Ces années-là: Stars des années 1980
Par André Klopmann
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À propos de ce livre électronique
Ces années-là ont commencé le 8 décembre 1980 quand Mark Chapman a tué John Lennon au coin de la 72e rue, à New York.
Ces années-là, l’auteur a commencé de ciseler quatre-vingt nouvelles originales et brèves au fil de rencontres avec Barbara, Léo, Cohen, Lino, Johnny, Ringo... Autant de récits jusqu’ici inédits.
Des portraits mais pas seulement. Des tranches de vie. Gainsbourg, Montand, Delon, Dylan, Reagan, Simenon…
Chaque histoire éclaire l’époque, toutes confirment un style.
Un florilège de récits inédits sur les stars qui ont marqué les années 80, à ne manquer sous aucun prétexte !
EXTRAIT
Dans l’antichambre, de jeunes attachées de presse courent dans tous les sens, l’air sérieux, préoccupé même, dossiers sous le bras et tailleur impeccable – de marque. On se croirait dans un film de Woody Allen. Symbiose et mimétisme. Effectivement, le hérisson binoclard qui attend dans ce palace londonien, Allan Stewart Königsberg, est connu sous le nom de Woody Allen.
Le cinéaste de Manhattan s’est construit un personnage mythique comme peu ont su le faire. Dali, ses moustaches, son regard allumé, sa gare de Perpignan. Picasso, ses femmes, sa marinière, ses photographes énamourés. Elvis, ses rouflaquettes, sa Gomina, ses bijoux de pacotille. Mick Jagger, sa moue, sa taille de guêpe, ses fringues. Mais des cinéastes! Son humour, ses lunettes, son air de chien battu composent une marque. Woody, c’est Tati. Allen, c’est Chaplin. Woody Allen, tout le monde le veut. Madonna, Von Sydow, Firth, Rampling et même Godard.
À PROPOS DE L'AUTEUR
André Klopmann a publié de nombreux ouvrages. Il avait gardé jusqu’ici ces histoires secrètes.
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Aperçu du livre
Ces années-là - André Klopmann
Introduction
Ces années-là ont commencé le 8 décembre 1980, quand Mark Chapman a tué John Lennon au coin de la 72e Rue à New York.
Ces années-là, avant l’ordi, on écrivait sur des machines mécaniques dont les marteaux frappaient un ruban d’encre.
Ces années-là, on composait les journaux sur des linotypes qui transformaient le plomb fondu en lignes écrites.
Ces années-là, le téléphone avait un fil et les premiers mobiles tenaient dans des valises.
Ces années-là, le fantôme de Cloclo chantait en boucle à la radio Cette année-là.
Ces années-là, les radios se libéraient avec l’attribution de fréquences à des opérateurs privés.
Ces années-là, dans le bâtiment 31 du CERN, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau inventaient le World Wide Web pour un usage interne, d’abord.
Ces années-là, les guerres médiatisées se nommaient Malouines, Liban, Iran-Irak, Rwanda, Yougoslavie.
Ces années-là, on transportait les premiers Macintosh dans des sacs à bretelles qui sciaient les épaules.
Ces années-là, John Travolta enfiévrait les samedis soirs, et Quincy Jones fabriquait Michael Jackson.
Ces années-là, l’univers changeait de taille avec les premières découvertes d’exoplanètes.
Ces années-là, le monde commençait à situer l’Arménie, parce qu’un séisme avait dévasté le pays d’Aznavour.
Ces années-là, le bloc communiste entamait son déclin, l’Union soviétique allait exploser et Tchernobyl, aussi.
Ces années-là, en Afrique du Sud, un homme noir reclus durant vingt-sept ans allait sortir de prison et succéder au président blanc.
Ces années-là étaient ska, soul, funk, disco et bientôt techno ; à New York la culture hip-hop se préparait à la conquête.
Ces années-là, on découvrait l’épave du Titanic et l’on perdait en vol la navette Challenger.
Ces années-là, Grace Kelly puis Diana Spencer, « princesses des cœurs » rayonnantes et adulées, se tuaient en voiture à quinze ans d’écart.
Ces années-là, le TGV naissait, l’aviation restait un luxe, et personne encore ne recevait de SMS.
Ces années-là, une maladie nouvelle s’imposait en quatre lettres dans le champ des angoisses humaines.
Ces années-là, la télé populaire c’était Danièle Gilbert et Jacques Martin ; la télé culturelle, Bernard Pivot et Jacques Chancel.
Ces années-là, l’interview n’était pas une industrie, mais un art fondé sur la confiance.
