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Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)
Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)
Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)
Livre électronique732 pages10 heures

Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)

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DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)», de Michel Houssaye. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547432883
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    Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625) - Michel Houssaye

    Michel Houssaye

    Le père de Bérulle et l'Oratoire de Jésus (1611-1625)

    EAN 8596547432883

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    CHAPITRE PREMIER.

    CHAPITRE II.

    CHAPITRE III.

    CHAPITRE IV.

    CHAPITRE V.

    CHAPITRE VI.

    CHAPITRE VII.

    CHAPITRE VIII.

    CHAPITRE IX.

    CHAPITRE X.

    CHAPITRE XI.

    CHAPITRE XII.

    CHAPITRE XIII.

    CHAPITRE XIV.

    PIÈCES JUSTIFICATIVES

    N° I.

    N° II.

    N° III.

    N° IV.

    N° V.

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    CHAPITRE PREMIER.

    Table des matières

    ORIGINES DE L’ORATOIRE.

    1611.

    État de l’Église de France en 1611. — Ignorance du clergé et du peuple. — Superstition. — Pauvreté des églises. — Corruption des ecclésiastiques. — Les évêques. — Difficultés de leur administration. — Les chapitres. — Les abbés commendataires. — Les cures épiscopales. — Entreprises des magistrats. — Désirs de M. de Bérulle. — Entretien avec la Révérende Mère Madeleine de Saint-Joseph. — La marquise de Maignelay. — M. de Bérulle chez l’évêque de Paris. — Il est choisi pour fonder l’Oratoire. — Sa lettre au P. Romillion. — Premiers compagnons de M. de Bérulle. — M. Bence. — M. Gastaud. — M. Metezeau. — M. Bourgoing. — Saint Vincent de Paul. — M. Bourdoise. — M. de Soulfour. — L’hôtel du Petit-Bourbon. — Première journée de l’Oratoire, 11 novembre 1611. — Visite du P. Coton. — Conférence de M. de Bérulle. — Lettres patentes de la Reine mère. — Donation de la marquise de Maignelay.

    C’était peu pour M. de Bérulle d’avoir, par la fondation du Carmel, ouvert à tant d’âmes les voies de la plus haute perfection. Depuis sa jeunesse il se sentait pressé d’une ambition plus vaste encore, celle de donner à son Dieu des prêtres dignes de ce nom . La tâche était immense: nul ne le savait mieux que lui. Ses relations avec les principaux évêques de France, ses rapports avec la cour, où se distribuaient les bénéfices, les voyages que lui imposait la supériorité des Carmélites, la renommée de sa vertu qui attirait naturellement vers lui ceux que désolaient les désordres du sanctuaire, tout servait à lui découvrir les plaies profondes, invétérées, de l’Église de France.

    Déjà, sans doute, plus d’une main habile et dévouée s’essayait à les guérir. M. de Bérulle applaudissait à ces nobles efforts, et bénissait Dieu d’un commencement de succès. Lié avec les Religieux les plus recommandables de son temps, il voyait, et c’était pour lui une immense joie, la régularité rentrer dans bien des cloîtres, la sainteté même y fleurir. Les Capucins, les Feuillants, les Minimes , menaient une vie digne de leurs héroïques fondateurs, tandis que la Compagnie de Jésus offrait à tous les yeux l’exemple de grandes vertus protégées par une incomparable discipline. La plupart des couvents et des abbayes n’en demeuraient pas moins livrés à une honteuse licence . D’ailleurs était-ce des Ordres religieux ou monastiques seuls que pouvait venir le salut? N’était-ce point surtout du clergé séculier, qui, sous la juridiction des évêques, a la mission de prêcher les vérités de l’Évangile et de conférer la grâce des sacrements? Or, ce clergé était tombé dans une dégradation que M. de Bérulle, l’esprit et le cœur tout pleins de la sublimité du sacerdoce, ne pouvait regarder sans une inexprimable douleur.

    L’ignorance régnait universellement. Comme les séminaires n’existaient point encore et que les écoles presbytérales tombaient en ruine, aucune étude sérieuse ne préparait à la réception des saints ordres ceux qui s’engageaient, en les recevant, à devenir la lumière du monde. Dès qu’un jeune homme savait assez de latin pour expliquer un évangile de la messe et entendre le bréviaire, on le jugeait capable d’être élevé au sacerdoce . Ce que devenaient l’administration des sacrements et l’instruction religieuse en de telles mains, il est facile de le concevoir . On trouvait des prêtres qui baptisaient sans faire aucune onction, qui bénissaient des mariages sans en avoir les pouvoirs, qui ne savaient même pas la formule de l’absolution, qui se permettaient de changer, d’abréger, de transposer à leur gré les augustes paroles du plus redoutable des mystères . Voués au mutisme, ces pasteurs indignes désertaient la chaire: plus de prônes, plus de catéchisme; le peuple, privé de toute instruction, ignorait jusqu’aux vérités dont la connaissance est nécessaire au salut, parfois même jusqu’à l’existence de Dieu, tandis que la superstition, fille honteuse de l’ignorance, comptait par milliers ses victimes. Observance des jours heureux et malheureux, célébration du sabbat, recours aux philtres, aux maléfices, aux ligatures, les gens du peuple croyaient, faisaient tout ce que leur enseignaient les sorciers. Devins et magiciens pullulaient, se riant des édits portés contre eux. Vainement les évêques, dans leurs statuts synodaux, s’efforçaient de proscrire ce mal horrible : non-seulement les prêtres ne secondaient que mollement les prélats, mais il en était même qui se livraient aux plus abominables superstitions: jusque sur l’autel, Satan régnait parfois .

    Quel respect pouvait avoir pour les églises, quel zèle pour les relever et les entretenir, un tel clergé ! Et cependant, jamais peut-être il n’avait été plus urgent de s’en occuper. Le nombre des paroisses détruites par les calvinistes était incalculable. Les plaines seules de la Beauce en avaient vu disparaître trois cents. Dans toutes les provinces où dominaient les réformés, dans tous les lieux témoins de quelque bataille, les églises étaient dépouillées, presque en ruine. Ailleurs, faute d’argent, faute de foi surtout, on laissait les années accomplir librement leur œuvre de destruction. Des verrières défoncées, des autels à moitié brisés, des statues de saints mutilées, des ornements tombant en lambeaux; voilà l’aspect que présentait la maison de Dieu. Trop souvent, sur le seuil de ces temples misérables, les paroissiens trouvaient le pasteur qui, sans se donner la peine de quitter son surplis, les suivait au cabaret, y causait et buvait avec eux: s’ils avaient pour curé quelque bénéficier plus riche, l’office à peine terminé, ils Je voyaient passer au galop, étalant sur sa personne et sa monture le luxe le plus impudent, pressé de se rendre à l’appel des chasseurs, dont on entendait les fanfares dans la forêt voisine .

    Les mœurs d’un clergé si peu soucieux de ses devoirs étaient ce que l’on pouvait attendre de la licence de l’époque. D’effroyables scandales venaient chaque jour réjouir les réformés et défrayer l’éloquence de leurs ministres. «Le nom de prêtre était devenu synonyme d’ignorant et de débauché » , et M. Bourdoise, un ami de M. de Bérulle, n’exagérait rien lorsqu’il s’écriait, outré de douleur: «On peut dire avec vérité et avec horreur que tout

    » ce qui se fait de plus mal dans le monde est ce qui se fait

    » par les ecclésiastiques .»

