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La bataille d'Osorno: La résistance exemplaire de catholiques chiliens face aux dérives du Vatican
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La bataille d'Osorno: La résistance exemplaire de catholiques chiliens face aux dérives du Vatican
Livre électronique445 pages4 heures

La bataille d'Osorno: La résistance exemplaire de catholiques chiliens face aux dérives du Vatican

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À propos de ce livre électronique

Spécialistes du Chili, Régine et Guy Ringwald racontent le combat de laïcs catholiques à Osorno, qui refusent, en 2015, la nomination dans leur diocèse de Mgr Juan Barros, accusé d'avoir couvert un prêtre prédateur sexuel, Fernando Karadima, autour duquel s'est nouée pendant des années une extraordinaire collusion des pouvoirs. Après avoir ostensiblement soutenu cet évêque, le pape François finit par céder aux contestataires. L'enquête, coéditée avec la revue Golias, révèle les tensions et les rivalités internes à l'Église du Chili depuis des décennies, ainsi que les enjeux politiques qui les animent (dont les liens d'Augusto Pinochet avec l'épiscopat chilien et le Vatican), et comment des « croyants de base » ont réussi à organiser un contre-pouvoir qui a fini par gagner contre la Curie. Un récit à lire « intégralement pour comprendre jusqu'où peut aller le mal des abus, jusqu'où il faut porter le fer pour en sortir », préface Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et éditeur.
En coédition avec GOLIAS.
LangueFrançais
Date de sortie9 mars 2023
ISBN9782916842905
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    Aperçu du livre

    La bataille d'Osorno - Régine et Guy Ringwald

    Préface

    Par Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions, éditeur

    ~

    Dans une bataille, il y en général un vainqueur et un vaincu, et il arrive aussi que le gagnant ne soit pas le plus fort, mais le faible. C’est le cas de la « bataille d’Osorno », où le camp a ­priori destiné à la défaite – si l’on se fiait au passé ancien et récent de l’Église – l’a emporté haut-la-main sur le plus fort, représenté ici par le puissant épiscopat chilien, lui-même adossé à des soutiens romains de très haut rang. Les vainqueurs de cette version inédite de l’affrontement entre David et Goliath – l’image que suggèrent à juste titre Régine et Guy Ringwald –, ce sont des laïcs, ou le peuple de Dieu emmené par des laïcs, avec des alliés prêtres et religieux.

    On pourrait dire, bien sûr, qu’ils ont gagné d’abord parce que, pour paraphraser la lettre aux Ephésiens, ils avaient « la vérité pour ceinturon, la justice pour cuirasse, la foi comme bouclier, le salut comme casque, et enfin le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu » (Ephésiens 6, 14-17). Avec ces armes, ils ont en effet démasqué le mensonge, l’injustice, la conspiration du silence, les faux-semblants et les prétextes « religieux » pour conserver l’institution. Ils ont mis à nu les réflexes et les ressorts du cléricalisme, qui se fait volontiers culpabilisateur voire menaçant, oublieux de ses propres principes, enseignements et lois, quand il est contesté dans son pouvoir. C’est indéniable : c’est la justice et la vérité selon l’Évangile qui ont triomphé, contre les appels à la « sagesse », à la « patience », à l’« obéissance » due à l’Église et à des chefs sacrés (parce que « consacrés ») qui se croient au-dessus des normes et des lois humaines¹.

    Ce rappel des principes n’est pas inutile, car il rappelle le sens essentiel, trop peu vu, de l’histoire que raconte ce livre. Je ne la résumerai pas ici : l’enquête et le récit détaillés de Régine et Guy Ringwald doivent être lus intégralement pour comprendre jusqu’où peut aller le mal des abus et jusqu’où il faut porter le fer pour en sortir, et aussi pourquoi les laïcs doivent s’engager dans ce combat. Car c’est une histoire avec un versant noir, très noir même, d’abus sexuels et spirituels à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle-ci, commis par des prêtres de grand renom, d’une ampleur et d’une durée qui défient l’entendement, dans un entrelac de complicités, de silences, de tentatives d’étouffement des affaires et... de promotion (épiscopale) d’un témoin qui ne pouvait pas ne pas avoir rien su ni vu. Plus encore que des affaires de pédophilie et d’abus sexuels qui ont eu lieu en France et ailleurs dans le monde, le récit très documenté des crimes et délits de prédateurs très connus dont il est question ici, des hommes estimés voire vénérés, destinés à monter sur les autels après leur mort, fait mesurer la puissance systémique de l’abus de pouvoir dans l’Église : non seulement ils n’étaient pas punis, mais ils ont pu de longues années durant bénéficier de reconnaissances et de bénéfices autant matériels que symboliques.

