La Rose et Les Épines
Par Alta Hensley
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À propos de ce livre électronique
Je fréquente les présidents, la royauté, les magnats de l'industrie et les plus riches parmi les plus riches de ce monde.
On nous trouve à La Rose et Les Épines, un club sélect de La Nouvelle Orléans, auquel on n'accède que par le nom ou la fortune. Il est exclusivement réservé aux gentlemen qui possèdent tout et ne connaissent pas les refus.
Siroter du whisky, fumer des cigares et conclure des affaires à plusieurs millions de dollars, voilà ce que nous faisons sur notre terrain de jeu privé. Il n'y a rien que je ne puisse pas avoir... y compris elle. Je peux l'avoir aussi, si je veux.
Et je le veux.
Alta Hensley
Alta Hensley is a New York Times bestselling author of dark romance where the villain always gets the happily ever after. Twisted, clever, and occasionally unhinged, her books deliver morally gray anti-heroes, sharp-tongued heroines, and happily ever afters that taste even sweeter after a little ruin. With a signature blend of grit, wit, and heat, Alta’s stories prove one thing: villains deserve love too. Alta lives on the foggy coast of Oregon with her husband, two daughters, and a pair of dogs who think they’re in charge. When she’s not writing redemption for the irredeemable, she’s walking the coastline or sipping craft beer in eccentric little bars that feel like they belong in her books.
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Avis sur La Rose et Les Épines
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Aperçu du livre
La Rose et Les Épines - Alta Hensley
La Rose et Les Épines
NEC PLUS ULTRA
Alta Hensley
À monsieur Hensley,
J’ai envie de lécher ce whisky qui perle sur tes lèvres.
Table des matières
Introduction
1. Chapitre Premier
2. Chapitre Deux
3. Chapitre Trois
4. Chapitre Quatre
5. Chapitre Cinq
6. Chapitre Six
7. Chapitre Sept
8. Chapitre Huit
9. Chapitre Neuf
10. Chapitre dix
11. Chapitre onze
12. Chapitre douze
13. Chapitre treize
14. Chapitre quatorze
15. Chapitre Quinze
16. Chapitre seize
17. Chapitre dix-sept
18. Chapitre dix-huit
19. Chapitre dix-neuf
20. Chapitre vingt
21. Chapitre vingt et un
22. Chapitre vingt-deux
Fureur & Vodka
Introduction
1. Chapitre Premier
2. Chapitre Deux
3. Chapitre Trois
4. Chapitre Quatre
5. Chapitre Cinq
6. Chapitre Six
7. Chapitre Sept
8. Chapitre Huit
9. Chapitre Neuf
10. Chapitre Dix
11. Chapitre Onze
12. Chapitre Douze
13. Chapitre Treize
14. Chapitre Quatorze
15. Chapitre Quinze
16. Chapitre Seize
17. Chapitre Dix-sept
18. Chapitre Dix-huit
19. Chapitre Dix-neuf
20. Chapitre Vingt
Idée fixe & Eau-de-vie
Prologue
1. Chapitre Un
2. Chapitre Deux
3. Chapitre Trois
4. Chapitre Quatre
5. Chapitre Cinq
6. Chapitre Six
7. Chapitre Sept
8. Chapitre Huit
9. Chapitre Neuf
10. Chapitre Dix
11. Chapitre Onze
12. Chapitre Douze
13. Chapitre Treize
14. Chapitre Quatorze
15. Chapitre Quinze
16. Chapitre Seize
17. Chapitre Dix-sept
18. Chapitre Dix-huit
19. Chapitre Dix-neuf
20. Chapitre Vingt
21. Chapitre Vingt et un
Ténèbres & Pur Malt
Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Noblesse & Bourbon
Introduction
1. Chapitre Premier
2. Chapitre Deux
3. Chapitre Trois
4. Chapitre Quatre
5. Chapitre Cinq
6. Chapitre Six
7. Chapitre Sept
8. Chapitre Huit
9. Chapitre Neuf
10. Chapitre dix
11. Chapitre Onze
12. Chapitre Douze
13. Chapitre Treize
14. Chapitre Quatorze
15. Chapitre Quinze
16. Chapitre Seize
17. Chapitre Dix-sept
18. Chapitre Dix-huit
19. Chapitre Dix-neuf
Cœur et Liqueur
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
À propos de l’auteur
Du même auteur
Luxure & Whisky
Nec plus ultra, tome 1
Je fréquente les présidents, la royauté, les magnats de l’industrie et les plus riches parmi les plus riches de ce monde.
On nous trouve à La Rose et Les Épines, un club sélect de La Nouvelle Orléans, auquel on n’accède que par le nom ou la fortune. Il est exclusivement réservé aux gentlemen qui possèdent tout et ne connaissent pas les refus.
Siroter du whisky, fumer des cigares et conclure des affaires à plusieurs millions de dollars, voilà ce que nous faisons sur notre terrain de jeu privé. Il n’y a rien que je ne puisse pas avoir... y compris elle. Je peux l’avoir aussi, si je veux.
Et je le veux.
Luxure & Whisky est une romance dark dans l’univers des milliardaires. Si vous n’aimez pas un soupçon de scandale, une pincée de tabou et une bonne dose de dépravation, ne goûtez pas au NEC PLUS ULTRA des cocktails.
1
Chapitre Premier
Kenneth
J’étais attablé devant une bande de salauds.
Ces six connards de riches, un savant mélange entre de petits génies et de parfaits enfoirés, étaient assis autour d’une table ronde en grenadille d’Afrique. Chacun d’eux paraissait ennuyé d’être convoqué à cette assemblée.
Pourquoi de la grenadille d’Afrique, l’un des bois les plus chers au monde, qui sert habituellement à la fabrication d’instruments de musique et est surexploité au point d’être menacé d’extinction, me direz-vous ? Pourquoi avions-nous eu besoin d’installer une table de conférence en grenadille aussi luxueuse dans notre bureau ?
Car nous le pouvions.
Pourquoi tous ces fumiers avaient-ils posé leur verre d’alcool haut de gamme, dont la condensation provoquée par les glaçons s’égouttait en cercles, sur ce bois si délicat ?
Car nous le pouvions.
Nous pouvions exaucer tous nos désirs.
Nous avions les moyens de racheter une table semblable avec une telle aisance que notre matérialisme devenait clair aux yeux des autres.
Nous étions de vrais nantis, des salopards pleins d’insouciance. Chacun d’entre nous.
Quelque part, c’était moi qui avais décidé de m’associer financièrement avec ces monstres. Le plus souvent, j’avais l’impression d’avoir pris une sacrée bonne décision en me joignant à cette bande hétéroclite et, d’autres fois, j’aurais aimé savoir combien de litres de whisky Macallan Sherry Oak j’avais dû boire afin d’être suffisamment ivre pour me lancer dans une telle entreprise. Si j’avais su qu’il y aurait autant de travail à fournir, j’aurais résisté un peu plus longtemps avant d’accepter ces idioties… Au moins jusqu’à ce que quelqu’un m’offre du Balvenie single malt de cinquante ans d’âge.
Voilà ce que cette folle idée était devenue.
Une connerie monumentale.
Et je n’avais pas le temps pour ça.
Nous étions propriétaires de La Rose et Les Épines – un établissement select de La Nouvelle-Orléans dont on ne pouvait obtenir la carte qu’à la condition de posséder une petite fortune ou de descendre d’une illustre famille. Il était donc réservé aux hommes qui possédaient tout et refusaient qu’on leur dise « non ». Déguster de l’alcool de luxe, fumer des cigares étrangers et conclure des accords de plusieurs millions de dollars sur notre propre terrain de jeu. Nous pouvions tout acquérir… et c’était devenu un problème. Une putain d’épine dans le pied capable de nous faire salement courber l’échine lors de nombreux contentieux et autres règlements de compte judiciaires.
— Écoutez-moi bien, bande de connards, je n’ai pas plus envie que vous d’être ici, lançai-je en croisant le regard de chacune des personnes présentes dans la pièce.
Des hommes puissants, des membres de la royauté, des chefs d’entreprise, les salauds les plus riches du monde.
