L'agronome et les systèmes: Approche systémique de l’exploitation agricole des zones tropicales et méditerranéennes
Par Philippe Jouve
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À propos de ce livre électronique
Il témoigne aussi du long cheminement professionnel et intellectuel de l’auteur qui l’a conduit à la rencontre des géographes partageant les mêmes terrains et les mêmes objets d’étude que ce soit les pratiques paysannes, les paysages ou les dynamiques rurales. Cette rencontre l’a amené à analyser les relations entre agronomie et géographie et à discuter de leur utilité sociale respective.
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Aperçu du livre
L'agronome et les systèmes - Philippe Jouve
L’agronome et les systèmes
Philippe Jouve
L’agronome et les systèmes
Approche systémique de l’exploitation agricole des zones tropicales et méditerranéennes
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04570-2
Sommaire
Sommaire
Avant propos
1. Introduction à l’approche systémique
Quelques caractéristiques de base
L’approche systémique, nouveau paradigme métascience ou méthodologie ?
Les systèmes, objets d'étude construits
2. Les différents niveaux d'organisation des modes d'exploitation du milieu
Le système parcelle
Le système de culture
Le système d'élevage
Le système de production
Le système agraire
3. Méthodes d’étude des systèmes de production agricole
L'entrée par les pratiques
La modélisation, intérêts et limites de l'exercice
4. Dynamique des systèmes
5. L’approche systémique. Quelle utilité pour le développement ?
6. Systèmes de production agricole Espace et paysages
7. Géographie, agronomie et approche systémique
Conclusion
Bibliographie
Remerciements
Avant propos
J’imagine la perplexité du lecteur qui prend connaissance de cet ouvrage. S’agit-il d’un essai méthodologique pour appréhender la complexité des modes d’exploitation agricole du milieu, et leur singularité en zones tropicale et méditerranéenne, du bilan d’un parcours de recherche de plusieurs décennies, d’un document à vocation et usage pédagogique ou d’un plaidoyer pour l’approche système ? C’est un peu tout cela et c’est ce qui explique le mélange de réflexions à caractère théorique ou épistémologique avec des points de vue plus subjectifs liés à mon parcours d’enseignant et de chercheur au service du développement agricole des pays du Sud. Mais pour bien comprendre la nature du texte qui suit, il n’est pas inutile d’en connaître la genèse.
En dépit des nombreux investissements effectués en faveur du développement agricole et rural des pays du Sud force est de constater que ces investissements se sont soldés le plus souvent par des échecs. Les causes de ces échecs sont nombreuses et dès 1962 René Dumont en avait identifiées plusieurs dans son ouvrage célèbre, L’Afrique noire est mal partie. Pour ma part et à partir de mon expérience d’agronome ayant participé à des projets de développement ou à leur évaluation, j’ai constaté qu’une des causes récurrentes de l’échec de bien des projets était la connaissance insuffisante des réalités agraires que ces projets se proposaient de transformer. C’est ce qui m’a conduit à considérer que l’agronomie comme la médecine, confrontées toutes deux à la diversité du vivant et des comportements humains, était soumise à la même exigence, à savoir formuler un diagnostic en préalable à toute intervention. Mais l’exercice est rendu difficile par la complexité des situations à diagnostiquer. L’exploitation agricole du milieu dépend de conditions à la fois techniques, économiques et sociales et son analyse nécessite de prendre en considération les différents niveaux d’organisation de la production. C’est précisément pour satisfaire cette exigence de pluridisciplinarité et d’articulation de différents niveaux d’organisation que l’approche systémique m’est apparue comme particulièrement appropriée.
Ayant observé qu’en dépit des nombreuses déclarations de principe favorables à cette démarche, elle était encore loin d’être correctement maîtrisée par tous ceux qui font profession d’étudier les modes d’exploitation du milieu rural ou d’intervenir pour les améliorer, j’ai pensé qu’il pouvait être utile d’en expliciter la mise en œuvre comme j’avais eu l’occasion de le faire pour plusieurs générations de jeunes agronomes. En effet, la mise en œuvre de cette démarche n’est pas évidente. Elle suppose d’abord comme le recommandait Legay « de définir les systèmes sur lesquels on souhaite travailler c'est-à-dire démontrer leur existence, préciser leurs limites spatio-temporelles …, avant d’en étudier le fonctionnement » C’est sur cette base qu’a été construit la première partie de l’ouvrage où après un rappel des principales caractéristiques de l’approche systémique et une réflexion sur sa spécificité, sont présentés les différents systèmes correspondant aux niveaux d’organisation de la production agricole et en particulier les systèmes de culture, les systèmes de production et les systèmes agraires. Ensuite sont examinées les différentes façons d’étudier le fonctionnement de ces systèmes en mettant l’accent sur l’analyse des pratiques des agriculteurs, en discutant de l’intérêt et des limites de la modélisation et en étudiant quelle est la dynamique de ces systèmes, leur évolution au cours du temps.
