Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les Amants de la révolution, tome 2: L'héritage des Brévours
Les Amants de la révolution, tome 2: L'héritage des Brévours
Les Amants de la révolution, tome 2: L'héritage des Brévours
Livre électronique449 pages6 heures

Les Amants de la révolution, tome 2: L'héritage des Brévours

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

En route pour l’échafaud, le comte et la comtesse de Brévours échappent à la guillotine grâce à l’intervention désespérée de Louise Chartrain. Son geste ayant attiré l’attention des révolutionnaires, elle doit cependant fuir Paris, sans savoir si son amant est toujours vivant. Traquée de toute part, elle tentera sans relâche de retrouver sa fille Sophie dont elle n’a aucune nouvelle.

De son côté, Anne de Brévours, pourchassée à travers Paris par les autorités, réussira-t-elle à sauver Madeleine?  Entre son enfant et son mari, le choix pourrait être déchirant.

Quant à Rose Bertin, la diva de la mode, sa fidélité à Marie-Antoinette, risque fort de mettre sa vie en danger une bonne fois pour toutes.

Pendant que tous luttent pour leur survie, la belle Margot d’Helleville, insouciante en apparence, mais tenaillée par les remords, poursuit son ascension vers la gloire. La descente aux enfers n’en sera que plus vertigineuse. Les fautes du passé ne s’effacent pas si facilement.

Des souterrains de Paris à Saint-Malo et à l’Angleterre, alors que la Révolution française fait rage, une finale grandiose où le courage côtoie le destin, l’amour se heurte aux secrets et la liberté représente le bien le plus précieux pour chacun.
LangueFrançais
Date de sortie8 juin 2022
ISBN9782898271106
Les Amants de la révolution, tome 2: L'héritage des Brévours
Auteur

France Collard

France Collard est l’auteure d’une pièce de théâtre pour les jeunes ainsi que d’un ouvrage pédagogique destiné aux enseignants du primaire. Après avoir été chroniqueuse culturelle à la radio (CKOI et CJMS, à Montréal), elle a fondé des ateliers éducatifs et de théâtre pour enfants ainsi qu’une agence d’organisation d’événements corporatifs. Les amants de la Révolution est son premier roman dont la suite est en cours d’écriture.

Auteurs associés

Lié à Les Amants de la révolution, tome 2

Titres dans cette série (1)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fiction historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les Amants de la révolution, tome 2

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les Amants de la révolution, tome 2 - France Collard

    1792

    1

    Août 1792, à l’extérieur de Paris

    Une heure après le passage du convoi qui amenait les Brévours à la guillotine, Louise quittait la rue Tirechape, dévastée. Seule la pensée de Sophie l’empêchait de hurler et de se laisser mourir. Les révolutionnaires avaient tué l’amour de sa vie, mais ils n’auraient pas leur fille.

    Ruben, le charretier, n’en menait pas large non plus, en pensant à la fugitive cachée derrière lui. Pourvu qu’elle ne se mette pas à crier, sinon, il était bon pour le « rasoir national¹ » lui aussi.

    Quand Gad lui avait demandé de préparer sa charrette pour y cacher quelqu’un en cas de danger, Ruben avait tout de suite accepté. Dans leur communauté, on s’entraidait, quoi qu’il arrive. Et puis, qui sait, peut-être que la prochaine fois, ce sera un membre de sa famille qui devra sortir de Paris. Alors, il pourrait compter sur Gad à son tour. Il allait donc amener cette femme le plus loin possible, comme convenu. Mais quelle odeur épouvantable, décidément ! C’était à se demander si la pauvre allait être encore en vie quand il la libérerait de sous ce tas de guenilles immondes auxquelles il avait rajouté quelques rats crevés, pour faire bonne mesure.

    Le besoin de se rincer le gosier s’intensifiait, sous l’effet de la chaleur et de la nervosité, mais avec ce que Gad avait concocté, mieux valait ne pas y penser. Le charretier était réputé pour la qualité de son eau-de-vie. À son passage, les gardiens de la barrière ne manquaient jamais l’occasion de prendre une lampée de sa boisson et de causer avec le bonhomme, qui leur rapportait quelques ragots bien épicés propres à les faire s’esclaffer à tous coups. Mais cette fois-ci, Gad avait pris soin de remplacer la boisson habituelle par un tord-boyaux de sa composition. Ruben arrivait à la porte de Passy, le ventre noué.

    — Wôôô, Caroline !