Et également des amis, des associés et, je devais l’admettre, de cruels enfoirés dépourvus de la moindre once de pitié, capables de faire tout ce qui était en leur pouvoir afin de protéger leurs biens. Tout ce qui était en leur pouvoir.
— On vient de nous coller un nouveau procès, poursuivis-je en posant les yeux sur l’épais dossier devant moi. Et celui-ci, c’est du jamais vu.
Je me tournai de nouveau vers eux. Ils ne semblaient pas du tout inquiétés par mes paroles.
— Sauf que l’on vient tout juste de raquer lors du dernier procès… continuai-je avant de m’éclaircir la gorge. Faites en sorte que ce soient nos derniers procès. Si ça continue, La Rose et Les Épines va devoir être placé sous la protection du chapitre 11 ¹ avant même de fêter son premier anniversaire !
L’un de nos membres fondateurs – le prince Roman Cassian – nous dévisagea tous, puis déclara :
— Aux dernières nouvelles, aucun d’entre nous n’a de problème d’argent. Depuis quand nous sentons-nous menacés par d’insignifiants procès et ennuyés de verser quelques pots-de-vin ?
Avec son accent européen, son sourire charmant et son attitude désinvolte, je comprenais pourquoi les femmes faisaient la queue pour avoir ne serait-ce qu’un aperçu du sang royal qui gonflait parfois sa verge. Nous avions même dû renforcer la sécurité à l’entrée de la boîte, car certaines essayaient de se faufiler à l’intérieur dans l’espoir de mettre le séduisant prince dans leur lit.
— Nous avons déjà filé des dessous-de-table. Beaucoup ! La mairie de La Nouvelle-Orléans va bientôt finir par se retrouver dans la liste de nos virements bancaires bimensuels, si ça continue. Entre les deux élus généraux et les représentants des districts A à E, les sommes que l’on doit cracher crèvent le plafond. Sans compter que le maire est sur notre dos, en ce moment. Il se fiche pas mal de ce que l’on trafique au sein même du club, mais si ça se met à déborder dans les tribunaux, il va très vite perdre patience. Nous devons réagir. Et, je ne sais pas pour vous, mais je n’ai pas ouvert ce club privé pour que le premier connard cupide venu me saigne à blanc parce qu’il voit en nos petites magouilles l’occasion de se faire un bon paquet de fric, sifflai-je entre mes dents.
J’étais presque sûr que d’autres personnes, parmi les membres fondateurs, ressentaient la même chose que moi. Cela dit, je savais aussi que, puisque c’était moi qui m’occupais de toutes les questions juridiques de l’entreprise, il était très probable qu’ils ne saisissent pas vraiment tous la gravité des poursuites engagées et la somme d’argent en jeu.
— C’est l’histoire de ma vie, déclara Alec Sheldon.
Alec avait fait fortune dans l’industrie du pétrole et du tabac. Il ne possédait aucune des manières dont les gentlemans typiques du sud des États-Unis témoignaient habituellement. Au lit, il aimait les jeux coquins plutôt violents et représentait donc à lui seul l’une des raisons pour lesquelles nous devions agir afin de protéger La Rose et Les Épines de futurs litiges. Ce n’était qu’une question de temps avant que ses frasques se muent en procès pour agression sexuelle capable de nous coûter plusieurs millions de dollars.
— La moindre poupée du coin veut me poursuivre en justice pour un regard de travers, encore plus si je la touche.
Il prit une longue gorgée de sa boisson, avant d’ajouter :
— Ça fait partie du jeu. Quand on gagne beaucoup d’argent, il y a forcément quelqu’un qui veut nous le prendre. Mon père m’a appris une dure leçon à ce sujet : même quand on n’engage pas de pute, on finira quand même par payer pour avoir des relations sexuelles, peu importe comment.
Certains hochèrent la tête et ricanèrent de concert.
Le dangereux Harley Crow intervint :
— Et c’est pour bien que ça que tu es là, Kenneth. Que dis-je ? Monsieur Kenneth Saxon, l’avocat véreux capable de détruire n’importe qui dans un tribunal. J’ai raison, n’est-ce pas ? Alors, vas-y, détruis-les tous.
Son ton hargneux ne m’échappa pas, mais je ne m’embêtai pas à lui répondre. Cette ordure était un assassin. Pas moyen de dire les choses autrement. Il avait tué des gens et s’était fait un paquet de thunes grâce à cette activité. Dans le milieu, on le connaissait sous le surnom de The Crow, le corbeau, car tout un chacun savait que s’il débarquait quelque part sans prévenir, c’était très mauvais signe. J’étais ravi qu’il soit mon ami plutôt que mon ennemi, et je n’avais pas l’intention que ça change.
— À moins que tu ne préfères que je règle les choses à ma façon, ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
Les autres éclatèrent tous de rire et lui dirent, sur le ton de l’humour, de ne pas hésiter. Comme si les méthodes d’Harley Crow étaient notre seule issue.
Oh, si seulement !
Je poussai un soupir, car ma frustration ne cessait de croître.
— Vous risquez bien de ne plus pouvoir vous payer mes services très longtemps, bande d’imbéciles.
Je tendis ma main vers la table et attrapai l’épais dossier, avant de l’agiter devant leurs yeux pour l’effet.
— Cette affaire risque de nous délester de dix millions de dollars. Celle que l’on vient de perdre nous a coûté près de trois millions. L’avant-dernière, elle, nous en a fait perdre cinq. Dois-je continuer ?
Cette fois, j’avais leur attention. Je les vis grimacer, carrer la mâchoire et se raidir sur leur siège. Après leur avoir adressé un signe de tête plein d’arrogance, je repris :
— Voilà. Le fait est que nous perdons de l’argent, ou que nous continuerons d’en perdre, si l’on ne se calme pas, car les femmes qui nous traînent en justice sont dans leur droit et ont raison d’essayer de faire tomber nos têtes. Les membres de notre club, ces connards, se conduisent exactement comme ces femmes le prétendent, et vous le savez tous parfaitement.
— Il n’y a aucune règle chez La Rose et Les Épines. Personne n’a le droit de se refuser à l’un de nos membres, fit remarquer Victor Drayton tout en avalant une gorgée du contenu de son verre en cristal. N’est-ce pas pour ça que nous avons ouvert cet endroit ? Parce que nous en avions assez de toutes les règles et autres obligations étouffantes de tous ces autres clubs privés ? Et tu nous demandes de faire comme eux ?
Il haussa les épaules avant de poursuivre :
— Autant fermer, alors. Je n’ai pas du tout envie de faire partie de l’un de ces clubs bourrés d’aristos et encore moins d’en posséder un.
Lors de notre premier procès, qui nous avait coûté deux millions et demi de dollars, l’accusé n’était autre que Victor Drayton. C’était un galeriste et collectionneur d’art de renommée mondiale, mais on le connaissait aussi, au sein du ténébreux club La Rose et Les Épines pour ses expositions : Les Poupées de Drayton. Il collectionnait des « poupées », en réalité des femmes nues dont il peignait le corps avant de les suspendre au plafond. Ça aurait pu sembler tout à fait normal et consensuel, mais vu ce qu’affirmait l’une des « poupées » qui nous avait poursuivis en justice, il ne se contentait pas de les peindre et de les considérer comme les œuvres d’art exposées dans ses galeries. Les descriptions de la salle d’art de Drayton, dans la déposition de la victime, témoignaient tellement de la perversité du lieu que j’avais dû marquer plusieurs temps d’arrêt lors de ma lecture, alors que j’étais tout sauf un enfant de chœur.
Je passai un index entre le nœud de ma cravate en soie et le col en coton de ma chemise pour la desserrer un peu. Je m’étais préparé à faire cette annonce. Ils me dévisageaient tous ; j’avais capté leur attention en mentionnant la perte de millions de dollars et, maintenant, ils cherchaient une solution pour éviter ça.
— Je ne demande pas que l’on édicte de nouvelles règles pour nos membres. Vous avez raison, Victor. Nous avons ouvert La Rose et Les Épines car le mot « conventionnel » ne saurait décrire aucun d’entre nous. Je ne dis pas que nous devons exiger des hommes qu’ils changent leurs habitudes, mais il faut embaucher d’autres types de femmes et modifier notre façon de faire.