    Une chose attristait plus profondément encore M. de Bérulle que la navrante réalité des scandales présents, c’était la difficulté d’y remédier.

    L’épiscopat, en effet, n’était pas innocent de tous ces maux. Sans doute, en l’année 1611, l’Église de France comptait des prélats de foi et de zèle: M. de Gondi à Paris, M. de la Rochefoucauld à Senlis, M. de Joyeuse à Rouen, M. de Sourdis à Bordeaux, M. du Perron à Sens; à Chartres M. Hurault, à Mâcon M. Dinet, à Belley M. Camus, à Luçon M. de Richelieu, s’efforçaient par leurs vertus et leurs œuvres de rendre à l’épiscopat l’autorité qu’il avait perdue. Mais M. de Bérulle le savait bien, ils étaient l’exception. «Les trois quarts des » bergeries et troupeaux sont dépourvus de légitimes et

    » vrais pasteurs», disait tristement en 1596 l’évêque du Mans . Depuis quatorze ans, Henri IV avait cherché à apporter dans l’Église le bon ordre, comme dans l’État; mais seul, il ne pouvait suffire à une si difficile entreprise. Lui-même, d’ailleurs, ainsi que le lui reprochait dans son langage figuré un contemporain, ne déployait pas toute la sévérité nécessaire contre les Giezi qui vendaient, et les Simon qui achetaient les dignités ecclésiastiques. Recrutés en grande partie dans la noblesse , voués presque de force au service des autels, quand ils étaient cadets de famille ou menacés de quelque infirmité , passant brusquement des plaisirs de la cour aux austères devoirs du sacerdoce, sans autre préparation qu’une ordonnance royale due peut-être à d’inavouables sollicitations, souvent nommés évêques avant même que d’avoir reçu les saints ordres , ces prélats de rencontre apportaient à l’Église les âmes les moins ecclésiastiques du monde . Leur tenue répondait à leur vocation. On les voyait rarement porter la soutane violette et la croix d’or, «comme s’ils eussent craint», disait l’évêque de Belley , «d’être reconnus parmi les gens » de dévotion.» Il en était de si étrangement chatouilleux sur le point d’honneur, qu’on les empêchait à grand’peine d’aller sur le pré croiser le fer avec quelque gentilhomme dont ils s’estimaient les offensés . Habitués à un grand état de maison, persuadés qu’il fallait imposer au peuple par la magnificence de leur train, les meilleurs ne se faisaient nul scrupule de posséder, contrairement aux saints canons, de nombreux bénéfices. Un des prélats les plus recommandables d’alors, le cardinal de Joyeuse, n’en avait pas moins de six . Afin d’obtenir de telles faveurs, les évêques se permettaient de fréquents voyages à la cour, des séjours prolongés à Paris. Nombre d’entre eux ne se rendaient dans leurs diocèses que pour briguer les voix des provinces et être envoyés aux assemblées générales, où ils se montraient beaucoup moins préoccupés du bien de l’Église que de leurs propres intérêts . Aussi le devoir de la résidence était-il tellement oublié que Henri IV répondant aux remontrances de M. de Villars, archevêque de Vienne, s’en était expliqué de la manière la plus mordante et la plus vive. «Je suis

    » offensé de la longueur de votre assemblée et du grand

    » nombre de vos députés. L’on assemble ainsi un grand

    » nombre de personnes quand on a envie de ne rien

    » faire qui vaille..... Souvenez-vous que nous allons

    » entrer en carême, quelles sont vos charges, et que vos

    » présences sont nécessaires en vos églises. Vous met-

    »tez par vos longueurs les pauvres curés à la faim et au

    » désespoir. Je me veux joindre à eux..., je serai chasse-

    » avant.» Une telle conduite de la part des évêques n’encourageait guère le Roi à pourvoir aux besoins des églises, si délaissées cependant, qu’en 1596, de quatorze archevêchés six étaient sans pasteurs, et de cent évêchés trente ou quarante étaient dépourvus de titulaires, et depuis des années . Avoir un évêque et ne le voir jamais, ou n’en avoir pas, semblait d’ailleurs chose pareille à un peuple malheureux et abandonné. En effet, le résultat était le même: laissé sans direction, le clergé s’enfonçait de plus en plus dans l’ignorance et le désordre.

    Mais comment les évêques instruits, réguliers, fidèles à leurs devoirs, ne s’efforcent-ils point d’apporter un remède efficace à des maux si extrêmes? La raison en est simple et douloureuse. Du jour où un évêque veut prendre en main l’administration de son diocèse, de toutes parts des obstacles presque insurmontables se dressent devant lui. Il est sans pouvoir sur ses prêtres. «La mousse des exemptions, qui a fait tant de mal à

    » l’arbre de l’Église», comme l’écrivait saint François de Sales, s’est étendue partout . Ce ne sont plus seulement les grands ordres religieux, Frères Prêcheurs, Frères Mineurs, Clercs réguliers, qui se déclarent soustraits à la juridiction de l’Ordinaire: de si sérieux avantages compensent ici les inconvénients de l’exemption, que le saint Concile de Trente a de nouveau confirmé leurs priviléges. Ce sont les Chapitres qui se considèrent maintenant comme exempts, et dans la crainte de voir aboli cet abus déplorable, joignent leurs efforts à ceux de la magistrature pour empêcher en France la publication du Concile de Trente . Leurs prétentions n’ont plus de limite. A Bordeaux, les chanoines de la Primatiale traduisent leur archevêque devant le parlement de Guienne, parce que, de son autorité privée, il a détruit, pour le faire reconstruire, un autel que leur négligence laissait tomber en ruine, et, ce qui est plus grave, ils dénient à M. de Sourdis le droit de nommer à une infinité de cures, lesquelles relèvent, prétendent-ils, du chapitre de Saint-André . La moindre tentative de réforme dans ces provinces sera aussitôt taxée d’attentat à leurs droits par des chanoines ridiculement jaloux de leur autorité. Et il en est ainsi dans la plupart des diocèses.

    Ce n’est pas tout. L’abus révoltant de la commende, qui livre le titre d’abbé, avec la plus grande partie des biens d’un monastère, à des ecclésiastiques étrangers à la vie régulière, souvent même à de simples laïques, après avoir amené partout l’abaissement et la ruine des ordres monastiques, a étendu ses ravages jusque sur le clergé séculier .

    La présentation à la plus grande partie des cures était un des droits dont jouissaient les abbayes. Or ce droit passe avec les abbayes elles-mêmes aux titulaires que leur impose la cour, c’est-à-dire, à des enfants au berceau, aux bâtards des Rois de France, à des gentilshommes laïques, à des capitaines, souvent même à des protestants . Quel soin de tels abbés prendront-ils de pourvoir leurs églises de bons pasteurs? Croit-on que ce sera le souci de Corisande d’Andouins, comtesse de Guiche, qui possède depuis 1601 l’abbaye de Châtillon, où saint Bernard avait été élevé; la préoccupation du duc de Sully, auquel Henri IV, pour arracher cinquaute mille écus destinés à mademoiselle d’Entraigues, trouve fort simple d’octroyer une nouvelle abbaye, quoiqu’il fût déjà pourvu de trois autres ? Non-seulement de tels patrons ne se préoccupent nullement de choisir des prêtres respectables, mais, à en croire l’évêque de Luçon, ils n’ont pas honte, pour décrier plus sûrement l’Église, dont ils usurpent les biens, de confier les cures à des prêtres indignes . Il est vrai que par l’édit de décembre 1606 on avait essayé de porter remède à un si criminel abus; mais il en était de cet édit comme de tant d’autres: on trouvait toujours moyen de l’éluder .