    Pire encore : même quand on savait, cela semblait n’empêcher en rien la promotion (à l’épiscopat) de témoins qui ne pouvaient ignorer la double vie de leur maître, avec ses conséquences accablantes pour les victimes. Le scandale de la nomination de l’évêque Barros, un fidèle de Karadima, à Osorno après les révélations effroyables sur ce dernier, la résistance et la lutte sans faille contre son installation, les péripéties d’une tempête où le pape François a failli couler sous les yeux du monde entier avant de se ressaisir, la « victoire » enfin puisque Barros doit se retirer et que l’épiscopat est contraint un moment à la démission collective, constituent un cas unique dans les annales de l’Église, et l’essentiel de ce livre est consacré à cet évènement exemplaire.

    C’est, je l’ai déjà souligné, l’histoire d’un combat engagé et gagné de haute lutte par des laïcs contre l’Église locale, nationale et universelle, puisque le pape François et des cardinaux romains y ont été impliqués. Si un adage ancien voulait que l’Église soit sauvée non par ses clercs, mais par ses laïcs, ce livre permet de comprendre mieux pourquoi : c’est peut-être bien parce qu’ils ne sont pas cadenassés par le verrou sacral qui pousse presque naturellement les clercs à des silences et des complicités « familiales », pour ainsi dire, au sens où dans une famille on ne dénonce pas les crimes de ses membres quand ils sont connus. Mais c’est peut-être plus encore parce que, ne vivant pas dans le confinement (le conditionnement ?) et l’autoréférence cléricale, les laïcs sont sensibles à la « force du droit » plus qu’au droit de la force (fût-elle ecclésiale et spirituelle), à la justice civile (quoi qu’il en coûte pour la réputation et la vanité de l’institution), à la réparation envers les victimes (quel que soit le prix à payer). Certes, ce peuple de Dieu laïc l’a fait aussi avec des soutiens de prêtres et de religieux amis, mais à des moments-clefs, comme au début des révélations sur Karadima, c’est leur endurance dans la résistance aux vents contraires et aux pressions qui a permis d’avancer pour démasquer un pervers entouré de nombreuses protections.

    Il faudrait dire : qui « a su s’entourer » de protections. Ce qui est en effet frappant (et qu’il faudrait vérifier pour d’autres affaires) dans le cas du prédateur ecclésiastique Fernando Karadima (comme dans celui du protégé de Jean-Paul II, le Père Marcial Maciel), c’est son inventivité voire son génie pour concevoir l’institution particulière, dans le cadre de l’Église et de son ministère de prêtre, où il va pouvoir déployer à la fois ses talents au « service » de l’Église et les possibilités d’abus sur de jeunes futurs adultes, les premiers favorisant les secondes. Il réussit d’autant plus dans son entreprise, de caractère nettement sectaire², qu’il fournit à l’Église ce qui lui manque le plus en ces temps de pénurie sacerdotale : des prêtres, parmi lesquels il y aura même de futurs évêques. Karadima s’appuie aussi sur un réseau très vaste de relations, dans l’Église (autour de la Conférence épiscopale, dans l’Université catholique...) ainsi que dans la société et le monde politique : cela peut toujours servir...

    Le Père Poblete, auquel les auteurs consacrent un chapitre supplémentaire, fait presque aussi bien, sinon mieux : à l’abri de son activité sociale à travers le foyer Hogar del Cristo, où sont accueillis les délaissés et les pauvres et qui lui assure admiration et considération générale, il a tout loisir de trouver des victimes (auxquelles il inflige de surcroît des sévices sexuels criminels). Il bénéficie de plus, contrairement à Karadima, de la couverture de l’ordre religieux prestigieux auquel il appartient : les jésuites. À juste titre, les auteurs interrogent assez longuement le silence de ces derniers à propos d’agissements aussi durables : sinon tous les jésuites, du moins beaucoup n’ont pu les ignorer. C’est un point important : en effet, comme en témoignent de nombreuses victimes d’abus sexuels et/ou spirituels, elles ne comprennent pas, a posteriori, le silence des catholiques à tout niveau (prêtres et laïcs confondus). Il est vrai que leur silence à elles, pendant et après les faits, là aussi durant des années, étonne en sens inverse et entraîne même parfois le soupçon qu’elles pourraient avoir été consentantes. Mais c’est tout ignorer des phénomènes d’emprise et de la toile tissée pour qu’elles se taisent. Sur ce point aussi, ce qui est rapporté de la biographie des victimes de Karadima – qui ont finalement réussi seulement après des années à parler aux médias, à porter plainte devant la justice et à résister aux pressions multiples pour rester muettes – est, de même que le témoignage de Marcela Aranda trente-cinq ans après les violences physiques de Poblete, précieux. Beaucoup de victimes, on l’oublie trop, doivent vaincre un lourd sentiment d’humiliation avant d’oser parler.