Je marquai une pause, le temps qu’ils intègrent tout ça. Je saisis mon verre de whisky et en bus quelques gorgées avant de poursuivre, prenant le temps de savourer le goût de cet alcool vieilli à la perfection.
— Pour commencer, nous allons faire le ménage. Dans tout le personnel. Nous ne dirigeons pas un bordel, un repaire de drogue ni un club de strip-tease. Sauf que si vous prenez le temps de regarder un peu autour de vous, de vraiment faire attention à ce qu’il se passe, vous constaterez que c’est le cas. Il circule en cachette suffisamment de cocaïne, d’héroïne et même de méthamphétamine dans notre établissement pour que nous écopions tous d’une très longue peine de prison.
— Oh, s’il te plaît ! Faire le ménage ? Tu es dur ! s’exclama le prince Roman. Elles ne sont pas toutes soit des incapables, soit des camées.
— Certes. Elles ne sont pas toutes incompétentes. Cela dit, nos membres finissent toujours par jeter leur dévolu sur celles qui restent afin d’en faire de jolis trophées à balader avec eux en soirée. Elles deviennent leur potiche du mois… ou de la semaine. Nos besoins en matière de personnel sont catastrophiques. Car ces femmes-là ne viennent ensuite plus travailler, vu qu’elles sont trop occupées à baiser avec un quelconque comte sur son yacht, balançai-je en m’installant enfin à ma place, en bout de table.
— Il a raison, en convint Matthew Price. Il nous manque presque tout le temps du personnel, ces derniers temps, et nos membres commencent à se plaindre de la lenteur du service au bar. Ça fait des jours qu’il n’y a plus aucune serveuse de cigares. Ce n’est pas bon pour les affaires, messieurs. Je n’en ai rien à foutre, de tous ces procès. Si notre club s’avère un trou à rats, tout ça n’a plus aucune importance.
Quelqu’un d’autre était enfin intervenu pour dire les choses, quitte à faire mal, et il s’agissait probablement de la meilleure personne pour ça. Matthew Price était chef d’entreprise dans tous les sens du terme. Il était PDG et propriétaire de Price Enterprises et connu pour conquérir les terres de ses ennemis en faisant plonger leur valeur commerciale, avant de se jeter à corps perdu dans la mêlée pour acheter tout ce qu’il en restait. C’était le roi de la jungle, un prédateur impossible à contrer.
— Je suis d’accord avec Kenneth, poursuivit Matthew. Il est temps de faire le ménage et de repartir de zéro. Il nous faudrait également embaucher une sorte d’intendante. Une personne capable de s’assurer que le personnel suit les directives strictes que nous allons établir. On a aussi besoin d’instaurer le port de putains d’uniformes. J’en ai marre d’avoir l’impression de me trouver au milieu d’un défilé de mode. Ça ne suffit pas d’exiger une tenue « sexy ». Il faut que l’on définisse nous-mêmes ce que l’on entend par là.
— Un genre de maquerelle ? s’enquit Alec. Je croyais que nous voulions nous éloigner de cette image de maison close.
— On pourra voir à en peaufiner le titre, tout pour que cette personne n’ait pas l’air d’une matrone. Pourquoi pas en engageant un homme ? Pour ce que ça m’importe !
Matthew s’arrêta, comme s’il considérait soudain ses paroles.
— Un mec gay, pour être certains qu’il ne se les tapera pas dans la réserve.
— Une sorte de chaperon. Ça me plaît, répondit Alec avec un sourire en coin. Un chaperon suffisamment strict pour toutes les garder dans le rang.
— Je connais peut-être la personne parfaite pour ce poste, déclara alors Lennon Wolf.
De nous tous, c’était Lennon qui côtoyait les gens les plus excentriques, les plus prétentieux. Le genre à posséder des singes ou des zèbres et à les exposer dans leur jardin. C’était proprement impossible de débarquer dans une soirée huppée sans y trouver Lennon Wolf un verre de martini à la main. Il était l’essence même de ces soirées et, sans sa présence, aucune d’elles n’aurait rayonné de la même façon. Même s’il était connu pour avoir fait fortune comme voleur d’art et de bijoux précieux, tout un chacun savait qu’il ne volait jamais ses amis. Si vous possédiez des œuvres d’art et des bijoux de valeur, il était donc crucial de devenir ami avec lui. Sauf si vous désiriez que votre tableau rare signé Picasso ne disparaisse, évidemment.
— Il s’appelle Tennessee Charles et, aux dernières nouvelles, son sugar daddy chéri vient de lui couper les vivres, alors il va chercher du travail. Mais je le connais bien, il réussira à faire marcher nos employées à la baguette d’une manière qui lui est toute personnelle.
— Parfait, s’enthousiasma Matthew en hochant la tête. Convoque-le donc. Nous devons commencer par là. Assure-toi juste que ce soit un connard bien strict et suffisamment méchant pour ce poste, car il est temps que La Rose et Les Épines ait pour réputation de ne rien laisser passer au personnel. Aucun faux pas. Il faut que nos employées aient peur chaque nuit de perdre leur emploi. Des tests de dépistage de drogues et de MST seront également obligatoires. J’en ai assez que des camées travaillent pour nous.
Vu que toute l’assemblée me paraissait maintenant prête à remettre sur le tapis les points cruciaux de notre projet, je décidai d’aborder le plus important des changements auquel je voulais procéder.
— À partir de maintenant, j’aimerais que nous mettions en place des contrats. Si l’un de nos membres, et j’inclus par-là les membres fondateurs ici présents, veut se taper l’une des employées, alors ils devront tous les deux signer un contrat. En bref, celui-ci stipulera que les deux parties s’engagent ouvertement et librement dans une relation d’ordre sexuelle. Pendant toute la durée du contrat, la femme appartiendra donc à l’homme qui l’aura acquise. Une acquisition à laquelle elle-même aura consenti. Si l’un des membres veut baiser quelqu’un, il l’achète. C’est aussi simple que ça.
Je vis leurs regards choqués et confus de mes associés, alors je poursuivis rapidement, avant que l’un d’entre eux n’ait la possibilité de prendre la parole :
— Les deux parties peuvent mettre fin au contrat à tout moment. Par contre, si c’est un membre du club qui y met un terme, il devra verser une certaine somme en contrepartie. Une sorte d’indemnité de licenciement. Ceci permettra de protéger nos employées, car à partir du moment où l’une d’elles signera un contrat, elle ne fera de fait plus partie du personnel de La Rose. Elle aura donc besoin d’une forte compensation financière pour contrebalancer la perte de son poste.
Je marquai une pause juste assez longue pour prendre une gorgée d’alcool et essayer d’organiser au mieux mes pensées, histoire de leur exposer ce contrat de la manière la plus complète possible, afin de ne pas embrouiller l’esprit de mes associés qui, eux, n’étaient pas avocats.
— En réalité, nous savons bien que toutes les relations finissent par se terminer. Nos membres se lassent de leur trophée et désirent vite se pavaner avec quelqu’un de nouveau à leur bras. Ces femmes se lancent là-dedans car elles pensent avoir trouvé leur sugar daddy et, lorsque tout s’arrête brutalement, beaucoup s’énervent et décident de les poursuivre en justice. Sauf qu’en fait, elles leur intentent un procès car elles se sentent flouées, en quelque sorte. Flouées de leur salaire. C’est pour ça que nous allons ajouter cette clause au contrat : elles recevront effectivement une forme de dédommagement lorsque la relation prendra fin. Par contre, si c’est la femme qui met un terme à ce contrat, elle devra se débrouiller toute seule. Aucune compensation. Son ancien partenaire ne lui devra rien. Si nous avons un poste à pourvoir, elle pourra tout à fait se représenter, mais nous ne pourrons promettre de lui garder une place au chaud. En gros, messieurs, j’essaie de protéger nos arrières. Pour baiser avec l’une de nos employées, il faudra d’abord l’acheter. Que ce soit pour s’en servir de trophée, pour un coup d’un soir ou même pour une relation à long terme, plus rien de tout ça n’est gratuit. Si cette femme bosse à La Rose et que vous voulez plus que profiter du spectacle, alors il faudra parapher sur une ligne en pointillés.
