Libellunes
Par Hadrien Spitz
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Aperçu du livre
Libellunes - Hadrien Spitz
Libellunes
Hadrien Spitz
Libellunes
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01799-0
Avant-Propos
Libellune : Insecte de l'ordre des archiptères, à l'abdomen phosphorescent, dont la singularité est de ne sortir que les nuits chaudes de pleine lune, propices pour s'adonner à leurs amours.
À Axel
À Romy
Aux Invisibles
EX NIHILO NIHIL
L'HORLOGE
Voici la rouge horloge qui égrène un chagrin
Une nuit bleue découverte à l'entrée d'un jardin
Parsemé de pampilles et de reflets d'airain
Où s'allongent les dieux imprégnés de parfums
La coquille nacrée d'une image se propose
Un ramage tout habité de feuilles qui causent
Un frémissement qui court sur la courbure des choses
Et parfois un chagrin froissé entre les roses
Des visages envoûtés l'ivresse molle d'un corps
Se dispersent dans l'envol d'un rêve sans effort
L'éclosion capiteuse poursuivie de remord
Le sévère portrait d'une dame au fond d'un corridor
Les reflets fripés d'un monument bus par la Seine
Portent fragiles des membranes incertaines
Et des nuées polymorphes scrutent la scène
D'une foule radieuse qui applaudit sa reine
Je me souviens des rues envahies de conquêtes
Ce drugstore aussi chaud que l'haleine d'une bête
De cette lumière onctueuse déboulant des fenêtres
Qui embrasait de joie nos coiffes toujours défaites
Ma grand-mère est partie pour la Samaritaine
Chercher quelques aiguilles des pelotes de laine
Mon grand-père a laissé sur le zinc son haleine
Dans la rumeur des braves ses humeurs vilaines
Je répète souvent dans l'asile obsolète
D'un abri téléphone un numéro qui reste
Une voix mécanique tristement me déteste
Me rappelant sans cesse qu'ils ont changé d'adresse
Je revois cet endroit à l'ombre des tilleuls
Ce parc où j'étais sûr de n'être jamais seul
La clarté souveraine d'un ciel tel un linceul
Où volait l'indolence heureuse des chansons folles
C'était l'amie penchée au tout dernier étage
Une copine à son piano rêvant d'être chanteuse
Cet amant insistant aux yeux de marécage
Et ce Paris fleuri à la robe prometteuse
J'ai beau chercher et tenter l'au-revoir
Sur l'asphalte luisant glissent des fantômes hagards
Il ne me reste rien que la blessure du soir
La poussière de la pluie flottant sur le trottoir
SPLENDEURS
J'ai perdu tant d'adresses
Que je n'en n'ai aucune
Dans la rue des Abbesses
Monte une lune brune
Chaque rue chaque pierre
Rappelle un soir de liesse
Où la jeunesse altière
S'enivrait de promesses
Il n'est pas un faubourg
Sans qu'il ne mène à toi
Le parfum de l'amour
Suspendu sur les toits
Des ombres s'esclaffaient
En bousculant leurs verres
Et l'ascenseur montait
Comme monte une prière
Nous avions des idées
Bien souvent des paresses
Tout nous semblait relié
Par la même caresse
Des ombres des Tuileries
Aux regrets de la Seine
J'invoque des amis
Qui ont quitté la scène
Ah ! Comme je le maudis
Ce malicieux venin
Qui d'une décennie
Causa tant de chagrins
J'ai vu partir des frères
Des instants délicieux
Souvent je m'en réfère
Et je m'en trouve heureux
Voici l'heure de la bise
Et des fenêtres closes
Souviens toi des Bee Gees
De la couleur des choses
J'ai perdu vos adresses
Comme un oiseau ses plumes
Dans la rue des Abbesses
Monte une lune brune
MON PAUVRE AMOUR
Mon pauvre amour
Tout le monde court après tout le monde
Et puis personne ne regarde plus personne
Et nos joies épuisées ne sont plus que des ondes
Où nos cerveaux viciés se parlent au téléphone
Mon pauvre amour
Jadis tant de refrains ondulaient sur les toits
Comme autant de chagrins souvent imprévisibles
Mais ces chansons candides adoucissaient l'effroi
Des amours solitaires que l'on croyait splendides
Mon pauvre amour
Te rappelles-tu en dévalant dans le métro
On recevait la gifle d'un souffle chaud d'ozone
Des grillons sur les rails grignotaient nos mégots
Et nous nous immiscions perdus parmi la faune
