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Totale impro
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Livre électronique460 pages5 heures

Totale impro

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À propos de ce livre électronique

Ce qui se passe à Las Vegas reste à Las Vegas. Pas vrai ?

Bon, que je vous explique. J'ai fait irruption dans les vestiaires de mon coup de cœur pour renifler ses collants (mais ça n'avait rien de pervers, je le jure !). Bien sûr, je me suis fait griller pendant que… enfin, vous avez compris. Ensuite, disons qu'il m'a fait du chantage pour que je l'épouse afin d'obtenir sa carte verte. Mais attention, je ne m'en plains pas.

L'instant d'après, nous sommes en route pour Las Vegas, histoire de faire croire à nos amis et à nos familles qu'après une nuit d'ivresse, sur un coup de tête, nous nous sommes passé la bague au doigt. Sauf que… c'est exactement ce qui se passe. (Merci à la vodka.)

Étant donné qu'il n'est autre que le danseur de ballet le plus convoité de New York et que je ne suis qu'une blogueuse inconnue qui habite dans un garage et se gave de sucreries, ce mariage n'a aucune chance de déboucher sur quelque chose de réel. Sans parler de ma famille complètement cinglée et de mon dégoût pour absolument toutes les odeurs… à l'exception de la sienne.

 

Tout ce que j'espère, c'est ne pas tomber amoureuse de mon mari. Ça ne devrait pas être bien difficile, si ?

LangueFrançais
ÉditeurMozaika Publications
Date de sortie28 avr. 2023
ISBN9781631428296
Totale impro
Auteur

Misha Bell

Misha Bell is the author of Of Octopuses and Men, Hard Stuff, Hard Byte, and many other titles. She enjoys writing humor and happy endings and creating quirky characters. For more information, visit MishaBell.com.

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    Aperçu du livre

    Totale impro - Misha Bell

    Chapitre

    Un

    — Je veux renifler les collants du Russe, annoncé-je en posant mon mimosa sur la table d’un geste ferme et irrévocable. Vous voulez bien m’aider à m’infiltrer jusqu’à eux ?

    L’expression confuse sur le visage de mes sœurs en vaut presque l’humiliation. « presque » étant le mot clef. Elles s’apprêtent à beaucoup s’amuser à mes dépens, toutes les trois.

    — Tu parles de ce danseur de ballet pour qui tu en pinces ? demande Blue, l’une de mes cinq sœurs de portée.

    Ses yeux verts, les mêmes que je vois dans le miroir tous les jours, pétillent quand elle ajoute :

    — Ce n’est pas un espion, au fait. J’ai vérifié. Il n’est pas russe non plus, d’ailleurs. Il est né en Lettonie.

    Bien sûr. Blue est l’espionne de la famille, et elle croit que tous les étrangers sont membres des services de renseignement.

    — Je ne t’ai jamais demandé de fouiner dans sa vie, mais oui, je parle du danseur de ballet, acquiescé-je. Pour quelle autre raison un homme porterait-il des collants ?

    J’ignore le détail concernant son lieu de naissance. D’après sa biographie en ligne, il a grandi à Moscou. Plus important encore, « Le Russe » est un personnage de Sex and the City, ce qui n’est pas le cas du « Letton ».

    Blue hausse les épaules.

    — Parce que c’est un hipster ? Pour garder ses jambes au chaud pendant les froids hivers lettons ? Parce que son ours de compagnie ne supporte pas de voir des jambes poilues ?

    Gia, ma sœur aînée, qui a sa propre portée, agite sa main pâle pour faire taire Blue. Puis elle s’appuie sur ses avant-bras et m’observe avec intensité.

    — Qu’est-ce que ton fétiche bizarre avec les sous-vêtements masculins a à voir avec nous ?

    Mon œil gauche tressaille.

    — Je n’ai pas de fétiche.

    Le sourire que Gia affiche est sournois, comme toujours.

    — Eh, je ne te juge pas.

