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Les (non) Ons: Voir l'indicible. Entendre l'inouï.
Les (non) Ons: Voir l'indicible. Entendre l'inouï.
Les (non) Ons: Voir l'indicible. Entendre l'inouï.
Livre électronique337 pages4 heures

Les (non) Ons: Voir l'indicible. Entendre l'inouï.

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À propos de ce livre électronique

J30 AN 0.
Je suis encore sous le coup de l'impensable, de l'indicible...
Exprimer mes sentiments n'a jamais été mon fort, un signe, une gestuelle, un sourire, une accolade ou une embrassade sincères valent mille fois mieux que tous les mots de la Terre... Et qui pourra me croire ?
Le 30 janvier de cette année 2033, une date mémorable, dernier jour de l'ère terrestre et premier de l'ère onienne, ma vie s'est brusquement interrompue pour repartir quelques jours plus tard au purgatoire.

Pour le millier de survivants, la vie va se poursuivre sous les diktats d'un transhumaniste. Parmi eux, un groupe de scientifiques et de philosophes rebelles va oeuvrer pour sauver le Savoir perdu et la nouvelle "onienneté" du Mond'On.

Les (non) Ons est une comédie humaine qui flirte avec le réel, jetant un regard corrosif, non sans humour, sur l'humain et les enjeux mondiaux actuels. Une vision romancée d'un possible futur se déroulant dans un univers grisâtre inconnu, rempli d'inventions pas si improbables, dont une novlangue. Un cocktail qui sous-tend plusieurs lectures pour réjouir le plus grand nombre ou s'interroger.
LangueFrançais
Date de sortie5 juil. 2022
ISBN9782322448418
Les (non) Ons: Voir l'indicible. Entendre l'inouï.
Auteur

Zoé Gilles

Passionnée de sociologie et de toutes formes d'expression (mots, sons, images), Zoé Gilles publie des chroniques littéraires et artistiques sur son blog https://zoegilles.net

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    Aperçu du livre

    Les (non) Ons - Zoé Gilles

    Ce livre est dédié à mes enfants et petits-enfants

    que je remercie pour leur patience et fidèle soutien.

    Je tiens aussi à remercier vivement mes bêta-lecteurs pour leur contribution, notamment Véronique Pinault (ma recadreuse Joëlle Thienard, Mélanie Lemaire, Jacques Labelle, Philippe Espi, Lola Albarracin, Jean K Saintfort, Laurent Quennedeville, Dominique Dejob, Daniel Chiche, Christine Lebon et beaucoup d’autres,

    Ainsi que les inspirateurs de cette fiction : Alexander Grothendieck, Edgar Morin, Étienne Klein et Nuccio Ordine¹.


    ¹ (mot final aux lecteurs).

    « Quand on est jeune on révère et méprise sans rien connaître encore de cet

    art de la nuance en quoi consiste le meilleur acquis de la vie, et, comme de

    juste, on paie cher pour n'avoir eu à opposer aux hommes et aux choses qu'un

    oui et un non. Tout se passe comme si le pire des goûts, le goût de l'absolu

    devait être cruellement berné et maltraité jusqu'à ce que l'on apprenne à

    introduire un peu d'art dans nos sentiments ou, mieux encore, à ne pas

    mépriser l'artificiel comme le font les vrais artistes de la vie. »

    F. Nietzsche, Par-delà Bien et Mal, 31.

    Sommaire

    LEXICON

    ÉLÉMENTS TERRESTRES

    LES INSTITUTIONS DE LA PLANÈTE ON ET SES REPRÉSENTANTS

    MOTS DU QUOTIDIEN EN « ONGLISH » (LA NOVLANGUE)

    Chapitre I : DE LA JUNGLE AU DÉSERT

    Chapitre II : LE MOND’ON

    Chapitre III : LES JUSTES

    Un mot aux lecteurs

    LEXICON

    Afin d’entrer plus facilement dans cet univers imaginaire, je vous livre quelques-uns des mots et acronymes utilisés.

    ÉLÉMENTS TERRESTRES

    Le « ÇA » : métacatastrophe de 2033

    M.M.U. : Marché Mondial Uni

    I.A. : Intelligence Artificielle

    G.R.I.A. : Grand Rebond (attendu grâce à) l’I.A.