Ces années-là, il n’y avait ni portiques ni vigiles à l’entrée des studios.
Alors voilà.
Ni mémoires ni portraits, de tout un peu, ces brèves nouvelles évoquent des lieux, des personnages et une époque.
Les lieux se nomment Zurich, Venise, Tokyo, Rome, Rio de Janeiro, Paris, Nyon, Namur, Montreux, Montréal, Lyon, Londres, Genève, Gand, Essaouira, Cannes, Budapest, Berne, Besançon, Berlin et Avignon.
Les personnages reflètent la cohérence désordonnée de l’époque. Ne jamais lâcher les fils qui se tendent.
Tout se lie, tout se relie.
Tea Time
Tout recroquevillé dans le canapé, l’homme écrase sa chaussure gauche d’un mouvement du soulier droit. Ses visiteurs patientent et crèvent de trouille, mais c’est lui qui paraît le plus anxieux. On le voit briser mécaniquement la coque de mille pistaches.
Dans l’antichambre, de jeunes attachées de presse courent dans tous les sens, l’air sérieux, préoccupé même, dossiers sous le bras et tailleur impeccable – de marque. On se croirait dans un film de Woody Allen. Symbiose et mimétisme. Effectivement, le hérisson binoclard qui attend dans ce palace londonien, Allan Stewart Königsberg, est connu sous le nom de Woody Allen.
Le cinéaste de Manhattan s’est construit un personnage mythique comme peu ont su le faire. Dali, ses moustaches, son regard allumé, sa gare de Perpignan. Picasso, ses femmes, sa marinière, ses photographes énamourés. Elvis, ses rouflaquettes, sa Gomina, ses bijoux de pacotille. Mick Jagger, sa moue, sa taille de guêpe, ses fringues. Mais des cinéastes ! Son humour, ses lunettes, son air de chien battu composent une marque. Woody, c’est Tati. Allen, c’est Chaplin. Woody Allen, tout le monde le veut. Madonna, Von Sydow, Firth, Rampling et même Godard.
Le dernier à entrer pourrait subir son abattement et faire les frais d’une certaine fatigue. C’est le contraire qui va se passer. L’exercice touche à sa fin. Le thérapie s’achève – ou reprend, allez savoir.
Il serre dans ses bras un coussin. Se protège encore. C’est lisible, mais en même temps on s’interroge sur le sens de la gestuelle. Réflexe inconscient du plus célèbre psychanalysé perpétuel ou travail subtil d’entretien de son propre personnage ? Présentations. On commence. Il répond. La règle du jeu est claire. On ne parle pas vie privée. C’est pour s’en assurer que les attachées de presse tournent comme des toupies. Il les vire. On parle cinéma.
Le coussin tombe un peu quand on lui dit qu’on a aimé son dernier film. C’est sincère. Il se détend.
– Oh ! vraiment ?
Oui, vraiment. Le contact se noue. L’échange se personnalise. On parle d’Orson Welles, à qui il rend volontiers hommage – Zellig, Manhattan Mystery Murder – et qui, pourtant, le détestait.
– Oh ! vraiment ?
Oui, vraiment. Comme s’il ne le savait pas. A la fin du temps prévu, il propose d’aller faire trois pas dans la rue en comité restreint. La Tamise coule à deux pas. Privilège. On entre dans un salon de thé. On papote.
Personne ne le reconnaît, ou alors les Britanniques sont vraiment des gens très discrets.
Loin des sunlights Woody redevient Allan.
Changer les mots
La flamme qui nous éclaire
Traverse les frontières
Partons, partons, amis, solidaires
Marchons vers la lumière
Lorsqu’il arrive en France, ce Néo-Zélandais ne sait pas qu’il va épouser dans un petit village Catherine Dasté, héritière de Jacques Copeau, en rigolant sous son plastron quand le maire essaiera de prononcer son nom. Il en fera une célèbre chanson. Il répète : « Grraheume Allevrriqueteuh » et il en rit encore.
Graeme Allwright chante Pete Seger, Bob Dylan et Leonard Cohen. La ligne Holworth, c’est de lui et de John Napper. Quel souffle. Travailleur social, voyageur, clown, comédien, chanteur, professeur d’anglais, musicien, homme de bien, c’est une vedette – comme on dit encore – très respectée. Ses disques côtoient dans les coffrets Philips ceux de Brel et de Reggiani. Il refuse ce statut et voyage de Brest à Besançon, puis file en Inde, part à La Réunion, séjourne à Madagascar.