Mon pauvre amour
Bien sûr il y eut le Continental
Ce dédale où nous cherchions l'amour
Des hommes mariés ondulaient en sandales
Et des folles inventaient toutes sortes de calembours
Mon pauvre amour
La rue Vivienne la rue Sainte Anne
Les Tuileries où chaque dimanche
Nous allions comme un troupeau d'ânes
Le désir affamé glaner notre pitance
Mon pauvre amour
Chaque faubourg fut le repaire d'un amant
Des façades éblouies comme les yeux d'un serpent
Je prenais l'ascenseur aux rondeurs mécaniques
M'élevant vers des cieux de ferveurs idylliques
Mon pauvre amour
Sur le boulevard des Italiens
Traîne une série de pas offensés
Le bonheur assoiffé d'un délicieux matin
Où je me vois courir aussi léger qu'un magicien
Et me voilà songer à cette grande et muette multitude
Qui vogue maintenant portée par d'autres voiles
Dans ma prière s'élève plus qu'une gratitude
Le berceau mystérieux d'un accouchement d'étoiles
UNE BELLE JOURNÉE
Un coquelicot touché en plein cœur
Saigne en pétales dans le ruisseau
Et tout là-bas les saules pleureurs
Tamisent leurs longs cheveux dans l'eau
Une vache un peu cavalière
Court gaiement après les oiseaux
L'onde qui fait trembler la lumière
A mis dans tes yeux des bateaux
Des sauterelles vert-translucide
Sur les hampes des herbes se balancent
Près de la mare les cantharides
Au-dessus d'un cadavre de rat dansent
La plaine gorgée de soleil
Palpite d'ailes flanelle
Des papillons au ton pastel
Un baiser qui sur les fleurs chancelle
Le ciel étire ses passementeries
Et le coucou au loin s'étonne
Les souris grignotent au grenier gris
Dans la luzerne le chat ronronne
Un clocher hautain caracole
Et le bronze égrène midi
Les enfants sortent de l'école
Dans le pré saute une pie qui rit
Tu m'enlaces tendrement par le cou
Et mon âme dans le bonheur s'ébroue
Une poule allègrement caquette
Il traîne dans l'air un goût d'omelette
J'ai vu la question inscrite au tableau
L'amour serait-il bien plus fort que la mort ?
Combien de temps de temps encore
Avant que ne s'entrouvre le sibyllin rideau ?
PROCESSION
Dans la rue des feuilles mortes
S'avancent des reines éternelles
Suivies d'une armée de cloportes
Qui en dansant bruissent des ailes
Elles arborent en guise de diadème
Des corolles et des étamines
Et leurs visages enduits de crème
Suintent des lèvres d'albumine
Elles ont aux pieds une fleur de lys
Et dans leurs chants le décourage
Une coiffure couleur réglisse
Un cumulus rempli d'orages
Des robes dérobent des épaules
Et les plis glissent sur le marbre
Leurs mains diaphanes miment l'envol
Des âmes cachées entre les arbres
Les doigts écorchent la cithare
Dans des vapeurs d'encens et de myrrhe
Des cymbales et des cris d'oiseaux rares
Ricochent sur l'ombre des menhirs
Le rocher s'ouvre et l'hiérophante
Coiffé de narcisses et fardé d'ambre
S'enfonce suivi par sa procession lente
Dans les entrailles brouillées de cendres
Un éclair de soufre cisaille l'horizon
Les Muses vont battre l'aquilon
FLORAL
Il en faut du talent pour dire je t'aime
Et te laisser entrer où nul ne vient
Un jardin clos de théorèmes
Où la rosée s'épouse d'un délicieux chagrin
La tulipe dans la lueur du soir
Balbutie des rêves nacrés
Une bouche enduite de fards
Susurre des aveux sucrés
La violette tapie sur l'humus
Aussi fragile qu'un clitoris
La pivoine est un gros cumulus
Qui éclate au milieu des lys
Et la rose enrobée de plis
Dévoile des valses folles
Où tu m'entraînes sans répit
Vers des vestiges qui m'affolent
Je sais des premières jonquilles
Des sommeils froids et étourdis
Un soleil rond comme une bille
Qui serpente au milieu des buis
Je reconnais à la pervenche
Une paresse toute alanguie
Et de ces grands roseaux qui penchent
La sensation claire de l'oubli
Le coucou vient me réveiller
Dans le bonheur d'une rainette
Et mon amour se laisse aller
En épluchant la pâquerette
Je t'aime un peu beaucoup
Le pissenlit est bon facteur
A la folie par-dessus tout
Que ses aigrettes portent mon cœur !