    P.C.I.H.M.F. : acronyme de l’ultime plan mondial terrestre pour « Préservation Communautaire de l’Intellect Humain dans les Milieux Favorisés »

    SOPVA : les exclus « Sans Occupation Productive de Valeur Ajoutée ».

    LES INSTITUTIONS DE LA PLANÈTE ON ET SES REPRÉSENTANTS

    MNO : Maître du nouvel ordre

    ACADÉMION : instance suprême chargée de l’Éthique, dirigée par un SUPERSAGEON et des SAGEONS

    Ontablishment : exécutif onien dirigé par une SuperOn assistée de CalculOns, de ContrôlOns, de SurveillOns, de VigilOns et GeôliOns

    ONBOOK : annexe culturelle de l’AcadémiOn

    GOGOLON : membre dirigeant

    MOTS DU QUOTIDIEN EN « ONGLISH » (LA NOVLANGUE)

    AscençOn : Ascenseur

    BlocsOn : Dictaphone

    BurOn : Bureau (support)

    CharOn : Avion onien

    CommOns : Lieux publics

    ComplexOn : Terminal de transport

    DéOn : Déambulateur psychique

    DétritOn : Poubelle

    DictOn : Dictionnaire

    DivOn : Canapé

    DOn : Dieu

    écritOn : Feuille pour écrire

    GobelOn : Gobelet

    LaborOn : Travailleur onien

    LivrOn : Carnet

    MealOn : Réfectoire

    MégapolOn : Mégapole onienne

    MirOn : Miroir

    OffiçOn : Bureau (officine)

    On : Survivant ordinaire

    Onienneté : Nouvelle « humanité »

    Passon : Laisser-passer/sauf-conduit

    PlanchOn : Lit

    PochOn : Poches oniennes

    StylOn : Stylo

    TablOn : Table

    TorpillOn : « Sarcophage » de transport

    TubOn : Métro onien.

    – I –

    DE LA JUNGLE AU DÉSERT

    J5 AN 0 (4 FÉVRIER 2033)

    – Toua, ton nom ?

    – Toi ? répète tout à trac Apollonios Ordine, surpris de cette familiarité.

    – Toua ! Oui, Toua ! croasse à nouveau la voix qui lui secoue vivement l’épaule.

    Allongé sur le sol, sur un matelas en mousse épaisse, il avait lucidement ressenti une présence dans son dos, il avait voulu se retourner, son corps endolori n’avait pas répondu. Parvenant à tourner le cou, son regard tombe sur un étrange scaphandrier penché sur lui. Non, non, je ne rêve pas ! Le son provient bien de ce crapaud tombé du ciel ! songe-t-il éberlué avant de saisir le premier fil d’idée lui passant en tête.

    Non ! TO-A ! Oui, oui, je m’appelle TO-A !

    – TO-A, comment ?

    Encore hébété Apollonios tente de jeter un œil autour de l’amphibien causant. Le lieu où il se trouve lui est totalement inconnu. Tout ce qu’il sait est qu’il a mal. Très mal. Tout son corps lui fait mal. Il a froid aussi... Très froid. Il est quasi nu et rêvait du paradis…

    – Je ne sais plus, parvint-il à répondre.

    – Lève-toi et rejoins ce groupe d’hommes, là-bas !

    Le doigt du curieux spécimen lui désigne un des murs de ce lieu étranger. À grand-peine, il s’exécute rejoignant le groupe d’hommes affalés. Une trentaine d’individus nus ou quasi nus comme lui ou couverts de lambeaux ensanglantés. Tandis qu’il scrute tous ces visages inconnus, la voix et le doigt continuent de réveiller les endormis. Il voit passer sa voisine du grand matelas. Elle dormait recroquevillée à ses côtés.

    – Ton nom ? interroge la voix toujours aussi aimable.

    « Marie » répond le corps.

    – Va t’asseoir là, Marie.

    Pour la femme, le doigt pointe le mur opposé à celui contre lequel il s’est adossé. Tout en observant que le nom de ses sœurettes semble sans importance, il se rassure. Il ne sait ni où il est ni ce qui l’a conduit ici, une chose semble cependant certaine : un tel manque de convenance ne peut qu’augurer qu’il est toujours sur sa chère planète Terre.