    Restent les paroisses à la nomination des évêques. Là, du moins, ils peuvent exercer leur autorité. Mais ces cures sont d’ordinaire tellement pauvres qu’un homme de médiocre savoir s’offenserait d’y être nommé, et si, par grand hasard, elles ont quelque revenu, les titulaires en recueillent les fruits, mais n’en font pas la charge, qu’ils abandonnent avec des gages insuffisants à des vicaires peu respectés .

    Indigné de tant d’abus, un évêque essaye-t-il de réduire à la règle un prêtre rebelle, il est rare que celui-ci ne trouve pas un protecteur dans le gouverneur de la province, presque toujours antagoniste de l’évêque, ou dans le parlement, dont les membres, hommes religieux d’ordinaire, mais jaloux d’étendre leur juridiction, s’empressent d’écouter ses plaintes et d’enregistrer ses appels. Gens du Roi et gens de robe, en garde contre un pouvoir dont les souvenirs si récents de la Ligue et les amères déclamations de Richer leur inspirent la terreur, s’efforcent d’étouffer tout conflit, au risque d’empêcher toute réforme. Quand le prélat persiste, ils le somment de comparaître en personne pour rendre raison de ce qu’il s’est acquitté de sa charge, comme s’il était coupable et répréhensible. Alors c’est une succession d’excommunications, de saisies du temporel, d’interdits, d’emprisonnement des gens de l’évêque, qui étonne le peuple, le scandalise, et ruine tout respect pour les deux pouvoirs .

    Et pourtant, on ne peut laisser périr l’Église de France! Que faire donc pour la relever de ses ruines? Ouvrir des séminaires? Oui, sans doute, c’est le moyen, le seul vraiment efficace, de léguer à l’avenir des générations de prêtres instruits et vertueux. Aussi, depuis le décret porté par le saint Concile de Trente , tous les synodes réunis en France ont-ils exprimé le vœu que dans le plus bref délai des séminaires fussent créés . Mais, sauf J’antique fondation du vénérable Pierre Perland à Bordeaux, celle plus récente du cardinal de Lorraine à Reims, une tentative de Gaspard Dinet à Mâcon, une autre à Carpentras , établissements fort imparfaits d’ailleurs, le vœu des Conciles était demeuré stérile. Pour former des prêtres, il faut des prêtres: où les trouver?

    Tel était depuis longtemps l’objet des réflexions de M. de Bérulle. Témoin attentif et attristé de tant de maux, il y cherchait un remède, demandant sans relâche au ciel la lumière, à la terre des hommes de bonne volonté. Si profonde et si générale que fût la corruption, il ne pouvait croire que l’Église n’offrît point un prêtre capable de se dévouer à cette œuvre des œuvres. Il avait espéré d’abord que ce serait François de Sales, puis César de Bus , puis quelque disciple de saint Philippe de Néri ; tous ont décliné ses offres. Il faut maintenant qu’il prenne lui-même la direction de l’œuvre, ou qu’il renonce à la voir jamais se réaliser.

    Pour exciter le courage de M. de Bérulle, les amis qui le pressent de fonder la nouvelle société lui montrent le succès comme assuré. Neveu du président Séguier, auquel la Reine mère avait de récentes obligations , il pouvait compter sur l’appui de la cour. La marquise de Maignelay, qui s’était jetée à ses pieds pour obtenir son consentement, lui offrait tout l’argent nécessaire; madame Acarie affirmait que la Compagnie à laquelle il songeait manquait à l’Église, et qu’il était dans les vues de Dieu qu’il s’employât à la fonder. La Mère Madeleine de Saint-Joseph enfin, poursuivant le même but, redoublait de prières auprès de Notre-Seigneur, d’instances auprès de son saint ami .

    Il n’avait pu se décider encore, lorsqu’un jour, s’entretenant au parloir avec la Mère Madeleine, il sentit tout à coup son cœur rempli d’une incroyable effusion de l’Esprit de Dieu, et comme changé en un autre homme, il ne put retenir le cri du Prophète: Annuntiate inter gentes studia ejus . En même temps, il vit dans ces paroles tout ce que Dieu attendait de la nouvelle Congrégation; comment elle devait manifester et faire entendre aux fidèles le grand dessein de l’Incarnation du Verbe, et tous les mystères accomplis en sa personne sainte durant le cours de trente-trois ans; comment aussi «elle devoit conduire

    » les âmes pieuses à ces mesmes mistères, afin qu’estant

    » plongées dans les fontaines du Sauveur, elles bussent

    » d’une si féconde source et fussent remplies de la grâce

    » et de la céleste douceur qui s’y trouve.» M. de Bérulle, tout perdu en Dieu, achevait ces mots, lorsque la Mère Madeleine, saisie du même esprit et pénétrée de la même lumière: «Qu’est-ce que j’entends?» s’écria-t-elle à son tour, «je suis toute hors de moy de ce que vous me dites.

    » Oh! si je pouvois contribuer à cette œuvre par la perte

    » de ma vie, je ne l’épargnerois pas. Que tardez-vous? Ne

    » soyez plus maintenant en doubte. Est-ce que vous atten-

    » dez des indices plus certains de l’appel et du comman-

    » dement de Dieu !» M. de Bérulle se rendit. Le Carmel

    venait de donner l’Oratoire à l’Église.

    Tandis que, dans le parloir des Carmélites, Dieu faisait entendre ses volontés à son serviteur par l’inspiration intérieure de la grâce et par la parole si puissante de la Mère Madeleine, la marquise de Maignelay suppliait son frère, l’évêque de Paris, d’user de son autorité vis-à-vis de M. de Bérulle. «C’est l’unique moyen de le soumettre», lui dit-elle, «vous ne devez point hésiter à l’employer.» M. de Gondi, universellement respecté pour la pureté de ses mœurs et la sincérité de son zèle , avait à cœur de faire fleurir la piété dans son diocèse. L’établissement des Carmélites rue Saint-Jacques et rue Chapon, des Capucines rue Saint-Honoré, des Minimes à la place Royale, des Carmes déchaussés au faubourg Saint-Germain, témoignait assez de sa sollicitude pour les Ordres religieux . Il désirait plus vivement encore la réforme du clergé séculier. Aussi n’eut-il pas de peine à suivre le conseil de madame de Maignelay, et il manda M. de Bérulle.

    Le saint prêtre crut devoir exposer une fois encore à son évêque les raisons qu’il avait de douter de lui-même. Mais lorsque M. de Gondi, après les avoir réfutées, lui eut enjoint, au nom de l’obéissance canonique, de se soumettre, M. de Bérulle, sans insister davantage, se jeta aux genoux de son supérieur, lui demanda sa bénédiction, et déclara qu’il était prêt à faire tout ce qu’il lui commandait. Il le pria seulement de vouloir bien assembler chez lui quelques docteurs éclairés, et quelques Religieux d’expérience et de vertu, afin qu’il pût conférer avec eux des moyens les plus propres à faire réussir l’œuvre projetée. Dans cette assemblée, à laquelle assistèrent entre autres le P. Coton et le docteur Duval, M. de Gondi, après avoir exposé les grands avantages que l’Église et l’État retireraient du projet en question, ajouta qu’il ne connaissait personne qui fût aussi capable que M. de Bérulle de le conduire selon les règles de la sagesse et de la prudence chrétiennes, car depuis longtemps l’Église de France n’avait point produit une lumière si éclatante, et il serait déplorable de la laisser davantage sous le boisseau. Tous répondirent qu’en donnant son avis M. de Gondi avait exprimé le leur.