    Je résiste à l’envie de continuer à protester, parce que ça ne ferait que l’encourager. Au lieu de ça, je me console en me disant que Gia est déconcertée par ma demande. En tant que grande sœur et magicienne, elle est habituée à mystifier les gens ; elle doit être agacée que ce soit l’inverse, cette fois.

    Honey, une autre de mes sœurs de portée, sort une flasque de la poche intérieure de sa veste en cuir et verse un peu plus de champagne dans son mimosa. Comme Blue, elle a le même visage que moi, mais en plus fin. Je suis de loin la plus galbée des sextuplées.

    — Est-ce que tout le monde peut la fermer pour laisser Lemon nous expliquer ce qu’elle veut ? lâche-t-elle.

    J’adresse un signe de tête reconnaissant à la plus susceptible de mes sœurs.

    — Pour atteindre mon objectif…

    — Ton objectif étant ces collants odorants, ajoute Gia.

    Elle a l’air si ravie que je m’attends à ce qu’elle sorte un lapin de son chapeau – et elle n’en porte même pas.

    Je pousse un soupir irrité.

    — Oui. Pour atteindre les collants, j’aimerais me faufiler dans son vestiaire pendant l’une de ses performances de ballet.

    Je regarde chacune de mes sœurs tour à tour.

    — Vous avez toutes les trois les talents dont j’ai besoin pour éviter de finir dans le journal du soir.

    En fait, Blue est sûrement la seule à posséder les talents dont j’ai besoin, mais je meurs d’envie de participer à un brunch style Sex and the City depuis longtemps, j’avais donc besoin de trois complices. Dommage que mes sœurs ne ressemblent pas vraiment à Samantha, Charlotte et Miranda. Ce serait plutôt James Bond pour Blue, Lisbeth Salander de Les hommes qui n’aimaient pas les femmes pour Honey et G.O.B de Arrested Development pour Gia – sauf que Gia ressemble aussi à Morticia Addams, si ledit personnage se transformait en vampire.

    Blue tend son verre à Honey, qui lui sert un peu de champagne de sa flasque.

    — Je pense parler au nom de nous trois en demandant : pourquoi ?

    Je regarde autour de nous.

    Bien. On est les seules assises sur la terrasse du Brunchicka, je peux donc parler librement… ou autant que possible considérant le champ de mines qu’est ce sujet.

    — Comme vous le savez, commencé-je, j’ai une petite obsession pour Le Russe.

    Gia ricane.

    — Bien sûr, si tu entends par là que tu es à deux doigts de passer en mode Liaison Fatale avec ses petites fesses moulées dans leurs collants.

    Je lève les yeux au ciel, une réaction habituelle dans la famille Hyman quand on a affaire à Gia.

    — Seules certaines d’entre vous savent ça, ajouté-je en regardant Honey, mais la plupart de mes relations avec des hommes se sont terminées dès le moment où je les ai sentis.

    Je m’attends à des remarques sarcastiques du genre « Tu as essayé de renifler leur cul ? Ça marche pour les chiens, qui ont un sens de l’odorat aussi affûté que le tien. ». Mais les moqueries ne viennent pas. Mes trois sœurs m’observent avec pitié – ce qui est peut-être pire – et elles ne connaissent même pas toute l’étendue de mon problème. La principale raison pour laquelle j’ai insisté pour qu’on s’assoie dehors, c’est parce que les odeurs sont plus concentrées en intérieur, souvent au point d’en devenir intolérables pour moi – et cela même avec mon filtre nasal spécial qui atténue mon acuité olfactive. La liste des odeurs qui me rendent dingue est plus longue que celle des germes à éviter de Gia. Je déteste même l’odeur du citron – ce doit être une forme de haine de soi, sachant que je m’appelle Lemon. La bonne nouvelle, c’est que s’il y a un incendie, je le reniflerai aussitôt et j’y survivrai. Qui sait, je deviendrai peut-être le premier humain à détecter le monoxyde de carbone – un gaz réputé inodore et que même les chiens n’arrivent pas à sentir.

