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Infirmière : sept ans d'âge: ou les aberrations du système sanitaire français
Infirmière : sept ans d'âge: ou les aberrations du système sanitaire français
Infirmière : sept ans d'âge: ou les aberrations du système sanitaire français
Livre électronique567 pages8 heures

Infirmière : sept ans d'âge: ou les aberrations du système sanitaire français

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À propos de ce livre électronique

Un soignant dans la position de malade est un patient bien particulier car, du fait de sa propre expérience professionnelle, il connaît la frustration qu'engendre le métier d'infirmier. Le manque de moyens de la structure, de temps pour bien faire les choses, de respect manifesté par certains collègues auprès de personnes affaiblies, est d’autant plus regrettable que démotivant. De nos jours, la médecine n'apparaît plus comme une profession empreinte d’empathie, de patience, de respect et d’application.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Joëlle Colla est passionnée de littérature dès son plus jeune âge. Exerçant comme infirmière en bloc opératoire, elle éprouve le besoin d’écrire un livre en parallèle avec ce métier, forcée de reconnaître que les conditions du travail infirmier se sont dégradées au fil des décennies.






LangueFrançais
Date de sortie8 oct. 2021
ISBN9791037739858
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    Aperçu du livre

    Infirmière - Joëlle Colla

    Préface

    Le système sanitaire français…

    Quelle désignation impressionnante pour décrire, en fait, un des plus beaux ensembles d’aberrations existant dans notre système politique et économique !

    Il ne s’agit pas que de la Sécurité sociale qui, bien qu’elle soit une chance à ne pas négliger, face à beaucoup d’autres pays n’ayant aucun moyen national de prise en charge des soins, nous a montré à maintes reprises ses dysfonctionnements.

    Pénurie d’infirmières ?

    Toute infirmière qui perdure dans cette profession ne peut plus s’étonner de cet état de fait !

    Alors qu’en mille neuf cent quatre-vingt-dix, l’espérance de vie professionnelle d’une infirmière était de sept ans, en deux mille vingt, elle n’est toujours que de sept ans !

    Pourquoi ?

    À cause de toutes ces aberrations du système sanitaire français !

    Le vécu de Léa, en tant qu’infirmière comme en tant que patiente hospitalisée, en est la meilleure preuve ! Qu’on ait encore le culot de dire ensuite qu’on ne comprend pas ces infirmières qui sont dans la rue tous les quatre matins, à manifester leur mécontentement !

    Introduction

    Léa voulait être musicienne professionnelle.

    Tout avait commencé lorsqu’elle avait cinq ans. Elle avait vu un de ses oncles jouer de la guitare. Elle était immédiatement tombée amoureuse de cet instrument et de la musique qui en sortait !

    Quelques années plus tard, alors qu’elle était en CM2, son instituteur installait certains après-midi un xylophone, pour que toute la classe en profite. Là aussi, la résonance du bois l’avait fascinée. Supposant que c’était peut-être plus dans les moyens de ses parents, qu’une guitare, elle leur en avait demandé un pour son anniversaire.

    Elle ne s’attendait pas à ces petites lames de métal, avec des couleurs différentes pour chaque son, véritable jouet d’enfant, et en guise de mailloches – baguettes spéciales pour frapper les lamelles de bois –, des pailles avec des minis « cochonnets de pétanque » au bout ! Léa eut vite fait le tour des morceaux du petit calepin de partitions livré avec et se résigna à le ranger !

    Quand elle attaqua le collège, elle fut une des deux meilleures élèves de sa classe à la flûte à bec, décryptant le solfège chez elle, la première fois qu’elle devait apprendre un morceau, pour le retenir ensuite par cœur dans son rythme comme dans ses sons, et le jouer uniquement de tête, en laissant juste son sens du rythme la dicter !

    Au même moment, une copine de classe, qui avait une guitare, accepta de lui apprendre deux-trois morceaux. Léa craqua de nouveau pour cet instrument et le demanda à ses parents, pour sa communion, à la place du magnétophone ou de la montre demandés par ses sœurs aînées ! Ses parents manifestèrent leur étonnement quant à cet intérêt pour un nouvel instrument, alors que le xylophone dormait au placard ! Léa leur expliqua pourquoi, et ils confièrent à l’oncle guitariste, parrain et cause de cet engouement, de la choisir. Deux ans après, Léa, ayant montré que ce n’était pas un caprice – puisqu’elle en jouait déjà pas mal à l’oreille et se débrouillait avec les accords majeurs, mineurs et de septième –, obtint que ses parents lui paient des cours. Elle trouva un prof dans le quartier d’à côté, un Italien, féru de jazz-rock, qui enseignait piano, batterie, guitare, basse et saxophone. Il organisait tous les ans, en fin d’année, un spectacle avec ses élèves, pour les parents de ceux-ci. Il les appelait « Spectacle fou-fou-fou ! ». Léa comprit pourquoi, le jour où elle se retrouva en train de jouer un morceau de jazz-rock devant toute la salle, avec un pied posé sur une chaise, à la Brassens, pendant que deux autres élèves jouaient au tennis devant elle, en slip, sur la scène ! La deuxième année, elle chanta dans une petite salle des fêtes « Africa » de Rose Laurens et se retrouva félicitée à l’entracte par ses copains, comme par un couple de personnes de l’âge de ses parents, qui ne la connaissaient pas auparavant ! Du coup, elle décida d’inviter ses parents l’année suivante ! Elle interpréta tous ses morceaux uniquement musicaux, sans problème, mais par contre, eut la très mauvaise surprise de s’entendre chanter comme un pied, les deux seules phrases d’un autre morceau ! Son prof lui expliqua après, en s’excusant avec un rire bien à lui, qu’il aurait dû la faire répéter au moins une fois avec le micro. Elle s’égosillait pendant les répétitions, ne s’entendant pas, ce qui fait qu’avec le micro, elle avait fait pareil et que le temps qu’elle comprenne, elle avait déjà chanté ses deux phrases !