    Abandonnant toute interrogation, il suit l’étrange ballet qui se poursuit. D’autres têtes étrangères viennent grossir les deux groupes. Les femmes sont en nombre inférieur. Il n’en compte qu’une vingtaine, toutes adultes. Il regarde tous ces visages étrangers dans une sorte d’absence jusqu’au moment où une angoisse le saisit. Sur la centaine de personnes qu’il a estimé présentes dans ce lieu insolite, une cave sans fenêtres ni portes, plus des trois quarts ont défilé et il n’a reconnu aucun trait, ni même la moindre posture familière. Son ami Alex serait absent ? Il n’aurait pas été sauvé ? Son compagnon de l’Effroyable serait mort ? Quand se seraient-ils séparés ? Il ne se souvient de rien…

    Les questions continuent de broyer son cerveau quand son cœur bat subitement la chamade. Non, non ! je ne peux pas rêver ! Cette silhouette fracassée, c’est mon compagnon de l’horreur ! Son ami est bien là, devant ses yeux, entier, vivant ! Alex se dirige à l’exact opposé de l’endroit où il croupit. Se levant d’un bond, il l’attrape délicatement au vol, puis se retenant de le soulever comme un enfant, il l’enserre vigoureusement dans ses bras avant de rompre le premier leur étreinte. Son ami est secoué par un rire incongru, puis il se met à caqueter…

    « Ô toi. Toua… Cher To-A ! TÔ-A, TÔ-A, TÔ-A ! ».

    RENAISSANCE

    J177 AN 0

    Apollonios-Toa Ordine avale une dernière gorgée mentale de Russian Earl Grey, son thé préféré. Il humecte ses lèvres sèches de son goût chimérique, puis abaisse la visière de son casque prêt à traverser d’une traite la zone à l’air pollué séparant leur campement de celui des GogolOns. À la sortie du bâtiment, un garde le freine pour lui remettre son passOn. Arrivé à la ligne de démarcation des deux camps, il l’exhibe au nez d’un vigilOn bleuté qui le laisse entrer dans le périmètre interdit. Un autre vigilOn, de couleur gris anthracite, en faction à l’entrée des bâtiments de l’Exécutif onien, lui indique le chemin conduisant à l’offiçOn de la SuperOn.

    Dans les couloirs, ses jambes le portent. Ses pensées vaguent, la tête toujours pleine de son projet. Tiens, vous au premier rang. Sì, sì*, vous ! Pouvez-vous me donner le nom du fossoyeur de l’humanité ? Tout en soliloquant, Toa revoit la tête de l’un de ses anciens élèves studieux. Celui-ci n’avait ni bouton, ni lunettes, seulement réponse à tout… « Aristote, Monsieur ! – Eh bien, retenez tous dès maintenant que les Lois de la pensée du créateur de la Logique rationnelle étaient aussi carrées que la Terre avait été plate ! »

    Parvenu devant la porte signalée, il marque un temps d’arrêt légèrement anxieux. Maintenant ma destinée va se jouer, songe-t-il muet, la main reposant sur la poignée de la porte sans qu’il ose la tourner. Quand il se décide, son premier regard lui révèle une antichambre glaciale. Elle augure mal. La pièce aux murs resserrés est sans fenêtres et d’une nudité à fuir. Au centre, un banc moulé en verre, aussi confortable que ceux des musées terrestres, remplit l’espace. Les murs sont nus, peints d’un côté de la couleur emblématique de ce qu’ils ont entrevu jusqu’à présent de la néoplanète, ce gris mélancolie qui leur colle à la peau, et de l’autre côté, le miroir onien trône. Ici le mirOn, étrangement de petite taille, ne couvre que le champ face à la porte en vis-à-vis qu’il aperçoit. Généralement, ces miroirs XXL à vocation ubiquiste, réinstallés avec zèle sur On, recouvrent toutes les surfaces communes, du sol au plafond, comme ceux des couloirs de ce bâtiment qu’il a traversé les yeux fermés.