    La vieille jument, mue par l’habitude, s’était déjà arrêtée, indifférente à ce qui se passait autour. Louise comprit qu’ils arrivaient à la barrière quand la voiture s’immobilisa. La conversation des gardes avec Ruben lui parvenait distinctement, malgré le chargement au-dessus d’elle. Le pire dans cet arrêt angoissant était les coups répétés que les bonshommes donnaient sur les montants du chariot. L’un d’eux se mit à le faire osciller pour le plaisir de voir Ruben vaciller sur son banc. La tête de la jeune femme vint frapper violemment les planches au-dessus d’elle pendant qu’elle retenait juste à temps un cri de douleur.

    — Salut, père la guenille ! Qu’est-ce que tu transportes aujourd’hui ?

    — Des guenilles, qu’est-ce que tu veux que ce soit ? répondit le charretier, l’air bon enfant.

    — Tudieu ! Elles empestent encore plus que d’habitude. Dis donc, tu vas avoir besoin de pas mal de gnole pour tenir le coup.

    — Tu devrais en donner à Caroline, elle manque d’énergie.

    Justement, Ruben tirait la bouteille de sous son banc et la débouchait.

    — Allez, passe-nous ça, qu’on y goûte, nous aussi !

    — Ouais, et après tu files, car tu vas rameuter les charognards avec ton chargement. Dis donc, t’as pas une de tes histoires bien salées à nous raconter, en vitesse ?

    Le premier buveur, un solide gaillard, à qui rien ne faisait peur, s’étouffa dès la première gorgée.

    — Ma parole, t’as trempé tes chiffons dans ton eau-de-vie, le père ?

    — Hé, laisse-moi boire, moi aussi. Pouah ! Tu veux nous faire mourir, père la guenille ? Tiens, reprends ton poison.

    — Tu mériterais qu’on te pende par les amourettes !

    — Dégage, avant qu’on mette notre menace à exécution !

    Ruben ne se le fit pas dire deux fois et il reprit la route, sous les huées de ses copains.

    Le pire est fait, se dit-il, soulagé. Maintenant, il s’agit de s’éloigner le plus vite possible. Après, il extirperait la bonne bouteille, cachée derrière lui. Et la femme, bien sûr.

    Pendant des heures, le canasson se traîna le long de la route poussiéreuse et achalandée. Le moindre cahot rappelait à Ruben ce que la fugitive endurait, sous le tas de chiffons puants. Lors de chaque arrêt, pour faire boire Caroline, il surveillait les alentours, et il en profitait pour encourager sa passagère.

    — Madame Louise, vous m’entendez ? On a dépassé les faubourgs, ça ne sera plus très long maintenant. Tenez bon !

    Seul le silence lui répondait.

    De temps en temps, tandis qu’il traversait une bourgade, un policier le saluait ou lui demandait s’il allait loin, mais depuis un bon moment, il ne croisait plus âme qui vive. Il devait absolument se trouver un coin tranquille et délivrer la dame, en espérant qu’elle soit encore vivante. Le soleil allait se coucher quand au détour du chemin, il se retrouva face à une bande de loqueteux ivres. Inutile de demander à son cheval de presser le pas, il était prêt à s’écrouler. Il aurait dû trouver un refuge pour la nuit plus tôt, mais Gad l’avait exhorté à s’éloigner de Paris le plus vite possible.

    — M’a tout l’air d’être des gueux en quête de problèmes, grommela Ruben pour lui-même. Ils vont tâter de mon fouet, ceux-là, ils ne savent pas ce qui les attend. Hue, Caroline ! On continue notre chemin !

    Tout en encourageant sa vieille jument, il s’empara de la bouteille de tord-boyaux de Gad, qui allait le sauver une deuxième fois, et fit mine de porter le goulot à sa bouche.

    — Hé, le vieux a d’la gnole, les gars !

    — Arrête-toi, l’ami !

    — Bas les pattes, bande de va-nu-pieds ! Vous toucherez pas à ma bouteille.

    Ruben leva son fouet, menaçant, et frappa le premier ivrogne qui s’approchait. Les deux autres ne tenaient déjà plus sur leurs jambes, trop imbibés et probablement affamés depuis longtemps. Quand le plus sournois fit le tour de son chariot pour monter à côté de lui, Ruben lança la bouteille à l’autre poivrot.

    — Hé, c’est à moi qu’tu dois donner ta gnole, le vieux !

    — Maintenant, c’est ton ami qui l’a. Dépêche-toi d’aller le rejoindre, sinon il en restera plus.