Se pose alors la question de savoir si dans le cadre d’un diagnostic, il est nécessaire de passer en revue l’ensemble des niveaux d’organisation qui vont de la parcelle à la région et tous les systèmes correspondants. La réponse à cette question, tout à fait pratique, a été bien formulée par un collègue de l’INRA, dont j’ai oublié le nom mais dont je me souviens très bien du propos : Tout dépend du problème que l’on a à traiter. En fonction de celui-ci, on commencera par identifier à quel niveau d’organisation il faut faire porter tout d’abord son analyse. Ensuite, on prendra aussi en considération le niveau englobant si l’on veut contextualiser cette analyse et le niveau d’organisation inférieur afin d’étudier plus en détail les mécanismes qui sont en jeu et affiner le diagnostic. Pour illustrer cette démarche je prendrai l’exemple de l’adoption des systèmes de culture sous couverture végétale et semis direct, considérés comme une innovation majeure en zone tropicale. Pour évaluer les conditions d’adoption de ces systèmes il faut tout d’abord pouvoir juger de leurs effets agroécologiques au niveau de la parcelle cultivée, puis examiner les modifications du système de production que leur adoption nécessite (changement de matériel, d’assolement etc.) Mais ce n’est qu’en se plaçant au niveau des systèmes agraires que l’on peut comprendre les freins qui ont limité jusqu’ici l’adoption de cette innovation en Afrique sub-saharienne (vaine pâture, feux de brousse etc.) et tenter de les surmonter. Cette façon de mettre en pratique l’approche systémique appliquée à l’étude de l’exploitation du milieu rural donne une grande liberté dans la manière dont on peut aborder et utiliser cet ouvrage. Une lecture linéaire et continue n’est pas indispensable. En fonction de la problématique de sa recherche ou de l’objet de son diagnostic on se reportera à la partie du livre qui leur correspond.
Après avoir présenté les bases méthodologiques de l’étude des systèmes de production agricole et les modalités de leur mise en œuvre est examinée l’utilité de cette démarche systémique pour le développement agricole et rural qui reste la finalité d’une discipline appliquée comme l’agronomie. On verra pourquoi, de tous les concepts systémiques utilisés pour rendre compte des modes d’exploitation agricole du milieu, c’est le concept de système agraire qui présente l’intérêt le plus manifeste pour le développement. Ensuite sont abordées les relations entre les systèmes de production et l’utilisation de l’espace et la construction des paysages. Apparait alors la grande convergence mais aussi les différences de points de vue entre agronomie et géographie.
Arrivé à ce stade on est en droit de s’interroger sur les raisons qui expliquent la place particulière donnée à la géographie, par l’agronome et l’auteur de ce livre. Il y a d’abord le fait que, comme on vient de le voir, les deux disciplines se partagent des objets d’étude communs, en particulier les paysages et les dynamiques agraires. Mais ce n’est pas la seule raison. Pendant longtemps les agronomes qui voulaient faire une thèse pour intégrer les institutions de recherche, ou être habilités pour diriger des recherches ont trouvé, comme ce fut mon cas, dans la géographie la discipline universitaire la plus accueillante. Par ailleurs il est incontestable que pour tous ceux qui ont été conduits à s’intéresser aux réalités agraires du monde tropical et méditerranéen les travaux et publications de géographes comme Le Coz pour le Maroc, Sautter, Pélissier, Raison et bien d’autres pour l’Afrique subsaharienne ont été des références extrêmement précieuses. C’est pourquoi j’ai cherché à approfondir et comparer le caractère systémique de chacune des disciplines, leurs terrains de rencontre ainsi que leurs complémentarités et singularités respectives. Ceci m’a conduit à me confronter à leurs écrits d’où le recours aux citations, que l’on pourra trouver excessif. Mais pour me justifier je ferai appel à une autre citation de Montaigne, qui me convient tout à fait : « Je fais dire par les autres ce que je ne peux pas aussi bien dire, tantôt à cause de la faiblesse de mon langage tantôt à cause de la faiblesse de mon intelligence ». Par ailleurs ce texte étant une synthèse de publications échelonnées sur près de quarante ans, je me suis permis d’indiquer en bibliographie celles qui ont plus particulièrement alimenté ce texte.