    L’ingéniosité de tapisser les murs de miroirs XXL, prétendument inspirés du « Connais-toi toi-même » de Socrate, était l’une des dernières loufoqueries terrestres. Conçue au milieu des années 10 par l’Alliance transatlantique, un Conseil d’experts-calculateurs qui supervisait l’Occident avant la formation des continents-empires, un jour d’humeur despotique de leurs élites cette fallacieuse mesure avait été appliquée dans toute l’ex-Europe dont il était natif, décrétant ces révélateurs de soi « unique ornementation intérieure et extérieure autorisée ». Ces miroirs étaient censés leur montrer tous leurs actes, postures et mimiques à chaque seconde de leur vie afin de les aider à mieux se comporter civilement en public et à se découvrir en privé. Toujours associée dans le mensonge servile, Europe avait été l’un des premiers membres de l’ancienne Alliance à adopter la mesure. « L’Un limpide ! L’Un précepteur ! » dogmatisaient leurs élites gouvernantes. « Macache ! L’Un Usurpateur ! Rien que le fruit de vos maquignonnages ! » objectait-il en ces temps passés de plus en plus pesants. Selon lui, leur seul objectif était de mieux les modeler et de les surveiller. Chaque miroir était équipé de caméras de télésurveillance à champ large. Les recours en justice pour violation de leurs droits fondamentaux volaient devant les juridictions. En vain. Le droit, l’assise des sociétés dites démocratiques, était en veille ou déjà mort…

    Il se rapproche de la porte qu’il a aperçue et veillant à tourner le dos au mirOn, il lit la plaque rédigée en « onglish ».

    « MARTHA BLATT. PRIME SUPERON. HEAD OF ONTABLISHMENT.

    FRAPPONS PUIS PATIENTONS. »

    On, on, on, marmonne-t-il en toquant sur la porte. Silence. Veillant toujours à tourner le dos au miroir, il se pose sur le banc qui lui fait face, le cœur et les mâchoires serrés. Le temps s’écoule péniblement. Autour de lui, il n’y a rien pour le distraire. Un calme total règne. Aucun bruit, pas même celui d’un mouvement extérieur émanant du couloir dont il a laissé la porte ouverte comme exigé sur celle-ci, ne bruisse ; rien pour l’extraire de leurs inquiétudes quotidiennes.

    Quelle sera sa future mobilisation ? s’interroge-t-il tandis que le silence ambiant l'abandonne à la tristesse. Sur Terre, il serait en plein été, songe-t-il une larme sèche au coin de l’œil. S’évadant par cette brèche ouverte sur son ancien je, des images affluent. Il se voit magnifiquement entouré d’amis, au cours de longues et merveilleuses soirées en bord de mer. Sans doute bavassaient-ils joyeusement sur le gai Savoir ? Il s’y était adonné dès l’instant où son cerveau s’était mis à penser et avant le « Ça », sa vie bouillonnait. Il donnait de nombreuses conférences dans les endroits les plus reculés des deux hémisphères. Son cercle d’amis était brillant. Certains de ses étudiants promettaient de l’être… Il rêve. Il ne le sait que trop bien. Le paradis éternel n’a jamais été de leur monde. Le programme qu’il tente de se rejouer remonte à une vingtaine d’années avant le Ça. Il n’était déjà plus qu’un conte dans sa vie terrestre et aujourd’hui, ses craintes sont encore plus vives.

    À quelle sauce allons-nous être mangés ? Mais nos gentils geôliOns ont juré que plus rien d’aussi terrifiant que le Ça ne pourrait jamais plus nous arriver. Bien que depuis notre « sauvetage », cela n’en prend pas vraiment la tournure… songe-t-il en frottant les jolis cercles grisâtres formés sur ses bras autour de ses pores dilatés désormais sans pilosité. Comme si leur traitement n’était pas suffisamment troublant, retenus en quarantaine depuis six mois, depuis un récent règlement de l’Ontablishment ils sont désormais maintenus isolés jour et nuit dans leurs cellules individuelles en dehors des trois sustentations quotidiennes. Soixante minutes généreusement allouées… Revenu dans son présent, l’attente lui paraît excessivement longue, même s’ils marchent désormais au radar. Ils ont tout juste un drôle de coucou qui les avise de l’heure de la potion vitaminique. Il retoque à la porte. Trois coups de plus en plus sonores. Le même silence lui répond. Les yeux toujours sur la plaque, l’instruction lui saute alors aux yeux :

    « FrappOns puis patientOns. »

    Ah ! Ah ! Au moins elle est claire, celle-là ! C’est certain, elle aura tout oublié du peu que nous avons échangé, se moque-t-il dans sa tête. C’est la seconde fois qu’il rencontrera la SuperOn. Parmi les sujets-Ons, il est le seul à avoir eu l’honneur, ovviamente unilaterale*, d’être brièvement présenté à Martha Blatt. Une plantureuse brune aux yeux d’amande bleus dont il abhorre la voix sulfureuse et le sourire, un rictus formé sur ses lèvres trop fines et fades creusées rectilignes jamais desserrées, coincées entre son menton bigrement pointu et son nez de Pinocchio.