    Quand Ruben se retourna, plus tard, les traîne-misère se battaient pour la bouteille, en se dirigeant dans la direction opposée. Parfait. Il était temps de se trouver un coin tranquille. De toute façon, son canasson refusait d’avancer. Et il ne frappait pas son cheval. Question de principe pour Ruben, qui descendit pour guider sa Caroline bien-aimée vers une grange en ruine.

    Avant même de détacher son cheval, il entreprit de dégager le fond du chariot. Il poussait frénétiquement les chiffons en appelant, mais il ne recevait aucune réponse. Puis, il entreprit de retirer les planches solidement clouées.

    — Madame Louise, vous m’entendez ?

    Sa passagère ne répondait pas, et les planches refusaient de se détacher. Peut-être que c’était la faute de ses mains qui tremblaient ? Il faut dire qu’il avait vécu plus d’émotions en une journée que depuis le début de l’année. Il réussit enfin à dégager un espace suffisant pour entrevoir la pauvre femme, blanche comme un drap et qui respirait à peine. Le sang qui barrait son front la faisait paraître plus pâle, si c’était possible.

    — Oy vaï ! Ils me l’ont tuée, ces shmoks² !

    1. Expression qui fait référence à la guillotine.

    2. Oh malheur ! Ils me l’ont tuée, ces salauds !

    2

    Août 1792, Paris, plus tôt dans la journée

    Place de la Révolution, une foule bruyante, agitée, assoiffée de sang et de vengeance, grouillait aux pieds de la guillotine.

    — Hé, Sanson, ils sont où, les traîtres ?

    — Le rasoir a faim, et nous, on veut notre spectacle.

    — Le peuple a droit à la justice !

    — Il faut venger nos morts !

    Derrière son masque, Sanson, le bourreau, attendait calmement ses clients. De temps en temps, il jetait un regard à ses pieds. Les veuves des valeureux sans-culottes, morts le 10 août lors de l’attaque des Tuileries³, voulaient voir mourir les assassins de leur mari. Il y avait aussi des centaines de patriotes qui se pressaient, avides du spectacle macabre qu’il allait leur offrir.

    Derrière sa cagoule, Sanson se sentait en sécurité, car personne ne pouvait lire ses pensées. Il observait les centaines de spectateurs. Son visage restait inconnu de tous. Tout comme l’étaient ceux de son père et de son grand-père. Ils étaient les exécuteurs des hautes œuvres, telle était la damnation qui pesait sur leur famille depuis longtemps.

    Ils tuaient quand ils en recevaient l’ordre.

    Tout simplement.

    Interdiction d’être membre d’un club politique. Quant à leurs enfants, ils n’avaient pas accès à l’école. Mais ils observaient. Ils écoutaient. Et Sanson savait écrire, grâce à son grand-père. Alors, tous les soirs, en revenant de travailler, il consignait dans son carnet les détails de l’exécution. Il avait tué beaucoup trop de prêtres et de gens innocents depuis le début de la Révolution. Sanson trouvait que ça allait trop loin. Personne ne le savait, mais ils étaient plutôt royalistes de père en fils. Son travail, c’était de torturer des meurtriers, des voleurs, pas de valeureux gentilshommes qui avaient fait leur devoir en essayant de protéger le roi. Son roi. Que ces ouvriers, ces artisans venus des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel avaient attaqué, le 10 août.

    Le bourreau se reprit. Refuser d’obéir équivaudrait à signer son arrêt de mort et celle de ses fils, qu’il initiait au métier depuis quelque temps. Il allait donc guillotiner ces hommes courageux qui arrivaient, en essayant de faire vite pour leur éviter des souffrances inutiles. Et ensuite, il y aurait ce couple d’aristocrates. Pour la première fois, il allait guillotiner une femme. Innocente.

    3. À la suite de la prise des Tuileries, la famille royale est incarcérée au Temple. C’est la chute de la monarchie.

    3

    Août 1792, Paris

    Les rues menant à la place de la Révolution⁴ faisaient l’objet d’une attention particulière. Des yeux attentifs scrutaient la foule à la recherche d’une femme. Une femme amoureuse, venue assister au supplice de son amant. Du balcon qui dominait toute la place, Margot ne perdait rien de ce qui se passait tout autour. Où était Louise ? Suivait-elle la charrette menant le comte de Brévours à la mort, le long de la rue Saint-Honoré ? On lui avait dit que ce serait la dernière voiture du convoi. Peut-être Louise était-elle déjà sur place ? Elle allait se manifester, elle s’approcherait de son amoureux, tenterait de le toucher ; Margot en était persuadée.