— Combien ? m’interrogea le prince Roman. Combien devrons-nous débourser si nous décidons de mettre fin à cette relation après nous être un peu amusés ?
— Ça dépendra de ce qui sera décidé lors des négociations, répondis-je. Le contrat standard stipule l’équivalent d’un an de salaire chez La Rose et Les Épines. Mais chaque contrat pourra être discuté au préalable.
— Et tu penses que les membres du club et ceux du personnel vont effectivement signer tout ça ? intervint Harley Crow.
— Ils devront le faire s’ils veulent tâter la marchandise. Personne n’a l’obligation de passer le moindre contrat, mais en ce cas, toute partie de jambes en l’air sera prohibée. Ce sera écrit en toutes lettres. Si un homme veut baiser une femme, il doit l’acheter. Si une femme souhaite faire de même, elle doit être prête à ce qu’on l’achète. Ces règles protègent les deux parties concernées. Nos membres ne pourront être poursuivis pour harcèlement ou agression sexuelle, et nos employées ne se retrouveront pas le nez dans la poussière quand leurs partenaires se lasseront d’elles. De plus, comme je vous l’ai dit, la durée du contrat dépend du désir des deux personnes. Il peut concerner une seule nuit ou plusieurs mois de relation. Nous devons arrêter avec ces conneries d’amoureux transis. Ça finit toujours par se retourner contre nous et c’est La Rose et Les Épines que l’on traîne devant les tribunaux.
— Ça me plaît bien, lança Matthew en hochant la tête. Ce contrat prouve le consentement de sa partenaire.
— Oui, répliquai-je. En plus, nous pouvons ajouter tout élément qui pourrait sortir de l’ordinaire, comme ce qu’attend Victor de ses poupées.
Celui-ci sourit et leva son verre dans un simulacre de réjouissance.
— J’aime ta façon de penser, l’ami.
— Et ces soirées orgiaques dont nous avons tant parlé, dernièrement, que nous aimerions organiser dans la salle des dégustations, continuai-je en voyant leurs yeux se mettre à étinceler. Nous allons enfin pouvoir nous y atteler plus sérieusement. Le personnel y participera en sachant exactement à quoi s’attendre, les membres du club seront également au courant du règlement instauré, et nous rédigerons des contrats officiels pour chacune de ces orgies. À la différence des contrats classiques, cependant, ceux-là préciseront que nos employées ne perdront pas leur emploi si elles décident d’assister à l’une de ses soirées dans la salle des dégustations. Nous considérerons ça comme une partie de leur travail, si elles souhaitent en être, évidemment. Aucune femme n’aura l’obligation d’y participer. Tout se déroulera dans la salle des dégustations et, une fois chaque contrat signé, les membres du club pourront utiliser l’une de nos chambres d’hôtel pour faire leur affaire ou ramener leur partenaire chez eux. Si cette relation ne concerne qu’une seule nuit, le contrat devra alors le stipuler. Si ce doit être plus long, il nous faudra également en faire mention sur papier. Nous mettons le consentement par écrit, messieurs. Nous devons le faire pour éviter de nous faire baiser au tribunal. De plus, afin d’y ajouter un aspect cérémonial, et juste pour le plaisir, je pensais que nous pourrions demander aux deux parties de se piquer le doigt et de sceller l’accord avec du sang.
— Ça me plaît, déclara Harley Crow. Peu importe l’activité, je préfère toujours quand il y a du sang.
— Tu n’as pas l’impression que ça ressemble à de la prostitution ? Tu nous annonces vouloir que nos membres achètent leurs partenaires, rétorqua Alec avec un air sceptique. Ça m’a tout l’air d’être illégal, monsieur l’avocat.
— Pas du tout, répliquai-je vivement. Nous demandons aux membres de débourser de l’argent lorsqu’ils désireront mettre un terme à leur relation sexuelle. Quand ils en auront fini avec leur acquisition et souhaiteront mettre fin au contrat. Baiser est gratuit, c’est rompre le contrat qui ne l’est pas. Pour la salle des dégustations, c’est un peu différent, et oui, j’imagine que l’on peut appeler ça de la prostitution, ou bien des rencontres arrangées. Sauf que personne n’est contraint d’y entrer.
Je poussai un profond soupir.
— Je ne dis pas que cette idée de contrat est complètement réglo. Ça ne tiendrait pas devant une cour de justice. Cela dit, c’est toujours mieux que rien. Au moins, ces documents indiqueront très clairement ce que les deux parties attendent l’une de l’autre. Si par hasard, nous sommes à nouveau traînés devant les tribunaux, ce qui est très probable, et après avoir corrompu les juges, nous pourrons en plus de ça leur faire entendre que tout était consenti. Du moins autant que possible.
Je fixai le dossier devant moi.
— Le dernier procès est survenu car Jackson Latham a ramené l’une de nos employées dans sa petite maison des horreurs, l’a attachée pendant trois jours et l’a sexuellement « torturée », comme l’a déclaré la plaignante. Pour autant, nous savons tous que Jackson est connu pour son penchant pour le kidnapping de femmes. Nous sommes également au courant que Jessica James ne l’ignorait pas et qu’avec Jackson, ils s’envoyaient en l’air depuis des semaines. Sauf qu’elle en a profité pour essayer de toucher le jackpot et maintenant, ce pauvre con va devoir raquer et prier pour qu’aucune charge criminelle ne soit retenue contre lui, car c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Il affirme que tout était consenti, elle prétend qu’il l’a enlevée. Alors que s’ils avaient tous les deux signé un contrat, en le scellant avec un peu de sang pour le côté théâtral, où il aurait détaillé l’étendue de ses préférences sexuelles et ses attentes, il ne serait pas dans cette situation, et La Rose ne se retrouverait pas sur le banc des accusés avec lui dans ce putain de procès terriblement onéreux. Ces difficultés judiciaires nous dépassent à tel point que j’ai dû engager une équipe de juristes pour m’épauler.
— Les femmes ne désirent pas toutes se faire de l’argent sur notre dos, comme tu l’as souligné plus tôt, nous rappela le prince Roman.
— J’en ai conscience, répondis-je en hochant la tête. Maintenant, c’est également notre boulot de protéger celles qui travaillent pour nous. Et c’est exactement le but de ce projet. Souvent, nos employées sont trompées ou aveuglées par toutes les promesses d’amour et d’attention que nos membres leur font. Lorsqu’elles baissent la garde, elles finissent par se faire avoir. Je ne sais pas ce qu’il en est de votre côté, messieurs, mais je n’ai encore jamais entendu parler d’une histoire d’amour qui aurait débuté à La Rose et Les Épines. Ces contrats protégeront donc les intérêts de notre personnel. Tout sera détaillé noir sur blanc. Chaque femme que nous embaucherons devra prendre connaissance de ce contrat avant de s’engager au sein du club. Aucune d’entre elles n’aura l’obligation d’en signer un. Jamais. Sauf, bien sûr, si elles veulent coucher avec l’un des membres de La Rose ou participer à une orgie. Dans ce cas-là, ce sera impératif. Pour elles, mais aussi pour leurs partenaires. S’ils veulent se taper ou se sont déjà tapé l’une de nos collaboratrices et que nous le découvrons plus tard, ils devront signer un contrat ou renoncer à leur adhésion au club et s’acquitter de tous les frais dus en conséquence.
— Certes, mais avons-nous vraiment besoin de faire le ménage parmi nos employées ? s’enquit le prince Roman. Je crois bien que je ne suis pas un connard sans cœur, comme vous tous ici présents, déclara-t-il avec son habituel sourire charmeur.
— Ça permettra de bien planter le décor, intervint Matthew. Nous devons nous forger la plus parfaite des réputations dès aujourd’hui. Il vaut mieux tout reprendre à zéro plutôt que d’espérer que nos employées changent. Personne n’aime le changement. Actuellement, notre personnel nous lâche de plus en plus. Toutes ces femmes savent combien les autres gagnent à nous poursuivre en justice et elles veulent en faire de même. Nous devons donc prendre un nouveau départ. Montrer que nous reprenons le contrôle et que ces procès à répétition vont cesser tout net. Et rapidement.