    Sa rancœur tourne vite court. Pour se rasseoir, il se retourne. Dans la fraction de seconde suivante, des dizaines de C-3PO hébétés, la gueule ouverte, lui font face dans le mirOn. Son reflet dans les miroirs, inéluctable avec les jeux optiques, le renvoie à la folie pure outrepassant son connu de toutes les démesures. L’abominable inimaginable ! vomirait-il. Leurs corps ont muté…

    Mais le sort ne peut plus rien nous réserver de pire !

    Il s’arrête brusquement dans ses souvenirs. Un mince rai de lumière filtre sous la porte de la SuperOn. Elle s’ouvre aussitôt sur la silhouette de Martha Blatt arborant son semblant de sourire plaqué sur ses lèvres scotchées. Elle l’invite à entrer d’un signe de la main.

    *

    – Asseyez-vous, Apollonios.

    La SuperOn reste debout près de la fenêtre. Un carré de verre qui réfléchit la grisaille extérieure. Elle est vêtue d’une combinaison noire, la même qu’il lui avait vue lors de sa précédente présentation. Un modèle unique, semblerait-il. Noire pour les GogolOns, grise pour leurs sous-fifres. Ajustée près du corps, elle ne l’avantage pas réellement, songe Toa qui demeure silencieux, le dos droit sur son siège, un moulage unibloc en verre que la SuperOn lui a désigné face au sien. Ses mains légèrement moites reposent sur ses cuisses vernissées. Lui, il porte son « complet gris ». L’absence de vêtement ne le gêne nullement, cela fait six mois qu’il répète le rôle d’Adam.

    Martha Blatt est pareillement silencieuse. Elle relit des notes transcrites sur un écritOn ; leur nouveau « papier » à la texture étonnante, ses bords sont toujours inégaux et de formes variées. Discrètement, il en profite pour jeter un œil sur son offiçOn. Guère différent de leurs cellules-chambrettes individuelles, il est peu meublé : un burOn, trois chaisOns, un caissOn de rangement, pas de planchOn – ce qui leur sert de lit, une misérable planche métallique sans ressorts et approximativement de deux mètres de long sur un de large – recense-t-il. Les carrures d’ours devaient être malvenues sur On ! raille-t-il encore dans son for intérieur.

    — Bien, bien, Onjour Apollonios ! Apollonios, c’est bien votre prénom ? s’enquit-elle tout en s’asseyant à son burOn, face à lui.

    — Onjour, lâche-t-il péniblement, avant de poursuivre d’un ton acerbe : j’ai effectivement ce souvenir, entre autres… Natif de Napoli, Italia, État membre de l’ex-continent-empire Europe, né sur Terre le 17 mai 1970, célibataire. J’y exerçais la profession des Belles Lettres en Italie, ma patrie, j’étais également philosophe-expert en mythologie, comme je crois vous l’avoir exposé lors de notre précédente entrevue. L’impérieux besoin de diffuser la Connaissance avec son « C » majuscule m’amenait à chroniquer régulièrement dans des revues culturelles quand je ne donnais pas des conférences…

    — Très beau parcours, j’en conviens pleinement ! le coupe-t-elle sans paraître pour autant offusquée par sa longue sortie. Ainsi – si je me trompe, corrigez-moi – vous donniez une conférence au moment du Ça ?

    — Tout à fait… Il m’est revenu que je participais au Trans1…

    — C’était la première coopération interempire sur le sujet. Exact ?

    — Exact, la première sur le transhumanisme. Sur le modèle de nos COP sur les changements climatiques…

    — Quel point de vue souteniez-vous ?

    — Ma dernière publication Requiem pour l’âme humaine m’avait valu l’honneur d’y contribuer. Quand le ça s’est produit, nous étions en plein débat passionnant sur…

    Il voulait préciser « ses limites » mais la SuperOn lui coupe à nouveau la parole. Ce sera pour un autre jour, la partie va se jouer court, s’alarme-t-il.

