L’enjeu des indécis
Par Éric Bonjean
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Des études littéraires ainsi que la proximité d’un oncle journaliste ont très tôt suscité chez Éric Bonjean l’envie d’écrire. Orienté vers des métiers liés au commerce, dans le domaine des nouvelles technologies, il lui a fallu quelques années pour enfin tenir la plume. Amateur de polars, et de séries policières, il s’est naturellement tourné vers l’écriture d’une intrigue policière, avec Lyon comme cadre principal.
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Aperçu du livre
L’enjeu des indécis - Éric Bonjean
Prologue
Les quais du Rhône s’étendaient à perte de vue. Au loin, vers la Confluence, les reflets argentés du fleuve se mêlaient aux couleurs du ciel et à la vue lointaine des montagnes.
Il faisait un soleil extraordinaire dont David voulait profiter pleinement ; il courait à son rythme, sans doute proche des 10 kilomètres à l’heure, tranquillement afin de profiter de chaque foulée. Il ne savait pas quand aurait lieu sa prochaine course, toutes celles prévues ayant été annulées ou reportées, pourtant il continuait à courir presque chaque jour, car cela restait une des seules possibilités de prendre l’air.
Cela faisait désormais 50 jours que les habitants de Lyon, ainsi que ceux de toute la France, et plusieurs autres millions dans le monde, étaient confinés chez eux ; les seules autorisations de sortie étaient accordées pour des raisons impérieuses ou pour faire un peu d’exercice, mais pas pendant plus d’une heure, et pas à plus d’un kilomètre de son domicile.
David était partagé entre le plaisir de courir au soleil sur ces quais qu’il aimait tant, et la frustration de devoir faire demi-tour au bout de quelques minutes afin de respecter les règles en vigueur. Encore trois jours, se disait-il, et la vie reprendrait son cours presque normal ; le gouvernement avait annoncé la fin du confinement, dans le cadre de règles très strictes et David faisait partie des privilégiés qui allaient pouvoir retourner au travail.
C’était tout de même très étrange, car nous avions tous été privés de nos libertés fondamentales du jour au lendemain, via une simple annonce au journal télévisé, sans aucun respect pour la démocratie, et pourtant presque tout le monde avait accepté cette nouvelle situation.
Le virus était apparu de façon insidieuse, sans que personne n’y porte réellement attention. Certes, au début, personne ne se méfiait réellement de ce virus, une bonne grippe tout au plus, puis chaque jour, à la même heure, le journal télévisé égrenait un nombre de malades et de morts toujours plus importants. Petit à petit, la peur s’était invitée dans les foyers si bien que la prise de conscience du danger avait été très large, et les consignes avaient été respectées de façon presque naturelle. De nombreuses théories du complot commençaient à se faire entendre, mais globalement, la situation était plutôt calme, tout le monde ayant hâte de pouvoir sortir à nouveau de chez soi. Comment allions-nous vivre cette nouvelle situation ? Rien ne serait plus jamais pareil, il y aurait un avant et un après-confinement. Certains couples, certaines familles s’étaient soudés dans cette situation, d’autres s’étaient déchirés, et à n’en pas douter les prochains mois allaient être déterminants pour le futur de nombreuses personnes.
David fit demi-tour juste avant le centre commercial de la Confluence, il longea la darse pour ajouter quelques dizaines de mètres à son parcours, puis il reprit sa course le long des quais en direction de la Presqu’île. Il passerait le pont de Perrache, tournerait à gauche afin de traverser le quartier d’Ainay, traverserait la passerelle Saint-Georges, puis il rentrerait chez lui par les rues piétonnes.
La course avait toujours été très propice à la réflexion et ce matin il avait décidé de faire le bilan de cette période de confinement en évaluant le niveau de ses « compteurs ». Il utilisait fréquemment cette méthode qui lui permettait de faire le point sur les parties les plus importantes qui composaient sa vie, ceci de la façon la plus objective possible.
Il s’était installé avec sa compagne dès le début du confinement, alors que ce projet ne devait se concrétiser que quelques mois plus tard, et il était très heureux du résultat ; ce test en réel leur avait prouvé à tous les deux qu’ils pouvaient vivre ensemble. Il avait maintenu des contacts fréquents avec sa fille Morgane, quelques échanges par téléphone dans la semaine puis une conférence hebdomadaire via Skype afin de faire le point sur la semaine passée. Elle allait au mieux compte tenu de la situation, elle devait prochainement réintégrer son appartement et reprendre ses études. Cela faisait plus de dix ans maintenant que David avait divorcé, et pendant toutes ces années, il avait réussi à avoir la garde alternée de Morgane, il s’était battu pour cela, car son ex-femme avait tout fait pour que toutes les fautes du divorce lui incombent, mais au bout du bout, il s’en était plutôt bien sorti. Tout n’avait pas toujours été simple. David travaillait beaucoup et se déplaçait fréquemment et puis il y avait eu ces nombreux déplacements dans le sud, mais petit à petit, il avait su construire et entretenir une belle relation avec sa fille. Ils étaient souvent partis en vacances et en week-end rien que tous les deux et ils avaient fini par trouver un bel équilibre dans leurs échanges. David était conscient de ce qu’il avait pu faire vivre à Morgane, notamment lors de son aventure à Marseille. Il le regrettait et il espérait surtout qu’elle ne lui en voulait pas, et qu’elle avait conscience désormais qu’elle était la personne qui comptait le plus au monde pour lui.