    Soudain, son attention fut attirée par un cavalier qui se dirigeait vers l’Hôtel de la Marine, où elle se tenait aux côtés de Perras. Quelques instants plus tard, l’homme, haletant, arrivait sur la loggia. C’était bien eux qu’il venait voir, ce qui était mauvais signe, pensa Margot. Un incident était survenu aux abords de l’église Saint-Roch, obligeant le conducteur de la dernière charrette à quitter la rue Saint-Honoré et à se réfugier au Château des Tuileries avec ses deux passagers. On attendait des ordres de l’Hôtel de Ville, mais, pour le moment, impossible de les sortir du château tant que le calme ne serait pas revenu dans la rue.

    Voyant Margot faire mine de partir, Perras lui agrippa violemment le bras.

    — Hé, pas si vite ! Tu restes avec moi.

    — Lâche-moi, je dois aller au théâtre.

    — C’est quoi cet incident, d’après toi ? C’est elle, c’est ça ? Louise ?

    La voix de Perras avait tendance à monter dans les aigus quand il paniquait, comme à l’instant.

    — Tu m’avais dit qu’elle viendrait voir son amant une dernière fois, et qu’on pourrait enfin la capturer. Où est-elle maintenant ? On a des comptes à rendre, on va essayer de tout nous mettre sur le dos !

    Le petit bonhomme grassouillet avait perdu toute son assurance des derniers jours. Il s’agrippait au bras de Margot, qui le dépassait d’une tête et le toisait avec dédain.

    — Ah non ! Pas nous, mais toi tu as des comptes à rendre, Perras. Pas moi. C’est toi qui as supplié ton beau-frère de te laisser la responsabilité de cette affaire.

    — Pas si fort, tu vas attirer l’attention sur nous.

    — Mais je n’ai rien à craindre. Je parie que tu ne lui as même pas parlé de notre collaboration. Je me trompe ?

    Perras jetait des regards craintifs autour de lui. Inconsciemment, il reculait devant Margot pour tenter de se soustraire à sa fureur. Dieu qu’elle était belle, avec ses yeux verts étincelants ! Même dans cette situation périlleuse, il ne pouvait s’empêcher de l’admirer et de la désirer.

    — Je te connais, gros benêt. Tu pensais faire un coup d’éclat et récolter tous les honneurs, hein ? Mais ce sont plutôt des ennuis que tu vas t’attirer, et de gros ennuis, je parie ! Si tu avais suivi mes conseils, on n’en serait pas là. Mais tu as voulu faire à ta tête, triple idiot, alors maintenant, c’est toi qui vas régler le problème. Et seul ! Ne compte plus sur moi.

    Pendant que Margot s’éloignait, insensible au prestige des salons d’apparat de l’Hôtel, elle perçut les dernières menaces du commissaire Perras.

    — Tu ne t’en tireras pas comme ça. Tu vas entendre parler de moi, et plus vite que tu ne le penses, sale garce ! Tes jours sont comptés !

    Ah oui, tu crois ça ? se dit-elle. On verra bien qui de nous deux va réussir à survivre à cette histoire. Moi, je ne parierais pas sur toi…

    4. Anciennement place Louis XV avant le 11 août 1792 et maintenant place de la Concorde.

    4

    Août 1792, à l’extérieur de Paris

    Ruben, désemparé, avait réussi, non sans mal, à sortir Louise de l’habitacle où elle s’était évanouie. Une partie de la nuit, le charretier exécuta des allers-retours entre le ruisseau et la grange. Dans un premier temps, pour essayer de la faire revenir à elle et nettoyer sa blessure, qui était moins profonde qu’il ne l’avait d’abord cru, et ensuite, pour lui permettre de se laver.

    — Pas question de reprendre la route avec une morte-vivante ! Je veux bien croire que plus rien n’a d’importance pour vous, mais moi, je tiens à la vie, figurez-vous. Dans cet état, vous allez attirer l’attention sur nous dès qu’un policier ou un autre de ces malappris va nous approcher, lui dit-il d’un ton ferme.

    Sans aucune pitié pour la jeune femme qui grelottait et pleurait, il la força à se frotter avec des poignées d’herbes, puis enfin à revêtir la robe que Siona avait cachée sous le siège de Ruben.

    — À présent, avalez-moi quelques bonnes rasades de cette eau-de-vie pendant que je vais enterrer votre robe puante. Puis, je vais rafistoler le fond de la voiture. J’ai dû briser une planche pour vous tirer de là plus rapidement.