    — Bien, bien ! Hum, savez-vous que vous avez une sacrée chance ?

    — Vraiment ? répond-il d’un ton légèrement narquois.

    — Eh oui !

    — Laquelle ? la fixe-t-il cette fois durement.

    — Nous avons pu vous reconnaître grâce à des photos encartées dans vos publications ! Des conseillers de Monsieur Gogol qui est, je vous le rappelle, votre généreux sauveur qui a sacrifié toutes ses ressources personnelles pour vous secourir, souligne-t-elle pesamment en se redressant sur son siège, vous suivaient assidûment avant la… métacatastrophe. Nous avons donc songé à vous du fait de vos compétences supérieures.

    — Ah…

    Après avoir lâché ce petit mot, il est saisi d’un haut-le-cœur. Il déglutit discrètement tandis que devant ses yeux le panneau lumineux de sa dernière conférence s’étale : « L’HUMAIN, LA MACHINE ET L’ÉTHIQUE… » Tout ceci est si vide de sens aujourd’hui. À son avis, le plus sûr, il aurait été beaucoup plus chanceux s’il n’avait survécu au Ça. Au moment précis de l’Horreur, il intervenait sur les dangers des Nouvelles Technologies sanctifiées par les « protechniques » à propos de l’augmentation ou de « l’amélioration » des performances humaines. Mais il chasse vite ses détestables souvenirs pour se reconcentrer à l’écoute de son interlocutrice.

    — Eh oui ! La renaissance de la planète rebaptisée On selon l’idée de notre cher Max Gogol est en voie imminente d’éclosion ! s’envole-t-elle sur un ton subito enjoué. Sous sa direction éclairée, un collège d’experts s’occupe actuellement des derniers aménagements. Le nom distinct de « GogolOn », comme vous devez très certainement l’avoir appris, leur a été attribué. Ceci dit par pure commodité. De fait, il s’agit précisément de l’équipe qui a réglé avec célérité – et bravoure – les opérations de survie de toutes les espèces planétaires, humains inclus, se félicite-t-elle dans une esquisse de sourire satisfait. Et, pour la pleine réussite de cette régénération, Monsieur Gogol a pris différentes mesures déjà bien avancées.

    Figé sur son siège glacial, il craint le pire. Entre la bombe atomique, la binarité et leurs dits « progrès » scientifiques, l’intellect humain avait déjà élaboré beaucoup trop de démons. Et jusqu’à présent, les mesures décrétées pour leur « sécurité » ne présageaient rien de bon.

    — Ainsi, en premier lieu, Max Gogol a décidé la création d’une académie : l’AcadémiOn. Son rôle sera de guider éthiquement le peuple onien. L’Ontablishment, déjà en place comme vous devez également le savoir, est chargé de la supervision de toutes les activités vitales pour la régénération des néohumains. J’en ai été placée à la tête, sourit-elle fièrement. La planète sera réexploitée sur toute sa surface autour de sept grands axes : sept mégapolOns interplanétaires. Ces constructions sont en cours d’achèvement. Méthode : impression 3D ! s’enorgueillit-elle encore de son sourire coincé aux lèvres. Des usines-laboratoires en sont pareillement au stade des dernières finalisations, tout comme les terminaux pour le transport. Rapidement, l’ensemble des Ons – les laborOns, futurs travailleurs de l’On – seront déplacés vers ces cités et leurs sites de production. Ils seront principalement affectés à la production de nos nouvelles ressources sous la direction du staff gogolien…

    Heureusement, le fer ne peut pâlir, songe-t-il en s’évadant dans ses pensées. Ses craintes se confirment bel et bien. Son Gogol » a tout prévu, de la direction à notre exploitation… La perspective d’un monde encore plus laid que celui qu’il avait combattu chaque aube de sa vie terrestre et auquel ses collègues et lui avaient pu naïvement songer un temps qu’il en serait fait tabula rasa se damasquine lamentablement. Son avenir lui semble aussitôt tout tracé. Pris de panique, il se voit simple laborOn, manipulant, pesant, quantifiant, voire chiffrant à longueur de journée, des fioles de produits totalement inconnus de lui. Toutes occupations terrestres auxquelles il était depuis toujours réfractaire. Mais rien de plus terrible, de plus cruel, de plus effroyable, d’aussi barbare que le Ça ne peut plus nous arriver ! aimerait-il crier. Sa bouche retient ses mots qui continuent d’affluer à son cerveau comme un retour de bile tandis que l’horrible Martha Blatt poursuit déjà sa litanie. Ses lèvres s’ouvrent et se referment comme une pince.