En conclusion l’attention est portée à la fois sur la séduction que peut susciter l’approche systémique et les dangers que présente sa mise en œuvre en particulier celui de devenir un prêt à penser. Néanmoins je considère qu’elle constitue un instrument très utile pour comprendre et expliquer la complexité des réalités agraires et leur spécificité dans le monde tropical et méditerranéen.
1. Introduction à l’approche systémique
« Le tout est plus que la somme des parties…»
Aristote
QUELQUES CARACTÉRISTIQUES DE BASE
Lorsqu’on consulte l’abondante littérature qu’a suscitée, au cours des dernières décennies, l’approche systémique on constate un assez large consensus sur plusieurs aspects de cette approche.
Sur sa genèse et sa finalité tout d’abord. L’approche systémique est née de la remise en cause de la démarche analytique dont les principes de base avaient été énoncés par René Descartes dans son fameux discours de la méthode où il recommandait, entre autres, de « diviser chacune des difficultés que j’examinerai en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ».
Si cette démarche réductionniste qui vise à étudier des entités physiques ou biologiques par l’analyse de leurs constituants élémentaires s’est révélée fructueuse dans bien des domaines (les recherches sur le génome humain en apportent une preuve toute contemporaine), elle a par contre montré ses limites et ses insuffisances dès lors qu’il s’est agi d’étudier des ensembles complexes. Cette inaptitude de l’approche analytique est due, entre autres, à l’apparition, avec l’accroissement de la complexité, de propriétés émergentes qui fait que l’on ne peut expliquer le complexe par les lois et les propriétés de ses constituants élémentaires. L’apparition de la sexualité à partir d’un certain degré de complexité des êtres vivants fournit une bonne illustration de cette propriété d’émergence qui caractérise les systèmes.
Mais le véritable changement épistémologique entre démarche analytique et approche systémique se situe dans le déplacement de l’intérêt des chercheurs des éléments constitutifs d’une réalité déterminant sa structure, vers les relations existant entre ces éléments qui conditionnent son fonctionnement. J.H. Lehn, prix Nobel de chimie, témoigne très clairement de cette (r)évolution dans sa propre discipline : « En fait, le passage de la chimie moléculaire à la chimie supra moléculaire que nous pratiquons maintenant correspond un peu au passage d’un intérêt pour les structures et les propriétés vers une approche différente qui porte plutôt sur les systèmes et les fonctions. On s’efforce avant tout de contrôler les façons dont les molécules interagissent les unes avec les autres, se transforment, s’accrochent, se reconnaissent et peuvent ainsi donner lieu à un certain nombre de fonctions isolées… Encore une fois cela montre comment un système moléculaire extrêmement complexe peut donner lieu à un certain nombre d’effets qui, initialement, ne sont pas contenus dans le système. » Cette déclaration fait écho à l’assertion de Bachelard déclarant que « c’est la relation qui dit tout, qui contient tout ».
L’autre aspect qui fait l’objet d’un consensus de la part des utilisateurs de l’approche systémique, concerne la définition donnée à la notion de système et les principes de base qui en découlent pour étudier son fonctionnement. Un système peut se définir comme un ensemble d’éléments liés entre eux par des relations lui conférant une organisation en vue de remplir certaines fonctions. De cette définition, il ressort qu’un système en tant qu’ensemble d’éléments organisés dispose d’une structure et que ce sont les interactions entre les éléments constitutifs de cette structure qui assurent le fonctionnement du système. Il en résulte que l’on peut considérer un système comme une structure finalisée. Nous reviendrons par la suite sur cette notion de finalité qui a suscité et continue de susciter beaucoup de débats, retenons pour l’instant qu’une des spécificités d’un système et ce qui le différencie de la notion de structure, est le fait que son fonctionnement s’inscrit dans le cadre d’un projet, plus ou moins explicite, qui confère à tout système une caractère téléonomique.
De la définition donnée ci-dessus il découle