Les Cahiers de Chantilly, n°14: Etudes d'histoire et d'art du sud de l'Oise
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À propos de ce livre électronique
- 23 avril 1671, fête magique à Chantilly. Un mort ! Affaire classée ? par Yves Bück
- 6 août 1722, course pas banale, sous le haut patronage du duc de Bourbon par Yves Bück
- Il y a 150 ans, en octobre 1871, l'occupation de Chantilly par les Prussiens prenait fin par Alain Bégyn
- Comment être réactionnaire, Marcel Boulenger, Lettres de Chantilly (1907), Nouvelles lettres de Chantilly (1922) par Philippe Lamps
- Collection : Péguy à Chantilly (2 septembre 1914) par Bernard Chambon
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Avis sur Les Cahiers de Chantilly, n°14
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Aperçu du livre
Les Cahiers de Chantilly, n°14 - Département d'Histoire Locale Centre culturel de Chantilly
Avant-Propos
Le Département d’Histoire Locale du Centre Culturel Marguerite Dembreville de Chantilly est heureux de vous présenter ce nouveau numéro des Cahiers de Chantilly.
Proposer des textes originaux abordant toutes les thématiques - histoire, art, littérature, société - concernant Chantilly et ses alentours, tel est notre objectif depuis la création des Cahiers en 2008.
Le groupe de 2008 s’est enrichi de nouveaux auteurs mais nous pensons toujours à ceux qui nous ont quittés : Gérard Mahieu, un des membres fondateurs en 2012 et cette année, au mois de mars, Gérard Pagniez, à qui Philippe Lamps, en notre nom à tous, rend un hommage émouvant au début de ce quatorzième Cahier. Les Cahiers de Chantilly souhaitent bien sûr élargir le cercle de leurs lecteurs et ils souhaitent aussi s’ouvrir à de nouveaux auteurs : n’hésitez pas à nous contacter sur [lescahiersdechantilly@gmail.com] pour nous proposer un sujet d’article ou pour nous rencontrer.
Ce numéro 14 des Cahiers de Chantilly va vous emmener du XVIIe siècle au début du XXe siècle :
- le XVIIe avec un triple regard sur le malheureux Vatel pour qui tout se joue le 24 avril 1671 ;
- le XVIIIe siècle, avec une course extravagante patronnée par le prince de Condé et un pari fou entre deux seigneurs, le 6 août 1722 ;
- le XIXe siècle, avec une évocation de l’occupation de la région cantilienne pendant la guerre franco-prussienne dont nous célébrons en 2020 et 2021 le 150e anniversaire ;
- le XXe siècle, avant et après la Première Guerre mondiale, avec un parcours en forme d’abécédaire des Lettres de Chantilly de Marcel Boulenger écrites en 1907 puis en 1922 ;
- et dans la rubrique Collection, le XXe siècle encore mais pendant la Première Guerre mondiale, quand le lieutenant Charles Péguy, faisant retraite, traversait la forêt de Chantilly…
Que serait Vatel, sans Madame de Sévigné ? Nous le connaissons tous, à travers le récit qu’elle envoie à sa fille et que des générations de lycéens ont étudié… Est-ce suffisant ? Ce n’est pas l’avis d’Yves Bück qui s’est amusé à confronter les sources et les points de vue : celui de l’ancien valet de Madame de Sévigné qui est maintenant au service du prince de Condé et qui est donc le témoin idéal ; un certain Moreuil aussi, qui est à Chantilly alors que notre épistolière nationale n’y est pas invitée. Ils racontent à Madame de Sévigné qui écrit, brode et dramatise. Monsieur de Gourville, important personnage au service des Condé et donc patron de Vatel, livre lui aussi sa version : il s’agace du manque de bon sens de celui-ci, de son orgueil déplacé peut-être, et s’occupera de le faire enterrer c’est-à-dire disparaître et oublier… s’il n’y avait pas eu Madame de Sévigné ! La Gazette s’intéresse aussi à ce voyage du Roi en ses provinces et à Chantilly où le poisson fut bon et abondant ; le mythe n’est pas encore installé, la légende cantilienne est encore dans la plume de Madame de Sévigné, La Gazette reste très politique. Et pour finir, le duc d’Aumale, qui en réfère à. Madame de Sévigné pour rendre hommage à son ancêtre préféré, le Grand Condé. Cette enquête, mi-amusée mi-critique, est menée par Yves Bück avec la vivacité qu’on lui connaît ; elle vous fera découvrir maints aspects insoupçonnés des relations entre grands et moins grands au siècle de Louis XIV.
