes parents aussi dirigeaient une compagnie de construction⁴. » Il ne cesse, d’ailleurs, de se comparer à ses personnages. Ainsi, il se serait retrouvé, à 25 ans, dans la même situation que Takaki dans le premier segment de 5 centimètres par seconde : piégé par la neige dans le train qui le conduisait vers sa petite amie. Contrairement à son héros, il avait néanmoins un téléphone portable pour la prévenir. Mais il se trouve aussi moins courageux que Hodaka qui, lui, a osé partir de chez lui : « À la différence de Hodaka, en revanche, je n’ai pas eu les tripes de quitter la demeure familiale. Je ne voulais absolument pas quitter mon pays natal, si beau, alors j’ai étiré au maximum mon moratorium, faisant tourner la roue du hasard⁵. »

    Lors d’une question-réponse avec des fans, il expliquait avoir fait Elle et son chat pour une « personne particulière ». C’est un film personnel, presque une lettre d’encouragement pour quelqu’un qu’il voyait alors et qui vivait un moment compliqué. Plus que n’importe quel élément biographique, cela en dit beaucoup sur l’artiste qu’il est : sur son usage quasi curatif de l’animation, comme objet éminemment intime, comme véhicule pour ses sentiments et comme moyen de se connecter à l’autre. D’ailleurs, Elle et son chat est le premier film qu’il signe Makoto Shinkai. Pour les précédents, Other Worlds (1998) et The World be Enclosed (1998), il utilisait encore son nom d’état civil, Niitsu. Une coïncidence, peut-être, ou une preuve de cette naissance artistique dans cette attention à l’autre qui caractérise Elle et son chat. Toujours est-il que son film suivant, The Voices of a Distant Star, répond à la même logique. Ainsi, l’ultime phrase du film « Je suis ici » est, de son propre aveu, autant une réplique que s’adressent les deux personnages l’un à l’autre, qu’un message de Shinkai à ses spectateurs : « Après huit mois passés à travailler seul chez moi, sans que personne sache ce que je faisais, je voulais que quelqu’un sache que j’étais là. J’avais l’impression que, tant que je faisais ce film, il y en aurait au moins des fragments qui atteindraient quelqu’un quelque part et le toucheraient⁶. »

    Dans cette fusion entre la voix de ses personnages et la sienne, c’est tout un pan du puzzle qui semble prendre forme. Contrairement à l’un des autres grands noms de la nouvelle génération de l’animation, Mamoru Hosoda, qui est issu de Tœi Animation, l’un des plus gros studios japonais, Shinkai est un solitaire. Non seulement il vient de la marge (relative) du Japon, mais sa trajectoire même en tant que réalisateur est singulière, puisqu’il a commencé à travailler seul, sans équipe et sans cadre. Un début de carrière qui va orienter tout le reste de son œuvre, puisqu’on le retrouve, même sur ses films les plus récents, à tous les niveaux de création, et qu’en plus des rôles de scénariste et réalisateur, il n’hésite pas à mettre la main à la pâte lors des repérages, comme monteur, ou en supervisant différentes tâches créatives : story-board, color design et autres. Par ailleurs, il est difficile de ne pas voir un lien entre ses premiers films, fabriqués seul dans sa chambre, et la solitude souvent déchirante qui est le propre de son cinéma. Un cinéma où les personnages sont en quête permanente d’un autre à qui dire, comme Shinkai et les protagonistes de The Voices of a Distant Star : « Je suis ici. »

    Sur ce sujet, relevons un détail intéressant concernant son patronyme, de naissance et artistique. Niitsu, en japonais, s’écrit avec deux kanjis 新津. Le premier signifie « nouveau » ; quant au second, il a plusieurs sens, mais tous sont liés à la notion de port ou de havre. Shinkai s’écrit quant à lui 新海. Le premier kanji est le même, « nouveau », mais le second, lui, signifie « mer » ou « océan ». D’un nom à l’autre, il y a un élargissement, comme si, au fond, en devenant Makoto Shinkai, il s’était « jeté à l’eau », était parti à la conquête d’un « nouvel océan ». Une aventure solitaire, mais qui offre aussi l’occasion de rencontres qui auraient été impossibles s’il était resté au port et n’avait jamais pris la mer. Que ce nouvel océan soit le cinéma ou Tokyo, dont il est parti à la conquête pour ses études (rappelons qu’il a littéralement submergé la ville dans Les Enfants du temps), importe peu, et cela pourrait être les deux. Ce qui compte, c’est que ce mouvement vers le large, d’un monde étroit à un autre beaucoup plus vaste, existe à tous les niveaux de sa vie : dans son nom, dans sa propre expérience et dans ses films.

