Quand l’art-thérapie vient en aide à la mémoire: Art-thérapie et Alzheimer à travers quelques fables de La Fontaine

Par Iléna Lescaut

Constitué de deux volets, cet ouvrage fait état de l'apport de l’art-thérapie dans la prise en charge des personnes présentant une maladie neurodégénérative.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Iléna Lescaut est née en 1966. Elle est auteure de plusieurs ouvrages dont Par la fenêtre du temps, Le troisième œil - Voir en soi pour voir le monde et Ballades solitaires/Loners’Ballad.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Lys Bleu Éditions
• Date de sortie: 28 juin 2021
• ISBN: 9791037726957

Aperçu du livre

Partie I

Version française

Quand l’art-thérapie vient en aide à la mémoire

Art-thérapie et Alzheimer à travers quelques fables

de La Fontaine

Le mot de l’art-thérapeute

Par Iléna Lescaut

¹

En ces temps troubles de maladie, de pertes de nos aînés dans les Maisons de Retraite, dans les hôpitaux ou à domicile, j’ai une pensée toute particulière pour mes patients, pour leurs familles.

Je voudrais exprimer aux familles mes sincères condoléances et en même temps leur dire que leurs parents, à travers l’art et les ateliers d’art-thérapie, ont retrouvé du bonheur, de la lumière, de la confiance en soi, ont pu exprimer leurs ressentis, leur manière de voir le monde et leurs œuvres exprimaient, chaque fois, la beauté, l’amour, la VIE. Leurs œuvres exprimaient le MERVEILLEUX en chacun d’eux.

Voici deux de leurs poèmes, créés juste avant le confinement de mars 2020 et accompagnés par une peinture :

Il s’agit d’un « picto-poème » (référence à Victor Brauner) qu’on voulait donner en cadeau à Marc Veyrat, grand chef cuisinier sachant exprimer si bien le goût poétique de la ruralité dans ses assiettes.

Voilà, à travers ce livre, ça sera fait !

On comptait aller, à plusieurs, dans un restaurant de la région parisienne pour déguster les bons plats ruraux de Marc Veyrat et enchanter nos papilles…

Ces deux poèmes, dictés par mes patients, sont un hymne à la ruralité, à la nature si précieuse à l’humanité, un hymne à la VIE :

À la campagne²

« Le vert a la chance de pouvoir rencontrer la Nature :

La campagne, les champs, les arbres, les plantations.

Les animaux arrivent à vivre seuls.

Les chiens ont besoin de leurs Maîtres.

Les oiseaux chantent dans la Nature.

Le renard roux n’est pas bien aimé par La Fontaine,

Il essaye de tromper les autres animaux.

L’écureuil est souple,

Il saute de patte en patte.

Les lapins courent pour chercher la nourriture.

Vert, noir, marron, rose, rouge et blanc.

Les animaux sont attirés par le vert.

Le noir est la terre.

Le marron est le fruit de quelques arbres.

Le rose des fleurs, le rouge des coquelicots.

Le blanc de la neige ou des arbres en fleurs au printemps.

Ce n’est jamais monotone,

C’est tout le temps varié. »

Et

Rural³

« Tout est en fleurs

Tout vit et bouge

Les fleurs éclosent,

Les animaux se promènent et profitent de la Nature.

Ils cherchent les fleurs

Parce qu’elles sont très belles.

Tout se tient : la Nature va renaître.

Les petites bêtes sont empanachées dans leurs vêtements :

Elles sont faites pour vivre sous les fleurs.

Vert, rose, jaune, blanc…

Blanc est la couleur de la nativité

Qui est très loin de nous…

Et parle seulement par mystères.

La Vie, c’est ce qui bouge et qui s’en va par moment,

Pour revenir après plus jouissive.

Le jaune, c’est le début de la renaissance.

Le rose, c’est le début de la jouissance avec les enfants.

Le vert, c’est la naissance de toute la Nature.

J’aime beaucoup l’eau,

Ça bouge et ça vient de très loin

Et ça passe à travers les campagnes.

L’eau est indispensable à la VIE.

Elle parcourt des distances très importantes

Pour retrouver ses origines.

L’origine de l’eau est la maturité.