Matthew se tenait clairement de mon côté, mais les autres ne me paraissaient pas aussi convaincus.
Je me levai exactement comme je l’avais fait au moment de lancer la réunion et comme je le faisais toujours au tribunal lorsque je voulais vraiment enfoncer le clou.
— Messieurs, veuillez sortir vos portefeuilles et déposer au centre de la table tout l’argent liquide que vous avez.
Vu que personne ne bougeait le petit doigt, j’ajoutai :
— Allez, mes petits radins préférés, faites-moi ce plaisir, voulez-vous ?
Chaque homme s’exécuta à contrecœur, enfonçant ses mains dans ses poches. Ils placèrent tous plusieurs centaines de dollars sur la table et, dans certains cas, quelques milliers.
— Matthew, tu veux bien compter ça pour moi ? lui demandai-je.
Ce dernier s’empara des billets et fit rapidement le calcul.
— Neuf mille cinquante dollars.
Je hochai la tête, m’approchai de l’interphone, appuyai sur le bouton, puis attendis que la secrétaire réponde.
— Oui, monsieur ? s’éleva une voix douce à l’autre bout du fil.
— Lena, pourriez-vous venir ici, s’il vous plaît ? lui intimai-je.
Quelques instants plus tard, celle-ci entra et se posta près de la porte. Alors qu’elle scrutait la pièce du regard et découvrait tous les membres fondateurs attablés, elle arbora une expression nerveuse. Elle portait une petite robe noire qui accentuait chacune des délicieuses courbes de son corps, ainsi que des escarpins noirs qui contractaient les muscles fermes de ses jambes. Ses longs cheveux noirs tombaient gracieusement dans son dos. Elle avait l’allure d’une magnifique déesse baroque et je sus, en jetant un rapide coup d’œil à mes compères, qu’elle s’avérait l’une des femmes les plus baisables que nous ayons vues depuis longtemps. Ma verge tressaillit à la simple idée de l’enfoncer au plus profond d’elle, cependant que tous les hommes la reluquaient avec convoitise.
— Lena, avez-vous reçu la réponse du nouveau responsable des ressources humaines à qui nous avons proposé le poste hier ?
Elle se détourna de toutes ces paires d’yeux qui l’observaient pour se focaliser sur moi.
— Oui, monsieur. Il m’a assuré qu’il commencerait le recrutement à la première heure demain. Je l’ai également informé que vous ou l’un des autres membres fondateurs superviseriez ces entretiens.
J’acquiesçai.
— Très bien, merci.
Je lui indiquai la porte d’un geste et elle s’éclipsa en vitesse sans rien ajouter. Lennon Wolf siffla alors avant de s’installer plus confortablement dans son fauteuil.
— Eh bien, c’est un vrai avion de chasse, celle-là !
Je souris.
— Effectivement. Je vois que nous sommes tous d’accord sur ce point.
Je pouvais le lire sur le visage de chacun d’eux.
— Il est clair que vous avez tous envie de vous la taper. Et moi aussi, clairement. Alors, lequel d’entre vous est prêt à l’acheter et à signer le contrat dont je viens de vous parler ? Là, tout de suite. Vous l’achetez et vous pouvez la baiser dans l’heure qui suit. Quelqu’un ?
Je marquai une pause et les dévisageai, comprenant que pas un seul d’entre eux ne bondirait sur ses pieds pour se lancer là-dedans.
— Personne ? Personne ne veut signer ce contrat ?
Comme je n’eus droit à aucune réponse, je poursuivis :
— Bien. Vous voyez, messieurs ? Ceci va me permettre de freiner les ardeurs de nos membres. Beaucoup signeront ces contrats, car nous sommes tous des connards, mais ils aideront également à faire sortir l’homme d’affaires qui est en nous, histoire de nous pousser un minimum à réfléchir à nos actions. Ces papiers nous obligeront à rendre des comptes. Ils rendront aussi les orgies dans la salle des dégustations plus rentables, car ils prévoient du court terme et n’exigent donc pas le même type d’implications.
J’actionnai l’interphone pour demander à Lena de revenir et attendis.
— Oui, monsieur ? demanda-t-elle en entrant dans la pièce, cette fois-ci avec plus de confiance.
— Lena, vous êtes virée. La Rose licencie tout son personnel à compter d’aujourd’hui.
Je pointai du doigt la large pile de billets au milieu de la table.
— Prenez cet argent. C’est pour vous. Considérez ça comme une indemnité de licenciement.
La pauvre fille eut soudain les larmes aux yeux et sa lèvre se mit à trembler.
— Ça n’a rien de personnel, Lena. La Rose s’apprête seulement à renaître de ses cendres.
1 Ndt : Il est ici fait référence au chapitre 11 sur la loi des faillites aux États-Unis, qui consiste à placer une entreprise sous la surveillance du tribunal compétent tout en laissant le contrôle des opérations au(x) dirigeant(s) de l’entreprise en question.
2
Chapitre Deux
Anita
J’aurais aimé qu’un crotale me morde.
C’était le cas chaque fois que je longeais les plants d’armoise sur l’autoroute inter-État 80. Je ne voulais pas vraiment mourir… ou peut-être que si. Ce n’était pas très important. J’espérais juste qu’un serpent bondisse hors de l’ombre d’un buisson sec et me transperce la peau de ses crocs venimeux. J’avais envie de ressentir la peur à l’idée que je risquais de mourir. Et la douleur au moment où l’injection létale me dévorerait les veines. J’aurais simplement aimé ressentir quelque chose. N’importe quoi.
Je rêvais de pouvoir regarder Dame Nature droit dans les yeux et lui intimer d’aller se faire foutre en me battant pour respirer. Je souhaitais lutter pour ma survie, marcher sur le fil de la vie au-dessus du sombre précipice qui mène à l’oubli. Je voulais sentir la toxine, le poison et la mort me ronger le corps. Et tout ça pour une seule et unique raison.
Je m’ennuyais. À mourir.
Chaque jour, sous le soleil du désert du Nevada, je parcourais le même chemin. Je donnais des coups de pied dans la végétation sèche avec mes Converse usées dans l’espoir de réveiller un crotale. Ça faisait des années que je pratiquais ce rituel. Des années sans me faire mordre. Je n’avais même pas le droit de vivre ce type d’excitation dans ma vie. J’étais destinée à m’ennuyer. Destinée à ne rien supporter d’autre qu’une fastidieuse existence.
Aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle, alors que je me rendais au travail. Les courants d’air provoqués par le passage des voitures et des immenses semi-remorques qui filaient à cent quarante-cinq kilomètres heure me bousculaient. La vitesse était limitée à cent dix, mais impossible de reprocher à la moindre personne de vouloir traverser ma ville de merde le plus vite possible. Si seulement on pouvait donner le nom de ville à Muckaluk. Je crois que les camionneurs n’y voyaient que la sortie 222, kilomètre 51. C’était tout ce que c’était, en réalité. Une borne kilométrique. Une borne située dans le comté de Humboldt, près de Coal Canyon. C’était mon foyer. Mon enfer personnel.
Entre tourbillons de poussière et buissons d’armoise.
Des nuages de pluie, perpétuellement dans le lointain, me promettaient des averses qui n’arrivaient jamais. Des promesses brisées, voilà qui résumait bien ma vie.
Je vivais dans un mobil-home long et étroit qui appartenait auparavant à mes parents, avant leur décès. Comme ils s’avéraient trop pauvres pour s’offrir un emplacement dans un camping, ils avaient laissé leur mobil-home à l’ombre d’un pin, derrière une station-service abandonnée depuis longtemps et aux fenêtres éventrées, dont la majorité du toit avait disparu à cause du manque d’entretien. Maminette me disait que tant que nous payions les factures d’égout et d’électricité, c’était le grand luxe. Mais les années passant, j’avais compris que nous ne vivions pas dans ce soi-disant luxe dont elle parlait. Même lorsque nous arrivions à nous acquitter de nos factures, nous étions chanceux de pouvoir acheter assez pour nous nourrir correctement. Les pensions d’invalidité de mes grands-parents nous offraient à peine de quoi survivre.