    Dans A Sky Longing for Memories, encore, il évoque son premier souvenir : une locomotive à vapeur dans une gare. Incertain quant à la réalité même de ce fragment de mémoire, il n’en a pas moins une image précise : une vieille locomotive s’arrêtant dans la gare en bois de Koumi. Une image liminaire sur laquelle il ne met des mots que bien plus tard, quand il prend quotidiennement le train pour aller au lycée et comprend, en voyant le soleil se coucher ou se lever, qu’il aime ce genre de visions. Une fois à Tokyo, loin des montagnes de Nagano, les variations lumineuses de la ville le perturbent, et ses fans savent que les jeux de lumière, les trains et les crépuscules sont des éléments essentiels de son cinéma. Et c’est, là encore, le même mouvement qui se joue : si, à la lumière de ses films, sa sensibilité pour ces thèmes est une évidence, la réciproque est vraie et ces derniers ne sont qu’un élargissement de sa vie. Des couchers de soleil de Nagano, de ses allers-retours de lycéen vivant dans un petit monde clos, il a fait des images universelles qui émeuvent à travers le monde entier. Qui est Makoto Shinkai ? Makoto Niitsu, quittant le confort de sa province et faisant le premier pas vers un ailleurs plus vaste. C’est peut-être ce que nous enseignent ses films à son sujet. Si, sans ses interviews et ses rares confessions, il est impossible d’y distinguer le souvenir de la fiction, on y devine quelque chose de profondément intime : une soif d’ailleurs et de rencontres, un émerveillement permanent face à la beauté et la poésie ou un amour des chats qui, à n’en pas douter, sont au cœur de son identité.

    En plus de tout ce que nous savons déjà, il traîne, ici et là, sur Internet, des informations invérifiables, du moins pour des non-japonophones. On le dit, par exemple, fan du Château dans le ciel (Miyazaki, 2002), de The End of Evangelion (Anno, 1997) ou de Mamoru Oshii. Il aurait aussi appris le patinage de vitesse et le kyudo. Si rien ne nous permet de le vérifier, là encore, il faut se tourner vers ses films. Vers les premières scènes de La Tour au-delà des nuages, vers les affrontements de The Voices of a Distant Star, vers la seconde partie de 5 centimètres par seconde ou encore vers les monstres de Voyage vers Agartha. Bien sûr, nous aurons le temps de revenir sur le détail de ces passages et sur leurs probables influences, mais déjà, nous pouvons parler de ce quelque chose qui les lie et qui nous pousse à croire que ces informations invérifiables ne sont pas fausses. Cela tient à des palettes de couleurs, à une certaine sensation de vitesse, à la concentration dans un regard, à une expression aussi désuète qu’adaptée : ces passages sonnent juste. Ils sonnent vrai. Si Shinkai n’a jamais fait de patinage de vitesse, il sait en tout cas en rendre la sensation, alors, à tout prendre, imaginons-le, en hiver, lancé à pleine vitesse sur un lac de Nagano. Imaginons-le usant sa VHS du Château dans le ciel et prenant des notes dans l’obscurité. Permettons-le-nous, car c’est cela qui le rend fascinant. Entre les quelques faits avérés qu’il a concédés à la presse et les révélations croustillantes sur la façon dont ses films s’inspirent librement de sa vie, il reste insaisissable. Même parmi ses collaborateurs, on le compare à tout et son contraire : à un paysage urbain, à un autre rural ou à un horizon maritime⁷. Si l’on en croit ses films, il est tout cela à la fois, et bien plus. Un rêveur, un voyageur, un maître de l’évocation, un solitaire. Un enfant qui était destiné à hériter de l’entreprise de construction familiale et qui, contre la volonté de son père (mais avec son soutien tacite), est devenu un bâtisseur d’un autre genre. Un architecte d’histoires. Il est la somme de tous ses personnages, un homme devenu plus que lui-même grâce à l’universalité de films qui ne sont eux-mêmes que des additions et multiplications de souvenirs.