    Cette année-là, Léa avait quinze ans. Son prof se souvenant de sa prestation sur Rose Laurens, et l’ayant écoutée toute l’année, pendant ses cours, chanter les morceaux qu’il lui faisait jouer, lui proposa de monter à Paris au mois d’août, pour enregistrer une chanson ! Il disait travailler en collaboration avec Richard Claydermann et Jean-Claude Borelly dans un studio d’enregistrement. Outre le fait que ceux-ci n’étaient pas vraiment des références pour Léa, elle n’insista pas auprès de son père qui refusait son départ, préférant de toute façon partir en grandes vacances. C’est d’ailleurs aussi en vacances, l’été suivant, qu’elle participa à un radio-crochet devant trois cents personnes, décrochant le deuxième prix, sous les yeux de ses deux sœurs, plus âgées qu’elle de deux et six ans, pouvant ainsi confirmer à leurs parents qu’elle chantait juste, même avec un micro !

    Léa continua la guitare à l’oreille pendant les années suivantes, en ayant assez des morceaux jazz-rock peu connus, que ce prof s’obstinait à lui apprendre. Entre-temps, un copain du collège, qui voulait bien lui prêter sa guitare électrique de temps en temps, lui proposa de devenir la chanteuse de son groupe. Léa accepta d’aller au moins les écouter. En fait, ils n’étaient que deux, lui à la guitare, l’autre au synthétiseur. Le problème, c’est qu’ils ne savaient jouer que le slow du film « La Boum », de manière à peu près potable ! Léa les remercia gentiment, tout en leur proposant de repasser dans quelques années !

    Quelle ne fut pas sa surprise, de se voir à nouveau sollicitée par ce même garçon, alors qu’ils étaient au lycée ! Il avait eu vent de son interprétation de Rose Laurens, par deux élèves du lycée ayant assisté à celle-ci. Or, comme ces derniers étaient plutôt du genre à se moquer qu’à faire des compliments, il avait décidé de renouveler son invitation pour assister à une de leur répète. Quoi qu’il en soit, Léa accepta, toujours partante lorsqu’il s’agissait de musique. Elle passa une après-midi entière, à écouter les morceaux qu’ils composaient maintenant eux-mêmes ; au bout de laquelle, elle s’entendit leur dire : « Ça s’écoute, ça s’achète et ça va se voir ! » Ils avaient de plus recruté un batteur, et Léa aimait bien leur style pop-rock, avec exploitation à fond de distorsion, d’écho et de wa-wa ! Ils s’appelèrent « Artefact », espérant provoquer cet arrêt momentané du cœur à ceux qui les écouteraient ! Elle se mit à écrire des textes et décida de se mettre à la basse. C’était l’élément manquant du groupe et elle était tombée amoureuse du nouveau son à la mode de cet instrument : le slap ! Quelle ne serait pas sa déception dès les premiers cours, en constatant qu’elle allait devoir reprendre le solfège à zéro, puisque là, on ne travaillait plus en gamme de Do mais en Fa ! Démotivée, elle ne se mettrait pas vraiment à la basse, par contre apprendrait un peu sur le tas, à jouer de la batterie, sortant avec le batteur pendant cinq ans !

    À la fac, Artefact ayant dû se dissoudre pour que chacun puisse partir faire ses études ou son service militaire dans une autre région, elle entra dans un autre groupe, où elle joua de la basse et chanta seulement les morceaux de Pat Benatar et de Texas, le groupe ayant déjà un chanteur pour interpréter les voix d’homme. Elle fit notamment avec eux, une fête de la musique, avec un premier concert l’après-midi sur le campus de leur fac, et un autre le soir même, au jardin des plantes de la ville. Ils s’appelèrent « Ginseck », en raison de leur préférence à tous pour le gin en soirée arrosée, et leurs indécrottables jeans comme tenues !

    Enfin, encore deux ans plus tard, elle monta vivre à Paris, pour rejoindre celui avec qui elle envisageait de passer sa vie, laissant à nouveau ses potes musiciens derrière elle. Mais la musique lui manquant, elle passa une annonce et fut contactée par un nouveau groupe, pour être leur chanteuse. Elle s’éclata à interpréter du Steevie Ray Vaughan, du Bill Deraime avec son « Babylone, tu déconnes », du Chris Réa, Dire Straits, Pink Floyd, Téléphone, Four Non Blondes… Elle faisait languir son compagnon, qui désirait assister à une de leur répétition, voulant attendre que tous leurs morceaux soient vraiment au point, avant qu’il ne vienne les écouter…

    Mais il mourut brutalement avant leur premier concert !

    Ce qui signa la fin de la joie de Léa à faire de la musique.

    Sa tristesse fut telle, qu’elle lui coupa l’envie de chanter pendant des années, lui faisant abandonner dans le coin d’une pièce sa guitare, sa basse et son banjo cinq cordes – instrument, dont elle avait rêvé, au travers de films comme « Louisiane » ou « Délivrance » –. Elle essaya de s’y remettre deux ans après, en s’inscrivant dans une école de musique. Mais le prof, enseignant des morceaux comme « Les portes du pénitencier » que Léa savait déjà jouer de trois manières différentes, lui demanda au bout de trois mois de passer dans son cours de deuxième année, pour finalement l’intégrer dans son propre groupe, à la fin de l’année ! Léa décida quand même de ne pas continuer, n’aimant pas les morceaux qu’ils reprenaient ! Elle aimait bien écouter Souchon, mais une fois l’an ! Alors, le jouer toutes les semaines…

    Elle essaya alors de se remettre à la basse, mais laissa tomber rapidement, son prof étant aussi fade que ses cours ! Et ce n’est que sept ans après le décès, que Léa se vit à nouveau s’éclater, un soir de barbecue sur une plage, avec des nanas qu’elle ne connaissait pas, mais qui avaient amené Jumbé, Bongos, Broka et autres percussions, et qui la surnommèrent, le temps d’une soirée, « Miss Rumba » !