    Le lendemain matin, le sauveur de Louise estima qu’ils étaient suffisamment loin de Paris pour qu’elle puisse s’installer à côté de lui.

    — Je vais dire que vous êtes ma femme, marmonna-t-il. Je vous présente Caroline. Soyez polie avec elle, elle entend tout.

    Au cours du voyage, personne ne s’approcha du couple à l’air improbable, qui n’échangea presque aucune parole. Obéissant aux ordres de Ruben, Louise avalait quelques bouchées de pain, accompagnées de gorgées d’eau-de-vie, juste assez pour ne pas s’effondrer. Le reste du temps, elle gardait la tête basse, se laissant balancer par le rythme lent de la carriole, tirée par une jument qui ne devait plus galoper depuis bien longtemps.

    Deux mots tournaient dans sa tête inlassablement : Charles, Sophie. Charles, Sophie. Son pouce frottait doucement la cicatrice sur son poignet, en suivant la cadence. Charles, Sophie. Elle avait voulu mourir quand elle s’était crue abandonnée par Charles, mais cette fois-ci, elle se devait d’être forte. Pour Sophie. Leur fille. Jusqu’à la fin, Charles avait pensé à les protéger toutes les trois. Elle, Sophie et Madeleine. Il avait reconnu Sophie, qui pourrait dorénavant porter le nom de Brévours, il lui avait confié son testament, à elle, et donné toute sa fortune. Il lui avait fait confiance jusqu’à la mort. Elle devait se montrer à la hauteur. Elle ne martyriserait plus cette pauvre cicatrice, comme disait monsieur Bazin. Son cher papa adoptif. Elle espérait de tout cœur que ce dernier pourrait rejoindre sa fille Élisa à Limoges et finir ses jours dans la tranquillité. Comme il le méritait.

    — On n’est plus très loin maintenant, marmonna Ruben. Vous voyez les murs, c’est Saint-Malo.

    Puis, le charretier retomba dans son mutisme.

    Enfin, le port de Saint-Malo se profila à l’horizon. On devinait plus qu’on ne voyait les mâts des bateaux qui se balançaient sous la houle. Louise était en sécurité, lui assura le charretier. À elle de se débrouiller pour trouver un bateau ou une diligence, peu importe. L’important, c’est qu’il soit débarrassé d’elle.

    — Allez à l’auberge, de l’autre côté. Les propriétaires sont de braves gens. Je ne sais pas où vous allez, je ne vous connais pas et je ne veux rien savoir. Bonne chance !

    Cinq minutes plus tard, il disparut dans la brume avec son chargement. Son sac de toile à la main, Louise se dirigea en chancelant vers Le Goéland voyageur. Heureusement que Ruben l’avait forcée à se laver et à se changer, songea-t-elle, sinon elle aurait été bonne pour dormir dans la grange avec les voyageurs incapables de se payer une chambre. Et encore !

    Après deux jours de pluie, la salle lui parut encore plus accueillante. Des lampes à huile éclairaient les murs blanchis à la chaux, les tables de bois reluisaient et sentaient l’encaustique, des rideaux rouges égayaient les petites fenêtres sur le rebord desquelles étaient disposés des coquillages aux formes étranges. Dans l’arrière-salle, quelques marins étaient attablés autour de pichets de bière. Aucun d’eux ne lui prêta attention. Un feu brûlait dans l’âtre et une bonne odeur s’échappait de la cuisine. Comme personne ne venait, Louise poussa la pile de journaux posés sur un banc, à côté de la cheminée, et s’y laissa tomber. Sa tête appuyée sur les pierres du foyer se faisait lourde. Ses yeux se fermaient, le murmure des conversations la berçait, les flammes réchauffaient ses os et ses muscles endoloris par le long voyage, quand soudain, des voix enjouées la sortirent de sa torpeur. Trois hommes tapaient sur le comptoir en riant bruyamment.

    — Eh Mimile, apporte à boire ! On est pressés.

    — Lâche ta bonne femme, mon vieux, tu vas l’épuiser, ta jeunette !

    — Ou alors c’est toi qui seras plus capable de travailler !

    Des rires gras ponctuèrent ces commentaires.

    Enfin, un jeune homme sortit de la cuisine en s’essuyant les mains sur un torchon, qu’il lança sur le premier des joyeux lurons.

    — Ça vient. Ça vient.

    — Alors, c’est comment le mariage, mon vieux ?