Paléo est encore un petit festival dont la scène borde l’eau, à Colovray, près de Nyon. Il y a quatre téléphones PTT muraux vissés sur des planches. Pour la presse c’est bien assez. On dicte. Le kebab fait son apparition. Le portable n’existe pas. Graeme est assis devant une table de kermesse et raconte la vie des abeilles. Il est aussi apiculteur. Paléo, c’est petit et convivial. Personne ne s’étonne de voir passer Donovan qui traverse, avec sa tribu post-hippie, une foule encore clairsemée. Graeme Allwright parle aussi de Cohen, qu’il traduit. Et de Woody Guthrie, le premier des folksingers.
Trente-cinq ans plus tard, Graeme Allwright annule ses concerts à L’Esprit-Frappeur, à Lutry, où l’on a pris l’habitude de le revoir parfois au bord du lac Léman. On avait oublié qu’il pouvait vieillir. Il a 89 ans. La scène est installée. On entend sa musique. Au bar son violoncelliste, Dina Rakotomanga, paraît inconsolable. Alain Nitchaeff offre à boire.
Reprenons. Relisez les premières lignes de ce récit. Chantez-les sur l’air du couplet de La Marseillaise, qui dit originellement ceci :
Aux armes, citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons ; qu’un sang impur
Abreuve nos sillons
Changez les paroles. Comparez. La flamme, pas les armes. Graeme ne supporte pas qu’on inculque aux enfants des paroles belliqueuses. Allwright versus Rouget de Lisle, c’est Auroville versus armée du Rhin.
Paille et foin
Passent un fameux trois-mâts, fin comme un oiseau, et les années aussi, Céline.
L’improbable lieu-dit s’appelle la Croix-de-Rozon. Un passionné y exploite un cabaret au fond d’une auberge de la campagne genevoise. Pas pour la gaudriole, mais pour la chanson française. L’affiche semble irréelle. Un soir, devant quarante personnes, voilà Mouloudji. Un autre soir, sur la scène de poche, pas davantage de monde, mais voici Hugues Aufray. Concert intime. L’endroit s’appelle Le Crapoussin. Le maître des lieux aime la dérision, la langue française et les artistes qui la défendent.
Hugues Aufray chante le large, la mer et la vie. Il adapte des airs anglo-saxons.
A ses débuts, Maurice Chevalier lui fait découvrir l’Amérique. Il y rencontre Martin Luther King puis Bob Dylan. La marque d’une vie. Graeme Allwright et lui feront connaître Dylan aux francophones, l’un avec accent, et l’autre, sans. Sa voix, son style correspondent bien. Aufray résiste à la mode du couplet en anglais, cauchemar psychomoteur qui transforme la chanson en sons et le verbe en friche. Transmettre Dylan, oui, mais en français. La bible passe mieux en langue vernaculaire.
A 85 ans Hugues Aufray remplira encore de vastes théâtres. Il en a 55 et la vague maintenant roule en creux. Le troubadour chausse ses lunettes à montures translucides blanches et remet sa guitare dans son coffret. Ambiance de fin de bal. Il honore le rendez-vous, mais ne parle pas, ou si peu. Disponible mais mutique. Dylan, bien sûr, il raconte un peu. Pilotage automatique. La sculpture, d’accord. Il voulait être sculpteur. Le destin l’a orienté différemment. Finalement oui, il sculpte, poussé par Dina Vierny, qui posait pour Maillol.
Il s’appelait Stewball/C’était un cheval blanc.
Les chevaux. Il en élève et sait parler d’eux. La France a épinglé à son col le Mérite agricole avant la Légion d’honneur. Aufray a tant répété les mêmes histoires de musique et d’Amérique que le propos semble tari sur le sujet. Mais les chevaux ! Ils le libèrent.
Il était mon idole/Et moi j’avais dix ans.
Quand il parle de chevaux, crinière au vent, son visage s’éclaire et son œil brille. Il tressaille comme Donald Sutherland dans Equus, au théâtre, sabots de métal claquant au sol. Pur-sang émouvant et farouche, Aufray observe, ressent, transpose. Il parle peu, et encore, de cette économie des sages qui ne gaspillent pas les mots, les sachant chacun très précieux.
Blessure originelle
Un jour, un homme se lève dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Vent contre lui, orage dans les travées, il se dresse et renverse le temps.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,
J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander l’abolition de la peine de mort en France.
Ce jour-là, dans les gradins, planent les mânes de Hugo, de Camus et de Jaurès. Et peut-être aussi le fantôme de Bontems, dont l’avocat devenu