Les Courses font partie de l’ADN de Chantilly. Mais la course dont Yves Bück partage avec nous la découverte ne ressemble pas au premier pari entre amis, tous membres de la toute nouvelle Société d’Encouragement, qui fera « découvrir », un siècle plus tard, au retour d’une chasse à courre, la qualité exceptionnelle de la grande pelouse de Chantilly et décidera le duc d’Orléans, alors tuteur de son frère le duc d’Aumale, à créer l’hippodrome de Chantilly. Non, la course qui a « emballé » Yves Bück est bien plus ancienne, ostentatoire et extraordinaire. Elle est le jeu d’un grand seigneur, capable de mobiliser tout le pays entre Paris et Chantilly, la garde montée pour que personne ne le bouscule, Cassini pour régler les horloges et capable de proposer 12 000 livres d’enjeu. Quel grand cavalier et quel exploit ! En l’occurrence, courir sans s’arrêter entre Paris et Chantilly et retour. Sans s’arrêter sauf. pour changer de cheval (27 fois !). Le duc de Bourbon honore de sa haute présence cette course absurde entre le comte de Saillant, il a lancé le pari et le gagnera, et le marquis d’Antragues qui a relevé le gant mais perdra. En quelques pages, c’est une vision de l’Ancien Régime, arrogant et sans doute inconscient de son arrogance même, qui nous est proposée par Yves Bück.
La guerre franco-prussienne de 1870-1871 et l’occupation prussienne dans notre région, voilà le sujet auquel l’actualité mémorielle nous invite. Dans le précédent numéro des Cahiers, nous avions évoqué la volonté du duc d’Aumale et de ses frères et neveu de participer aux combats dans l’armée française. Ici, Alain Begyn nous raconte le quotidien de la France occupée par les armées prussiennes et leurs alliés bavarois ou saxons. Entre Creil et Chantilly ce seront les Prussiens bientôt rejoints par des Saxons : ils installent une Kommandantur à Chantilly et se logent sur place. Et c’est de Chantilly qu’ils opéreront sur Creil, Liancourt, Clermont… L’espoir, même étouffé dans la violence, porté par la Commune puis par les deux guerres mondiales ont relégué cette période de notre histoire, loin dans la mémoire collective, considérée plus comme cause profonde de ce qui suivra que pour elle-même. Pourtant la vie quotidienne que décrit Alain Begyn nous rappelle la situation bien connue de la France occupée en 1940 ! Le pays divisé en deux zones, les difficultés d’approvisionnement et de circulation, les otages, l’armistice. Et un témoignage sur la « résistance » des élus de Chantilly face à un impôt que l’occupant veut imposer aux communes nous fait aussi mesurer la différence entre une défaite acceptée en 1940 et une défaite subie en 1871. Ce n’est pas son moindre mérite.
Marcel Boulenger (1873-1932) était journaliste, écrivain, escrimeur (médaille de bronze au fleuret aux Jeux olympiques de 1900), ami de Gabriele d’Annunzio, amateur de duels, de chasse à courre et de lévriers, et. cantilien ! Il est d’ailleurs enterré à Chantilly et habitait au 79, rue du Connétable. Dans ses Lettres de Chantilly, publiées en 1907, puis dans ses Nouvelles Lettres de Chantilly qui suivront en 1922, il réunit librement des chroniques initialement écrites pour les nombreux journaux auxquels il collabore réguliérement et il y exprime, à travers maintes anecdotes, son regret fondamental de la « vie d’avant ». Marcel Boulenger refuse son époque, la réfute, la considère comme une période de déclin irrémédiable. En cela il est profondément réactionnaire et c’est ce qui intéresse Philippe Lamps qui a conçu, à partir de ces Lettres de Chantilly, un dictionnaire amoureux, ou plutôt dépité, de Marcel Boulenger. Philippe Lamps, qui va publier bientôt l’ensemble de son essai, nous en offre ici un extrait qui va de « Art » à « Zola » en passant par « Bourgeois », « Conclave ». « Luzarches », « Plésiosaure » et quelques autres entrées. Philippe Lamps cite, précise le contexte, analyse, et nous montre « comment être réactionnaire », hier… comme aujourd’hui : tout cela, en effet, ne demeure-t- il pas actuel ? Ne croyons-nous pas penser, alors que nous ne faisons que croire ? Au fond, nous dit Philippe Lamps, le réactionnaire, qui fait table rase de l’avenir (comme le progressiste fait « table rase du passé »), ne réagit pas au monde nouveau et inéluctable qui vient le heurter : il est préalablement réactionnaire, et c’est au travers de la chambre de son humeur noire, de la machinerie de sa conscience malheureuse que, de sa tour d’ivoire cantilienne, il considère un monde, pour lui, harassé. Enfin, en forme de conclusion, Philippe Lamps nous offre quelques entretiens décontractés avec Marcel Boulenger, pastichant avec bonheur un ennemi intime mais intéressant, lui-même, faut-il le rappeler, pasticheur et amateur de canulars littéraires.