    Un dernier aspect mérite attention. Un mot de Michel de Certeau m’y invite, mais de manière paradoxale : « Quand le politique fléchit, le religieux revient. » Il souligne ainsi le lien intrinsèque entre les deux forces. La formule ne s’accorde pas exactement à la situation qui a prévalu au Chili depuis cinquante ans. Mais ne pourrait-on pas la refaçonner de la manière suivante ? : « Quand le religieux s’accorde avec des pouvoirs politiques injustes, iniques, en l’instrumentalisant tout en étant instrumentalisé par lui, en en tirant avantage tout en le faisant profiter de ses services spirituels et autres, il est forcément pris dans la spirale de sa corruption et de sa violence. » On l’a parfois souligné à propos de la société russe et de l’Église orthodoxe russe après la Chute du Mur, sorties spirituellement exsangues et gangrenées par l’absence d’éthique et la violence du régime soviétique. Ne pourrait-on pas en dire autant de cette frange de l’Église du Chili qui a profité de la dictature de Pinochet pour conquérir des places ou conforter des positions qu’elle occupait déjà ? Ou dans le cas de Poblete, de ses liens avec le monde des affaires resté ultralibéral même dans le Chili en reconstruction après Pinochet ? On est surpris en tout cas des liens étroits entre Karadima, le régime de Pinochet et la bourgeoisie catholique qui le soutient, ou des relations de Poblete avec les puissances d’argent – des liens et des relations qui sont très favorables à l’entretien occulte de leurs agissements criminels.

    Le livre de Régine et Guy Ringwald est important par les informations précises qu’il donne sur l’affaire Barros, sur ses complications et ses retournements de situations, sur ses acteurs et, redisons-le, leur victoire exemplaire. Il est aussi intéressant par ce qu’il révèle de l’Église chilienne en général et en particulier, et notamment de la gravité des abus sexuels dans ce pays, de leur gestion par l’épiscopat et de leur réception par les catholiques et même par la société plus large. Ce faisant, il fait état de la fracture morale et religieuse qu’ont représenté pour les croyants, en particulier les plus pratiquants, des scandales où des figures prestigieuses de l’Église ont été impliquées. On dira que de toute façon, même sans ces vilenies, l’Église du Chili aurait participé du recul de l’Église catholique dans de vastes régions du monde entier. Admettons. Pour autant, qui osera prétendre que ces abus ont été paisiblement digérés par des catholiques qui seraient « au-dessus de tout ça » ? Ou qu’on leur fera croire qu’il faut simplement redoubler d’intensité dans la prière et la demande de pardon (pour les péchés de l’Église en général, en noyant ceux de leurs pasteurs en particulier) ?

    Les catholiques attendent des réformes de l’institution Église. Et ce livre apporte une pierre importante aux efforts pour aller dans ce sens.


    1. Sur les liens entre le sacré et le pouvoir clérical, voir Loïc de Kérimel, En finir avec le cléricalisme, Seuil, 2020.

    2. Cf. Ch. 2/« Karadima, curé d’El Bosque ». Le comportement du « fondateur » Karadima, leader charismatique, à la fois dans la séduction, la perversion et l’autoritarisme sans limite, est typique du profil idéal-typique décrit par la sociologie des religions.

    Avant-propos

    Mars 2015 : dans une petite ville du bout du monde, au sud du Chili, des laïcs refusent l’évêque qui vient d’être nommé. On connaît la fin normale de ce genre de manifestation, c’est l’échec assuré. Ils ont pourtant un motif sérieux : l’évêque en question, Juan Barros, ne vient pas de n’importe où, il a été pendant quelque quarante ans dans le cercle des intimes d’un certain Fernando Karadima. Il sera soutenu par le pape, tandis que les laïcs sont... des gauchistes. Nous verrons finalement que le choc qui va se produire sera directement entre eux et le pape François. Ils n’ont aucune chance.

