Irruption de la Manche: Recueil de poèmes
Par Jacques Darras
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À propos de ce livre électronique
Le ciel est encore là
Il pleut
Vous sortez
Vous marchez
Attention !
Coupure
Éboulis
Écroulement
Partout des vagues
Félines blanches...
Chaque fois que je viens sur la hauteur du Cap Blanc-Nez, par temps clair et dégagé, je suis saisi du même frisson devant l’étendue des vagues qui cavalent jusqu’au mur de craie blanche au loin. Vertige du Temps ! Ici se chevauchent et s’intensifient toutes les coupures, mon bref segment de vie, les six millénaires d’irruption marine qui ont fait de cette vallée nommée Doggerland par les géologues un fossé large de trente-cinq kilomètres, la fracture entre langues anglo-saxonnes, celtes et romanes, l’interminable suite de liens et scissions dans l’Histoire de l’Occident. Debout à la verticale des craies fragmentée par l’érosion de l’eau c’est le bruit palpable du Temps lui-même que j’entends, corps d’écume et de vents. N’est-il pas nouveau que notre Mémoire s’approfondisse aux fosses de l’archéologie (St. Acheul, Chauvet, Lascaux), s’accroisse d’effondrements cosmiques (Storregas, Tsunamis) ? Et si c’était à l’horloge des irruptions marines que nous allions devoir calculer notre âge désormais ? Ici, à Blanc-Nez, promontoire miniature, je recommence d’aller cueillir la fleur ancienne «Sagesse des sommets». Tailler de minimes marches d’arrêt dans le Temps requiert le sens des pentes, de l’étalement des plans. Exercices de souffle suspendu, aujourd’hui, au-dessus du chenal, du Channel!
J. D.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Darras compose depuis 1988 un poème en huit chants sur une petite rivière côtière du Ponthieu et du Marquenterre, la Maye — il livre ici le premier texte du chant VIII intitulé « Le Chœur maritime de la Maye ». Il a par ailleurs traduit de l’anglais Walt Whitman, Samuel Taylor Coleridge, Ezra Pound, William Carlos Williams, Allen Ginsberg, Malcolm Lowry, etc.
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Aperçu du livre
Irruption de la Manche - Jacques Darras
I R R U P T I O N D E L A M A N C H E
Jacques Darras
Irruption de la Manche
Poème avec dix-huit gouaches
LeCriLogoCatalogue sur simple demande.
www.lecri.be lecri@skynet.be
(La version originale papier de cet ouvrage a été publiée avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles)
La version numérique a été réalisée en partenariat avec le CNL
(Centre National du Livre - FR)
CNL-LogoISBN 978-2-8710-6671-2
© Le Cri édition,
Avenue Léopold Wiener, 18
B-1170 Bruxelles
En couverture: © Gouache originale de l’auteur.
Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de traduction, réservés pour tous pays.
Ce texte ouvre le volume VIII du poème La Maye,
intitulé Le Chœur maritime de la Maye
peinture1. Blancheur approximative de Blanc-Nez
NEITHER IN A SINGLE NIGHT NOR IN A SINGLE DAY
NEITHER IN A SINGLE MONTH NOR IN A SINGLE WEEK
NEITHER IN A SINGLE YEAR NOR IN A WHOLE DECADE
NEITHER IN A CENTURY NOR IN MANY SUCCESSIVELY
NEITHER IN A MAN’S LIFETIME NOR IN HIS FAMILY’S
NEITHER IN A MAN’S MEMORY NOR IN HIS PROGENY’S
NEITHER IN A WOMAN’S MISGIVINGS NOR IN HER HOPES
NEITHER IN A CAIRN’S RAISING NOR IN ITS ERASING
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Est l’infinitif de la mer
Est l’infinitif de la mer infiniment infinitive
Est l’infinitif de la mer revenant au repos d’elle-même
Est l’infinitif de la mer revenant verbe à elle-même redevenue nom
Est l’infinitif de la conjugaison ambiguë de la mer
D’elle-même avec elle-même
Dans la détente du temps
Dans la détente pulmonaire pneumatique du temps
Dans le froissement de plèvres marines du temps
Dans l’ample souffle de marathonien du temps
Revenir
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Revenir
Ce qui revient avec la mer c’est l’illusion du revenir
Ce qui revient avec la mer c’est l’illusion du mouvement de la vague
Ce qui revient avec la mer c’est l’illusion de l’avancée de la vague
Ce qui revient avec la mer c’est l’illusion de l’allongement de la vague
Vers le sable
Vers la dune
Vers les terres
Vers nous
Le revenir de la mer est le revenir de la cavale imagée du souffle
Le revenir de la mer est le revenir de la succession des images
Le revenir de la mer est le revenir de l’illusion de course des images
Le revenir de la mer est l’effacement de l’infinitif en lui-même
En sa dépense minimale d’infinitif
En sa dépense minimalement infinitive d’espace
Revenir
Revenir
Revenir
Revenir
Revenir
L’infinitif revenir de la mer est la plus haute image du temps
L’impensable image de l’impossibilité d’être du temps
Autrement que sous l’image du repos actif de la mer
Du long revenir de la mer sur elle-même
Dans la multiplicité plurielle des vagues
Revenant à plusieurs en même temps à l’infinitif du revenir
Revenant à l’impassible l’impossible unité infinitive du revenir
Revenant à l’illusion d’une fin frontalière définitive
Que l’expiration de l’eau sur la terre déterminerait
Revenir
Revenir
Revenir
Revenir
Revenir
Revenir
*
Je me trouve au Touquet c’est en 1930
Je croise mes parents ils ont quinze
Et seize ans ils ne me reconnaissent pas
Or je sais moi — privilège de l’âge —
Qu’ils furent mes parents, eux s’en vont
Par les rues qui conduisent à la plage
Se tenant par la main et marchant
Dans le bonheur d’une journée d’été
Sans nuages, les villas sont récentes,
Il y a de grands espaces pour chacune,
Des vacances pour une ville de vacance
Et dans le bois de pins qu’on nomme
« La forêt » on ne trouve que des arbres,
Pas encore des rêves de retraités.