Je veux que la VIE reste près de moi,

Il faudrait qu’elle m’AIME… ! »

Et comme disait Malraux : « la vie ne vaut peut-être rien, mais rien ne vaut une vie », parce que l’unicité de l’Être…

Et comme disait Rilke : « me voici un vase brisé dont les débris vont réintégrer la terre mais… en dépit de tout, la vie est une gloire ! » et « la gloire est un triomphe de Tout sur le Rien » (F. Cheng).

Aujourd’hui, l’art-thérapie est une des premières interventions non médicamenteuses, recommandée dans la prise en charge des personnes présentant une maladie neurodégénérative.

L’OMS a reconnu les bienfaits de l’art-thérapie, en présentant un rapport à Copenhague, le 11 novembre 2019.

Les bénéfices sont multiples, à condition que les ateliers d’art-thérapie soient réguliers et bien encadrés auprès de nos aînés, par des professionnels.

Grâce à l’art-thérapie, on peut constater des transformations d’ordre comportemental auprès de nos aînés, par exemple : une baisse des troubles du comportement, une amélioration de l’humeur et de la qualité relationnelle, une augmentation de l’estime de soi et de la qualité de vie, un plaisir de vivre ravivé, du mieux-être.

En accompagnant dans une relation de soin créatif nos résidents, nous réveillons et stimulons avec délicatesse leurs émotions, leurs capacités sensorielles et cognitives, en faisant ressurgir certaines sensibilités.

Ainsi, et, quel que soit le niveau de dépendance, l’art-thérapie contribue à ce que la Vie continue le plus agréablement possible pour les patients.

« L’art-thérapie inscrit (…) l’expression dans un processus qui fait évoluer la forme créée.

L’expression soulage mais la création suivie transforme »

Jean Pierre Klein

À travers l’art, l’expression artistique – la corde sensible de chacun est stimulée, les 5 sens sont éveillés, l’être humain retrouve un bien-être dans son intégralité psychique et corporelle. L’éveil des 5 sens stimule et entretient l’éveil de l’esprit chez la personne atteinte d’Alzheimer.

L’art-thérapie auprès de personnes du grand âge qui présentent la maladie d’Alzheimer se propose une stimulation cognitive, sensorielle, émotionnelle et corporelle.

Il faut noter que toute activité artistique peut s’associer à d’autres dans le cadre d’un même atelier. On peut ainsi organiser une activité à dominante arts - plastiques à laquelle s’ajoutent une ou plusieurs types d’activités dites « phénomène associé » (ex : peinture et musique, peinture et poésie et/ou écriture peinture et danse, sculpture et théâtre, etc.).

Qu’est-ce que les cinq sens ?

Du point de vue physiologique, les sens sont les organes de notre perception.

Ils nous permettent de vivre et sont à la base des notions de plaisirs et de dangers.

Les 5 sens sont : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher.

La vue

Elle permet d’observer et d’analyser notre entourage. L’œil agit comme une caméra qui imprime les images qui sont transmises à notre cerveau.

L’ouïe

L’audition est la capacité de percevoir des sons. L’oreille traduit les sons par les vibrations dans les tympans.

Le goût

La langue compte 3000 papilles gustatives. Elle est sensible à quatre saveurs : sucré, salé, amer et acide ou aigre.

Elle est également sensible à des textures variables comme : la chaleur, le froid et la consistance.

L’odorat

Le fond du nez, très sensible, est capable de percevoir des milliers d’odeurs. L’homme en reconnaît des : agréables, désagréables et neutres.

Le toucher

La peau, par le contact, est le relais des sensations ressenties par le reste du corps. Les parties les plus sensibles sont : le bout des doigts, la plante des pieds et les lèvres.

« La stimulation sensorielle peut outrepasser les régions du cerveau atteintes et aider à reconstituer des mémoires. » (Manzen cité dans Lusebrink, Imagery and Visual Expression in Therapy (Emotions, Personality, and Psychotherapy), (Ed. Vija Bergs Lusebrink, 2011))

Je cite ci-dessous Johanne Hamel, M.Ps. D.Ps., psychologue, qui, dans son travail présenté dans le cadre du cours PSY 974, doctorat en psychologie, Université de Sherbrooke Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue intitulé : « Les neurosciences et l’art-thérapie », décrit de manière scientifique l’apport de l’art-thérapie dans la reconstitution des mémoires :

« En art-thérapie, cela réfère aux éléments formels de l’expression visuelle, soit les lignes, les formes et les couleurs, donc on stimule surtout ici l’activité du cortex visuel associatif. Les art-thérapeutes, qui travaillent avec l’approche par le processus artistique, utilisent énormément ces éléments formels dans leur travail. Quand on ajoute la couleur à la stimulation tactile, on stimule les réponses émotives.