    Je me racle la gorge et reprends mon mimosa. Par chance, les odeurs d’orange sont différentes de celle du citron, n’ayant pas été usées par les produits nettoyants.

    — Pour faire court : je n’aime pas être obsédée, expliqué-je. Je veux me sortir ce type de la tête, pour pouvoir me concentrer sur des perspectives plus réalistes.

    Comme mon ex, qui est un germophobe d’un tel niveau que Gia n’est rien, à côté. Quand on était ensemble, il se douchait si souvent qu’il n’avait jamais aucune odeur corporelle, juste une peau très sèche. Pour le tolérer, je n’avais qu’à le convaincre de n’utiliser que des produits non parfumés. Dommage que son absence d’odeur n’ait rien fait pour pallier notre absence d’alchimie. Je trouverai peut-être un autre germophobe qui me conviendra mieux. Mais je ne leur parle pas de ce plan, pour ne pas offenser Gia. Elle mobilise une retenue herculéenne pour ne pas se moquer de moi, en ce moment.

    Honey tripote la tige dans son oreille, l’un de ses millions de piercings.

    — Donc, si j’ai bien compris, tu veux faire un genre d’exorcisme. Renifler ses collants, être dégoûtée et mettre fin à ton obsession ?

    Je hoche la tête.

    — Tout à fait.

    — Dans ce cas, je suis partante, répond-elle.

    — Moi aussi, mais à une condition, dit Blue avec un sourire. Le nom de code de cette opération sera Très Goûteux.

    Quelle bande de putois. Combien de temps faudra-t-il avant qu’elles se rendent compte que ça forme un très bel acronyme ?

    Honey esquisse un sourire narquois.

    — Je suis d’accord, mais abrégeons ça en TG.

    OK, une milliseconde, donc.

    — Hum, intervient Gia en mimant un nœud papillon invisible. Si vous avez besoin de mon aide pour l’opération TG, j’ai une condition, moi aussi.

    Mon estomac se noue, et ce n’est pas à cause de mon envie de pain grillé… ou pas seulement, en tout cas. Toutes mes sœurs Hyman marchandent les faveurs à des degrés divers, mais Gia pourrait sûrement apprendre quelques ficelles au Parrain en personne.

    Je me frotte la nuque.

    — Quelles sont tes exigences ?

    — Mes exigences ? Disons plutôt une raisonnable requête.

    L’expression angélique de Gia ne trompe personne – à moins qu’on parle d’un ange déchu.

    — Lemon, tu sais ce que chacune de nous fait dans la vie, alors tout ce que je veux, c’est que tu nous dises ce que toi, tu fais.

    — Tu es un génie, dit Blue à Gia d’une voix exagérément forte. Je me pose la question depuis un bon moment, et je m’apprêtais à sérieusement mener l’enquête.

    — Quelle excellente manière de dépenser l’argent des impôts, marmonné-je entre mes dents. Pour espionner ta famille.

    Honey glisse au bord de sa chaise.

    — Désolée, Lemon. Je suis curieuse aussi. Allez, crache le morceau.

    Je me demande si ça vaut vraiment le coup de leur faire cette révélation pour obtenir leur aide. Peut-être. Ou peut-être pas. La vérité, c’est que j’ai envie de me confier à quelqu’un depuis un moment, et que ces trois-là forment un bon groupe cible, pour déterminer comment le reste de ma famille réagira à mon choix de carrière.

    — Très bien, je vais vous le dire.

    Je vide mon mimosa et prends une grande inspiration – une erreur, parce qu’une odeur délicieuse tout près d’ici fait gargouiller mon estomac. J’ignore cette réaction, prends une autre inspiration et annonce :

    — Je travaille dans la masturbation.