Elle venait d’avoir vingt ans, déjà, c’était passé comme un battement de cils, et c’était une belle personne, elle était gentille, bienveillante et il semblait qu’elle faisait l’unanimité autour d’elle. David espérait simplement qu’il pourrait conserver leur relation aussi longtemps que possible et qu’il pourrait l’accompagner dans les moments importants de sa vie d’adulte.
David essayait également de parler plusieurs fois par semaine avec sa maman, même si elle commençait à être âgée et qu’elle vivait seule ce confinement. Elle occupait bien ses journées et elle était en bonne santé. Seule ombre au tableau, elle refusait désormais de sortir par peur de croiser du monde.
La musique qui accompagnait sa course s’arrêta subitement, David jeta un œil à son téléphone. « Quand on parle du loup ! » se dit-il alors que « MUM » s’affichait sur son écran. Il prit le temps de s’arrêter pour lui répondre.
— Allo.
— Ta petite maman, je te dérange ?
— Je cours, mais non, dis-moi.
— Je ne voulais pas t’embêter avec ça, mais… elle hésitait. Tu sais que ta sœur Sophie m’appelle toutes les semaines, et je n’ai plus de nouvelles depuis 1 mois…
David n’avait plus de contact avec sa sœur Sophie depuis bientôt 3 ans, il attendait la suite.
— Je sais que vous ne vous parlez plus, mais tes sœurs sont sans nouvelles également.
— Ne t’inquiète pas maman, au pire elle est en déprime à cause de la situation, mais si ça peut te rassurer je l’appellerai.
— Je veux bien merci, je te laisse courir, bisous.
Elle avait raccroché avec cette rapidité qui la caractérisait tellement qu’à chaque fois David se demandait à quoi elle pouvait bien penser. Il remit sa musique en marche et reprit sa course en se disant qu’il appellerait sa sœur la semaine prochaine. David était le troisième de la fratrie. Il avait trois sœurs, dont deux avec lesquelles il entretenait des relations épisodiques et qu’il ne voyait presque plus, hormis les occasions traditionnelles et obligatoires telles que les fêtes de Noël. La seule avec qui il parlait régulièrement était Sylvie, sa sœur aînée, dont il s’était beaucoup rapproché durant ces dernières années.
Il avait eu pendant des années une relation très proche et très complice avec Sophie, la benjamine, puis ils s’étaient brouillés pour différentes raisons auxquelles il n’avait plus envie de penser. Pendant des années, il avait essayé de créer des liens entre ses sœurs et lui, car Mum n’excellait pas dans ce domaine, mais il devait reconnaître que la cellule familiale de son enfance n’existait plus.
Il arriva dans la résidence après une dernière montée, et se mit à marcher jusqu’à l’entrée de l’immeuble, puis entra dans son nouveau « chez lui ». L’appartement était spacieux et très lumineux, la terrasse en rez-de-jardin surélevé baignait de soleil, il régnait dans l’appartement une atmosphère de calme et de sérénité.
Claire, sa compagne, travaillait dans le bureau et sa fille Caroline jouait sur la terrasse. Elle lui fit un grand sourire et commença à lui parler :
— David, tu sais…
Elle était intarissable, mais elle l’avait immédiatement accepté dans son quotidien, et il lui en était reconnaissant.
Il avait rencontré Claire trois ans plus tôt, quelques semaines après une relation qui s’était mal terminée et depuis il savourait chaque jour ce nouveau bonheur. Leur jeune couple avait déjà traversé quelques épreuves, entre leurs séparations respectives ; Claire était en plein divorce lorsqu’il l’avait rencontrée, les difficultés quotidiennes de la vie, puis ce confinement, mais ils avaient su rester soudés, et ils étaient convaincus tous les deux que désormais le meilleur était à venir. Claire avait également accepté Morgane sans aucune hésitation, et contrairement à sa relation précédente, elle ne se plaignait pas de devoir partager David avec sa fille.
Il regarda sa montre, il avait une conférence téléphonique dans quinze minutes et il devait se préparer ; un dernier jour en télétravail, puis ce serait le week-end avant le grand retour au bureau dès le lundi matin. Pendant toute la période du confinement, ATC (Algorythm Technology Corporation), la société américaine pour laquelle David travaillait, avait maintenu le même rythme de travail et d’exigence vis-à-vis des commerciaux en leur demandant de préparer la sortie de crise en restant au plus proche des clients.