Les émotions influencent plusieurs aspects cognitifs : l’activation de l’amygdale (l’amygdale ou complexe amygdalien est un noyau pair situé dans la région antéro-interne du lobe temporal au sein de l’uncus, en avant de l’hippocampe et sous le cortex périamygdalien). »

Quelques principes et objectifs des ateliers d’art-thérapie auprès des patients du grand âge qui présentent la maladie neurodégénérative d’Alzheimer et autres pathologies associées :

Principes :

Le respect et la tolérance envers les résidents ;

La disponibilité, l’amabilité : sens de l’accueil, savoir écouter ;

L’enjouement et le dynamisme : véhiculer la notion de sérénité ;

L’humilité et la modestie : ne pas s’approprier la parole, la douleur ou le plaisir de l’autre, ainsi on ne juge pas. Son histoire n’est ni bonne ni mauvaise, elle « est » et je l’accepte comme elle « est » parce que j’accepte le résident comme il est ;

La patience et l’attention : envers les personnes et envers les objectifs pour mener les divers projets. Afin d’éviter à ce qu’une routine s’installe, l’art-thérapeute doit faire preuve d’imagination et ne pas perdre de vue l’essentiel : L’Être et l’objectif vis-à-vis de cet Être ;

La stimulation : demande de participation et de propositions. Ne pas confondre avec obligation qui est toujours mauvaise : s’il y a refus, soit la personne n’est pas intéressée, soit elle n’est pas prête psychologiquement, soit elle n’est pas prête à affronter le groupe, soit son refus est lié à des causes environnementales ou finalement, la personne est momentanément indisponible ;

Le sens du travail en équipe pluridisciplinaire (avis de la psychologue, du kinésithérapeute, de l’IDEC, des infirmières, des aide-soignantes, de la Direction, etc.) ;

Le sens de l’organisation, de l’observation et de l’initiative ;

La présence rassurante ;

Aider le résident à restituer les événements oubliés ;

Respecter le choix et le rythme de chacun ;

Aider à faire circuler la parole et veiller au respect de l’expression de chacun ;

Observer attentivement et noter les observations.

Mettre en place des ateliers d’art-thérapie SANS INFANTILISER ;

Mettre en place des ateliers d’art-thérapie qui ont du SENS (l’avant/le pendant/l’après) ;

Respecter la régularité des ateliers d’art-thérapie ;

Garder une attitude d’Empathie envers le résident/patient (comprendre de manière objective la subjectivité du résident/patient) ;

Tenir compte du CORPS et de l’ESPRIT (maintenir le plus longtemps possible un équilibre, un bien-être des flux entre le corps et l’esprit, entre la forme et le fond, entre le visible et l’invisible, le palpable et l’impalpable auprès des résidents/patients) ;

Objectifs :

Le maintien de la communication verbale et non verbale.

La Communication verbale : Prédictive (avant) + Explicative (pendant) + Valorisante (après). La Communication non verbale : capture sensorielle (regard-parole-toucher-sourire) ;

Le bien-être de la personne retrouvé à travers une activité arts-plastiques ou autre activité artistique (la peinture, le collage, création d’objets, sculpture, photographie, théâtre, danse, musique) ;

La stimulation des sens et de l’imagination ;

Le plaisir d’une activité accomplie avec succès ;

La valorisation des capacités artistiques de chacun ;

Le respect et l’amélioration de l’estime de soi ;

Redonner la confiance en soi ;

Le maintien des relations amicales ;

Le plaisir de vivre, de se projeter dans le futur.

Dans le respect et avec l’accord de chaque personne et de sa famille ou ayant droit, peuvent être organisées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement des expositions qui présentent les créations des résidents des ateliers d’art-thérapie.

L’art-thérapie est une discipline qui nécessite du temps pour arriver au « bien-être » du patient.