    Le scandale Karadima a été révélé publiquement en 2010, à la télévision. Trois de ses anciennes victimes mènent un combat depuis ce temps-là : obtenir que soit reconnu que l’archevêché de Santiago a couvert Karadima. Et depuis ce temps-là, ils sont vilipendés par la hiérarchie, jamais reçus, jamais écoutés, jamais entendus. Le 22 janvier 2018, le pape les traite de « calomniateurs ». Ils n’ont aucune chance.

    Mais qui est Karadima ? Il était à la tête d’une paroisse dans un « beau quartier » de Santiago. Il passait pour un saint, il suscitait des vocations : on dit qu’un tiers du clergé de Santiago est sorti de sa société de prêtres, et cinq évêques en proviennent. Mais il était aussi au centre d’un énorme scandale de pédophilie, d’abus sexuels et d’abus psychologiques, au point qu’il a donné lieu à un film, sorti en salles à Santiago. Au centre aussi de tout ce qui comptait au temps de la dictature d’Augusto Pinochet : le gratin de la haute bourgeoisie, mais aussi les autorités de l’État et de l’Église, au premier rang desquelles le nonce Angelo Sodano.

    29 avril 2018 : les trois plaignants, anciennes victimes de Karadima, anciens « calomniateurs », sont au balcon de Saint Pierre pour assister à l’Angelus célébré par le pape. C’était pourtant inimaginable.

    17 juin 2018 : un administrateur apostolique célèbre dans la cathédrale d’Osorno, en présence de deux hauts délégués du Vatican qui apportent les excuses du pape. Barros est parti. C’était pourtant impossible.

    En mars 2015, ce qui se passe à Osorno attire notre attention. Précisons que nous sommes sensibles à ce qui se passe au Chili où nous avons des amitiés fort anciennes. Ce qui se passe ? C’est l’entrée en résistance des laïcs qui refusent de se laisser imposer l’évêque qui vient d’être nommé, Juan Barros. Allant plus loin dans la recherche d’information, nous comprenons que le cas est singulier, et peut avoir des conséquences importantes. Les deux éléments majeurs qui nous amènent à cela sont, d’une part, la détermination et la forte connaissance dont font preuve les laïcs de la nature de l’Église et de son histoire, d’autre part, le soutien qu’ils reçoivent de religieux, connus et influents, qui n’auraient pas de raison de se compromettre avec un simple mouvement d’humeur.

    Nous avons d’abord alerté les organes de presse et divers mouvements de laïcs qui auraient pu se saisir de la question. Sans succès. Nous sommes entrés en contact avec l’association NSAE (Nous sommes Aussi l’Église) par l’intermédiaire de Lucienne Gouguenheim, qui a permis de publier divers écrits sur leur site, dans lesquels nous avons fait connaître la situation d’Osorno. Puis nous avons sollicité la revue Golias qui nous a ouvert ses colonnes très régulièrement. Comme la question chilienne a connu des développements considérables, impliquant le pape lui-même, nous avons continué à assurer la couverture de ces événements.

    De tout ce travail d’analyse est né un projet de livre, sur un sujet dont nous ressentons qu’il laissera des traces dans l’évolution de l’Église catholique. Les éditions Temps Présent, connaissant l’ensemble des publications que nous avions faites sur le sujet, ont soutenu le projet de ce livre et le publient en co-édition avec Golias. Nous sommes heureux de cette conjonction qui est une façon de prendre acte de l’intérêt de l’événement, et de la relation que nous en avions faite, qui couvre, de bout en bout, ce magnifique combat des laïcs, finalement victorieux.

    Le point de vue que nous avons adopté est dans le droit fil de ce qui avait attiré notre attention : des laïcs se sont levés, demandant que leur soit épargnée l’humiliation de recevoir un évêque indigne, et revendiquant d’être considérés comme des adultes. IIs n’acceptent plus une forme de pouvoir qui ne tire son autorité que d’en haut, structure et mode de fonctionnement qui ne sont plus de notre temps.

    Au fil des révélations est apparu le caractère systémique des abus de pouvoir dans l’Église catholique, ce que le pape a appelé la « culture de l’abus », ce qui met en cause, si on va au bout du raisonnement, la structure même de l’institution. Dans cet épisode, comme dans toute la crise qui secoue l’Église catholique, la pédophilie et les abus sexuels ne sont que l’aspect spectaculaire d’un problème profond qui touche à la forme de pouvoir, et au rôle respectif des laïcs et des clercs.