    M. de Bérulle tenta alors de partager l’honneur qu’on venait de lui déférer. Admirateur des vertus du vénérable curé d’Aumale, M. Gallemant, il le conjura de ne point refuser à la congrégation qui se formait le secours de son expérience et de son zèle. M. Gallemant, fatigué, infirme même, ne put se rendre au désir de M. de Bérulle.

    Obligé de garder pour lui seul la supériorité, le pieux fondateur espérait du moins rencontrer des coopérateurs qui, formés par un homme de Dieu, viendraient en aide à sa jeunesse. Il crut les avoir trouvés en la personne des PP. Pierre de Bermond et Jacques Deretz, Ces deux ecclésiastiques appartenaient à la Congrégation de l’Oratoire de Provence. Envoyés à Paris pour aider mademoiselle de Sainte-Beuve dans la fondation des Ursulines, ils venaient sans cesse à l’hôtel de Saint-André, où ces Religieuses habitaient . C’était dans le voisinage des Carmélites, et tout auprès de M. de Bérulle, qui les avait fréquentés assidûment. Par eux et par le dire de tous, il connaissait la sainteté de leur supérieur, le P. Romillion. Ce grand serviteur de Dieu, calviniste ardent d’abord, puis apôtre presque aussitôt que néophyte, s’était consacré entièrement à l’instruction du pauvre peuple. Après avoir travaillé avec César de Bus, il s’était séparé de lui au moment où l’instituteur de la Doctrine chrétiennecrut devoir exiger des vœux de ses disciples. L’œuvre du P. Romillion n’avait point souffert de cette pénible séparation, et il gouvernait plusieurs maisons florissantes en Provence, lorsque M. de Bérulle lui écrivit pour implorer son aide. Dans cette lettre, d’une simplicité et d’une humilité touchantes, il exposait d’abord au P. Romillion comment, malgré tous ses efforts, il se voyait transformé en fondateur par la volonté de son évêque.

    «Je vous supplie très-affectueusement, lui disait-il, de

    » trouver bon qu’il y ait une entière et parfaite associa-

    » tion entre vous et nous, entre votre œuvre et celle-ci

    » que l’on nous fait entreprendre par deçà, et que tous

    » deux, bien qu’en lieus différants, et avec quelque petite

    » diversité, nous soyons conduits et liez par ensamble d’un

    » mesme esprit de charité, de former à la gloire de Jésus-

    » Christ une institution salutaire de prestres en leurs saints

    » offices et ministères.» Il demandait en même temps au P. Romillion si, en vertu de cette association, il n’aurait pas pour agréable de «lui prêter le P. Deretz» et quelques autres avec lui, afin d’en recevoir assistance dans les commencements. Le même jour, il écrivait à madame de la Fare, à Avignon, la priant «de disposer » le bon P. Romillion à ce qui estoit désiré de luy». Étonné de ne pas recevoir de réponse, M. de Bérulle prit de nouveau la plume; même silence. Il ne se l’expliquait pas, lorsqu’au mois d’août il apprit que ses lettres s’étaient perdues: «Nostre supérieur», lui écrivait le P. de Bermont, «m’a donné charge de vous en aduer-

    » tir, vous priant de sa part de croire que luy et toute

    » nostre Congrégation est vouée à vostre service, et qu’il

    » estimeroit résister au Saint-Esprit, s’il ne s’efforçoit de

    » seconder vostre zèle, et donner (autant qu’il luy sera

    » possible) toute satisfaction à vos charitables désirs .»

    Quand M. de Bérulle reçut cette réponse, les choses étaient trop avancées pour qu’il eût la liberté de surseoir à l’exécution d’un projet déjà tant de fois ajourné. Il lui fallut donc commencer avec les éléments qu’offrait Paris. Douze docteurs de la Faculté de théologie lui avaient donné leur parole. Deux d’entre eux seulement lui restèrent fidèles: M. Bence et M. Gastaud.

    M. Bence était originaire de Rouen. Aussi ardent à approfondir par l’étude les vérités de la foi que constant à y chercher la règle de ses actes et de sa vie, il était, depuis douze ans, docteur de la maison et société de Sorbonne. La générosité de son désintéressement, la pureté de son zèle, son expérience des choses de Dieu; une rare connaissance des saintes Écritures, le rendaient une acquisition précieuse pour une congrégation naissante .

    Docteur de Sorbonne, comme M. Bence, M. Jacques Gastaud avait quitté Niort, sa patrie, pour se fixer à la Rochelle, où il s’employait à la réforme du clergé avec une vigueur admirable, que facilitait son titre d’official et de grand vicaire du diocèse de Saintes. Il n’eut pas plus tôt appris le dessein de M. de Bérulle, qu’il accourut se ranger sous sa conduite. Plein de foi, la main toujours ouverte pour donner, mais habitué au commandement, M. Gastaud mêlait à de grandes qualités un attachement à son sens propre, une susceptibilité même qui parfois en ternissaient l’éclat et rendaient son commerce difficile .

    A M. Bence et à M. Gastaud se joignit bientôt un jeune licencié de la Société de Navarre, M. Paul Metezeau. Né à Paris, d’une famille originaire de Dreux, il n’avait en 1611 que vingt-huit ans; mais déjà remarquable par l’élévation de son esprit et l’étendue de ses connaissances, il l’était plus encore par un zèle tout apostolique, une piété aussi large qu’intime, et l’attrait tout-puissant qui ne lui laissait trouver de repos et de bonheur que dans la contemplation des états et des mystères de Jésus-Christ. Aussi, quoiqu’il en coûtât à son cœur, il se sépara de frères tendrement aimés pour venir prendre place dans la petite société qui commençait à se grouper autour de M. de Bérulle .

    Le quatrième compagnon du jeune fondateur appartenait à une ancienne famille du Nivernais établie à Paris depuis la fin du quinzième siècle, et bien connue dans la robe. Doué d’une santé robuste qui résistait à sa prodigieuse application au travail, d’une mémoire étonnante, de la plus heureuse facilité pour les sciences, François Bourgoing avait hérité de ses pères une fermeté dans le caractère que sa haute piété tempérait à propos pour l’empêcher de dégénérer en rigueur. Bachelier en théologie, il avait eu d’abord la pensée de se présenter au doctorat, dont il eût facilement conquis les palmes. Mais il nourrissait depuis sa plus tendre enfance une autre et meilleure ambition. «Prêtre par son zèle, par la gravité de

    «ses mœurs, par l’innocence de sa vie, avant que de l’être» par l’imposition des mains de l’évêque, dès qu’il eut reçu le caractère du sacerdoce, il ne songea plus qu’à en exercer les fonctions. La petite cure de Clichy, aux portes de Paris, était le théâtre de son zèle, lorsqu’il apprit que M. de Bérulle, son parent ou son allié, pensait à établir «une institution qui avait pour son fondement le désir

    » de la perfection sacerdotale». Sans plus délibérer, M. Bourgoing accourut vers le serviteur de Dieu, qui le reçut à bras ouverts, et se chargea même de lui trouver un successeur dans sa cure .