Des documents communiqués par Madame José Godard sur la maison de Marcel Boulenger à Chantilly viennent ensuite ancrer dans notre paysage quotidien ce Boulenger, sportsman, dilettante caustique, écrivain prolifique aujourd’hui oublié.
Charles Péguy (1873-1914), influencé par Romain Rolland et par Henri Bergson, ses professeurs à l’Ecole normale supérieure, d’emblée dreyfusard engagé, écrit, ouvre une librairie, fonde une revue littéraire, et, revenant au catholicisme de son enfance, crée ses œuvres sans doute les plus connues où s’expriment un mysticisme et un patriotisme fervents. En 1913 il écrit L’Argent qu’Edmond Michelet citera pour récuser l’Armistice de 1940 : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend. ». Et si le Péguy que nous découvrons dans la rubrique Collection, sous la plume de Bernard Chambon, est ce lieutenant épuisé (il a 41 ans), conduisant ses hommes dans une retraite effroyable, promise à l’échec mais aboutissant à la première bataille - et victoire - de la Marne, c’est aussi le meneur d’hommes qui, le 5 septembre, va mourir au combat, près de Meaux, quelques jours à peine après son passage dans nos forêts. Bernard Chambon nous présente ici cette retraite désespérée au travers du témoignage de Victor Bourdon, soldat du 276e Régiment d’Infanterie de Coulommiers, affecté en tant que sergent à la 4e section, 19e compagnie : celle que dirige le lieutenant Charles Péguy.
Un avant-propos se doit de donner l’envie d’aller plus loin : plongez donc dans ce numéro 14 des Cahiers de Chantilly que nous avons voulu éclectique, mêlant les époques et les évènements petits ou grands qui tissent notre histoire.
Merci de nous faire part de vos impressions. Vous pouvez aussi nous proposer des sujets à explorer ou que vous pourriez partager avec nous !
Le Comité de rédaction
lescahiersdechantilly@gmail.com
HOMMAGE À GÉRARD PAGNIEZ
Par Philippe LAMPS
Notre ami le docteur Gérard Pagniez est mort le 27 mars 2021.
Gérard était membre de notre comité de rédaction depuis de nombreuses années. Il avait d’abord participé, au sein du groupe constitué au Centre culturel de Chantilly par Gérard Mahieu (+), à une formation approfondie en vue de l’exploitation de l’« archive » dans la recherche en histoire locale. Dés 2012, Gérard Pagniez proposait aux Cahiers de Chantilly la publication d’une étude de référence : Un hôpital sous l’Ancien régime, La Charité de Senlis (1670-1792). Il était passionné par la question du soin dans le cadre de l’hospitalisation privée avant la Révolution française, et ses travaux furent rapidement remarqués, par les Archives départementales de l’Oise, ou par les publications nationales d’Histoire de la médecine.
Gérard portait, dans ses travaux, une attention particulière aux patients, autant, sinon davantage, qu’aux institutions. Ces femmes et ces hommes admis jadis dans les Charités étaient surtout de « pauvres malades » - pauvres et malades. Gérard leur rendait un corps, un métier, il se penchait sur leur solitude et leur souffrance, sur les soins psychologiques nécessaires, le vêtement, la diététique. Ses recherches, jointes à de riches bibliographies, nous permettaient d’éclairer et de nuancer les thèses de Michel Foucault. En 2004, il publiait, toujours dans les Cahiers, une importante étude, cette fois sur l’hospitalisation au XIXe siècle : Accueillir, soigner, soulager. L’hospitalisation des civils à l’Hospice Condé de Chantilly au XIXe siècle. Encore une fois, au-delà des statistiques très complètes qu’il avait élaborées, de la nosographie ou de l’évolution de l’institution, c’étaient l’homme ou la femme sans ressources, le retraité misérable, la mère seule, l’ouvrier blessé, et toutes leurs souffrances, qui l’intéressaient en premier lieu. Ces humbles patients, à qui il pouvait souvent rendre leur nom, sortaient grâce à lui du silence profond de l’Histoire.