    Tout cela étant, Makoto Shinkai est, enfin, une dernière chose : un artiste japonais. De fait, aussi originale que soit sa démarche, aussi singulière que soit sa vision, il existe au sein d’un réseau d’expériences, d’idées et d’influences, et pour parler de qui il est, a fortiori de qui il est en tant que réalisateur, il est impossible de les négliger. Spontanément, au vu de son usage des pillow shots, une technique sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir, de son sens de la mise en scène du quotidien et de la contemplation, il est facile d’en faire un héritier d’Ozu, ce maître du cinéma japonais qui semble immortel par son influence. Mais de son propre aveu, Shinkai n’a jamais réussi à visionner l’un de ses films ou l’un de ceux de Kurosawa sans s’endormir. En bon diplômé de lettres, il cite plutôt la littérature comme inspiration, et un auteur en particulier, Haruki Murakami. Si Your Name. est vaguement influencé par un récit de cour du XIIe siècle, le Torikaebaya monogatari, et si The Garden of Words (2013) cite explicitement une anthologie poétique du VIIe siècle, c’est bien l’ombre de Murakami, ce géant de la littérature japonaise contemporaine, qui plane au-dessus de ses films. Maître incontesté de ce qui a longtemps été défini comme une littérature du « je » mettant en scène des personnages – souvent amoureux – imperméables au monde les entourant, il n’est pas difficile de voir en quoi il a influencé Shinkai, chez qui existe la même distance face à la société. Il me confiait d’ailleurs que, malgré la différence de médium, il étudiait assidûment le rythme de ses romans : « Haruki Murakami, c’est un romancier, donc quand on parle de rythme, c’est sûr que c’est un peu différent, mais j’étudie quand même beaucoup le rythme de ses romans⁸. » On retrouve aussi dans ses films quelque chose des descriptions précises des gestes quotidiens (notamment les scènes de cuisine) chères à l’auteur et qui ont fait sa réputation. Plus généralement, Shinkai semble s’inspirer de procédés autant que d’idées propres à l’auteur et qu’on retrouve parfois telles quelles dans ses films, comme lorsqu’il fait pleuvoir des poissons sur Tokyo, ou imite l’architecture narrative de certaines de ses nouvelles.

    Il y a enfin un ultime point de contact entre leurs œuvres. En 1995, le monde de Murakami était bouleversé par un double événement : le séisme de Kobe, puis l’attentat du métro de Tokyo par la secte Aum. Deux catastrophes qui l’ont frappé de plein fouet alors qu’il vivait à l’étranger, et qui entraînèrent une révolution dans sa littérature. Ses critiques parlent d’un « shift », un déplacement du détachement à l’engagement⁹. Si Makoto Shinkai est loin de se politiser comme Murakami l’a fait avant lui, et s’il continue à revendiquer le caractère de divertissement de ses films, il y a aussi un glissement qui s’est opéré dans son œuvre à la suite d’un désastre sans précédent : la triple catastrophe du 11 mars 2011 et du séisme du Tôhoku. Ses deux films qui ont suivi, Your Name. et Les Enfants du temps – nous aurons le temps d’y revenir –, sont hantés par le spectre de l’anéantissement ainsi que par la possibilité de voir une ville rasée en un instant. Évidemment, il n’est pas le seul à avoir été bouleversé, et toute une nouvelle génération d’artistes, comme le romancier Seikô Itô ou les réalisateurs Kôji Fukada ou Katsuya Tomita, tentent, en même temps que lui de faire face, à travers leurs œuvres, à la catastrophe.

    Cette réaction de son cinéma le place donc autant dans la lignée de Murakami que de ses contemporains. Ce qui nous permet de clore cette introduction en posant une ultime question : quelle place occupe-t-il dans le paysage culturel japonais de son époque ? Et d’ailleurs, quel est ce paysage ? Car s’il est un réalisateur d’animation japonaise, il est aussi un réalisateur dont l’œuvre ne doit pas être d’emblée séparée du cinéma en prises de vues réelles et, avant de parler de ses films, il convient donc d’évoquer, au moins brièvement, le contexte dans lequel ils s’inscrivent.