    — Il est encore au début, il peut pas savoir ce que c’est vraiment, lui répliqua un des gaillards.

    — Ouais, attends dans quelques semaines pour lui demander. Il va comprendre son erreur.

    — Ça va, les gars, vous ne savez pas ce que vous manquez ! leur répondit le jeune marié.

    — Ah ben on aimerait ben ça l’savoir ! On peut s’occuper d’elle pendant que tu sers les clients.

    — Justement, je vous sers quoi ?

    — Un lambig⁵, mon pote. On en a bien besoin avec ce temps pourri.

    Tout en servant prestement les trois consommations, le patron avisa Louise, qui essayait de se faire discrète. Elle avait reconnu le costume des gardes. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Est-ce que l’annonce de sa fuite s’était rendue jusqu’ici ? Une femme seule, près du port, attirerait forcément l’attention des autorités. Pourquoi serait-elle ici, si ce n’était pas pour embarquer sur un bateau, pour s’enfuir ? Ils allaient sûrement lui demander ses papiers et jeter un œil dans son sac de toile.

    — Bon ben faut y aller, les gars. On a encore le Marie Blanche à inspecter.

    — Il fait la traversée pour l’Amérique une nouvelle fois ? s’enquit l’aubergiste.

    — Ouais, et il y a pas mal de voyageurs à son bord. Il part avec la première marée demain.

    — Tu mets ça sur notre compte, Mimile.

    — Et puis laisse ta bourgeoise venir nous servir, la prochaine fois. Qu’on se rince un peu l’œil.

    — Pense à tes amis, mon vieux ! Faut partager.

    — C’est bon. Allez-y pendant que le bateau est encore à quai, et que vous êtes capables de monter sans tomber à l’eau, bande d’ivrognes !

    Dans un éclat de rire général, les trois lascars passèrent la porte en se bousculant, et Louise put respirer à nouveau. L’aubergiste se mit à essuyer les verres en jetant un coup d’œil aux marins du fond. Une belle jeune femme venait de sortir de la cuisine, tenant une marmite fumante à bout de bras, et elle commença à les servir.

    — Fleur-Ange, tu viendras par ici quand tu auras fini.

    Puis, l’aubergiste s’approcha nonchalamment de Louise et déposa une assiette, des couverts et une serviette d’un blanc immaculé sur la table la plus proche.

    — Tenez, mangez d’abord et on parlera ensuite. Ma belle-mère fait le meilleur ragoût bigouden⁶ de la région.

    5. Eau-de-vie de cidre de Bretagne.

    6. Spécialité de Bretagne à base de chou, de lard et de boudin blanc.

    5

    Août 1792, Paris, quelques jours plus tôt

    À l’opposé de la place de la Révolution, un bossu marchait péniblement, une fillette apeurée dans les bras.

    — Pourquoi Lilia ne vient pas avec moi ? Je veux rester avec mon amie, Baptiste. S’il te plaît, ramène-moi chez Siona et Lilia, mon petit Baptiste chéri.

    Madeleine étreignit le cou de Baptiste, de ses petits bras potelés, et appuya sa joue humide contre la sienne. Les supplications de l’enfant faisaient mal à entendre, mais Baptiste devait s’éloigner au plus vite de la rue Tirechape. La police ne tarderait pas à envahir les rues et à fouiller les maisons à la recherche des fugitifs. Il pouvait compter sur le silence de la famille de Siona et de ses voisins ; la communauté juive, soudée par les malheurs de son peuple depuis toujours, ne les trahirait pas. Et puis il y avait Gad et une partie des membres de sa bande, impliqués dans la fuite de Louise, qui, eux aussi, habitaient aux abords de la rue Tirechape. Connus et respectés de tous. Parfois craints, quand les circonstances l’exigeaient…

    Mais en ce moment, Baptiste était seul avec Madeleine, et c’était à lui de la sauver de la fureur des révolutionnaires. Le comte et la comtesse de Brévours avaient confiance en lui. La vision soudaine de Charles et d’Anne, dans la charrette des condamnés, en route pour la guillotine, lui arracha un bref gémissement, suffisant pour alerter Madeleine. Son petit visage effrayé allait de droite à gauche, elle ne reconnaissait pas l’endroit. Et qui étaient tous ces inconnus autour d’eux ? On commençait à les observer, il fallait absolument rassurer la petite, se dit Baptiste.

    Alors, avisant un tonneau au coin de la rue du Roule, il s’y installa avec la fillette et, à voix basse, il lui expliqua qu’ils allaient tous les deux faire un beau voyage.