    Chapitre

    Deux

    Elles me dévisagent, bouche bée. Comme si j’avais baissé mon pantalon avant de commencer à faire une audition de marionnettes à doigts devant elles. Pendant ce temps, la délicieuse odeur de nourriture s’accroît, malgré mon filtre nasal – soit ça, soit le stress amplifie ma faim.

    — J’ai bien entendu « masturbation » ? demande Blue un peu trop fort.

    — Ouais, acquiesce Gia encore plus fort. Mais c’est peut-être un acronyme pour autre chose, comme un Master en Urbanisation ?

    Mon œil se remet à tressaillir, mais je me calme en ajoutant mentalement un autre euphémisme au plaisir solitaire féminin à ma liste déjà existante : Master en Urbanisation, ou MU. Mais attendez une seconde. Ça ne devrait pas plutôt être Maîtresse de l’Urbanisation, pour souligner l’aspect féminin de l’acte ?

    — Je suis à peu près sûre qu’elle parle du fait de se tripoter, répond Honey avec un large sourire.

    OK. Mon œil gauche se met à tressaillir si fort que je ne serais pas surprise qu’il soit en train d’envoyer un message en Morse à mes sœurs : deux courts un long, puis trois courts un long – ce qui signifie FU, « fuck you ».

    — Si vous voulez bien me laisser en placer une, nom d’un putois, articulé-je entre mes dents.

    Elles se tournent vers moi et écarquillent les yeux. Je prends une autre inspiration.

    — Je voulais bien dire ce que j’ai dit. Je suis masturbatrice professionnelle.

    Quelqu’un se racle la gorge derrière moi et la merveilleuse odeur de nourriture devient plus forte que jamais depuis qu’on s’est assises ici, ce qui me fait comprendre pourquoi mes sœurs font cette tête.

    Ce n’est pas à cause de mes mots, mais d’autre chose.

    Quelque chose de pire.

    Je rougis et regarde par-dessus mon épaule pour confirmer mes soupçons.

    Ouais. Notre corpulente serveuse se tient juste derrière moi, et si elle n’avait pas un plateau de nourriture dans les mains, elle se serait étreint le cou d’un air outré.

    — C’est bien ça. J’écris un blog au sujet de la masturbation, continué-je en levant le menton et en me tournant à nouveau vers la table.

    Quand la vie m’a donné des citrons – ou des hommes dont je ne tolère pas l’odeur – j’ai fait de la limonade, en devenant si douée pour me donner du plaisir que je n’ai même plus besoin d’un homme. En général, cette expression est ma devise personnelle, pour des raisons évidentes. En parlant de ça, mon nom est la seule chose dont je ne pourrai jamais faire de limonade : « Lemon Hyman », ça fait penser à la membrane virginale d’une vieille aigrie.

    La serveuse laisse tomber nos assiettes sur la table si vite que je suis sûre qu’elle s’attend à ce que je sorte un godemichet de mon vagin pour l’obliger à le sucer.

    Eh bien. Trop tard pour faire machine arrière. Je lève un peu plus le menton et continue.

    — Le plaisir solitaire émancipe les femmes. Ça leur permet de soulager la tension sexuelle en toute sécurité, de réduire le stress et d’améliorer le sommeil. Ça renforce l’estime de soi et améliore l’acceptation de notre corps ; ça soulage les crampes, étoffe l’élasticité des muscles dans la zone pelvienne et anale…

    La serveuse dépose bruyamment la dernière assiette – mon pain grillé – devant moi et s’empresse de s’éloigner avec un son mécontent.

    Gia sourit.

    — Bien joué. Elle va cracher dans tout ce qu’elle nous apportera, maintenant.

    Honey plisse les yeux en deux fentes.

    — Qu’elle essaie.

    Blue me sourit d’un air narquois.

    — Tu te rends compte à quel point tu parlais comme maman ?

    Argh, elle a raison. Les bénéfices des orgasmes sont le sujet favori de notre matriarche. Je n’ai pas encore parlé de ma profession à mes parents, à cause du nombre de conseils non sollicités qu’ils se sentiraient obligés de me prodiguer.