J’étais donc plus que ravie quand l’un des rares habitants de la sortie 222, kilomètre 51 avait eu besoin d’une aide-soignante et d’une femme de ménage chez lui, dans sa « véritable » maison. J’avais sauté sur l’occasion à quinze ans, en assurant à la bonne vieille Virgie Peterson que j’avais en réalité seize ans et que j’étais assez âgée pour occuper un tel poste. Elle m’avait tout de même engagée, six ans plus tôt, et heureusement, car il me fallait de l’argent pour m’occuper de mes grands-parents… Même si Papi avait fini par mourir, suivi de près par Maminette, six mois plus tard seulement. J’imaginais donc que j’aurais dû me considérer comme chanceuse d’avoir trouvé ce boulot. J’essayais chaque jour de m’en satisfaire, car ma petite Maminette m’avait appris à toujours voir le verre à moitié plein, de son vivant, même quand il paraissait de plus en plus évident que notre situation était merdique.
À l’heure actuelle, j’étais surtout contente que les crotales habitent dans les buissons d’armoise.
Allez, sortez de là, sortez de votre cachette…
Un autre semi-remorque passa à vive allure à côté de moi, bien trop près de l’endroit où je marchais, effrayant tous les serpents du coin. Connard ! La plaque d’immatriculation du camion révélait sa provenance, l’État du Vermont. Tant de route parcourue pour s’enfoncer dans les profondeurs de l’Enfer. Je me demandais même si le chauffeur avait remarqué que je donnais des coups de pied dans les buissons longeant l’autoroute alors que je m’avançais vers une vieille maison victorienne plantée au milieu des broussailles typiques du désert et dont le porche se tenait à quelques mètres seulement de la voie rapide. Mais peut-être que la couleur de mes cheveux bruns se mêlait à celle de la terre environnante ? Ou que ma petite stature n’atteignait même pas celle des panneaux qui indiquaient le nombre de kilomètres à parcourir jusqu’à la prochaine grande ville ? La prochaine qui valait la peine d’y faire une petite visite… s’il existait une telle ville dans l’État du Nevada. Et si le camionneur m’avait effectivement remarquée, pourquoi ne s’était-il pas arrêté ? Avais-je l’air effrayante ? Triste ? Pathétique ? Sans doute lui rappelais-je tous les échecs qu’il avait subis dans la vie. Sans doute se disait-il que s’arrêter pour proposer de me déposer plus loin rouvrirait de vieilles blessures qu’il préférait oublier. Sans doute étais-je une simple apparition, à ses yeux. Le fantôme du néant. Ça me résumait parfaitement. Le néant.
Une fois, quand j’avais treize ans, je m’étais essayée à l’auto-stop, sans aucune destination en tête. Maminette en avait eu vent et m’avait fessée avec un battoir à tapis, pour la peine.
— Cette âme vagabonde que tu as va finir par te tuer ! m’avait-elle lancé entre deux coups cuisants.
Même si je n’aimais pas contrarier ma grand-mère, cette punition ne me dérangeait pas vraiment. D’une certaine manière, j’aimais la douleur. C’est peut-être à ce moment-là que ma fascination pour les morsures de serpent avait commencé.
Qui sait…
Bien que je n’aie jamais plus retenté de faire du stop, je n’avais jamais pu apaiser mon esprit, au contraire de mes concitoyens qui habitaient eux aussi le long de l’autoroute. Mon cœur tout entier hurlait son besoin de liberté. Il mugissait et martelait les tréfonds de mon être, implorant ma pitié. La sortie 222, kilomètre 51 dévorait ce qui me restait d’âme, et j’étais incapable de l’arrêter.
— Tu marches trop près de la route, me lança Virgie depuis le porche.
Assise sur une vieille balancelle rouillée, comme tous les matins, elle m’attendait. Tous les jours, elle me servait la même réprimande en guise de salut.
— Et toi, tu ne devrais pas rester là, à respirer les vapeurs d’essence que dégage la circulation, répondis-je, comme je le faisais quotidiennement depuis six ans.
Notre duo me faisait penser à un vieux vinyle que l’on avait programmé pour se répéter à l’infini. Un disque qui passerait dans un foutu asile psychiatrique sans issue, dans lequel nous n’aurions pas d’autre choix que de continuer à vivre en gobant notre dose journalière de médicaments.
— Tu devrais également porter un chapeau. Il faut que tu protèges ton joli visage, ajouta-t-elle au moment où je grimpais les cinq marches du porche, qui nécessitaient quelques réparations. Crois-moi. J’étais aussi belle que toi, fut un temps. Regarde-moi aujourd’hui. Je ressemble à un raisin sec.
Elle leva sa frêle main ridée devant son visage pour l’examiner.
— J’ai même mis plein de luxueuses crèmes pour les mains, quand j’étais jeune.
Elle poussa un petit ricanement étouffé.
— Elles ont parfaitement tenu leurs promesses, comme tu peux le constater.
Je m’assis à côté d’elle, ignorant le grincement des gonds rouillés de la balancelle. Un jour, elle céderait sous notre poids, mais pour l’instant, elle tenait bon.
— Tu es toujours très belle.
Je pris sa main pour la serrer.
— Tu as certes un peu vieilli, mais à quoi t’attendais-tu en vivant ici, comme un rat-kangourou du désert ?
— Est-ce que c’est ce que nous sommes ? Des rats ? m’interrogea-t-elle en observant le flot régulier de voitures qui filaient sur l’autoroute.
— Ça pourrait être bien pire.
— Pire ? Que des rats ?
Je souris. J’adorais ces étranges conversations que nous avions, cette femme et moi.
— Je ferais mieux de me mettre au travail. J’aimerais être partie avant quinze heures. J’ai rendez-vous avec Roy.
Virgie me lâcha la main et me tapa sur le haut de la cuisse.
— Tu n’as pas besoin d’avoir d’autres tatouages, ma petite ! Tu en as déjà plus qu’il n’en faut. Il ne te reste presque plus aucun bout de peau de libre.
— On n’a jamais assez de tatouages. Il me reste encore beaucoup d’endroits à couvrir.
— Ton bras est totalement encré, déjà. Je pense que c’est bien suffisant. Dis-moi que tu ne réserves pas le même sort à l’autre aussi.
Oh que si ! Mais pas tout de suite. Je devais encore compléter mon dos et finir le tatouage qui m’ornait la fesse droite et la cuisse. Virgie ne saisissait pas tout à fait le nombre de tatouages que je possédais, car elle n’avait jamais vu ni mon dos, ni mes fesses, ni le haut de mes jambes. Quand ceux-là seraient terminés, je prévoyais de m’occuper de tout le côté droit. Je rêvais que tout mon flanc droit donne l’impression d’avoir été plongé dans de l’encre multicolore. Même si mon âme se mourait, mon esprit non… Ces tatouages représentaient ma seule façon de mettre un peu de couleur dans ma vie.
— Je croyais que tu aimais les fleurs encrées sur mon épaule, lui fis-je remarquer.
Virgie haussa les épaules.
— C’est le cas. Vraiment. C’est juste que je ne comprends pas pourquoi tu te fais du mal ni pourquoi tu marques ainsi ta jolie peau.
— Ça pique un peu, c’est tout.
J’aurais aimé que ce soit bien plus douloureux que ça.
— Quand des aiguilles pénètrent la peau, ça fait forcément mal.
Elle poussa sur ses pieds, faisant prendre de la vitesse à la balancelle, qui se mit à osciller d’avant en arrière.
— Et Roy est d’une puanteur !
Je ricanai.
— C’est vrai.