    Léa se sentait donc destinée à baigner dans le monde musical depuis toute petite, de préférence dans l’ombre plutôt que sur le devant de la scène. Elle ne voulait pas être célèbre, mais s’en mettre plein les oreilles ! Ainsi, elle espérait devenir musicienne professionnelle, et pour cela, faire l’école de musique de Lyon ! Mais lorsqu’on dépend de ses parents, de leur vision de la vie et de leur budget, il est plus facile d’espérer que de réaliser !

    Son orientation professionnelle avait donc commencé à la fin de sa seconde tronc commun. Lorsqu’elle eut à décider de son orientation pour la première et la terminale, elle fit part à ses parents de son souhait de préparer un bac A4 : musique ! Son père n’était pas très chaud, préférant qu’elle s’oriente vers les sciences, étant sans doute pour lui une valeur plus sûre. Mais sa mère, elle, lui dit qu’elle pouvait déjà commencer par se renseigner, ce bac se préparant dans le lycée d’en face et s’imaginant sans doute que devant effectuer les démarches elle-même, Léa laisserait tomber. Mais celle-ci ne se dégonfla pas et téléphona au lycée, obtenant de parler avec la prof de musique qui s’occupait des examens. Elle accorda à Léa l’esprit du doute, sur sa capacité à rattraper l’année de seconde qu’elle avait manquée, et lui donna trois références de livres, en lui spécifiant qu’elle avait deux mois pour potasser, avant de pouvoir passer l’examen d’admission en première. Léa ingurgita les trois livres avec enthousiasme et curiosité exacerbée, découvrant à quel point elle aimait le solfège, la musique dans ses secrets, quand elle l’apprenait seule, à l’aide de théories très bien conçues.

    Malheureusement, pour l’avenir de Léa, et heureusement pour ses parents, le conseil de classe annonça à sa mère qu’elle était admise en section philosophie ! Léa ne l’avait même pas envisagé, mais elle n’hésita pas très longtemps. La philo l’attirait. Jusqu’ici, elle n’avait fait que du français. Or, on lui proposait d’attaquer les grands penseurs… Pourquoi pas, histoire de se donner une chance de plus, de bien appréhender la vie…

    La liste des envies professionnelles de Léa était longue, mais quatre lui tenaient plus particulièrement à cœur, dont après l’école de musique de Lyon, celle d’audiovisuel de Toulouse. Elle rêvait de se retrouver derrière d’immenses sonos, s’occupant des sons et lumières !

    Décoratrice-scénographe était la troisième, où son métier aurait été de décorer les scènes de théâtre et de cinéma, les appartements de bourgeois aux goûts loufoques, les devantures de magasin… ! Elle s’était renseignée sur les deux écoles qui existaient, l’une à Paris, l’autre à Strasbourg.

    Enfin, son quatrième vœu professionnel était en fait celui qu’elle avait formulé en premier, alors qu’elle n’avait que sept ans : être vétérinaire. Mais son père lui apprenant qu’il faudrait alors faire sept années d’études supérieures après le bac, cela lui avait paru une éternité ! Elle ne savait pas à ce moment-là que bien des années plus tard, après douze années d’une même carrière, elle saurait enfin que s’occuper d’animaux lui aurait mieux convenu ! Elle avait toujours eu une certaine facilité avec les animaux, autant les siens que ceux des autres. Nombre de gens pourraient le constater… En vain !

    De toute façon, que ce soit pour faire des études à Lyon, à Toulouse, à Paris, Strasbourg ou autre, son avenir professionnel semblait bien compromis. Son père disait qu’il n’allait pas payer des trajets et une « piaule » à un « oiseau de nuit », qui ne penserait qu’à faire la « bringue » et risquerait de se faire violer ! Cela agaçait Léa, car elle savait parfaitement ce que son père ne voulait pas voir : s’il avait justement pris tous ces risques, elle aurait tout fait pour honorer cette confiance, en faisant attention et en bossant à fond, l’envie changeant le travail en plaisir… De surcroît, ses parents avaient trois enfants à charge et payaient déjà des études supérieures privées, à l’une d’entre elles.

    Léa ne leur en voulait pas, de ne pas être plus riches que confiants envers les aléas de la vie ! Quant à « l’oiseau de nuit », elle se souvenait de ces soirées d’été où ils s’asseyaient avec son père, sur les marches devant l’entrée de leur maison, face au ciel étoilé. C’était peut-être bien un peu de sa faute si elle aimait autant la nuit !

    Ainsi, Léa ne serait pas musicienne, ni ingénieur du son, ni décoratrice-scénographe ou encore vétérinaire ! Son père était militaire et sa mère infirmière. Cette dernière avait déjà, plusieurs fois, dit à Léa qu’elle préférerait nettement la voir faire de la musique que ce métier ingrat… Et pourtant…

    Léa, après trois années de philo, avait décidé de ne pas continuer, Khâgne et Hypokhâgne étant les seules voies intéressantes à suivre, elle craignait que ce ne soit rébarbatif, à la longue, de se prendre pour le penseur de Rodin ! Sa mère lui apprit qu’une nouvelle année de fac de sciences venait d’être créée, pour une remise à niveau des bacs C et D, en maths, physique, chimie et sciences naturelles, préparant aux concours paramédicaux. C’est ce qu’il fallait à Léa, elle n’en avait plus fait depuis la seconde, et puisqu’elle ne pouvait aller étudier dans une autre ville, il fallait qu’elle trouve à Clermont, quelque chose qui lui plaise quand même un minimum. Elle se renseigna sur l’école des beaux-arts, mais après cinq années d’études, c’est aux étudiants de trouver leur voie dans tout cet art, et bonne chance ! Léa voulait être sûre que si elle perdait cinq années à étudier, au moins cela lui donnerait un travail directement, sans qu’elle se retrouve dans l’expectative d’avoir un diplôme en poche, mais sans savoir quoi en faire !