AU SOIR
Belle Vénus suspendue sur l'arête des toits
Diamant brisé comme une moire de soie
Amants brouillés et qui n'ont plus la foi
A l'angélus quand la brume étreint les dunes
Sous le brame de grandes bêtes nocturnes
Vient s'immoler la douceur d'être soi
D'un baiser bref ou d'un élan d'effroi
Breveté par l'étoile ensorcelée de froid
J'attends ton aile se prolonger sur moi
Cette brûlure que j'héberge tel un refuge
Déposant sur mes lèvres le ressac de douze mois
Beauté bergère d'une capiteuse effluve
Brunes marbrées toutes envoûtées de brumes
Soirées sucrées dans le parfum des prunes
Fruits enrobés d'une crème de lune
Mais cet amour irrésolu qu'en vas-tu faire ?
L'emporter dans un bois où meurt la lumière
Ou bien le calfeutrer sous un lit de poussières
Il y a des forêts embrasées par des rêves
Et des rêves piétinés par l'ignorance des rois
Une belle certitude dont je me meurs de toi
Un tressaillement furtif que tu ne connais pas
La franchise hésitante et belle du premier pas
L'étourdissement plausible de l'au-delà
Tout recroquevillé il attend ton secours
Telle une pomme diaprée d'un noir velours
La vapeur embaumée d'un amour sans secours
Brise embaumée
La chaleur de l'humus
Sur un lit de mucus
Pétrie d'éternelles beautés
Monte Vénus
A MARIA
Son regard est un archipel
Où volent des plumes de corbeau
Et sa voix fragile froissée d'ailes
Ricoche comme le rire d'un ruisseau
Parfois la force du chêne
Pénètre déjà dans le tombeau
D'autres fois couleur sienne
Le mâle s'unit dans le beau
Rien n'est plus fugitif
Que le violon d'un concerto
Et de saisir l'instant furtif
D'un musicien prit de sanglots
Rutilant sur l'ombre l'orchestre
Un grand piano redoutable
Et devant le micro le ciselé de quelques gestes
Dévoile le pur inconsolable
Dans la nuit tressaille une star
Réfugiée derrière les velours
D'une longue voiture noire
Qui glisse entre les faubourgs
Des cils humectés d'écume
Un visage posé sur la paume
Des diamants en guise de lune
Un sourire aussi las qu'un psaume
Tant de villes autant de naufrages
Se bercer et se relever
Chanter perforer davantage
D'un claquement bref les nuées
La voix est devenue silhouette
Et la lumière du jour un secret bien fragile
Le cœur n'est plus qu'une amulette
Et la gloire un instrument fragile
Courir pourquoi pas vers la mer
Ce bel assaut épris de vagues
Tout comme la cinquième de Mahler
S'unir à l'océan plein de vagues
Alors refermer les paupières
Sous le cri vif des goélands
En laissant monter de la Terre
Ce beau mugissement de naguère
D'un ultime applaudissement
L'ALCHIMISTE
C'est une petite maison coiffée de tuiles brunes
Le long desquelles le vent poivré vient s'écorcher
Une colline blonde où roule l'odeur des prunes
Un chemin creux qui descend vers la marée
Une porte est bien sûr restée entrouverte
Sur un feu qui crépite de flammes langoureuses
Une fugue de Bach d'une méprise svelte
Dessine sur les murs des ombres bienheureuses
Une chèvre rumine en se goinfrant d'été
Et des poules en grattant vont retrouver leur gîte
Un orage pulpeux se suspend aux sommets
Et l'herbe se dandine de ballets insolites
Une table de guingois propose du fromage
Une cruche de vin une miche de pain
Le vent du large agite un froissement de pages
Les pensées de Pascal et de Saint Augustin
Une cloche résonne dans l'haleine des foins
Une lumière indigo vient tamiser les lieux