L’art-thérapie c’est une main tendue à l’autre, une écoute et une observation avisée de l’autre, savoir mettre en avant la partie singulière d’une personne, un encouragement dans le temps pour celui qui a besoin de retrouver la force en soi afin de renouer avec un équilibre personnel, un bien-être émotionnel et corporel, éléments qui lui renvoient une image positive dans le miroir imaginaire de la vie.

Quelle est la position en tant qu’art – thérapeute dans le cadre d’un atelier d’art-thérapie ?

La position en tant qu’art-thérapeute ne sera jamais celle de juger ou d’analyser la PERSONNE ou ses créations artistiques.

En tant qu’art-thérapeute, on se positionne en observateur averti, en accompagnateur, en stimulateur discret tout en laissant la fenêtre ouverte aux possibilités et envies artistiques de l’autre (comprendre avec objectivité la subjectivité de l’ÊTRE qui est en face).

Une personne qui crée est seule avec elle-même. L’art-thérapeute n’est pas là pour guérir la PERSONNE souffrante mais pour lui apporter l’aide nécessaire pour mieux gérer sa condition et par conséquent améliorer son quotidien (exemple : continuer à aimer la vie tout en acceptant un handicap).

Il existe un protocole de prise en charge personnalisé pour chaque patient.

L’art-thérapie peut s’effectuer en petit groupe ou en individuel.

La prise en charge en art - thérapie peut se faire sur prescription/ordonnance médicale.

Ainsi un patient est pris en charge à partir d’un état de base (déterminé par le médecin).

L’art - thérapeute se fixera un objectif général en fonction du diagnostic prononcé par le médecin et l’atteindra en plusieurs rencontres au cours desquelles seront mis en place des moyens différents, seront adoptées des stratégies personnalisées à chaque patient après observations d’items (la plus petite chose observable dans le comportement d’un patient) afin d’atteindre l’objectif final et pouvoir rendre compte de l’état final du patient pris en charge.

L’activité de l’art - thérapeute peut être complémentaire aux soins apportés par un kinésithérapeute, un psychomotricien et/ou un psychologue.

L’art-thérapeute s’auto-évalue : quels moyens utiliser pour atteindre tel but auprès de la personne prise en charge ?

L’art-thérapeute apporte un angle de vue différent sur le patient et participe ainsi à l’enrichissement des observations cliniques à exploiter pour l’accompagner dans son évolution.

Quelques critères d’évaluations cliniques de l’art-thérapeute :

Les expressions spontanées du patient, sur son expérience, qu’elles soient verbales ou dans sa production ;

Les analyses et retours des professionnels de santé sur l’évolution de la personne, prise en charge ;

Les changements comportementaux observés auprès des patients (par exemple reprise de la vie relationnelle/la resocialisation, la diminution du stress et de la déambulation, la capacité de recréer des connexions mnésiques et émotionnelles, augmentation de la capacité d’échanger donc de communiquer, meilleure motricité fine, moins de chutes, prise de confiance et d’estime de soi, capacités de réintégrer un groupe, attitudes positives, plaisir d’être).

Quelques outils d’évaluation de l’art-thérapeute en maison de retraite :

Des objectifs thérapeutiques prédéfinis avec le médecin coordinateur, le (la) psychologue ;

Des observations écrites à chaque séance comme points de repère des séquelles cognitives, psycho-affectives, comportementales et relationnelles et de leur évolution ;

Des grilles d’évaluation des états émotionnels, cognitifs, physiques et relationnels des patients, assez rapides à remplir (après chaque séance d’art-thérapie et en fonction des différents items observés) et utiles pour prendre le recul nécessaire et établir des bilans à partager avec l’équipe médicale et paramédicale.

Un exemple de prise en charge individuelle auprès de Mme P et création d’une œuvre picturale autour de la fable de La Fontaine, « Le Héron » :

Mme P a 79 ans quand je la rencontre pour la première fois à son domicile. Elle présente la maladie neurodégénérative d’Alzheimer, avec des troubles du comportement : anxiété, changement d’humeur, des troubles du sommeil.

Mme P a tendance à s’isoler de plus en plus, ne veut plus sortir, ne veut plus recevoir des visites, à part ses enfants.

Au cours de la première rencontre avec ses enfants, ils m’ont fait part du