    Je me pince l’arête du nez. Ce qui est fait est fait. Ces trois-là sont au courant, maintenant. Je lance un regard dur à chacune de mes sœurs.

    — Je peux vous faire confiance pour garder ça entre nous ?

    Vu comment ça s’est passé, je ne pense pas être prête à révéler ça au reste de ma famille pour l’instant.

    Blue bombe le torse.

    — Oh, je t’en prie. Garder les secrets est mon métier.

    — Et je suis magicienne, renchérit Gia. Je garde encore plus de secrets que Blue.

    Honey ricane.

    — Je suis la seule à qui tu aurais dû le dire… et la seule dont tu as besoin pour l’Opération TG, d’ailleurs.

    OK, super. La compétitivité sororale entre Hyman va fonctionner en ma faveur, pour une fois. Soulagée, je prends une bouteille de sirop et noie mon pain grillé dedans avant d’en mordre une bouchée.

    Non. Ce n’est pas assez sucré.

    Je verse du sucre en poudre par-dessus et goûte à nouveau.

    Il manque encore quelque chose.

    Avec un soupir, je regarde Honey et hoche la tête.

    Les yeux brillants de satisfaction, Honey sort un sac en plastique rempli d’un mélange de M&M’s, de raisins secs, de petits marshmallows et de pop-corn.

    Je vérifie que la serveuse ne me regarde pas, puis je déverse le contenu du sac sur mon assiette.

    Enfin, le pain grillé est assez sucré pour moi. Malheureusement, je viens d’encourager la frugalité obsessionnelle de Honey. Comme je m’y attendais, pour éviter d’avoir à payer un supplément pour les garnitures, elle les a amenées au restaurant avec elle. Plus tôt, elle a insisté pour qu’on commande un jus d’orange, qu’elle a transformé en mimosa avec le champagne de sa flasque. Et je m’attends à la voir sortir un coupon de réduction pour le repas lui-même, quand l’addition arrivera.

    Ouais, ma sœur badass ferait passer l’Oncle Picsou pour un dépensier, en comparaison. Bien sûr, si quelqu’un lui disait quelque chose en face, elle le tuerait.

    Pendant que je mange mon pain grillé, Blue étudie les œufs sur l’assiette de Honey d’un air soupçonneux. Ma brave sœur espionne craint et déteste tout ce qui a un rapport avec les oiseaux. Mais son besoin de se moquer de moi finit par prendre le dessus. Elle lève la tête et me regarde avec intensité.

    — Maintenant que tu as assuré ton diabète, je peux te poser quelques questions concernant ton boulot ?

    Gia, qui observait elle aussi les œufs de Honey d’un air désapprobateur, sûrement parce qu’elle craint la salmonellose ou un autre germe, lance un coup d’œil curieux à Blue.

    — Tu parles de l’opération TG ou du blog sur la branlette ?

    — Le blog sur le tripotage, répond Blue, avant de se tourner vers moi. Pourquoi un blog ? On est en 2003, ou quoi ?

    Je soupire.

    — J’ai essayé de poster des vidéos sur les réseaux sociaux, mais la plupart des plateformes sont très prudes et limitent ce que je peux dire sur le sujet. Et puis, pour des raisons que seuls les algorithmes de moteurs de recherches connaissent, mon blog est plutôt populaire.

    Gia arque un sourcil teint en noir.

    — Les algorithmes de moteurs de recherches ?

    — Si tu cherches « se tripoter », je suis l’un des premiers résultats à s’afficher. Pareil pour « masturbation féminine ».

    Honey a l’air impressionnée.

    — Ça se traduit par beaucoup d’argent ?

    Je la regarde d’un air vide.

    — Ouais, je loue un appart minable à Staten Island juste pour le plaisir.

    — Ça pourrait être parce que tu économises de l’argent, remarque Blue avec un regard furtif vers Honey.