    Il ne lui restait donc que le contact avec les gens, par rapport aux tests qu’elle avait faits sur ses envies professionnelles. Comme elle voulait faire des études les plus courtes possibles pour pouvoir acquérir son indépendance, elle refusa l’idée de faire médecine et choisit de passer trois concours paramédicaux. Infirmière, avec une préférence pour celui-ci, sachant que c’est un métier où l’on a l’opportunité de pouvoir exercer sous bien des aspects différents – hôpital public, privé, libéral, scolaire, entreprises… –, et donc la possibilité de changer de service, quand la lassitude s’installe. Sage-femme, parce que l’idée de donner la vie la séduisait, elle qui adorait les enfants. Mais malheureusement, cela incluait qu’elle ne pourrait pas exercer à domicile, ça ne se faisait plus, et travailler toute sa vie en institution la séduisait nettement moins. Quant au troisième concours, c’était celui de manipulateur en radiologie. Mais c’est bien uniquement parce qu’il n’y avait que deux années d’études, et au cas où elle louperait les autres ; Léa ne se voyant pas vraiment faire passer des radios toute sa vie !

    Le problème ne se posa pas. Elle fut reçue aux trois concours, arrivant même vingt-neuvième sur mille deux cents candidats à celui d’infirmière, alors qu’elle avait assisté à la mise en bière de sa grand-mère le matin même – qui avait vécu avec elle, jusqu’à ses vingt ans, étant comme sa deuxième maman –, et s’apprêtait à l’enterrer le lendemain ! Juste pour donner une idée de l’état d’esprit, dans lequel elle s’était pointée au concours !

    Léa serait donc infirmière ! Un métier que deux ans plus tôt, elle n’avait encore jamais envisagé !

    INFIRMIÈRE !

    Première partie

    Les études : déjà la vie active,

    mais sans la paie !

    Chapitre 1

    Dès la première année d’études !

    Dès la première année d’études en soins infirmiers, on peut être déçu, démotivé, voire dégoûté de ce métier ! Pas besoin de suivre les trois ans, pour se rendre compte des aberrations qui existent et qui révoltent !

    Certains ont même le courage de le reconnaître dès les premiers jours ! Quand elle avait intégré sa promotion, Léa faisait partie des quelque quatre-vingt-dix filles de celle-ci, face aux sept garçons seulement, noyés dans le lot ! Or dès le deuxième jour, l’un d’eux s’était retiré, en apprenant qu’ils auraient de la psychiatrie au programme. Il devait croire qu’il existait encore des écoles d’infirmière, spécialisées en psychiatrie, et qu’il n’aurait donc pas à traiter cette matière. Même si cela avait encore été le cas, il faut savoir que pratiquement tous les services d’un centre hospitalier, quelle que soit leur spécificité, ont régulièrement des patients dont les problèmes psychiatriques s’ajoutent à leur pathologie. Ce n’est pas parce qu’on est schizophrène, qu’on ne risque pas un jour de se casser une jambe et de se retrouver hospitalisé dans un service de traumato-orthopédie ! Et inversement, ce n’est pas parce qu’on s’est cassé une jambe et qu’on se retrouve donc dans un service de traumato-orthopédie, qu’on n’a pas de problème psychiatrique antérieur à l’accident !

    En tous les cas, Léa put constater que pour des futurs professionnels dont le travail serait de s’occuper d’êtres humains, certains élèves de sa promo avaient déjà la langue bien pendue, en critiquant ce jeune homme qui « fuyait » devant le mot psychiatrie. Léa trouvait cela plutôt courageux de sa part, de reconnaître qu’il ne voulait pas entendre parler de cette pathologie, et tout aussi intelligent de ne pas perdre plus de temps, voire au pire une année scolaire pour l’assumer. D’autre part, elle se demandait de quel droit on pouvait le juger sur sa décision, ne connaissant pas sa personnalité, et encore moins sa vie privée ! Peut-être avait-il eu un proche atteint de troubles psychiatriques, ce qui l’empêchait d’aborder cette pathologie avec la même innocence qu’autrui, ou encore, le fait de vivre ce problème dans sa vie privée lui ôtait toute envie de retrouver cela dans son travail…

    Pour sa part, il suffit d’un stage à Léa pour qu’elle émette des doutes sur son envie de faire ce métier. Le problème ne venait pas des patients, de leur pathologie ou de leur famille, mais plutôt de l’équipe soignante et de l’ambiance qui régnait. Léa n’avait jamais été hospitalisée et ses premiers jours de stage lui parurent irréels. Déjà, les élèves étant au nombre de deux par lieu de stage et par année d’études, elle s’était retrouvée dans un service de cardiologie, avec une élève tellement timide qu’elle devait poser les questions pour deux ! Si elles avaient toutes les deux posé des questions, cela aurait sans doute paru équilibrer aux oreilles des infirmières, mais comme l’une des deux était totalement silencieuse, et l’autre forcément beaucoup plus demandeuse, Léa s’entendit rapidement répondre que les étudiantes de deuxième et troisième année étaient là pour les encadrer !

    Une étudiante de première année, qui débarque sur son premier lieu de stage, endroit complètement inconnu dont on lui a à peine parlé, n’ayant donc jamais fait le moindre soin, puisque ce stage démarre un mois à peine après avoir intégré l’école, est complètement larguée. Mais le pire, c’est lorsqu’elle se retrouve en plus avec quelqu’un qui compte sur elle pour poser toutes les questions nécessaires à leur apprentissage, et que face à cela, elle trouve des soignants qui n’ont pas le temps de les former, et des étudiantes des années supérieures qui prennent un malin plaisir à les laisser tremper dans leur jus, un peu trop fières de leur savoir.

    Le comble, c’est qu’il y avait dans ce service une infirmière, en particulier, dont Léa se souviendrait toute sa vie ! De taille moyenne, brune aux cheveux courts et frisés, elle n’avait pas un visage particulièrement désagréable, si ce n’est qu’elle ne souriait jamais, et qu’associé à ses petits yeux noirs et ses râleries incessantes, cela en faisait quelqu’un de très antipathique ! Chère Marie-Odile, dont elle n’oublierait jamais le prénom ! Léa devait être encadrée par elle et après plusieurs jours à essuyer ses remarques méchantes et injustifiées, vu le manque d’expérience de Léa, elle vit cette infirmière lui renversait un bassin plein d’urine et d’excréments sur les pieds, tout en lui reprochant de ne pas faire attention !