    Pour autant, les abus sexuels forment la toile de fond de ce développement. Nous avons dû citer des cas assez peu présentables. Nous n’avons pas censuré certains faits, mais nous ne nous sommes pas complu à décrire le sordide. Il est abordé dans les cas où une description trop policée ne rendrait pas compte de ce dont on parle. Que le lecteur se dise que ce qui est décrit ici n’est qu’une infime partie de ce qui fait l’information quotidienne au Chili, dans la presse, sur les sites d’information, et à la télévision.

    Un passage relativement long est consacré au phénomène Karadima. C’est le point de départ de tout le scandale, et c’en est la clé. C’est aussi un incroyable exemple de la collusion des pouvoirs, et de la politique dans laquelle l’Église catholique, spécifiquement au temps de Jean-Paul II et du cardinal Sodano, s’est fourvoyée pendant près de quarante ans, avec les résultats qu’on observe. Car si on désigne couramment Karadima comme un grand prédateur sexuel, sa paroisse El Bosque a aussi été au carrefour de la politique de Sodano, de Pinochet et des activités des États-Unis au Chili. Ce qui peut expliquer bien des compromissions, et bien des protections.

    Nous avons ajouté un chapitre à cette histoire, celle d’un affreux scandale mis au jour en 2019, l’affaire Poblete. On y retrouve la collusion des pouvoirs, la perversion poussée jusqu’à l’horreur, l’aveuglement de beaucoup, et des liens inattendus avec l’affaire Karadima.

    Principaux protagonistes

    Plusieurs personnages vont être présents tout au long de notre chemin, certains bien en vue, d’autres en arrière-plan, mais à un haut niveau d’influence, d’autres dans l’action. Dans ce combat qui a été comparé à celui de David contre Goliath, les petits David que sont les laïcs d’Osorno s’attaquent au géant, à la force, invincible dans son inertie, de la hiérarchie.

    Du côté de Goliath

    Le cardinal Francisco Javier Errázuriz Ossa

    Archevêque émérite (retraité) de Santiago, il est le grand meneur de jeu, du côté de l’Institution. Il appartient à l’Institut des Pères de Schönstatt, une congrégation allemande. Après avoir été en poste au Vatican, il devient évêque de Valparaiso, en 1996. Il est nommé à Santiago en 1998, et demeurera à ce poste jusqu’en 2010. Ce siège épiscopal est évidemment le plus prestigieux et le plus influent du Chili. Le cardinal Errázuriz tiendra ce poste pendant tout le temps où des plaintes se sont manifestées contre Fernando Karadima. Il lui est reproché d’avoir toujours ignoré, voire couvert, ce qui se passait, d’avoir refusé d’entendre les victimes, d’avoir, jusqu’au bout, influé à Rome pour discréditer les plaignants d’abord, les laïcs qui protestent à Osorno ensuite. En 2013, José Andrés Murillo, une des victimes de Karadima, avait lancé une pétition pour demander qu’Errázuriz ne participe pas au conclave : « Si nous permettons que des complices d’abus sexuels élisent le souverain pontife, nous créerons structurellement une Église violatrice de droits. » Il avait été choisi par le pape comme représentant latino-américain au groupe de cardinaux, dénommé « C9 », groupe institué par François pour élaborer une réforme de la Curie. Il fait partie des personnes soupçonnées d’avoir influencé François dans l’évaluation de l’affaire Barros. Une procédure judiciaire est en cours contre lui. Il est maintenant âgé de 86 ans.

    Le cardinal Ricardo Ezzati Andrello

    Le successeur d’Errázuriz est salésien, un ordre d’enseignants. Il est un de ses fidèles. Il a été évêque auxiliaire de Santiago, de 2001 à 2006, période au cours de laquelle il a « ignoré » les plaintes qui se manifestaient contre Karadima. Il poursuivra sur les traces de son prédécesseur, avec quelques nuances : il déconseillera la nomination de Barros à Osorno, mais ensuite adoptera la ligne officielle, évidemment. Il ne fera rien pour faire avancer le problème d’Osorno vers une solution. Il sera aussi accusé d’avoir couvert plusieurs cas graves d’agressions sexuelles concernant des salésiens, et un prêtre de l’archevêché de Santiago. Une procédure judiciaire est en cours contre lui. Il est âgé de 78 ans.