    Ce successeur était un saint. On l’appelait M. Vincent. Il y avait plus de deux ans que M. de Bérulle et saint Vincent, attirés par un même amour pour les membres souffrants de Jésus-Christ dans les salles de l’hôpital de la Charité, s’y étaient rencontrés pour la première fois . Leurs âmes se lièrent dès lors si étroitement, que Vincent de Paul voulut se mettre sous la conduite de M. de Bérulle . Ce fut en la présence de son nouveau directeur que Vincent s’entendit un jour accuser par l’un de ses compatriotes, le juge de Sore, d’un vol de quatre cents écus: «Dieu sait la vérité », avait simplement répondu le saint calomnié ; et tant de paix dans l’opprobre avait augmenté encore l’admiration que ressentait déjà pour lui le guide de son âme. Nommé, peu de temps après, aumônier de la reine Marguerite, saint Vincent venait chercher sur les hauteurs du faubourg Saint-Jacques un air plus vivifiant et plus pur que celui que l’on respirait à la petite cour de la rue de Seine. Marguerite, toujours jeune, malgré les années, en vraie Valois qu’elle était, menait de front bien des choses, dont l’alliance confondait le bon sens et la foi de son jeune aumônier. Il ne comprenait pas qu’on dotât des couvents, et qu’on ne payât pas ses dettes; qu’à des entretiens subtils sur la dévotion, succédassent, sans transition, des propos qu’il ne pouvait entendre. Sa place ne lui semblait pas là. Déjà d’ailleurs, dans un mouvement de charité héroïque, il avait attiré sur son âme, pour en délivrer un docteur de ses amis, la plus douloureuse des tentations; sa foi si pure était non pas troublée, mais éprouvée ; enfin il voulait apprendre ce que Dieu réclamait de son zèle, et s’y préparer: autant de motifs suffisants pour le décider à quitter la reine Marguerite, et à se fixer auprès de M. de Bérulle. Il vint donc, non dans le but de s’agréger à sa congrégation, saint Vincent de Paul n’y avait jamais pensé ; mais afin de lui ouvrir plus librement son cœur, de lui faire connaître plus complétement ses penchants et ses inclinations. M. de Bérulle reconnut aussitôt que Vincent était appelé à de grandes choses. Il lui prédit même que Dieu se servirait de lui un jour pour former une nouvelle congrégation de prêtres dont les travaux seraient bénis du ciel . Et comme pour le disposer à une mission si grande, il résolut de l’appliquer au ministère paroissial. Vincent n’accepta qu’avec peine un fardeau sous le poids duquel il craignait de succomber. Mais M. de Bérulle tint ferme, et le 13 octobre M. Bourgoing signait la résignation de sa cure de Clichy en faveur de Vincent de Paul.

    Attiré comme saint Vincent vers M. de Bérulle par le désir de puiser à son école l’esprit sacerdotal, le célèbre M. Bourdoise était venu se joindre à la congrégation naissante. C’était un homme de foi, de vie austère et pénitente, ardent à la réforme du clergé, absolu en ses jugements, incapable de ménagements, d’une verve intarissable dans ses reproches et ses reparties. Né en 1585, au diocèse de Chartres, orphelin de bonne heure, il avait conçu dès sa plus tendre enfance une si haute idée de ce que devait être un ecclésiastique, il avait été si profondément indigné de l’abaissement, du mépris universel dans lequel vivait le clergé, par sa faute, qu’il résolut de tout faire pour le relever aux yeux du peuple . Son zèle était admirable, et sa grande charité et religion lui devenaient au besoin lumière . Malgré le peu d’attrait de M. Bourdoise pour les considérations dogmatiques, malgré sa piété assez portée au dehors, les singularités mêmes où se laissait trop souvent emporter son amour pour le rétablissement de la discipline et l’observation des saintes cérémonies de l’Église, M. de Bérulle aurait ouvert avec joie les portes de l’Oratoire à un homme d’une vertu si recommandable, mais M. Bourdoise entendait en un sens un peu étroit la réformation du clergé. Il estimait qu’avant tout il fallait s’établir dans une paroisse et en faire vivre les prêtres en commun. Aussi, quand il sut que M. de Bérulle pensait à réunir d’abord sa congrégation dans une maison particulière, malgré son estime pour le fondateur de l’Oratoire, rien ne put le retenir, et il le quitta.

    Il en fut de même, mais pour une cause bien différente, de M. de Soulfour. Ce pieux gentilhomme, fort estimé par saint François de Sales et par madame Acarie, avait reçu de M. de Bérulle le plus cordial accueil, et il comptait se joindre à ses premiers disciples, lorsque le cardinal de la Rochefoucauld, chargé de présenter au Pape, de la part du nouveau Roi, le compliment d’obédience, voulut l’attacher à sa maison. Ce fut un coup providentiel. Arrivé à Rome, M. de Soulfour s’occupa, avec autant d’intelligence que de zèle, à préparer la reconnaissance par le Saint-Siège de la nouvelle société. Il fit mieux encore. Tout le désir de M. de Bérulle, comme il l’écrivait à son ami, eût été de ne «commencer ce petit œuvre qu’après une assidue » et longue prière en ces saints lieux». M. de Soulfour le remplaça, et offrit, au nom de son supérieur, la congrégation à Jésus et à Marie, dans tous les sanctuaires où ils sont plus religieusement honorés.

    Tandis que M. de Bérulle adressait ces pieuses recommandations à M. de Soulfour , il habitait toujours les dehors du monastère des Carmélites, et cherchait un logis plus grand où il pût se retirer avec ses premiers compagnons. De l’autre côté de la rue Saint-Jacques, presque en face du couvent de l’Incarnation, s’élevait une maison nommée anciennement le fief de Valois, ou le Petit-Bourbon. Des princes de ce nom, elle avait passé au médecin de Louise de Savoie, Jean Chapelain, puis à ses héritiers, M. de Bérulle fit à ceux-ci des propositions qu’ils acceptèrent. Il ne s’éloignait pas de ses chères Carmélites. Le lieu était silencieux, retiré. Des couvents en formaient le seul voisinage, et des champs à perte de vue en étaient, d’un côté du moins, l’unique et tranquille horizon .

    C’est dans cette modeste demeure que, le 10 novembre, M. de Bérulle entra, suivi de MM. Bence, Gastaud, Metezeau et Bourgoing, auxquels se joignit M. Caron, curé de Beaumont, au diocèse de Beauvais . Le soir, après le repas, M. de Bérulle convint avec ses compagnons que la journée commencerait dorénavant par l’oraison, et que l’on mangerait en commun. Il n’insista pas, «laissant le » reste à la piété d’un chacun», puis tous se retirèrent pour prendre leur repos et se préparer dans le silence à la grande solennité du lendemain.