    Je grimace.

    — Si seulement. Je me noie dans les dettes. Les bannières publicitaires suffisent à peine à me nourrir. Pour vraiment me faire de l’argent, il me faut un sponsor, mais je n’en ai plus eu depuis un bon moment.

    — Alors pourquoi faire ça ? m’interroge Gia.

    — Parce que c’est ma passion, dis-je. Tu es la mieux placée pour comprendre ça.

    Au lieu de me lancer d’autres piques sur la masturbation, Gia hoche la tête d’un air solennel. Pendant très longtemps, son amour de la magie n’a pas payé beaucoup non plus, mais sa chance a récemment tourné.

    — Tout ce que je sais, c’est que je refuse d’abandonner, ajouté-je, sans trop savoir si j’essaie de convaincre mes sœurs ou moi-même. Je dois juste me trouver un gros sponsor et…

    Je hoquette quand une odeur d’après-rasage passe à travers mon filtre nasal et commence à assaillir mes narines. Je tourne la tête et vois le coupable, un serveur apportant un pichet d’eau.

    — On n’a pas besoin de ça, merci, lancé-je en le repoussant d’un geste de la main comme s’il s’agissait d’un insecte.

    — Tu te rends compte qu’il était mignon ? demande Honey.

    J’émets un autre haut-le-cœur.

    — Il a dû s’immerger dans une baignoire remplie d’Old Spice pendant deux jours avant de venir bosser.

    — Quelle horreur, se moque Gia en levant les yeux au ciel.

    — Les parfums et les eaux de Cologne sont comme des pets qui coûtent de l’argent, assuré-je.

    Blue ouvre la bouche, sans doute pour faire une remarque sarcastique, mais c’est alors que le karma atterrit au beau milieu de notre table – sous la forme d’un petit perroquet vert tout mignon.

    Avec une rapidité que même James Bond lui envierait, Blue plonge sous la table. L’oiseau sautille vers une assiette de pain et commence à le picorer comme si on n’était pas là.

    Gia observe l’oiseau, les yeux écarquillés.

    — Ce doit être l’animal de compagnie de quelqu’un, hein ?

    — Impossible, répond Blue, la voix étouffée par la nappe. C’est une perruche veuve. Elles vivent dans la nature.

    Elle a prononcé les mots « perruche veuve » comme la plupart des gens auraient dit « tarentule », et imprégné le mot « nature » d’une note si sinistre qu’on la réserve d’habitude à Voldemort ou à d’autres vilains du même acabit.

    — Dans la nature ? répète Gia.

    Elle bondit sur ses pieds, se souvenant sûrement de tous les germes que peuvent transmettre les oiseaux sauvages. Puis, comme par magie – du genre qu’on voit dans les spectacles, en tout cas – une bouteille de gel hydroalcoolique de la taille de ma tête apparaît dans les mains de Gia, et elle asperge l’oiseau avec.

    Beurk. L’odeur d’alcool et de menthe artificielle bon marché me fait l’effet d’une gifle sur le nez. Le perroquet est d’accord avec moi. Il émet un cri aigu semblable à la progéniture d’une tronçonneuse et du plus agaçant des réveils, qui aurait été torturée en enfer par des démons sourds.

    — Faites-le partir ! s’écrie Blue sous la table.

    C’est alors qu’un paquet de cartes se matérialise dans les mains de Gia. Elle les lance à l’oiseau une par une, comme s’il s’agissait de shurikens de ninja.

    L’oiseau criaille à nouveau, mais ne s’en va pas. On ne doit pas beaucoup risquer de se couper avec du papier, quand on a des plumes.

    — S’il vous plaît, les filles, supplie Blue. Ce n’est pas drôle. Débarrassez-vous de lui.

    — OK, OK, lâche Honey.

    Elle sort un couteau de poche et l’ouvre d’un geste flamboyant que j’associe aux tueurs professionnels.