    Léa raconta en pleurs sa mésaventure, le soir même à sa mère, lui disant qu’elle ne voulait pas continuer ces études. Mais sa mère sut la raisonner, en lui expliquant que des gens aigris qui transgressent leurs problèmes personnels en mauvaise humeur au travail, il y en a dans tous les métiers. Quant au fait de s’en prendre à une élève, qui connaît sa condition de personne qui ne peut répliquer, tenue par son rapport de fin de stage, c’était sans aucun doute plus facile qu’avec ses collègues !

    Léa vit, là, la première aberration à constater : les élèves aussi devraient avoir un rapport à faire à chaque fin de stage, sur l’équipe soignante ; histoire que celle-ci se souvienne, de temps en temps, qu’elle a été élève elle aussi autrefois ! Léa d’ailleurs, apprendrait que l’école avait supprimé deux services de l’hôpital, comme lieu de stage, tant les élèves s’en plaignaient.

    Sa mère demanda à Léa de bien vouloir tenir le coup, de ne pas se contenter de ce premier stage, d’accepter d’en faire au moins un ou deux autres avant de prendre sa décision.

    Léa accepta et demanda à une infirmière du service, beaucoup plus sympa, de bien vouloir l’encadrer…

    À l’époque, en mille neuf cent quatre-vingt-sept, on n’étudiait pas encore la pathologie dès la première année, et les soins ne portaient que sur le nursing, c’est-à-dire en gros la toilette, le shampooing, le bain de pieds, la réfection du lit et la manutention des patients ! Ce qui permettait à la fin de l’année d’avoir l’équivalence du diplôme d’aide-soignant, et ainsi la possibilité d’arrêter ses études pour pouvoir travailler déjà en tant que tel.

    Léa irait de surprise en surprise ! Les stages pouvaient être internes ou externes aux hôpitaux, comme par exemple en maison de retraite médicalisée. Elle verrait ainsi toutes sortes de pathologie, tout au long de ses trois années d’études, ainsi que les différentes possibilités existantes en tant que travail infirmier. Selon le service ou l’endroit, l’infirmier a une charge de travail plus ou moins importante. Les services de réanimation, de soins intensifs ou d’urgence sont, bien entendu, les plus chargés. Dans certains, on court toute la journée, dans d’autre on a plus le temps de parler aux patients, lorsqu’on trouve encore quelque attrait à cela et qu’on ne préfère pas passer ces moments calmes dans l’office, à discuter avec ses collègues du dernier pull tricoté ou du dernier match de foot pour ces messieurs !

    Léa était très observatrice et pas mal de stages lui laisseraient des souvenirs indélébiles !

    Chapitre 2

    Quelle première année !

    Ce premier stage en cardiologie avait déjà demandé une remise en question à Léa, sur son envie de faire un tel métier. Elle se rendait compte, hormis la difficulté de supporter les images et les conséquences que renvoyait une pathologie, que l’ambiance qui régnait dans un service et les conflits de son équipe pourraient s’avérer plus difficiles à accepter. L’objectif était d’appréhender les locaux, la chambre d’un patient, le fonctionnement du service, tant dans la répartition des soins que l’organisation de l’équipe. Elle devait faire un lit, vider, nettoyer et changer un bassin, un urinal. Autant dire que lorsqu’on met les pieds pour la première fois dans un service hospitalier, non pas pour rendre visite à un proche hospitalisé où il suffit de trouver le bon numéro de chambre, mais pour y travailler, on est complètement largué quant au lieu. Léa était censée être encadrée pour découvrir l’endroit !

    Lorsqu’elles arrivèrent avec l’autre stagiaire à l’heure demandée, c’est-à-dire six heures du matin, elles se retrouvèrent dans la salle de soins où l’équipe de nuit passait sa relève. On les envoya se changer dans un vestiaire, puis les infirmières demandèrent aux autres étudiantes de troisième année de les prendre en charge. Celles-ci devant préparer des soins pour le premier tour de huit heures, ne purent donc leur faire visiter le service et Léa joua les petits chiens toute la matinée, les suivant et obéissant aux ordres qu’on lui donnait, sans vraiment comprendre dans quel déroulement de soins elle fonctionnait, en ayant l’impression de vivre un moment irréel, comme portée par ce qu’on lui demandait de faire, sans aucun moyen d’en contrôler le bien-fondé ou l’efficacité ! Et cela dura plusieurs jours avant que Léa ne se repère et puisse prendre des initiatives qui lui donneraient plus d’assurance.

    Il est vraiment regrettable que le tout premier stage d’un étudiant ne soit pas considéré avec plus d’importance. Débarqué dans un monde aussi inconnu qu’impressionnant, et se retrouver ainsi largué, sans réelle aide ou explication sur les bases de fonctionnement du service, est d’autant plus pénalisant que cela accentue le sentiment d’insécurité quant aux actes que l’on fait. Or là, on ne se trouve pas devant un ordinateur ou une machine d’usine, mais bien devant un être humain qui souffre et pas seulement physiquement. Léa ressentait déjà le malaise de certains malades face à son inexpérience. Leur pudeur à dévoiler leur nudité, voire leur intimité, pour recevoir les soins d’hygiène qu’ils ne pouvaient faire eux-mêmes. Dès le premier jour, alors qu’elle ne connaissait pas plus les locaux, que le fonctionnement de l’appareil à laver les bassins, on lui demanda de répondre aux sonnettes. Léa se retrouva avec un bassin plein d’excréments dans la main, sans savoir où l’amener pour le nettoyer, et n’eut d’autre choix que de rejoindre l’équipe à l’office pour se renseigner. Celle-ci était en train de déjeuner et Léa sentit, aux regards réprobateurs et aux expressions dégoûtées, qu’elle n’était pas la bienvenue, avec son bassin puant à la main, même si elle avait pris la peine de le recouvrir de son couvercle, faisait attention à le tenir derrière la porte entrebâillée et à ne pas rentrer dans la pièce. Bref, qu’elle gonflait tout le monde à ne pas savoir, en plus, quoi en faire ! Une aide-soignante finit par se décider à lui montrer où se trouvait le vidoir, comment utiliser la machine à laver et désinfecter, et le stock de bassins secs, pour pouvoir en ramener un autre au patient.