    Dans son livre Anime : From Akira to Howl’s Moving Castle¹⁰, l’universitaire Susan J. Napier définit trois modes principaux (mais pas exclusifs) pour l’animation, et plus globalement, l’art japonais contemporain. Des modes qui ne sont pas des genres à part entière ou des classifications précises, mais plutôt des thèmes récurrents qui contribuent à créer de grands courants identifiables dans la création culturelle au Japon. Un mode apocalyptique profondément lié à l’histoire complexe et chaotique du pays, un mode dit de « festival » qui trouverait en Occident son équivalent dans la notion de carnaval, moment de renversement de l’équilibre social, et un mode élégiaque : une forme d’expression mélancolique (traditionnellement, une élégie est un poème lyrique traitant, sous la forme d’une plainte, de sentiments douloureux). Souvent, les plus beaux anime sont au croisement de ces trois modes : on pense à Evangelion (Anno, 1995-1996), bien sûr, qui lie l’apocalypse à une souffrance interne dans des scènes élégiaques (Napier cite, sur le sujet, l’épisode 3), ou à des films comme Le Tombeau des lucioles (Takahata, 1988), ou certains Miyazaki où le grotesque, au hasard des parents transformés en cochons, côtoie la beauté mélancolique (une balade sur des rails à peine submergés) ainsi qu’une intense prescience de la fin.

    Pour résumer brièvement ces trois modes, Napier lie le premier autant aux conséquences de la bombe atomique qu’au caractère aliénant de la société japonaise et à l’effondrement progressif de son modèle. Pour le festivalesque, elle remonte aux « matsuri », ces fêtes qui sont des « éléments à part entière de la vie religieuse et sociale japonaise » autant qu’une célébration du « royaume du jeu et du rituel¹¹ ». Enfin, l’élégie serait quant à elle liée à la conscience aiguë qu’a la société japonaise du caractère évanescent des choses – on peut citer le concept classique de mono no aware, la tristesse des choses liée à l’éphémère, et des images d’Épinal comme la chute des fleurs de cerisier. Le plus intéressant, néanmoins, est que ces trois modes ne sont pas exclusifs à l’animation et on les retrouve exprimés dans tous les pans de la culture japonaise, de la peinture au cinéma en prises de vues réelles, en passant par la littérature. De fait, donc, ils court-circuitent toute tentative de s’intéresser à l’animation comme un médium à part, pour la simple et bonne raison qu’il est traversé par les mêmes aspirations et questionnements que le reste des formes d’expression artistique du pays. Cela ne veut pas non plus dire que c’est un médium sans aucune spécificité. Simplement qu’il n’est plus – et ce, depuis un moment – une forme d’art marginal. Étudiée par les universitaires, plébiscitée par le public, l’animation fait plus que jamais partie de la culture populaire japonaise et, à ce titre, Makoto Shinkai est un réalisateur japonais. Bien sûr, il est un héritier évident d’une certaine animation, celle de Mamoru Oshii, Hideaki Anno ou Hayao Miyazaki dont il partage la mélancolie, les aspirations visuelles et les inquiétudes face à la société. Bien sûr, on retrouve aussi les trois modes de Napier dans ses films : les questions de la fin d’un monde, métaphorique ou non, et de la mélancolie sont des idées essentielles de son œuvre. Quant au carnavalesque du festival, les scènes de réveil dans le corps de l’autre de Taki et Mitsuha dans Your Name. en sont des exemples évidents. En cela, il est comparable, aussi, à des animateurs immédiatement contemporains : le festivalesque est, par exemple, moins présent chez lui que chez Masaaki Yuasa. Son usage de la tonalité élégiaque est peut-être plus appuyé que celui de Mamoru Hosoda, quand bien même l’un et l’autre sont aux prises avec les mêmes questions de place de la jeunesse dans la société. Également, une nouvelle génération de réalisateurs d’animation comme Loundraw ou Yuta Murano semble s’approprier avec plus ou moins de succès certaines des clefs de son style. Cependant, ses films trouvent aussi des échos dans la production live de son pays.