Roy était un vieux motard, du genre à correspondre à tous les clichés qui pouvaient exister sur les motards. De longs cheveux gris accompagnaient une barbe assortie qui pendait presque jusqu’à son ventre bedonnant. Il portait également toujours un vieux T-shirt estampillé Harley ou une chemise récupérée lors du rassemblement de motards Street Vibrations organisé à Reno. Son passe-temps préféré ? Déchirer les manches de ses vêtements pour se créer des débardeurs « maison ». Ils laissaient apparaître les poils de ses aisselles, aussi gris que sa barbe. Et Roy puait donc l’alcool et l’essence. Cette odeur ne me dérangeait pas vraiment. Je m’y étais habituée. Il me traitait avec respect et s’avérait vraiment très talentueux. Ce qu’il y avait de mieux chez Roy ? Il me tatouait contre un pack de six, plus vingt dollars pour rembourser le prix de l’encre. Je me disais qu’il appréciait ma compagnie, et sans doute aimait-il mater mes fesses ou toute autre partie de mon corps. Cela dit, il n’était pas dangereux. Je l’aimais bien et j’adorais les anecdotes qu’il me racontait sur la période de sa vie où il avait fait partie d’un gang de motards. C’était un dur à cuire qui s’était perdu en chemin. Il ne m’avait toujours pas dit comment il s’était retrouvé à la sortie 222, kilomètre 51, mais personne ne révélait jamais cette information. Peut-être que leurs histoires étaient trop tristes. Trop sombres. Ou peut-être n’en avaient-ils plus rien à faire. C’était arrivé, donc tout ce qu’il leur restait à faire, c’était d’accepter leur terrible destin.
Virgie se leva, prit quelques instants pour s’assurer que ses jambes ne céderaient pas sous elle, puis se mit en mouvement.
— Tu es trop jolie pour te cacher derrière tous ces tatouages. C’est absurde.
Je souris, consciente que c’était un sujet sur lequel nous ne nous mettrions jamais d’accord.
— Je les aime bien.
— Tu ne devrais pas.
— Ils font partie de moi, continuai-je en me relevant pour nous ouvrir la porte.
Virgie lâcha un petit rire amusé.
— Pour ça, tu as raison. Ce n’est pas comme si tu pouvais les retirer sous la douche.
Je me rendis directement dans la cuisine et commençai à nettoyer la vaisselle utilisée la veille et le matin. Je ne vis aucune casserole, pas le moindre indice qu’elle avait cuisiné pour le dîner.
— Qu’est-ce que tu as mangé hier soir ? lançai-je au moment où elle s’installait dans son fauteuil inclinable.
— Je n’avais pas faim. J’ai grignoté du pop-corn en regardant un film sur un vampire qui étincelle au soleil. Ah, ces foutus films, de nos jours… Où est passé ce bon vieux Dracula ?
— Virgie, soupirai-je en mettant la vaisselle dans l’eau mousseuse. Tu ne peux pas vivre uniquement en mangeant du pop-corn. D’autant plus que tu prends une partie de ton traitement à l’heure du dîner.
Je regardai par-dessus mon épaule à l’instant où elle attrapait son tricot et commençait à travailler sur sa prochaine création, comme elle le faisait tous les jours, du matin jusqu’au soir. Est-ce que tu l’as pris, hier ?
— Oui, oui, m’assura-t-elle sans détourner le regard de son ouvrage.
— C’est étonnant, mais je ne te crois pas, grinçai-je avant de me diriger vers les boîtes de médicaments sur le plan de travail.
J’ouvris le pilulier semainier pour vérifier si elle les avait pris ; non seulement elle n’avait pas absorbé ceux de la veille, mais également ceux du matin.
— Virgie, tes médicaments sont encore là. Tu dois les prendre. Je les ai rangés de manière que ce soit le plus simple possible pour toi, mais tu dois t’en souvenir.
— Oh, c’est le cas ! Je n’en ai pas envie, c’est tout. Toutes ces foutues pilules vont finir par me décaper les intestins. Je ne veux pas que l’on me naturalise comme un tatou dans un cabinet de taxidermie et autres curiosités. Je veux pouvoir mourir, un jour. Mais ces fichus médecins veulent me momifier.
— Certes, mais ces fichus médecins vont te mettre dans une maison de retraite s’ils voient que tu ne prends pas ton traitement. Quelqu’un t’a déjà envoyé les services sociaux, une fois. Est-ce que tu as envie qu’ils reviennent ?
Je versai les pilules colorées dans ma main avant de les apporter à Virgie. Je les lui donnai, attrapai son verre de Coca et le lui tendis aussi.
— Quand as-tu bu de l’eau pour la dernière fois, d’ailleurs ? Tu ne peux pas vivre de Coca et de pop-corn, Virgie !
Elle récupéra les médicaments et grommela :
— Je ne vois pas pourquoi. Je suis vieille. J’ai le droit de faire ce que je veux et personne ne m’obligera à passer le reste de mes jours en maison de retraite. On est dans un pays libre, cette demeure m’appartient. Je mourrai ici, quoi qu’en dise une vieille rombière en costard-cravate mandatée par l’État.
— Oh, mais j’aimerais bien que tu restes dans le coin !
Je lui fis un clin d’œil. Je n’avais pas envie de chercher un autre boulot. Elle sourit.
— Tu ne devrais pas rester ici à t’occuper d’un vieux sac d’os comme moi.
— Peut-être, mais la dernière fois que j’ai vérifié, il n’y avait pas beaucoup d’offres d’emploi du côté de Muckaluk.
Je lui tapotai gentiment l’épaule, puis retournai dans la cuisine pour terminer la vaisselle.
— Je suis sérieuse, continua-t-elle en reprenant son tricot. Tu dois quitter cette ville.
— Eh bien, à moins qu’un tourbillon de poussière ne m’emporte, ça ne risque pas d’arriver de sitôt.
— Tu devrais emménager à La Nouvelle-Orléans. J’adorais vivre là-bas.
Je continuai de nettoyer l’assiette sans répondre, attendant qu’elle me raconte ces fameuses anecdotes sur l’époque où elle vivait rue Bourbon, jusqu’au jour où elle avait rencontré son mari. Elle croyait devenir une célèbre chanteuse de blues. Vu tout ce qu’elle m’avait dit, il semblait qu’elle avait plutôt bien gagné sa vie grâce au chant.
— Je ne suis pas chanteuse de blues, Virgie.
— Dans les établissements où je me produisais, les serveuses gagnaient aussi pas mal d’argent. Parfois même plus que moi.
Je continuai de faire le ménage dans la cuisine, prête à l’écouter radoter, comme d’habitude, mais elle se tut ; je m’immobilisai un moment, avant de la rejoindre pour vérifier que tout allait bien.
— Virgie ? Qu’y a-t-il ?
Elle me fixait en silence, perdue dans ses pensées. Elle ne dit rien et continua à m’observer. En réalité, elle regardait à travers moi, comme si son esprit s’était envolé ailleurs.
— Virgie ?
Après un temps suffisamment long pour que je me demande si elle n’avait pas fait une attaque, elle reprit finalement la parole.
— Tu dois partir. Tu dois te rendre à La Nouvelle-Orléans.
Je lui tapotai la jambe et me relevai pour retourner à mes tâches.
— Je suis sérieuse, Anita. Il le faut. En fait, la pension de famille dans laquelle j’avais loué ma chambre existe toujours. Sa propriétaire est devenue l’une de mes plus proches amies. Elle est décédée il y a plusieurs années, mais sa fille a repris l’affaire. Je ne sais pas si c’est toujours une pension, mais nous devrions vérifier. Tu pourrais y louer une chambre et trouver un travail sur place. Tu pourrais et tu le devrais.
— Tu vois ce qu’il se passe quand tu ne prends pas tes médicaments ? Tu te mets à délirer.
Je secouai la tête et retournai dans la cuisine.
— Tais-toi donc et écoute-moi.
J’entendis le fauteuil inclinable grincer lorsque Virgie se leva et se traîna jusqu’à moi, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Nous ne discutions qu’à deux endroits : soit sur la balancelle du porche, soit lorsqu’elle était assise. Virgie n’était pas vraiment quelqu’un de très dynamique ni de vraiment actif.
— Cet endroit te tue à petit feu. Ta mamie et ton papi sont partis, rien ne te retient ici.
— Si, toi.
— De nouveau, tais-toi donc et écoute-moi. Mon infirmière vient me voir plusieurs fois par semaine, maintenant.