    Le Il novembre 1611, tout au dehors était encore plongé dans la nuit; mais déjà les cloches annonçaient par leurs joyeuses volées la fête du plus grand évêque de l’Église de France, saint Martin, lorsque M. de Bérulle et ses premiers disciples, impatients de prévenir le jour, se réunirent dans la chapelle improvisée du Petit-Bourbon. A la gravité de leur attitude, à la profondeur de leur recueillement, à une émotion qu’ils ne pouvaient contenir, il était facile de deviner ce qu’en cette heure solennelle le souverain Prêtre opérait dans l’âme de ses fidèles serviteurs. Ils n’étaient point seuls, et le moment de la communion arrivé, M. de Bérulle aperçut devant lui M. de Marillac, madame d’Autry, madame Acarie, et la marquise de Maignelay, qui venaient, en recevant Jésus-Christ, le remercier de l’accomplissement de leurs désirs. Si la Mère Marie des Anges et la Mère Madeleine de saint Joseph étaient absentes de corps, elles étaient présentes de cœur et d’âme à une fête que leurs conseils et leurs prières avaient depuis longtemps préparée.

    Au dîner, qui eut lieu vers midi, M. de Bérulle présida et récita le Benedicite, M. Gastaud servit, et M. Bourgoing fit la lecture. M. de Bérulle leur dit alors que l’usage à l’Oratoire de Rome était, avant de sortir de table, de faire ce que l’on appelait «la proposition», c’est-à-dire, de poser sur la sainte Écriture des questions auxquelles chacun répondait. Pour lui., ajouta-t-il, il lui semblait plus convenable de ne se livrer à cet exercice que lorsqu’ils se trouveraient tous ensemble, après le repas. Cet avis fut adopté. On convint également que le sujet de ces conversations serait un texte de l’Écriture, un cas de conscience, un trait de l’histoire ecclésiastique, ou quelque question de piété.

    Tandis qu’ils étaient ainsi réunis, le P. Coton, cet ami si sûr de M. de Bérulle, les vint voir et embrasser. Il les trouva uniquement occupés des moyens de faire revivre dans le clergé la piété des anciens jours, et s’ en entretenant avec une foi, une chaleur qui le ravirent. Ils ne parlaient de rien moins que de passer les mers, pour aller évangéliser les infidèles: «Ce sera», leur répondit le P. Coton, «quand il y aura des évêques et des curés.» A quoi ils repartirent qu’ils ne cherchaient point les bénéfices et les dignités ecclésiastiques, et que, fidèles au précepte de l’Apôtre, ils n’aspiraient point à dominer dans l’Église, mais seulement à la servir . Le P. Coton fut extrêmement édifié, et il les quitta, joyeux de voir se réaliser, avec la prophétie de madame Acarie, un de ses vœux les plus chers .

    Sur les quatre heures du même jour, M. de Bérulle fit une conférence de piété. Il traita des sentiments d’humilité et d’anéantissement dont devaient être remplis ceux qui entraient au service de Dieu: il en était si pénétré lui-même, qu’il faisait passer aisément dans l’âme de ses frères les grâces dont débordait son cœur. Sa seule peine était l’obligation où il se voyait de les présider; et se rappelant le prêtre vénérable avec lequel il avait eu le bien de converser en Espagne: «Oh! si nous avions au milieu de

    » nous le saint prêtre Avila », disait-il, «nous nous jet-

    » terions à ses pieds. Là, nous apprendrions les desseins

    » de Dieu sur nous, et il nous suffirait seul .»

    Le lendemain, le réveil eut lieu à quatre heures, et aussitôt après le lever, l’oraison en commun. On récita Prime au chœur, le matin; dans l’après-midi, les Vêpres; le soir, Matines suivies des litanies et d’une demi-heure d’oraison . On continua ainsi, sans aucun changement dans le costume et sans aucun office public. Toute l’occupation de ces vertueux ecclésiastiques au-dedans était la prière, au dehors les catéchismes dans les environs de Paris, et les confessions dans les paroisses de la capitale. Une seule fois, ils sortirent tous ensemble pour se rendre à pied à Saint-Denis . Ils offrirent la Congrégation à l’Apôtre de la France, puis revinrent par Notre-Dame des Vertus, le pèlerinage préféré de M. de Bérulle. Ils y chantèrent, devant l’image de la très-sainte Vierge, les litanies composées en son honneur, la suppliant de prendre leur société sous sa maternelle protection.

    Cependant Dieu favorisait manifestement une œuvre entreprise uniquement pour sa gloire. La Reine mère, comprenant combien était nécessaire la Congrégation nouvelle, demanda au Roi et obtint, dès le mois de décembre 1611, des lettres patentes qui autorisaient son érection à Paris, et l’honoraient du titre de fondation royale . Suivant ces lettres de permission, Marie de Médicis fit expédier les siennes, en date du 2 janvier 1612 . Elle y exprimait son espoir de voir enfin, par l’influence de cette pieuse Compagnie, renaître la pureté de la religion «et sincérité des mœurs qui ont

    » rendu cy-devant la France si recommandable, et sou-

    » uentes fois invité le ciel d’en prendre la protection

    » contre tant de violens efforts desquels elle a esté agitée,

    » (et qui) se trouuent aujourd’huy tellement corrompues

    » et deprauées, que si l’on n’y apporte quelque ordre et

    » réformation, il est à craindre que ce qui reste de piété

    » se dissipe entièrement, et qu’alors Dieu retire les grâces et

    » bénédictions dont elle est ordinairement accompagnée.» Puis après avoir déclaré la Congrégation de fondation royale, «avec faculté de jouir des mesmes droits, fran-

    » chises et priviléges concédés aux autres maisons ecclé-

    » siastiques de ce royaume, fondées par les Roys deffunds», la Reine en finissant exhortait tous les catholiques «d’ay-

    » der et contribuer à l’advancement de ce bon œuvre, afin

    » qu’il parvienne d’autant plus tost à sa perfection,

    » et qu’ils puissent recueillir les fruits qu’ils en doivent

    » espérer.»

    La marquise de Maignelay n’avait pas attendu cette exhortation de la Reine pour donner à la Congrégation une preuve éclatante de sa générosité. Dès le jour où les premières lettres patentes avaient été obtenues, la sœur de M. de Gondi, «reconnaissant dans la nouvelle fondation » l’accomplissement de tous ses désirs», avait fait don à M. de Bérulle de la somme de cinquante mille livres tournois, à la seule charge d’être participante aux prières de la Congrégation, et de jouir des autres grâces et priviléges de fondatrice, tant pour elle que pour madame de Candale, sa fille, et ses descendants .

    A ces faveurs des grands se joignaient, pour animer le zèle de M. de Bérulle, les encouragements des plus vertueux prélats.

    M. le cardinal de Joyeuse aimait à se trouver avec les solitaires de l’hôtel du Petit-Bourbon pendant leurs heures de récréation, et à s’édifier dans leur commerce: il voulait déjà leur confier la direction de jeunes clercs dont il payait les frais d’études à Paris . Du fond de la Savoie, de ce cher Annecy dont il ne pouvait se séparer, le bienheureux évêque de Genève encourageait M. de Bérulle en sa sainte entreprise. Faisant allusion à plusieurs lettres qui s’étaient perdues: «En toutes, lui mandait-il, ie m’essayois de vous

    » tesmoigner l’ardent desir que i‘aurois de rendre quelque

    » sorte de service pour l’érection, institution et avance-

    » ment de vostre Congrégation, laquelle i’estime devoir

    » estre une des plus fructueuses et apostoliques œuvres

    » qui ayent été faites en France il y a longtemps: mais,

    » Monsieur, ie vois bien que ie n’aurai pas ce bonheur d’y

    » contribuer chose quelconque, sinon mes bons souhaits

    » et mes vœux. Car quant à l’hôtel de Nemours, il n’en

    » faut nullement parler.» Une lettre du saint évêque à madame Acarie exprimait les mêmes éloges et les mêmes regrets.