    Comme Shinkai, la figure de proue du cinéma japonais en prises de vues réelles, Hirokazu Kore-eda, est obsédée par les personnages marginaux et par la mise en scène de leur quotidien banal. L’animisme des films de Naomi Kawase n’est pas sans évoquer la façon qu’a le réalisateur de Your Name. d’intégrer le folklore japonais aux siens. Ryûsuke Hamaguchi est un autre nom qui vient en tête, et qui partage avec Shinkai la même obsession pour Murakami et le rythme chirurgical de ses romans. Dans l’ensemble, les grands thèmes du cinéma contemporain de l’Archipel sont la solitude et les liens : et là encore, Shinkai est en plein dedans. La différence, néanmoins, est que parmi ces réalisateurs, il est, de loin, celui qui réunit le plus de public dans les salles obscures. Car si pendant longtemps le cinéma japonais, porté par la Sainte Trinité Kurosawa-Ozu-Mizoguchi était un fleuron mondial, il est aujourd’hui réduit à un public mince et souvent labélisé soit cinéma de « festival », soit cinéma de genre un peu étrange dès lors qu’on parle des films de réalisateurs comme Takeshi Miike ou Sion Sono.

    Dans ce paysage, les films d’animation surnagent et ceux de Makoto Shinkai, depuis Your Name., encore plus. Une différence de réception qu’il faudra garder en tête à la lecture de cet essai, car si, malgré des thèmes communs, les films de Shinkai ont un succès incomparable avec ceux des autres productions japonaises, cela ne peut tenir exclusivement à une appétence plus prononcée du public pour l’animation. Il doit y avoir quelque chose d’autre, quelque chose dans son style qui le démarque et lui donne le rayonnement culturel qui est le sien. Et, pour identifier cet ingrédient secret, rien de mieux que de se plonger chronologiquement dans sa filmographie, pour voir comment les rouages du succès se sont mis en place de film en film. On y va ? On y va, car si son cinéma nous a appris quelque chose, c’est que le temps n’attend pas !


    1 SHINKAI Makoto (trad. M. Rosewood), A Sky Longing for Memories : The Art of Makoto Shinkai, New York, Vertical, Inc., 2015.

    2 MOLINA Alexis, « Rencontre avec Makoto Shinkai : Pour moi, le ciel est un écran extraordinaire », Journal du Japon, 7 janvier 2020. Disponible sur : https://www.journaldujapon.com/2020/01/07/rencontre-avec-makoto-shinkai-pour-moi-le-ciel-est-un-ecran-extraordinaire/

    3 MORRISY Kim, « Makoto Shinkai se livre sur son dernier film Weathering With You », Anime News Network, 29 août 2019. Disponible sur : https://www.animenewsnetwork.com/fr/interest/2019-08-29/makoto-shinkai-se-livre-sur-son-dernier-film-weathering-with-you/.150459

    4 GOODWIN Daniel, « Exclusive : Director Makoto Shinkai on Japanese animation Your Name. », Heyuguys, 16 novembre 2016. Disponible sur : https://www.heyuguys.com/interview-your-name-director-makoto-shinkai/

    5 MORRISY Kim, « Makoto Shinkai se livre sur son dernier film Weathering With You », op. cit.

    6 KO Andrew, « How the director of Your Name. invented a new medium of anime », CGMA Online, 25 avril 2017. Disponible sur : https://www.cgmagonline.com/articles/features/director-nameinvented-new-medium-anime/

    7 SHINKAI Makoto (trad. M. Rosewood), A Sky Longing for Memories : The Art of Makoto Shinkai, op. cit., p. 167-174.

    8 MOLINA Alexis, « Rencontre avec Makoto Shinkai : Pour moi, le ciel est un écran extraordinaire », op. cit.

    9 Auteur dont le style est résumé à un mot le « 僕 » (boku) japonais qui signifie « je », Murakami a longtemps été perçu comme un écrivain désengagé du monde et détaché de toute problématique sociale ou politique. Mais à partir de la double catastrophe de 1995, sa littérature est apparue comme bouleversée. « Boku » s’est effacé au profit de personnages nommés, ainsi que plus impliqués dans l’histoire et l’Histoire, en particulier de voix étrangères à la sienne, comme les victimes de l’attentat. Du détachement social,

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