— Tu la détestes, rétorquai-je. Tu m’as dit qu’elle sentait le nettoyant multisurface parfumé au pin.
— C’est effectivement le cas, mais ce n’est pas la question. Arrête de m’interrompre, gronda Virgie en me tapotant les lèvres de son doigt osseux. Même si je t’aime, ma petite, il est évident que je n’ai pas besoin de toi. Et je ne vais pas rester là à te regarder pourrir à mes côtés.
— Donc tu penses que je devrais me rendre à La Nouvelle-Orléans ? gloussai-je.
Je levai les yeux au ciel et me retournai pour terminer ce que j’avais commencé.
— Oui, c’est une ville magnifique, parfaite pour un nouveau départ. Il y a tant de bars dans lesquels tu peux te faire embaucher le temps de trouver tes marques ! Et s’il est toujours possible de louer une chambre comme je l’ai fait…
— C’est un beau rêve, marmonnai-je.
Virgie tapa des mains et s’approcha du téléphone mural. Elle était de la vieille école et trouvait impensable de se débarrasser de son fixe pour se fier à un portable. Juste en dessous se trouvait un petit porte-documents dans lequel étaient rangés plusieurs stylos ainsi que son répertoire.
— Je vais te trouver ce numéro. Je pourrais parier que la fille de mon amie s’occupe toujours de cet immeuble en y louant des petits d’appartements plutôt que de simples chambres. C’était une gamine si gentille ! Chaque année, elle m’envoie une carte de vœux pour Noël, en souvenir de sa mère. Elle savait que sa maman le faisait depuis toujours et elle voulait donc perpétuer cette tradition. J’adore cette enfant, murmura soudain Virgie, plus pour elle-même que pour moi, tout en feuilletant son carnet d’adresses.
Quand elle trouva le fameux numéro, elle s’empara du combiné et commença à le composer.
— J’espère qu’elle va répondre.
Je secouai la tête et attrapai un produit spécial surfaces dures pour nettoyer le plan de travail en essayant d’ignorer la conversation téléphonique de Virgie. J’imagine que j’aurais pu tendre l’oreille pour savoir ce qu’il se disait, mais je décidai plutôt de prendre la poubelle pour aller la jeter dans la benne à ordures, située dans la petite cour latérale. Mon amie perdait la tête. Comme si je pouvais faire mes bagages et partir pour La Nouvelle-Orléans en un claquement de doigts !
Après avoir jeté le sac poubelle dans la benne, j’observai l’horizon et vis que des nuages noirs s’y amoncelaient. C’était étrange que des orages se forment si tôt dans la journée. Il se pouvait même que la tempête se dirige droit sur nous, aujourd’hui. J’imagine que je devais m’en réjouir. Des éclairs et du tonnerre en toile de fond pour célébrer le jour où Roy allait me tatouer un délié de coquelicots sur la hanche.
L’appel de Virgie, depuis l’intérieur de la maison, me sortit de mes pensées :
— Anita ! Viens ici. Où es-tu donc, ma petite ?
Je retournai dans la cuisine en me demandant de quelle extraordinaire idée elle allait vouloir me parler, cette fois.
— Je viens juste d’avoir Marie Saint-Clair au téléphone, la fille de mon amie. Je suis surprise de constater qu’elle n’a aucun époux. J’étais persuadée qu’elle avait changé de nom de famille. Une femme de son âge qui n’est pas encore mariée…
Elle se tut soudain, secoua la tête, puis poursuivit :
— Oublie ça. Quoi qu’il en soit, elle m’a dit qu’elle gérait effectivement la pension de famille et qu’il lui reste même une chambre disponible. Il te faudra partager la salle de bain avec deux autres locataires, mais elle m’a assuré que ce sont de gentilles jeunes femmes. Enfin, la bonne nouvelle, c’est que l’une de ses chambres est disponible. Elle m’a même affirmé que les autres femmes qui vivent sur place pourraient t’aider à trouver un emploi. Elles travaillent toutes dans le même bar, en ville.
— Virgie…
Elle leva une main.
— Ne fais pas comme si j’étais folle. C’est peut-être le cas, mais je ne sais tout de même pas pourquoi je n’y ai pas pensé avant. Il est absolument impensable que tu restes ici. Vraiment, je ne vois aucune raison valable. Rien ne te retient de retourner dans ton mobil-home miteux, de faire ta valise et de foutre le camp d’ici.
— Je ne peux pas partir à La Nouvelle-Orléans. Pas là, maintenant, comme ça. Tu n’es pas sérieuse.
— Et pourquoi pas ? Parce que tu dois te faire tatouer dans la journée ? souffla-t-elle, presque offusquée. Je suis certaine que Roy le puant se débrouillera très bien sans toi.
Elle était sérieuse. Virgie s’attendait vraiment à ce que je déménage sur-le-champ à La Nouvelle-Orléans, comme si c’était aussi simple que d’aller faire les courses.
— Quand et comment est-ce que tu penses que je pourrais faire ça ?
Peut-être que je n’aurais pas dû la taquiner ainsi, mais une partie de moi avait envie de savoir comment elle envisageait tout ça.
— Tout de suite. Tu pars aujourd’hui. Tu loges chez Marie. Une chambre individuelle sans salle de bain, ce n’est pas l’idéal pour du long terme, mais ça sera suffisant jusqu’à ce que tu perçoives un vrai salaire.
J’arrêtai de nettoyer la cuisine et la dévisageai. Elle était vraiment très sérieuse.
— Virgie… Je ne peux pas faire ma valise et m’installer à La Nouvelle-Orléans aujourd’hui ! Ni aujourd’hui ni dans un avenir proche, d’ailleurs. Je n’ai ni l’argent ni les moyens de partir. Même pour faire les courses, je suis obligée d’utiliser ta voiture. Il m’est donc impossible de partir et de déménager dans un autre État.
— Si, parce que je t’en donne la possibilité. Prends ça comme une indemnité de licenciement. Je te vire.
Elle me lança un si large sourire que tout son visage s’illumina.
— Il faut agir spontanément, dans la vie, Anita. Quand j’avais ton âge, je croquais la vie à pleines dents. Rien ne me retenait nulle part. Je chérirai à jamais ces souvenirs parce que je n’ai pas laissé la peur entraver mes décisions. Bien sûr, je n’ai pas toujours fait le bon choix, et à bien y réfléchir, une bonne partie de mes décisions se sont révélées carrément stupides, mais au moins, je vivais à fond. Et toi, Anita, tu as besoin de vivre à fond. De te jeter à l’eau, même si ça implique de prendre le risque de se noyer.
Je lui tapotai le haut du bras.
— Tu ne me vires pas, tu n’as même pas vraiment envie que je parte. Je te remercie d’avoir appelé ton amie pour tenter de mettre tout ça sur pieds, mais je n’ai pas prévu de faire une telle chose pour le moment. Peut-être un jour, mais pas maintenant.
C’était de la pure folie, rien de plus.
— Je suis très sérieuse. Tu es virée, ma petite. Je vais te donner assez d’argent pour que tu puisses t’offrir un mois de loyer, des tickets de bus et de quoi te nourrir, entre autres choses. Mais il faudra que tu trouves rapidement un travail et tu y arriveras, j’en suis sûre. Comme je te l’ai dit, Marie m’a assuré que les autres locataires pourraient t’y aider.
— Sauf qu’il y a mon mobil-home, toutes mes affaires et…
— Je garderai un œil sur tout ça. Pas d’inquiétude. Soyons réalistes, Anita. Tu ne trompes personne en disant ça. Tu te fiches pas mal de ce mobil-home et des affaires qui se trouvent à l’intérieur. Tu m’as toi-même déjà expliqué à quel point tu aimerais te tirer sans rien d’autre que les vêtements que tu portes.
Elle s’approcha de son sac à main.
— Allez, viens ! Tu dois aller faire ta valise et me conduire à Winnemucca pour que je puisse passer à la banque avant qu’elle ferme. C’est là-bas que tu prendras le bus, également.
— Attends, lançai-je alors que Virgie enfilait les chaussures qui se trouvaient près de la porte.
Je ne