J’avance dans leur dos ils parviennent
À la mer : « Regarde ! s’écrie ma mère
Comme elle n’a pas changé ! » Descendus
Sur le sable ils s’approchent des vagues,
Ils se mettent en maillot, bretelles sur la
Poitrine l’un et l’autre, c’est une cure
De jouvence pour eux jeunes et pour moi
Qui suis leur aîné quoique pas encore né.
La mer ne change pas non la mer ne
Change pas mais alors qu’est-ce qui change ?
Qu’est-ce qui nous donne le change,
L’illusion d’avancer puisque, dans la mémoire,
Mon père, ma mère et moi leur produit
Fréquentons la même plage au même
Âge sans nous êtres rencontrés ?
1.
Ces Terrassiers creusant
Tranchée d’aval
Afin que crues de Somme
Ne s’emplissent d’eau de mer des marées
Tant elle depuis sa source
Est basse donc
Sujette à inondation
Savaient-ils qu’en même temps qu’ils œuvraient
Dans l’Espace
Ils ouvraient l’Écluse
Du Temps ?
Coup de fer sur un os
(Rhinocéros ?)
Voici jaillir l’étincelle à partir de quoi Illuminer
Nos antécédents :
Depuis nous marchons courant Mémoire Continue
Dont Dieu Ier
(Lux ! Lux !)
Dans nos cerveaux posa Le Filament —
N’eussent-ils heurté cet os de forme spécifique
Qu’ils fussent passés à travers
Grande Fosse Commune L’Anonymat
Or Chance !
Chance !
Le caillou (« Biface » pour la science)
Qu’une main humaine d’il y a cinq cent mille ans
Tint pour tuer
Abel ou Caïn ou tel renne paissant paisiblement
Les arrêta net :
Ah ! comme j’eusse aimé
Oui eusse aimé !
(Conditionnel passé irréel du présent)
Entendre tinter la Crayeuse
Pépite qui de l’or
Auquel s’activaient alors Tamis d’Amérique
N’avait pas l’étincelant
(étain celant)
Quand d’Abbatis Villa Abbeville
Ville d’Abbés
S’exhuma
Flamboyante Majesté Soi-Même
Le Temps
Utile à rien d’autre qu’à la futilité de voir les autres vieillir
Et qu’en cette Ville-Somme
D’où je naquis-naîtrais
Cent ans exactement plus tard
(Boucher des Pertes ou Crévecœur ?)
Lui
Temps
Nous rajeunit rajeunissant lui-même
Par simple hasard
D’un TPC
i.e
Tout Petit Caillou (You !)
Biseauté
Chantourné
Chanfreiné
Dont la bi-face
N’avait dû prendre que quelques jours/heures au plus
À tailler
Et
Demeurer cachée
De nous
Cinq cent mille ans
Car distances temporelles sont distances
D’avec nous
Qui jouons
À nous faire peur
(Hou ! Hou !)
Donc pourquoi ne pas s’insurger
Contre règles
Faites par Matière à nos
Os osant par
Exhaussement anticipé de leurs ossements
Nous anthumer
Nous avancer
De notre vivant
À La Grande Horloge Résurrectionnelle
Les confiant
Les confisant Vers & Vertébres
(Confit et Or)
À de Grands Mannequins
Pour defilés verbaux
Squelettes marchant Anche Manche
Bien dégagée vers l’Avant ?
DID THE NORTH SEA WAVES RUSH IN AUDIBLY
DID THE SUB-ARCTIC WAVES CONQUER DRAMATICALLY
DID THE NORWEGIAN STORREGA SLIDE DECISIVELY
DID THE DOGGERLAND SHORE SUBSIDE GRADUALLY
FOR THE FLOODING MUST HAVE BEEN SLOW AT FIRST
FOR IT MUST HAVE STARTED AS GENTLE TRICKLING
FOR IT MUST HAVE SOUNDED LIKE ANY OTHER OOZING
FOR IT MUST HAVE SEEPED IN BEYOND ANYONE’S NOTICE
Nous nageons dans la mer
Nous nageons dans l’amour
Nous écartons nous refermons les jambes
Nous avançons au ciseau
Nous ouvrons les bras nous fermons les bras
Nous glissons sur le ventre
Nous glissons ventre à ventre avec l’eau
Nous avançons dans l’eau femme
Nous mimons la mer
Nous nous mimons nous-même naissant dans l’eau
Nous nageons dans un rêve d’eau portante d’eau montante
Nous nous appuyons l’un sur l’autre
L’un sur l’outre
L’un sur l’eau
Ohohohohoh !
Nous pesons
Nous pensons
Nous ne pensons plus
Nous dansons nous dansons nous dansons
Nous nageons la danse
Nous dansons la nage
Nous sommes en nage
Nous sommes en danse
Nous sommes en transe
Nous sommes en cadence
Ohhhhhhhhhohhhhhh !
Nous chantons
Nous crions
Nous créons
Nous croyons
Nous croyons
Nous croyons encore encore encore
Nous croyons
Nous rions
Nous avons crié cru ri
Nous croierons crierons rirons
Nous crûmes criâmes rîmes
Nous rimons rimerons rimâmes
Nous ramons ramerons ramâmes
Nous sommes un petit rameau de la grande conjugaison
*
Un ancêtre fut Paul Mas
Que je vois en mémoire
Enfant vieux de cinq ans confié aux