    — Vous devez également savoir…

    À vrai dire, il ne l’écoute plus trop. Il lutte au bord du bourbier. Tentant de cacher son appréhension grandissante, il joue avec ses mains, croisant, décroisant, étirant ses doigts, dans l’attente de ce qu’il ne sait pas encore, qu’il aura indubitablement à savoir et qu’il saura suffisamment tôt ! Le Ça est encore trop proche. Hideux. Ineffaçable. Mais pour son bonheur, sa boîte noire est sélective, elle fait régulièrement l’impasse sur l’instant T. Elle le laisse tranquille à quelques exceptions près, celles-là, inénarrables. Au moment fatidique, il avait été propulsé au purgatoire ! Ou directement aux enfers s’il avait cru à ces balivernes terrestres. Tout avait basculé brusquement, si férocement, si atrocement, si sauvagement ; du précédent instant à l’autre, il s’était retrouvé laissé seul au monde… Étrangement quasi indemne, séparé de tout, sans aucun souffle de vie autour, sur un périmètre sans mesure. Le vide sidéral l’entourait. Aux alentours, il n’entendait pas un pleur. Pas un gémissement. Pas un cri. Rien. Nulle part ou ailleurs. Rien de vivant. Il ne captait que le crissement de la ferraille, des éclats du verre se brisant et les craquements des corps déchiquetés, avant d’être envoyés valser dans l’orbe de Gaïa convulsée. Il voyait des milliards d’astres. Milliards de segments épars, multitaille des barres de la lettre « H ». H d’homo. D’humanité sans tête… Fragments éthérés des corps humains, corps adultes et de leurs petits, démembrés, décapités, furieusement emportés sans qu’une larme ait eu le temps de couler. Mais l’heure n’est plus au chagrin ; les regrets sont prescrits ! se reprend-il brusquement alors que ses oreilles captent un mot incongru.

    — L’art devra être préservé. Monsieur Gogol a ainsi prévu la mise en place d’une structure culturelle.

    — Ah… lève-t-il un sourcil intrigué.

    — Absolument ! Et fort justement Monsieur Gogol pense que vous seriez parfait pour diriger cet… Zut, comment l’appelle-t-il ? Ah oui, l’Onbook ! Alors, qu’en dites-vous ?

    Travailler pour ce Gogol ? Jamais ! s’écrie-t-il muet, tout en se surprenant à l’interroger :

    — En quoi consisterait ma mission ?

    — Mais la diffusion de l’Art sur On ! Nous devons préserver la Culture. Max Gogol était – enfin, est toujours ! – un glouton de beauté, peinture, sculpture, photographie, art cinématographique, je crois bien, enfin tous les arts visuels le captivent. Plus encore, tout art avant-gardiste ! C’est sa seconde passion. La première est la Science. Il conviendrait donc de créer une sorte de grand journal d’enseignement de l’art destiné au peuple onien. Ainsi, dans un premier temps, vous en élaboreriez le projet. Vous seriez seul. Mais dans un proche avenir – bien évidemment si vous acceptez cette mission –, nous vous adjoindrons des collaborateurs. Soyez rassuré, votre lectorat ou votre auditoire seront extrêmement réduits, glousse-t-elle d’un rire artificiel. Le nombre des survivants s’élève, comme vous devez aussi le savoir, à précisément mil vingt et un. Seules les terres de l’Antarctique ont été épargnées. Mais l’ex-Empire Europe s’en est plutôt bien sorti. Sur chacun des empires terrestres, aujourd’hui reliés grâce à monsieur Gogol, la répartition générale des sauvés est à peu près égale en genre et en âge. Excepté quelques grabataires, tous ont entre trente et soixante ans. Leur éducation n’est plus à faire, glousse-t-elle encore. Hum, je vous vois venir. Inutile de me poser la question, oui, oui, aucun jeune ou enfant, pas même des

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