Gérard était médecin. Les témoins de sa longue pratique hospitalière, notamment comme responsable du service de médecine interne à l’hôpital Laënnec de Creil, se souviennent de sa rigueur, mais aussi de l’humanité dont il faisait preuve.
Il tenait, et cela me semble un signe fort aujourd’hui, à son titre de « médecin des hôpitaux généraux ». Ce souci de vocabulaire était cohérent avec son engagement éthique et intellectuel. Nous avions souri, lui et moi, au cours d’une séance de travail du comité, lorsque nous nous étions rendu compte qu’il m’avait soigné dans son service à Creil. Il m’avait dit : « Vois-tu, cela fait plus d’un quart de siècle, et tu es toujours vivant ! ».
Je me souviens : l’amitié, la fidélité, le sens du devoir et du travail de Gérard nous étaient précieux. Lorsqu’il s’est installé à Dieppe, il a continué, jusqu’en 2020, à participer aux réunions du comité de rédaction : les centaines de kilomètres en voiture ne lui faisaient pas peur. Et, au-delà du travail à réaliser, il montrait toujours, pour chacun, sollicitude et intérêt.
Je me souviens : ma compagne et moi étions allés lui rendre visite à Dieppe. Son accueil, en ce jour du bel été 2019, nous avait enchantés. Avec enthousiasme, il nous fit monter dans sa grosse Peugeot bleu-vert, et nous emmena, passionné par l’histoire de sa Normandie, au Château de Mirosmenil, puis à celui d’Arques-la Bataille, où Henri IV écrasa la Ligue.
Je me souviens : c’est une soirée de novembre 2019, après une longue séance de travail. Je ne pouvais pas le laisser rentrer seul à son hôtel, nous nous étions donc installés à la table d’un restaurant de la rue du Connétable. La conversation portait sur la Charité de Vineuil. Il avait, à 92 ans, le projet de circuler entre les maisons d’archives, d’aller rue du Bac à Paris, puis en Bretagne, pour trouver les documents nécessaires à un nouveau travail sur cette Charité fondée au XVIIe siècle. À un moment, le serveur, ayant repéré notre gourmandise au milieu de nos propos, nous proposa un « vin doré », qu’il nous présenta comme « naturel ». « Certains donc ne le seraient pas », me souffla Gérard, le regard amusé. C’est que, la nature, son métier lui avait appris à la connaître. Quant aux mots, il en connaissait le prix, mais aussi la ruse et la limite.
Depuis le printemps 2020, l’épidémie nous ayant collectivement touchés et restreints jusque dans nos relations les plus chères, nous nous téléphonions régulièrement. Les grandes baies de son appartement s’ouvraient sur la mer, et nous commencions par parler d’elle, moi le Dunkerquois exilé, lui le Cantilien de retour dans sa chère ville de Dieppe : « Aujourd’hui, me disait-il, elle a eu des reflets d’argent sombre, puis elle est passée au vert bouteille et à l’écume blanche, et tout à coup elle est devenue presque noire ». Nous parlions. « J’aime bien nos petites conversations », me confiait-il. La dernière était au mois de mars, quelques jours avant sa mort.
Gérard, nous ne t’oublierons pas.
Détail de Louis le Grand, l’Amour et les Délices de son peuple ou les Actions de grâces, les festes et les rejouïssances pour le parfait rétablissement de la Santé du Roy en 1687, Pierre Lepautre (1660-1744), gravure, 1688 © BNF - Gallica
Cette gravure de la seconde moitié du XVIIe siècle est représentative des grands repas donnés en l’honneur du roi Louis XIV.
23 avril 1671
FÊTE MAGIQUE À CHANTILLY
UN MORT ! AFFAIRE CLASSÉE ?
par Yves BÜCK
« Il y a à raconter, c’est sûr, mais qui cela
intéresse-t-il de nos jours ? »
Commissaire Raymond Boithias¹
« Il prend le bras d’Athénaïs de Montespan et se rend avec elle au Château de Chantilly où le Prince de Condé les reçoit et lui présente les plats les plus extraordinaires créés par Vatel, le maître cuisinier le plus talentueux du monde. On cherche Vatel afin que le roi le félicite. Il a disparu puis on apprend que, dans sa chambre, par trois fois, Vatel s’est jeté contre son épée afin de mourir parce que la marée n’était pas arrivée à temps. »²
C’est ainsi que Max Gallo résume en cinq lignes le séjour du Roi Soleil à Chantilly sans aucune explication et en réussissant l’exploit de citer trois fois dans ce court paragraphe le nom de Vatel. Vatel, qui n’a jamais gâté une sauce de sa vie, n’en demandait pas tant de la part d’un membre de l’Académie française.