    Dès les premiers jours, les infirmières lui dirent de suivre les aides-soignantes, pour faire les toilettes. Là, Léa se rendit rapidement compte que même si son objectif de stage n’était que de faire les lits, puisqu’elle n’avait pas encore appris à faire les toilettes, elle allait pouvoir et devoir devancer les cours, en participant à celles-ci. Cela avait du bon, dans le sens où on l’incluait dans les soins, lui montrant une certaine confiance et lui permettant d’anticiper un ressenti et un élément de comparaison pour les cours qu’elle aurait par la suite. Mais Léa sentait bien que ce n’était pas du tout fait dans ce but, mais plutôt pour pallier le manque d’effectif, par rapport au nombre de toilettes à faire ; d’autant plus qu’elle ne pouvait que reproduire les gestes que lui demandait l’aide-soignante avec qui elle travaillait, n’ayant encore aucune notion d’ergonomie ou de manutention.

    La deuxième semaine, son objectif de stage était de rendre compte de la notion de temps et d’espace qui entoure le malade. Donnait-on à ce dernier des repères, quant à l’heure des repas, des visites de médecins, des soins ? Tenait-on compte de ses propres rythmes biologiques ? Léa, n’ayant eu elle-même aucun accueil à ce propos, comprit rapidement qu’il en était de même pour tout patient. Une formatrice leur avait dit que « l’hôpital est comme un hôtel où l’on soigne ». Léa n’oublierait jamais à quel point elle avait été d’accord avec la signification de ce propos et combien elle pouvait constater tous les jours son utopie ! À l’hôtel, le client se voit proposer des repas à des heures laissant une marge de choix et il dispose de tout le temps qu’il désire pour manger. À l’hôpital, on impose l’heure de tous les repas et ne laisse qu’un petit laps de temps pour ingurgiter le plateau, car dans la plupart des services, dès que la distribution s’est finie au bout du couloir, on remonte celui-ci pour commencer à ramasser les premiers plateaux distribués !

    Que le patient ait bien dormi ou pas, l’heure du réveil est la même pour tout le monde. Or, croire qu’on va pouvoir se reposer à l’hôpital tient aussi de l’utopie ! Les soignants passent minimum deux fois dans la nuit, vérifier que tout va bien. Lorsque le patient a la chance d’avoir une chambre seule et un bon sommeil, il peut espérer ne pas être réveillé par la lampe de poche qu’on met sur son visage pour vérifier ! Mais il suffit qu’il ait des injections de produit ou que son voisin de chambre en ait, pour qu’on risque de le réveiller. Et pourtant, si c’est un changement de perfusion que l’on doit effectuer à son chevet, le fait que les liquides ne soient plus conditionnés dans des bouteilles en verre – qui tapent contre le métal du pied à perfusion, si on ne prend pas le temps de faire très attention –, mais pour la plupart dans des sachets en plastique, a nettement amélioré les choses… Si on oublie que l’infirmier est censé regarder son bras, à l’endroit où est implantée l’aiguille, pour être sûr que le produit coule bien dans sa veine, et non dans son lit, ou dans ses chairs – lui donnant alors un bras de bibendum Michelin, douloureux et pouvant être lourd de conséquences – ! Or, dans ce cas, à part pour celui qui dort sur le dos, les bras tendus et dans le sens de la perfusion, il y a peu de chance qu’on ne le réveille pas pour vérifier.

    Pour ajouter à cela, Léa plaignait en particulier les patients qui avaient leur chambre en face ou près de l’office. Les soignants se préoccupent rarement du bruit que leurs conversations et leurs rires, plus ou moins bruyants, peuvent causer ; des résonances que cela engendre dans un endroit silencieux. Le nec plus ultra est le soignant qui a choisi des sabots en bois pour sa tenue de soin et qui aime les faire claquer à chaque pas ! On ne saura jamais si c’est parce qu’il a l’impression que les autres aiment reconnaître son pas ou parce que cela lui donne de l’assurance ! Et même lorsqu’on tombe sur un soignant discret, qui a des chaussures silencieuses, qui pense à ne pas faire de bruit dans l’office, qui fait attention à faire ses soins près du malade le plus silencieusement possible, qui fait attention à ne pas lui mettre la lampe de poche directement sur le visage, qui préfère se contorsionner pour vérifier sa perfusion, plutôt que de lui tourner le bras, qui ouvre et referme la porte de sa chambre le plus discrètement possible…, c’est son chariot de soins dans le couloir qui grince et fait un boucan du diable à chaque déplacement !

    Le patient qui, en rentrant chez lui, dit qu’il s’est reposé à l’hôpital, même s’il était en convalescence, n’est pas né !

    D’autre part, à l’hôtel, le client a le choix de l’heure de sa toilette. À l’hôpital, qu’il soit encore dans les bras de Morphée ou dans un état physique douloureux, on le « remue » à l’heure décidée par le planning !