    — Nous reviendrons chez Lilia une autre fois, promis, mais en attendant, on va prendre la diligence et aller retrouver une autre petite fille de ton âge, Sophie, qui t’attend. Vous pourrez jouer à la poupée ensemble. Tiens, d’ailleurs, j’ai ta poupée dans mon sac, tu pourrais peut-être la prendre dans tes bras pour la réchauffer ?

    — Avec ma couverture rose.

    — La voici. Et maintenant, il faudrait expliquer à madame poupée qu’il ne faut pas ouvrir la bouche quand je vais parler aux gens, même si je dis de drôles de choses.

    — Qu’est-ce que tu vas dire de drôle, Baptiste ?

    — Par exemple, que… tu es ma fille et que je suis ton papa.

    Baptiste prononça les derniers mots avec peine. La bouche de Madeleine s’ouvrit sur un oh étouffé, l’incompréhension se lisant dans ses yeux bleus.

    — Il ne faut rien dire, c’est notre secret, répéta Baptiste en plaçant son doigt devant la bouche de l’enfant.

    — C’est pour rire ?

    — Oui. Allez, viens ma chérie, on a encore du chemin à faire. Tiens bien madame poupée.

    Oubliant la douleur dans son dos, Baptiste se releva, serrant tendrement Madeleine, et prit la direction du Pont-Neuf. Trente minutes plus tard, ils se retrouvaient dans la cour du Cheval-Blanc, en pleine effervescence des arrivées et des départs des diligences.

    Le domestique était épuisé, vidé de toute émotion, et le va-et-vient des lourdes berlines de voyage finit de l’étourdir pour de bon. Il réussit à atteindre la porte, en évitant de justesse le coup de fouet d’un cocher, en colère contre son attelage. À peine était-il entré qu’une grosse main s’abattit sur son épaule et une voix cria :

    — Ça y est !

    6

    Août 1792, Paris

    Rue Saint-Honoré, la charrette avait bifurqué brusquement vers les jardins, poursuivie par des habitants belliqueux et frustrés.

    — À la lanterne⁷, les aristos !

    — Vous allez pas les foutre dans un château ?

    — Ils sont trop bien traités !

    — On va se charger de ces traîtres nous-mêmes ! Les gardes avaient poussé Charles et Anne en bas de leur siège, les avaient traînés dans l’escalier sans ménagement et, une fois en haut, avaient coupé leurs liens. La porte venait de se refermer sur eux. Sans aucune explication.

    — Charles, où sommes-nous ?

    — Au Château des Tuileries, Anne.

    — Est-ce qu’ils vont revenir nous chercher ? Sinon, c’est peut-être ces gens dehors qui vont enfoncer la porte et venir nous massacrer ?

    Entendant cela, Charles tenta d’ouvrir la porte. En vain. Les gardes l’avaient fermée à clé. Et elle semblait solide.

    Affolée, Anne se précipita à la fenêtre la plus proche. En bas, des gens criaient des insultes ; certains haranguaient les gardes, qui refusaient de les laisser entrer. Devant le refus de ces derniers, ils finirent par abandonner et partir. Ils devaient encore trouver du pain et de quoi manger pour ce soir. Les aristos attendraient un autre jour. De toute façon, ils ne risquaient pas de s’enfuir, comme le fit remarquer une femme à une autre.

    Anne se pressa un peu plus contre son mari, cherchant un mince réconfort dans ses bras. Les jardins disparaissaient sous les ombres du soir, et la charrette qui les avait amenés avait disparu. Est-ce qu’on allait les exécuter, ici, dans ce château dévasté, loin de la foule en colère ? Où était Madeleine ? La pensée de sa fille fit surgir en Anne le souvenir de Louise. C’est elle qui devait veiller sur leur enfant. Affolée, elle agrippa son mari en criant :

    — Charles, est-ce que vous pensez que Louise a réussi à se sauver ? S’ils l’ont jetée en prison, qu’est-ce qui va advenir de Madeleine ?

    — J’ai vu Gad s’éloigner avec elle. On peut compter sur lui, Anne. Calmez-vous, je vous en prie. Nous sommes vivants, on peut encore espérer…

    — Espérer quoi ?

    — Je ne sais pas. Je ne sais plus.