    Ainsi, dès le commencement de l’année 1612, les disciples de M. de Bérulle étaient à l’étroit dans l’hôtel du Petit-Bourbon, et devaient chercher une demeure plus vaste.

    Chaque jour en effet leur amenait de nouvelles recrues, et dans un prochain avenir, une société florissante se proposait de faire alliance avec eux, et d’accepter leurs usages, leur supérieur et leur nom. Ce fut le P. Romillion lui-même qui voulut en apporter l’assurance au fondateur de l’Oratoire. Touché du désir exprimé par M. de Bérulle dans de nouvelles lettres, que «Dieu

    » moyennât quelque sujet pour qu’ils se pussent entrevoir

    » et communiquer de bouche plus particulièrement», sans se laisser effrayer par la longueur du chemin et l’épuisement de ses forces, il résolut de se rendre à pied à Paris, et se mit bientôt en route. De Lyon, où il s’arrêta afin de visiter ses filles les Ursulines, il écrivit au supérieur de l’Oratoire que regardant son désir comme un commandement, il serait bientôt auprès de lui, pour lui soumettre en sa personne celle de tous les particuliers et le corps même de la Congrégation.

    La joie qu’éprouvèrent ces deux grands serviteurs de Dieu fut extrême, lorsqu’il leur fut donné de converser ensemble et de mettre en commun les lumières et les grâces que le ciel leur avait si abondamment départies. M. de Bérulle approuva fort l’addition faite aux règlements de l’Oratoire de Rome par le P. Romillion. Il avait décidé que les maisons déjà établies, ou celles qui s’établiraient à l’avenir, auraient «une parfaite communication et » correspondance spirituelle et temporelle», et que les sujets changeraient de demeure, selon les besoins des maisons et l’ordre des supérieurs. Ils tombèrent aussi d’accord sur une question capitale, celle du caractère purement ecclésiastique du nouvel institut, dans lequel, par une conséquence logique, on ne devrait faire aucun vœu. Puis ils conclurent l’union de toutes les maisons sous un même supérieur, aussitôt que celle de Paris serait établie par une bulle du Pape.

    Sur un point cependant ils eurent peine à s’entendre. M. de Bérulle voulait déférer au P: Romillion la supériorité : il s’appuyait sur ce que le supérieur de l’Oratoire de Provence était son ancien dans le sacerdoce; que sa congrégation, établie depuis environ douze ans, possédait déjà dix maisons, et comptait un bien plus grand nombre de prêtres que la petite société qui venait de naître à Paris. Mais, à cette proposition, le P. Romillion demeura d’abord tout interdit, puis, à peine remis de son étonnement, il se défendit avec une fermeté inflexible: M. de Bérulle dut céder, et lui promettre même que, aussitôt l’union conclue, il pourrait se retirer en une maison de Provence pour s’y disposer à la mort. L’espérance de n’avoir bientôt plus qu’à obéir remplit d’une inexprimable consolation cet humble prêtre. Ses vœux étaient comblés. Il se hâta de quitter Paris, refusant même de se rendre à la cour, où la Reine mère désirait le voir, et il revint à Aix, attendre l’accomplissement des promesses de M. de Bérulle .

    Tout semblait donc sourire au nouvel établissement. La cour le prenait sous sa protection, et, ce qui valait mieux encore, les saints lé bénissaient. Rien cependant n’était fini, Rome n’avait point parlé.

    CHAPITRE II.

    Table des matières

    LA BULLE D’INSTITUTION.

    1612-1613.

    Supplique de la Reine mère au Pape. — Les cardinaux Mellini, Arigoni, Lancelotti, désignés pour l’examiner. — Agitation des esprits en France; entreprises de Richer et de ses disciples contre l’autorité du Pape. — Objections des cardinaux commissaires au projet de M. de Bérulle. — Réponses de celui-ci. — Lettres à M. de Soulfour. — Dispositions bienveillantes de plusieurs évêques de France. — M. de Bérulle rend compte de son dessein à quelques prélats. — Discours qu’il leur tient. — Peines de M. de Soulfour. — On envoie à M. de Bérulle le projet de bulle. — Ses observations. — Bulle Sacrosanctœ, 10 mai 1613. — Comment M. de Bérulle conçoit l’Oratoire. — Liaison qu’il doit avoir à Jésus-Christ. — A la très-sainte Vierge. — Règles et usages prescrits par M. de Bérulle pour resserrer cette union. — Mort de madame de Gourgues, 28 mai 1613.

    Dès le 19 août 1611, la Reine mère et M. de Gondi avaient fait demander au pape Paul Vune bulle d’institution en faveur de l’Oratoire. La supplique rédigée au nom de la Reine par M. de Bérulle expliquait avec une telle précision la manière dont il convenait de dresser la bulle, les instances de Marie de Médicis étaient si pressantes, que l’on se flattait d’un prompt succès.

    M. de Bérulle fut bientôt détrompé. La supplique avait été remise entre les mains de deux cardinaux, Mgr Mellini et Mgr Arigoni. Ils l’examinèrent avec le soin que réclamait une affaire de cette gravité, peut-être aussi avec la défiance que leur inspiraient la nouveauté du projet et la patrie de son auteur. Mgr Pompée Arigoni surtout, fort dévoué à l’Espagne, dont il avait autrefois plaidé les affaires, en qualité d’avocat consistorial, se montra si difficile, que M. de Bérulle désira et obtint, grâce aux bons offices du nonce Ubaldini, qu’on lui substituât Horace Lancelotti, récemment promu au cardinalat.

    Ce changement ne produisit pas le prompt résultat que s’en étaient promis les amis de l’Oratoire. A Rome, où l’on connaissait par la nonciature tout ce qui se passait en France, on se montrait inquiet, et à bon droit, des agitations dont l’Université de Paris était le théâtre. Le syndic Richer, profitant de la minorité du Roi, spéculant sur toutes les passions populaires et parlementaires qu’exaspéraient les souvenirs de la Ligue et l’assassinat de Henri IV, ne prenait plus la peine de dissimuler ses attaques contre le Saint-Siège. Lors des thèses fameuses soutenues le 27 mai 1611 chez les Jacobins, un de ses disciples avait osé qualifier d’hérétique la doctrine qui soutient la supériorité du Pape sur le Concile: et cela en présence du nonce. Puis, sous prétexte de défendre son ami, Richer lui-même venait d’entrer en lice par la publication d’un opuscule intitulé : De ecclesiastica et politica potestate, lequel était une nouvelle insulte au Saint-Siége. Il est vrai que les huit évêques de la province de Sens, réunis à Paris, sous la présidence de M. du Perron, avaient porté du livre une censure publiée dans toutes les chaires de la capitale . Il est vrai aussi que l’on faisait espérer au nonce, pour le retenir en France, d’où il menaçait de s’éloigner, la déposition de Richer. Mais Richer n’était point seul, Ubaldini le savait et l’écrivait à sa cour. Celle-ci se demandait naturellement s’il était sage de choisir, pour approuver une compagnie de prêtres séculiers tout dévoués aux évêques, le moment où un trop grand nombre d’ecclésiastiques français, soutenus par la magistrature, se montraient si animés contre les prérogatives du Saint-Siége, et rêvaient, avec le syndic de la faculté de théologie, une aristocratie épiscopale, destinée à ruiner l’autorité pontificale. Ne voulant pas cependant répondre par un refus formel, les cardinaux Mellini et Lancelotti tâchaient de gagner du temps.