    — Non ! m’écrié-je. Ne tue pas ce pauvre…

    L’oiseau remarque le couteau et crie à nouveau, avant de s’envoler d’un air indigné et de disparaître au loin.

    Honey cache maladroitement le canif dans son sac à main.

    — Je voulais juste l’effrayer.

    Ouais. C’est ça. Comme elle a effrayé cette fille insultante au lycée, qui a dû recevoir des points de suture sur le bras.

    Blue sort de sous la table, l’air penaude.

    — Si tu l’avais tué, tous ceux ayant un cerveau plus gros que celui d’un oiseau auraient été d’accord pour dire que c’était de la légitime défense.

    Gia asperge son gel hydroalcoolique malodorant partout où l’oiseau a posé ses petites pattes, annihilant ce qu’il me restait d’appétit.

    Je repousse mon assiette.

    — On peut en revenir au sujet qui nous occupe ?

    — Ouais, répond Blue en se rasseyant sur sa chaise. Où a lieu le spectacle ?

    — Au New York City Ballet, dis-je.

    Le ticket m’a fait dépenser une grosse partie des revenus du blog du mois dernier, mais ça en vaut la peine, pour voir Le Russe en live plutôt que de regarder ses performances sur YouTube. Et bien sûr, pour me le sortir de la tête.

    Blue sort son téléphone et fait quelque chose pendant une minute ou deux. Quand elle relève la tête, son sourire diabolique me rappelle celui de Gia.

    — Je peux faire en sorte que tu n’apparaisses sur aucune caméra, propose-t-elle, avant de lancer un regard défiant à Honey. Tu penses toujours être la seule dont elle ait besoin ?

    — Je pense qu’elle aura besoin de plus que vous deux, remarque Gia.

    Elle me regarde et prend un ton professoral :

    — L’élément clé, quand on veut entrer quelque part où on n’a pas sa place, c’est de ne pas avoir l’air coupable.

    — Elle marque un point, dit Honey. Je peux entrer dans n’importe quelle boîte de nuit avec un peu d’audace, en faisant croire que mon tampon s’est effacé.

    Je sors mon téléphone et prends ma première note : avoir l’air audacieuse. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. Je vérifie qu’aucun serveur n’a réussi à échapper à mon odorat et remarque :

    — Je vais peut-être devoir ouvrir des portes. Des portes verrouillées.

    Comme si elles répétaient ça depuis des années, mes trois sœurs sortent des épingles de crochetage, avant d’émettre de petits rires.

    — À toi l’honneur, dit Honey à Gia. Tu as été la première à apprendre ça.

    Gia sourit.

    — J’ai plus d’expérience dans la pratique.

    Avant que Blue ait eu le temps de lancer des fleurs à Gia à son tour, je lance :

    — Peu importe qui le fait. Contentez-vous de m’apprendre.

    — Très bien, répond Honey en levant un objet en forme de zigzag. Ça, c’est une clé de tension.

    La leçon prend trois fois plus de temps qu’elle ne devrait parce que mes professeurs n’arrêtent pas de se disputer sur des détails sans importance. Pour finir, je me sens assez sûre de moi pour l’opération Très Goûteux, je fais donc signe à la serveuse d’apporter l’addition.

    Comme je m’y attendais, Honey sort un coupon de réduction, et la serveuse doit repartir recompter la note.

    — C’est moi qui offre, annoncé-je quand l’addition revient.

    — Non, protestent Gia et Blue à l’unisson.

    — Tu viens de nous dire que tu avais des problèmes d’argent, ajoute Honey.

    — Très bien, lâché-je avec un soupir.

    C’est vrai que ma carte de crédit commence à atteindre ses limites.

    — Partageons pour cette fois, mais si je me trouve un bon sponsor, je vous emmène toutes dans un restaurant chic.

    — Marché conclu, répond Gia. Tant que c’est un endroit propre, comme celui-là.

