Napoléon ou « L’âme du monde »
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Docteure en philosophie et enseignante, Véronique Scherèdre est auteure d’un premier essai, La fin de vie d’Emmanuel Kant. Elle signe ici un deuxième qui porte sur l’étude interprétative de l’Empire napoléonien.
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Avis sur Napoléon ou « L’âme du monde »
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Aperçu du livre
Napoléon ou « L’âme du monde » - Véronique Scherèdre
Introduction
Le premier tome de la Correspondance de Hegel abonde de références au héros français, Napoléon Bonaparte, preuve que le philosophe est littéralement subjugué par le militaire. La lettre à Niethammer, en date du 13 octobre 1806, c’est-à-dire « le jour où Iéna fut occupé par les Français et où l’Empereur Napoléon entra dans ses murs », est restée dans les annales, en raison de sa charge émotionnelle et poétique : « J’ai vu l’Empereur – cette âme du monde – sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine. (…) de jeudi à lundi, de tels progrès [le roi de Prusse est plus loin que la veille] n’ont été possibles que grâce à cet homme extraordinaire, qu’il est impossible de ne pas admirer. (…) Comme je l’ai déjà fait plus tôt, tous souhaitent maintenant bonne chance à l’armée française »¹. Que d’éloges et que de témoignages d’admiration ! Pourtant, Hegel n’est pas de ces hommes prompts aux débordements, quels qu’ils soient. Mais Napoléon Ier n’est pas comparable aux autres dirigeants, et ce devant quoi Hegel s’incline ici, à travers lui, c’est ce don qu’il possède d’unifier le particulier à l’universel : Napoléon est « extraordinaire », il est l’homme du repoussement des limites, le symbole de la vastitude et de l’extension. Il n’est qu’à remarquer sa capacité, hors du commun, à confondre et cristalliser la proximité avec l’éloignement : il est ici, « concentré sur un point » (ce qui est circonscrit) et, dans le même temps comme depuis ce même lieu, il surplombe l’humanité tout entière. Il est de corps à Iéna, mais son regard embrasse l’immensité de l’univers. Mieux, il parvient à diriger, c’est-à-dire à en imposer, tout en étant assis, tout en occupant une position basse. Certes, en scelle, un homme est souvent plus haut que les pieds sur terre, mais assis, il est plus petit que s’il se tenait debout. Napoléon Bonaparte incarne la grandeur. Où, qu’il se trouve et quoi qu’il fasse, il maîtrise, il surclasse, il surpasse. Or, quand « pareil individu » (« individuum » dit la distinction, l’isolement et l’indivisibilité) signe autant de prouesses, il est assurément l’émissaire de l’Esprit.
Chapitre I
Napoléon Bonaparte
Ou la dialectique personnifiée
Si L’École d’Athènes offre le spectacle pictural sublime de la dialectique binaire, établie par les philosophes antiques, en représentant la discussion antinomique de Platon avec Aristote, « Le petit caporal », comme l’ont baptisé ses soldats, pour rendre hommage à sa bravoure, est le vecteur et le véhicule en chair et en os de cet élan idéel à l’origine du réel et de la pensée. Napoléon Bonaparte en est l’hôte qui l’abrite et le sert, il est l’enveloppe matérielle par laquelle, seule, en cette période de cataclysmes politiques, ledit mouvement va pouvoir se déployer au-devant de sa fin.
C’est pour cela qu’il captive Hegel et suscite son respect ; car le philosophe ne voit pas en lui, contrairement à ses compatriotes, le chef militaire de l’armée adverse, mais Hermès, le conducteur des peuples. Napoléon, c’est l’homme pénétré, voire transpercé par la raison dialectique, qui s’est frayé un passage à travers lui, et dont il incarne toutes les déterminités.
Et, ce faisant, sachant déceler en lui le personnage qu’il supporte et endosse, Hegel contribue à l’émergence d’un nouveau mythe du grand homme, lequel n’est plus celui que sa naissance, par son milieu et son rang, destinait aux sommets : si le Corse (qui a bien failli naître Italien) est, certes, le deuxième fils d’un notable et patricien, ce dernier n’étant pas argenté, il est peu influent et peu puissant. L’enfant n’est donc pas, selon le dicton populaire « né avec une cuillère d’or dans la bouche ». Au demeurant, lorsque son père meurt, c’est lui qui doit entamer sa maigre solde pour faire vivre sa mère et ses sept frères et sœurs. Mais, cette nouvelle figure du héros qui surgit sous les traits du futur Empereur, c’est celle de l’homme de la réussite, celui qui s’est fait tout seul ou, dans la terminologie actuelle, le « self-made-man ». À tout le moins, accidentellement. Car, essentiellement, sa voie est toute tracée, et celles et ceux qu’il croisera tout au long de son existence ne seront qu’autant de viaducs, favorisant – parfois bien malgré eux – son ascension. Qu’il s’agisse de Joséphine de Beauharnais, apparaissant tel un viatique, ou de ses Généraux dévoués et fidèles jusqu’à son dernier souffle, qui préparent avec lui son évasion de l’île d’Elbe et son retour triomphal à Paris, ou encore de tous ces compagnons de fortune qui, telle Hortense de Beauharnais, se sacrifient à la raison d’État, en acceptant d’épouser Louis Bonaparte, le frère cadet de l’Empereur, déficient mentalement, et pour lequel elle ne nourrit pas une once d’affection ; pour tous et devant chacun, Napoléon Bonaparte est furieusement dépositaire d’un mandat, il exhale la détermination inébranlable du missionné, dont rien ni personne ne peut entraver la marche, pas même le poison. Ne dit-il pas lui-même, en 1808, en décrétant le blocus continental, dans le but d’asphyxier économiquement les Anglais : « Personne, maintenant, n’a à discuter mes décisions » ?
Les déterminités de la dialectique
Dans sa version napoléonienne, elles sont au nombre de trois : le dynamisme ou l’infatigabilité, l’ambition ou l’appétit de progrès, la ruse ou la maîtrise stratégique.
– En premier lieu, Napoléon Bonaparte est une « force de la nature ». Certes, comme tout humain et, plus largement comme tout vivant, il finira par épuiser ses ressources, gagné par la maladie : adénome de la prostate, ulcère (virant au cancer) de l’estomac, hémorroïdes rendant infernaux les déplacements à cheval, pour n’évoquer que le plus incurable à l’époque, ou le plus handicapant. De même qu’il songera concrètement au suicide, par auto-empoisonnement, quand le cours des choses se dérobe cruellement à ses initiatives, en l’acculant, le 6 avril 1814, à déclarer son abdication. Mais, sa tentative échoue, et l’Homme de