    Les mêmes événements faisaient naître chez M. de Bérulle une conviction opposée. Essayer de fonder une congrégation directement soumise au Saint-Siége, c’était, à ses yeux, tenter une entreprise impossible. Car dans l’état de surexcitation où les menées de Richer et des protestants entretenaient les esprits, une telle société se verrait aussitôt suspectée et attaquée par l’Université, le Parlement, et cette immense quantité de gens qui étudient les questions graves dans les pamphlets et les nouvelles à la main. Par une de ces habiletés aussi détestables que grossières, mais auxquelles, hélas! le peuple se laisse toujours prendre, on agitait sans cesse devant lui le couteau ensanglanté de Ravaillac, en lui répétant que le Pape et les Jésuites avaient sinon armé la main de l’assassin, au moins approuvé son infâme attentat. Sous les piliers des Halles et dans la grande salle du Parlement; sur les bancs de l’Université et dans les escaliers du Louvre, on se passait» l’arrêt de la cour contre le livre de Mariana, «l’Anti-Coton, la Prosopopée de l’Université de Paris» ;on dévorait ces pages pleines de fiel, calomnieuses, ordurières, parfois spirituelles, éloquentes même, et nombre de gens croyaient sur parole l’auteur du «Tocsin», lorsqu’il s’écriait:

    «France, il est temps que le tocsin batte fort et sans cesse

    » en tous les cœurs de tes enfants, pour esueiller et don-

    » ner l’alarme à ceux qui te doivent défendre, puisque le

    » cardinal Bellarmin, jésuite, autant impudemment que

    » injustement, a choisi ceste nuict de la minorité de ton

    » Roy pour donner l’escalade à ta souveraineté et pour

    » mestre le pétard aux portes de ta majesté toujours in-

    » violée .» Ces propos de la rue étaient appuyés par les arrêts de la cour et les déclamations en Sorbonne de Richer, traduites du latin en français pour la plus grande commodité du public . Dans un pareil état de choses, ce qui paraissait possible et nécessaire, c’était d’entourer les évêques de prêtres instruits et pieux qui ne leur donnassent aucun ombrage, puisqu’ils leur seraient entièrement soumis, et qui, en même temps, formés à la plus filiale obéissance envers le Saint-Siège, combattissent par leur enseignement et leur conduite les déplorables doctrines de Richer et de ses disciples.

    Après bien des mois d’attente, M. de Bérulle reçut enfin du nonce un mémoire que lui adressaient les cardinaux Mellini et Lancelotti. Toutes les objections que soulevait à leurs yeux son projet s’y trouvaient développées. Il était facile d’y répondre.

    L’utilité de la nouvelle société semblait d’abord douteuse aux deux cardinaux. Pour la leur démontrer, M. de Bérulle se contenta de tracer à grands traits le triste tableau de l’état du clergé en France, et de montrer comment par sa dépendance des prélats et sa soumission au Pape, l’Oratoire offrirait l’exemple de l’obéissance hiérarchique; par la sûreté de sa doctrine, combattrait la licence des opinions en vogue; par son zèle, remédierait à la tiédeur et à l’inutilité de tant d’ecclésiastiques ; par la perfection sacerdotale enfin, et par la direction des séminaires, lutterait contre le débordement des mœurs dans le clergé.

    Mais à supposer que la nouvelle société soit utile, est-elle possible? continuaient les deux cardinaux. Vous voulez la soumettre aux évêques, comment dès lors lui assurer une forme fixe? Ne voyez-vous pas qu’un évêque aura toujours la liberté de modifier l’œuvre de son prédécesseur? Aussi, répondit M. de Bérulle, la nouvelle congrégation ne relève-t-elle des évêques que pour l’exercice des fonctions du ministère, nullement pour la conduite et la direction du corps, lequel ne dépend que du Pape. Et cette double dépendance, bien loin d’être une contradiction, ajoutait-il en répondant à la troisième difficulté soulevée par les cardinaux, s’accorde parfaitement, et grâce à elle l’Oratoire se trouve lié à l’ordre hiérarchique tout entier, aux évêques et au Pape. Comme l’écrivait M. de Bérulle au cardinal de la Rochefoucauld: «Cette compa-

    » gnie, moyenne entre les séculiers et les réguliers, doit

    » nécessairement avoir quelque chose des uns et des autres,

    » et ce tempérament se trouve dans cette dépendance du

    » Pape pour les statuts et dans la soumission aux prélats,

    » pour l’exercice de nos fonctions. Vous savez le peu de

    » pouvoir qu’ont nos évêques de France sur les ecclésias-

    » tiques séculiers pour les employer hors des charges de

    » lucre et d’honneur que nous leur abandonnons volon-

    » tiers, et sur les religieux pour les contenir et les empê-

    » cher, au lieu que cette congrégation désire se rendre

    » religieuse d’esprit et d’intention, et se soumettre aux pré-

    » lats, quant à l’employ des fonctions. C’est un secours

    » qui pourra être d’usage à ceux qui voudront de nous, et

    » qui ne peut porter préjudice à ceux qui n’en voudroient,

    » puisqu’il est en leur pouvoir de nous appeler, au lieu

    » qu’il n’est pas au nôtre de travailler, s’ils ne nous appel-

    » lent et ne nous employent .»

    Passant ensuite à un autre ordre d’idées: Pourquoi, demandaient Mgrs Mellini et Lancelotti, puisque vous prenez le même titre que les disciples de saint Philippe de Néri, ne point adopter leur règle? Parce que, répondait M. de Bérulle, ce qui est excellent pour l’Italie peut être moins bon pour la France. On comprend que dans l’Italie, partagée entre plusieurs petits États souverains, l’indépendance des maisons les unes des autres, telle que la pratique l’Oratoire de saint Philippe de Néri, soit très-conforme aux besoins du pays, tandis qu’en France, où toutes les provinces obéissent à un pouvoir unique, il semble naturel qu’une congrégation comme l’Oratoire relève d’un seul chef. N’est-il point d’ailleurs bien difficile parfois de trouver dans chaque maison un chef capable de la conduire, chose nécessaire pourtant si chaque maison est laissée à elle-même? Ne vaut-il pas mieux les unir et donner ainsi au supérieur la liberté de choisir dans tous les corps les sujets, et de les placer selon leurs aptitudes et les besoins de la compagnie?

    Restait une dernière difficulté. M. de Bérulle avait insisté pour que le Pape, par la bulle d’institution, lui accordât le pouvoir de fonder non-seulement la maison de Paris, mais toutes celles qui dans la suite lui seraient offertes en France. La raison qu’il donnait à M. de Soulfour de sa demande, c’est «qu’on n’a pas toujours ni argent tout

    » prêt, ni députés, ni crédit, ni loisir pour traiter avec

    » Rome, et y demander de nouvelles bulles pour chaque

    » maison

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