    Seul, Charles aurait sauté par la fenêtre, même au risque de se tuer ou d’être fusillé par les gardes postés dans les jardins. Des détenus réussissaient à s’évader, de façon parfois rocambolesque. Il avait entendu suffisamment de témoignages pour en être convaincu. Les idées les plus folles traversaient son esprit fiévreux pendant qu’Anne pleurait, en réclamant sa fille.

    À bout de force, Charles réussit à faire asseoir sa femme par terre, à côté de lui. Il fallait faire confiance à Gad et à ses amis, répétait-il tant pour la rassurer que pour s’encourager lui-même.

    Il fixait d’un air hébété les murs autour d’eux, où il restait quelques lambeaux de tapisserie éclaboussés de sang séché. Çà et là, des tas de bois évoquaient le mobilier délicat et les magnifiques tableaux qui avaient dû meubler cette pièce imaginée par Catherine de Médicis il y avait fort longtemps. Tout n’était plus que vide et désolation. Que faisaient-ils ici, enfermés dans le salon où l’ombre des anciens occupants planait toujours ?

    Épuisés, les époux réussirent enfin à s’endormir par terre, dans les bras l’un de l’autre. Quelques heures de répit où ils pourraient oublier. Un peu.

    Au Département de la Police, à l’Hôtel de Ville, Auguste Rondeau était songeur. Il venait de recevoir une invitation du théâtre de la République, rue de Richelieu, où le grand comédien Talma et Margot d’Helleville, la coqueluche de Paris, se produiraient ce soir, après deux semaines d’interruption. Une loge privée lui était réservée, et Margot d’Helleville l’y rejoindrait après la représentation pour lui communiquer des renseignements importants au sujet du comte de Brévours et de son immense fortune, qui allait être soustraite à la patrie. Son beau-frère, ce paresseux de Perras, ne lui avait-il pas confié qu’une personne en vue l’aidait dans la traque de cette Louise, maîtresse du comte de Brévours ?

    Un sourire se dessina sur les lèvres minces de Rondeau, découvrant deux canines dignes d’un molosse. Tout petit déjà, on le surnommait le chiot, puis en grandissant, le sobriquet s’était transformé en chien, puis en dogue. Derrière son dos, ses subordonnés le surnommaient le cerbère. Auguste le savait. Et cela lui convenait parfaitement. Étrangement, les femmes aimaient ce sourire carnassier. Cela aussi lui convenait. Il les faisait frissonner, et elles lui tombaient dans les bras quand il le décidait.

    Des informations et un tête-à-tête avec cette Margot, qu’on disait aussi belle qu’intelligente, cela promettait d’être intéressant.

    Une heure plus tard, après avoir donné l’ordre de garder les Brévours au Château des Tuileries jusqu’au lendemain, Rondeau prenait place dans sa loge, où une bouteille de champagne l’attendait.

    Quai des Augustins, une troupe de joyeux fêtards se pressait à la porte de Chez Lefèvre. La salle du rez-de-chaussée étant comble, les spectateurs sortis des théâtres venaient grossir les rangs des assoiffés qui attendaient sur le trottoir. On se bousculait avec exubérance, et quelques petits malins en profitaient pour caresser leurs voisines, mine de rien. La réputation de l’établissement valait bien la peine de traverser le Pont-Neuf et d’attendre qu’une place se libère. Pour les aider à patienter, le patron du restaurant avait eu la bonne idée de faire circuler des pichets de vin, accueillis chaque fois avec des démonstrations de joie.

    À l’intérieur, l’atmosphère était tout aussi animée. On s’interpellait d’une table à l’autre, les rires fusaient, le vin coulait à flots.

    Au premier étage, Lucienne recouvrait d’une belle nappe damassée la table du salon rouge.

    — Tu sais qui est Auguste Rondeau ? s’enquit son patron.

    — Non. C’est un chef révolutionnaire ? Comme Robespierre ?

    — C’est le grand administrateur du Département de la Police. Il vient d’arriver avec Margot d’Helleville.

    Margot d’Helleville ? L’intérêt de Lucienne fut tout de suite en alerte. C’est elle qui avait trahi les Brévours. Elle ne l’avait jamais vue, mais son fiancé, Baptiste, la décrivait comme le diable.

    — Tu vas leur servir ta soupe de poisson toi-même. Et tu veilles à ce que tout soit parfait. N’oublie pas, c’est un homme influent qui peut nous amener de bons clients. Et de la discrétion, Lucienne. De la discrétion !

    — Pas de problème, monsieur Lefèvre. Vous pouvez compter sur moi.

    Je serai comme une tombe, ricana intérieurement Lucienne. Mais gare à toi,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1