De plus, on a du mal à imaginer Louis XIV bras dessus bras dessous avec sa maîtresse en titre, d’autant plus qu’elle n’est pas de la partie. Si l’on en croit Madame de Sévigné, en ce début d’année 1671, le Roi est en pleine tourmente sentimentale. La Vallière³ veut se retirer au couvent de Chaillot. « Le Roi pleura fort. »⁴ Elle revient. « Madame de Montespan fut au-devant d’elle, les bras ouverts et les larmes aux yeux. »⁵ « Mme de la Vallière est toute rétablie à la cour. Le Roi la reçut avec des larmes de joie, et Mme de Montespan avec des larmes. devinez de quoi. L’on a eu avec l’une et l’autre des conversations tendres. »⁶ Que de larmes sur l’air de « Ne me quitte pas » !
Bientôt, le roi, accompagné de la reine, va laisser Mgr le Dauphin, M. Le duc d’Anjou, Madame, la cour avec ses dames de cœur à Versailles⁷ pour aller faire la fête à Chantilly. « Tout cela est difficile à comprendre ; il faut se taire. »⁸ écrit-elle. Mais la Marquise ne se tait pas. Ne sont-ce pas ragots ou purs commérages ?
Car Louis XIV ne pense pas qu’à la bagatelle. Il va bientôt entreprendre un voyage de travail de quatre-vingts jours⁹ dont la première étape sera Chantilly. Ce ne sera pas seulement une partie de plaisir. La marquise, le sait-elle ? De toute façon, la géopolitique ne l’intéresse guère.
La renommée de Vatel exaspère de nombreux historiens. Sa mort est certes pitoyable et tragique. Dans la mémoire collective, elle éclipse celle, plus spectaculaire et plus traumatisante pour le royaume, du Maréchal de Turenne survenue quatre ans plus tard sur le champ de bataille. Mais de là à en faire un plat et en parler à tout va ! Tout cela, de la faute à qui ? « Je vous le donne en dix, je vous le donne en cent » comme dirait Madame de Sévigné¹⁰ qui est à l’origine de cette notoriété qui a traversé les siècles.
MADAME DE SÉVIGNÉ, LA COMMÈRE
Début 1671, notre bretonne¹¹ est bouleversée à l’annonce du départ de sa fille, la comtesse Françoise de Grignan¹² pour la Provence où elle va rejoindre son mari. Cette séparation est pour l’une et l’autre un véritable déchirement ; c’est le début d’un papotage épistolaire de haute volée. « Je vous écris toujours deux fois la semaine ; ce m’est une joie et une consolation. »¹³ Pour définir son style, elle crée un néologisme le « bavardinage » ou l’art de bavarder et badiner en même temps. Elle ne sait pas qu’elle prend le départ d’un marathon littéraire qui va durer vingt-cinq ans. Elle écrit sa première lettre le vendredi 6 février 1671. Le roi arrive à Chantilly le 23 avril. Alors pour patienter et se plonger en douceur dans son bain épistolaire, voici quelques morceaux choisis pour déclencher le compte à rebours de la fête magique.
Jour J-50
À Paris, vendredi le 20 février
Les lettres de la Marquise sont des fourre-tout, le plus souvent composés de brèves où le coq succède à l’âne. On la sent jubiler quand survient un évènement qui sort de l’ordinaire et, là, elle se laisse aller sur plusieurs pages. Elle sait que sa fille va se régaler. Ce n’est pas tous les jours que, chez elle de sa fenêtre :
« Je vis la maison de Guitaud tout en feu [Guitaud est chambellan et premier gentilhomme du prince de Condé] les flammes passaient par-dessus la maison de Madame de Vauvineux […] et puis je voulus aller dans la rue pour béer comme les autres ; j’y trouvai M. et Madame de Guitaud quasi nus […] Il faisait pitié ; il voulait aller sauver sa mère qui brûlait au troisième étage; sa femme s’attachait à lui, et le retenait avec violence […] ; il était entre la douleur de ne pas secourir sa mère, et la crainte de blesser sa femme, grosse de cinq mois […] L’ambassadeur [de Venise] était en robe-de-chambre et en perruque, et conserva fort bien la gravité de la Sérénissime ; mais son secrétaire était admirable. Vous parlez de la poitrine d’Hercule