    La troisième semaine de stage de Léa avait pour objectif de référencer tous les documents concernant le malade. Elle s’attendait à en trouver quatre ou cinq ! Mais une fois le tout réuni, c’était digne d’une liste de commissions pour remplir un frigo vide ! Il y avait le dossier infirmier, le dossier de prescriptions, le dossier de rendez-vous, le classeur d’étiquettes sur l’identité des patients, le classeur des cartes de groupes sanguins et transfusions, le classeur des traitements et surveillances, le classeur des aides-soignantes rapportant le nursing, les fiches de repas, les fiches de régime, la fiche individuelle, le dossier médical, la feuille de température, la feuille d’observation, la fiche d’admission, le cahier de mouvement journalier, les bulletins d’examens, le cahier de transmissions, le tableau des régimes, les fiches horaires, l’agenda des entrées et sorties, le dossier de visites des médecins et des internes, les cahiers d’examens spécifiques au service, la fiche de consultations… Bref ! Une bonne trentaine de documents, qui montra à Léa quelle source de perte de temps ou de confusion cela pouvait engendrer pour les soignants en quête de renseignement ! D’autant plus que certains documents étaient dans la salle de soins, d’autres dans le bureau des médecins, d’autres encore dans celui des secrétaires ou de la surveillante ! De quoi tourner bourrique, rien que pour un seul patient !

    À sa quatrième semaine de stage, Léa devait étudier le cas d’un patient, ses besoins face à sa pathologie, et son avenir, pour en retenir qu’elle devait partir d’emblée des priorités de la personne. Encore une fois, force lui serait de reconnaître que les priorités du service passent bien avant !

    La suite logique voulait que son objectif, pour la cinquième semaine, soit de se préoccuper des problèmes du patient, pour que son but premier soit de définir des objectifs de soins précis, mesurables et réalisables. En considérant toutes les énumérations faites précédemment, « y’a du boulot » !

    Léa ressortirait de ce stage très sceptique quant au plaisir d’exercer ce métier, et déjà persuadée de souhaiter ne jamais être hospitalisée !

    Le second stage de Léa allait être aussi surprenant à vivre, qu’à croire ! Elle se retrouvait dans un service de psychiatrie, où se mélangeaient toxicomanes, dépressifs, et aliénés en tous genres !

    Aucun être humain n’est à l’abri de sombrer dans la drogue, l’alcoolisme ou la déprime, l’une entraînant d’ailleurs souvent l’autre ! Une enfance difficile, un évènement malheureux, un mal-être, une grosse déception… La liste de tout ce qui peut engendrer ces conséquences est infinie. Et c’est justement parce que c’est déjà sans doute très difficile à vivre, que Léa ne pouvait concevoir qu’on mélange ces êtres, en besoin d’une thérapie pour les aider à surmonter leur souffrance, comme leur dépendance, à des psychopathes de toutes sortes. Que ce soit par dégénérescence sénile, chez des personnes âgées, ou par des maladies psychiatriques, leur contact, leur image et tout ce qu’ils pouvaient renvoyer, ne pouvait qu’être encore plus déstabilisant, pour les premiers ! Léa aurait pu comprendre, mais sans la psychiatrie, qu’on intègre dans le même service, dépressifs, alcooliques et autres toxicomanes. Le fait d’ailleurs qu’ils n’aient pas exactement le même problème peut les amener à en discuter ensemble, à faire découvrir leur propre dépendance. Ce partage peut engendrer une certaine entraide, un soutien positif à la thérapie. Alors que se retrouver dans une chambre mitoyenne à celle d’un déséquilibré mental, qui risque de leur sauter à la gorge la nuit comme dans la journée, engendre un sentiment supplémentaire d’insécurité. Quelqu’un qui puise dans l’alcool, la drogue ou les tranquillisants, un bien-être, une certaine assurance, voire un oubli ou au moins une diminution de ses soucis, n’a surtout pas besoin d’insécurité provenant de ses pairs !

    Quand Léa était arrivée dans le service, elle avait immédiatement remarqué les cris, semblant provenir du fond du service. Lors de sa première journée, elle avait visité le service, constaté que celui-ci formait un carré, contrairement à la plupart qui se présentent sous la forme d’un long couloir tout droit, et vérifié que les cris permanents provenaient bien de l’angle du service le plus opposé à son entrée !

    La femme qui criait était âgée, squelettique et attachée sur son fauteuil. Léa apprendrait à bien la connaître, puisque le service lui confierait sa toilette et la prise de ses repas. Au fil de son stage, elle pourrait ainsi se rendre compte que cette patiente était la plus lourde du service, au niveau des soins, et qu’une fois de plus, les soignants se soulageaient sur les élèves des « corvées » les plus astreignantes pour eux ! Cette patiente s’appelait Marie-Adélaïde. Elle était devenue sénile en vieillissant, son comportement empêchant sa famille de pouvoir s’en occuper personnellement, comme toute maison de retraite de l’accepter. Léa ne pouvait faire sa toilette seule, Marie-Adélaïde se recroquevillant sur elle-même et décuplant une force qu’on avait du mal à vaincre, pour pouvoir la laver partout. Même lorsque cette entreprise était terminée, et qu’elle avait réussi à l’habiller, ce qui était aussi difficile, il était courant, voire quotidien, de la retrouver prisonnière dans les manches de son pull, dont elle avait réussi à faire un sac de nœuds autour de son torse, risquant parfois de s’étrangler avec ! Il fallait à Léa comme à sa collègue, beaucoup de patience et de force pour arriver à leurs fins, sans s’énerver des coups qu’elles pouvaient prendre et de la résistance irraisonnée de cette patiente. Mais Léa, comme avec la plupart des patients qu’elle aurait en charge, se prenait d’affection au fil du temps pour cette mamie, qui si elle avait perdu la raison, la faisait souvent sourire. Par exemple, elle n’avait plus de dent, et l’équipe avait depuis longtemps abandonné l’idée de lui mettre ses dentiers, ne retrouvant jamais ceux-ci à leur emplacement ! Léa mettait donc presque une heure à lui faire avaler, bouchée par bouchée, un repas mixé. Or, un jour qu’elle avait un cake à lui donner comme dessert, elle rit en constatant que Marie-Adélaïde avait bien fait fondre le gâteau peu à peu dans sa bouche, l’avalant au fur et à mesure, mais qu’à la fin de celui-ci, sa prononciation n’était plus la même ! Léa lui demanda d’ouvrir la bouche, et lorsque la patiente consentit à le faire, Léa put constater qu’elle avait tous les morceaux de fruits confits sur la langue, Marie-Adélaïde riant avec elle, sans savoir pourquoi ! Léa lui dit qu’elle penserait à faire savoir que la compote ou le yaourt était plus approprié ! Mais la particularité de M.A. était surtout sa manière de parler. Elle criait plus qu’elle ne parlait et toutes ses phrases, même de brèves allocutions, finissaient en crescendo. Par exemple, elle avait l’habitude de répondre à chaque question par « Eh ouaiaiaiaiaiaiais ! », le volume s’augmentant avec la longueur des dernières syllabes. Quand on lui demandait comment elle s’appelait, elle répondait « Marie-Adélaïïïïïïïïïïïïde ! » D’autre part, elle avait une voix relativement aiguë et tout le service en profitait ! Léa arriverait à la faire chanter certains jours, de vieilles chansons, sentant dans son regard un plaisir comme elle n’en avait plus. En tous les cas, même si Léa avait compris au fil des jours, par son contact proche avec cette patiente, que celle-ci ne pouvait être dangereuse que pour elle-même, elle comprenait aussi combien ses cris et cette manière de parler pouvaient être inquiétants et stressants pour les autres patients.