Chapitre 1
ATC était un éditeur de solutions de Decision Management basées sur l’intelligence artificielle. En se basant sur des algorithmes combinant l’intelligence humaine et le machine learning, ATC était capable de modéliser des scénarios prédictifs pour les plus grandes sociétés, et de prévoir des évènements qui ne s’étaient encore jamais produits, ceci afin de maîtriser l’effet papillon en entreprise. Les enjeux majeurs consistaient la plupart du temps à anticiper les multiples conséquences financières et sociales, sur le moyen et long terme, et à adapter la prise de décisions stratégiques. ATC avait été consulté notamment à la suite de la crise des subprimes qui aurait dû être anticipée et qui ne devait plus jamais se produire, et travaillait activement actuellement sur des données météorologiques afin de prévenir les conséquences sanitaires liées à un tsunami. L’objectif ultime n’étant pas d’empêcher l’évènement de se produire, ce qui était souvent impossible, mais de créer, selon le langage des probabilistes, des intervalles de confiance. C’est cette nouvelle vision qui modélisait de nouveaux modèles de prises de décision, car ils permettaient d’estimer ce qu’on appelait les valeurs extrêmes, souvent principale motivation d’une prise de décision, ceci aussi bien au niveau professionnel que personnel.
Les succès rencontrés en entreprise avaient rapidement conduit ATC à se positionner également sur le secteur public en proposant des analyses sociologiques basées sur l’étude des comportements de centaines de milliers de personnes. ATC avait notamment été mandaté par des groupes politiques qui souhaitaient savoir quelles catégories de population composaient telle ou telle région, ceci afin de pouvoir déterminer les pourcentages potentiels des votants auprès des différents partis représentés, en fonction des analyses obtenues.
David travaillait depuis plusieurs années pour cette société et l’intérêt des différentes missions qui lui étaient confiées, couplé à la très bonne rémunération dont il bénéficiait, compensait largement le niveau de pression qu’il subissait. Il savait que dès lundi, le niveau d’exigence et de pression allait être énorme, car ATC voudrait rattraper le retard accumulé pendant la période de confinement, mais il était plutôt impatient de retrouver l’ambiance de son travail.
En ce lundi matin de reprise, il faisait encore un temps parfait pour cette fin de printemps et David choisit de se rendre au travail en scooter. ATC était situé dans le nouveau quartier de Vaise ; David se rendait à son travail la plupart du temps en scooter ou en transport en commun et il réservait l’usage de sa voiture aux journées consacrées à rencontrer des clients. Aucun rendez-vous n’était prévu pour cette première journée et dans tous les cas, il préférait éviter le métro pendant quelques semaines, le temps de la disparition totale du virus. Le bilan était lourd, plus de 30 000 morts en France et une situation économique désastreuse dont il faudrait plusieurs mois avant que les différents secteurs affectés puissent s’en remettre.
David démarra son scooter et prit les quais du Rhône en direction de la colline de la Croix-Rousse. Il arriva au bureau quelques minutes avant 9 h, l’heure de la fatidique et sacro-sainte réunion commerciale hebdomadaire. Il régnait une atmosphère de rentrée des classes, un peu comme lorsque chacun revenait des longs congés d’été. Après avoir échangé les banalités d’usage autour de la machine à café, il se rendit directement en salle de réunion, rejoindre la vingtaine de personnes déjà présentes, signe évident de l’impatience générale.
Cette réunion était animée par la vice-présidente de la région grand est, elle-même secondée par les deux directeurs régionaux, l’un dédié aux comptes du service public, l’autre à ceux du secteur privé, l’équipe dont David faisait partie.
La vice-présidente essayait tant bien que mal de faire preuve d’empathie et de s’intéresser à ses collaborateurs en cette période de retour de confinement, mais tout le monde sentait bien qu’elle était surtout préoccupée par les résultats commerciaux de la fin de trimestre. La réunion fut brève et chacun repartit avec la mission de produire pour le lendemain soir un prévisionnel des ventes fiables dans le cadre de la clôture des chiffres du trimestre.
David retourna à son bureau et y trouva un post-it signé de la main de son assistante ; « Call avec la société ElecVision à 14 h ». Il alla immédiatement voir Mathilde.
— Mathilde, c’est quoi ce rendez-vous ?
— Je ne sais pas, apparemment une start-up qui a un projet d’acquisition de licences sur le trimestre, je leur ai posé la question, lui répondit-elle avec un sourire complice.
— Et ça ne pouvait pas attendre demain ?
— Rappelez-les si vous le souhaitez, mais ils ont précisé que c’était urgent, en plus le rendez-vous est à Lyon, et puis comme ça vous pourrez intégrer cette opportunité dans vos chiffres pour demain.
Effectivement, le rendez-vous se trouvait dans les locaux réhabilités en bureaux de luxe de l’ancien Hôtel Dieu, en plein cœur de la Presqu’Île. David avait juste le temps de prendre quelques renseignements sur cette société, de déjeuner rapidement avec ses collègues, puis il reprendrait son scooter.
David longea les boutiques de luxe, traversa le hall sous la verrière du bâtiment réhabilité, gravit les escaliers puis arriva devant une porte indiquant le nom de la société : ElecVision.