    Le cardinal Jorge Arturo Medina Estévez

    Moins en vue, mais il a été très actif. Il a été évêque de Valparaiso de 1993 à 1996 (avant Errázuriz). Juan Barros a été son auxiliaire. Il est appelé à Rome pour prendre la charge de « préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ». Il demeure ensuite très en vue au Vatican : c’est lui qui intronise Benoît XVI. Il nous intéresse surtout parce qu’il a été toujours le « surveillant » des évêques du Chili, sévère et sourcilleux, ne se gênant pas pour faire des rapports. Il a bien connu la période Karadima, et sait qui est l’évêque Barros. Le cardinal Medina est âgé de 93 ans.

    Le cardinal Angelo Sodano

    Il est le grand responsable de la situation. Nonce au Chili de 1977 à 1988, il s’est attaché à modifier profondément l’orientation de l’Église du Chili dans un sens très conservateur. Sous sa houlette, le Chili sera le laboratoire de la reprise en main, tandis qu’il était aussi le laboratoire du néolibéralisme sous l’égide des « Chicago Boys ». Il poursuivra ensuite son œuvre comme cardinal secrétaire d’État (de 1991 à 2006). Il a été, à ce poste, le véritable patron du gouvernement de l’Église, et d’autant plus que l’état de santé de Jean-Paul II se dégradait. L’état actuel de l’Église catholique lui est largement imputable.

    Autres acteurs de la hiérarchie

    On pourrait encore nommer Fernando Ramos, évêque auxiliaire de Santiago, et secrétaire de la Conférence des évêques du Chili. C’est lui qui organisera la visite du pape François. Tout à fait insensible aux problèmes des victimes (« L’abus sexuel ne fait pas perdre sa légitimité à l’Église »). Citons aussi Ignacio González que nous retrouverons plusieurs fois au cours de notre parcours. Lui est membre de l’Opus Dei, il est le type du conservateur qui n’a rien compris (« L’Église est hiérarchique, qu’on le veuille ou non ! »).

    Cinq évêques ont été formés à l’école de Karadima :

    Juan Barros, c’est lui qui va nous occuper au cours d’une bonne partie des pages qui suivent.

    Tomislav Koljatic est évêque depuis 1997 (il avait 42 ans). Depuis 2003, il est évêque de Linares. Malgré tout ce qui s’est passé autour de la paroisse de Karadima, il est toujours en poste à l’heure où nous écrivons.

    Horacio Valenzuela était évêque de Talca depuis 1996 quand ont éclaté les affaires Karadima et Barros. Le pape a « accepté sa démission » en 2018.

    Andrés Arteaga, comme on le verra, a joué un rôle de premier plan dans la nébuleuse de Karadima. Errázuriz l’avait nommé vice-chancelier de l’Université Catholique ; il est maintenant évêque auxiliaire de Santiago, toujours en poste. Il n’exerce plus vraiment de rôle, et on le laisse tranquille du fait de son état de santé dégradé.

    Felipe Bacarreza, actuellement âgé de 71 ans, a été ordonné évêque en 1991. Il a été évêque auxiliaire de Concepción et il est évêque de Los Angeles depuis 2006. Il s’était désolidarisé de Karadima, bien avant que n’éclate le scandale. Il est quand même classé conservateur, et avait soutenu la nomination de Barros.

    Voilà pour le côté Goliath.

    Du côté de David

    Il nous faut citer les victimes, les laïcs qui résistent à l’évêque Barros, et quelques-uns de leurs soutiens.

    Les victimes de Karadima et leur avocat

    Elles sont nombreuses et beaucoup ne sont pas identifiées. Trois d’entre elles ont entrepris ensemble une action. C’est eux que nous désignerons sous le vocable « les victimes », mais ils disent bien qu’ils se battent pour toutes les victimes.

    James Hamilton est chirurgien gastro-entérologue à Santiago.

    Juan Carlos Cruz est journaliste, il est actuellement responsable de communication en entreprise. Il réside aux États-Unis.

    José Andrés Murillo, philosophe et écrivain, a fait notamment une thèse « Sociologie du pouvoir » à l’Université Paris VII/Denis Diderot. Il a créé une fondation : la « Fundación para la Confianza », qui reçoit les victimes d’abus sexuels et leur vient en aide dans tous les domaines.

    Verónica Miranda a été l’épouse de James Hamilton : nous

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