    Léa garderait toujours en mémoire, une certaine anecdote la concernant. Pendant les derniers jours de son stage, M.A. s’était mise à saliver énormément et à cracher à chaque fois qu’il était nécessaire. Mais loin de se baver dessus, elle mettait la même force dans ses crachats que dans sa voix ou sa position ! Autant dire qu’elle repeignait les murs de sa chambre ! Léa avait repéré qu’à chaque fois qu’elle s’apprêtait à cracher, elle mâchait ses lèvres juste avant. Lorsqu’elle était près d’elle, elle prenait une serviette avec elle pour « cueillir » ses crachats avant même qu’ils aient le temps de s’envoler, et si elle était trop loin pour pouvoir le faire, alors elle devait s’arranger pour les éviter ! Or, un jour, en fin de matinée, alors qu’elle suivait l’équipe médicale effectuant sa visite, elle prévint le chef du service, comme les internes, de surveiller M.A. et ses crachats de près, s’ils ne voulaient pas gâcher la propreté de leur blouse ! Du coup, aucun n’osa entrer dans la chambre et s’approcher du lit, et ils vérifièrent du pas de la porte, que M.A. allait bien ! Le professeur du service eut quand même des scrupules à faire passer la propreté de sa blouse avant son examen et finit par entrer dans la pièce. Il examina M.A., se poussant vite de sa trajectoire, lorsque Léa le prévint qu’elle allait cracher… Le mur de la chambre accueillit un nouvel « escargot », du genre qui adhère bien ! Avec cette expérience, Léa put constater combien une équipe peut se lasser d’avoir tous les jours, à s’occuper d’une telle patiente. Car en fait, c’est encore plus dur lorsque l’équipe sait parfaitement qu’elle va devoir le supporter jusqu’au décès de la patiente. Or, même si M.A. était âgée, sénile et squelettique, son cœur était vaillant tout autant que sa force ! Au fil de ses stages, Léa pourrait ainsi constater que tous les services de long séjour, comme la gériatrie, la convalescence et la psychiatrie, demandent aux soignants une patience supplémentaire. Celle d’accepter de ne pas savoir combien de temps, qu’il soit en jours, en mois ou en années, ils vont devoir supporter ces soins quotidiens ! Là aussi, elle trouvait que s’il était bien pour ce genre de patients de rester toujours dans le même service, car l’équipe finissait par bien les connaître, ce qui permettait de mieux s’en occuper, il aurait peut-être été intéressant d’envisager entre services de mêmes pathologies, d’échanger des patients, lorsque l’équipe était lasse et considérait les soins d’un patient comme une corvée. Léa avait remarqué combien chez certains soignants, l’envie que le patient décède rendait leurs actes plus brutaux ! Un ras-le-bol prédominait, face à la difficulté de s’en occuper, face à la résistance inconsciente à se laisser toiletter et habiller, demandant beaucoup de patience au soignant. Dans la plupart des cas, et sans doute à cause d’un certain sentiment de culpabilité à désirer ce décès pour ne plus avoir à s’en occuper, ils se justifiaient en expliquant que c’était le mieux qu’il pouvait arriver à cette personne, qui n’avait aucun espoir de récupérer un peu de raison lui faisant apprécier d’être en vie !

    Léa pourrait constater autre chose pendant ce stage, qu’elle verrait se confirmer malheureusement trop souvent, au fil des services dans lesquels elle évoluerait. Un matin, alors qu’elle suivait la visite médicale en compagnie du professeur du service, d’un interne, de deux externes et d’une infirmière, ils entrèrent dans une chambre où la patiente était en train d’uriner dans un pot posé à même le sol, accroupie dessus. Cette patiente était âgée, vivant à la campagne, avec les sanitaires au fond du jardin et un pot de chambre pour la nuit. Elle avait donc toujours refusé d’utiliser les bassins proposés à cet effet, étant trop habituée à son pot de chambre, qu’elle avait demandé à sa famille de lui rapporter. Dès leur entrée dans la chambre, elle expliqua à ces messieurs qu’ils tombaient bien, puisqu’ils allaient pouvoir l’aider à se relever, ses articulations étant trop rouillées pour qu’elle y arrive toute seule. Ce que les externes firent, ayant là l’occasion de montrer leur solidarité sans trop se salir les mains, et n’ayant pas le choix de toute manière, non par galanterie mais pour plaire à leur chef de service. La patiente étant forte et pleine de cellulite, elle avait dû mal se positionner sur le pot et il y avait autant d’urine sur le sol que dedans ! Ce qui fit sourire Léa, c’est que les deux futurs médecins le constatèrent en même temps, faisant bien attention à ne pas marcher dedans, – non pas qu’ils risquent d’en mettre partout, donc par respect pour le travail des ASH (agent des services hospitaliers), mais pour ne pas

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