    — Bien sûr, acquiescé-je, résistant à l’envie de lever les yeux au ciel. Et il ne servira pas de volaille.

    Je souris à Blue.

    Je me demande même si je devrais assurer à Honey qu’elle pourra trouver un coupon de réduction à utiliser pour cet endroit, avant de décider de ne pas risquer ma peau sachant qu’elle a un couteau dans son sac à main.

    L’opération Très Goûteux sera déjà bien assez dangereuse comme ça.

    Chapitre

    Trois

    Le ballet que je regarde est Le Lac des Cygnes, et le rôle de mon coup de cœur est celui du Prince Siegfried.

    Bon sang. Je suis jalouse de cette arbalète qu’il tient. Sachant que mon objectif est de me sortir cet homme de la tête, le voir en live était peut-être un pas dans la mauvaise direction.

    Ses muscles – et plus particulièrement ses jambes puissantes – feraient pleurer d’envie une statue de dieu grec. Ses yeux brillants sont comme du chocolat fondu, et ses cheveux coiffés en arrière me rappellent aussi le chocolat noir. Son visage est angélique, avec des pommettes si effilées qu’elles ressemblent à la couche dure d’une crème brûlée une fois que vous l’avez cassée avec une cuillère. Oh, mais tout cela pâlit comparé à la bosse dans son pantalon – qui figure dans tellement de mes fantasmes masturbatoires que j’en ai même nommé le contenu : M. Big. Ouais. Le fait d’assister à ce spectacle est tout sauf bénéfique, et si j’active la culotte vibrante que je porte en ce moment, cela ne fera qu’empirer les choses.

    Au départ, j’ai enfilé cette culotte parce que je me suis dit que c’était ma dernière chance de profiter d’un ménage avec moi-même avec Le Russe. Si renifler ses collants a l’effet désiré, je devrai recourir à d’autres supports visuels quand je me rendrai dans la bat-cave. Comme Magic Mike, 300 ou Charlie et la Chocolaterie.

    Mais je ne devrais pas être égoïste. Cette aventure ferait un excellent article de blog. D’habitude, je ne fais jamais de trucs cochons en public, alors cela servira peut-être d’enseignement à ceux qui me suivent.

    Ouais, je vais le faire pour eux. Ce sera mon dernier tour de piste avec Le Russe – rendu tellement plus intéressant parce que je le vois pour de vrai.

    Je scrute les gens aux beaux habits assis autour de moi. La voie est libre. Ils sont tous concentrés sur le spectacle devant nous.

    Je récupère la petite télécommande qui active les vibrations.

    Dernière chance de changer d’avis.

    Non. Le Russe m’expose son postérieur parfait et ses muscles du grand fessier que j’ai envie de lécher comme du sucre d’orge.

    J’appuie sur « on » et souris quand mes sous-vêtements se mettent à vibrer. C’est mon petit moment DIY.

    Même à la plus basse vitesse, mon clitoris se retrouve aussitôt engorgé, et j’espère que les composants électriques à l’intérieur de cette petite merveille technologique sont étanches. Bientôt, je dois me mordre douloureusement la langue pour me retenir de gémir. La musique de Tchaïkovski est géniale, mais elle ne suffirait pas à noyer ce son-là.

    Je ne savais pas qu’il me serait aussi difficile de garder le silence. Ce doit être l’effet torride provoqué par Le Russe.

    Haletante, j’éteins l’appareil pour laisser l’occasion à mon clitoris de se calmer. Si je me fais surprendre en train de faire ça, je serai escortée dehors ou bannie à vie pour la perverse que je suis.

    Quand je pense pouvoir rester silencieuse, je rallume l’appareil.

    Non. Quand Le Russe effectue un fouetté à donner l’eau à la bouche, le désir d’être bruyante revient en force.

    Bordel.

    Celui qui a conçu cette culotte devrait se voir décerner un prix. L’effet sur mes parties intimes est semblable à celui de la chanson principale du

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