La vampiricide - Tome I: La tueuse au cœur bleu
Par Ramsès Bongolo
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Romancier, dramaturge, poète, essayiste nouvelliste et critique littéraire congolais, Ramsès Bongolo est l'auteur de plusieurs publications dont La saga des Rois d'Asgard, Le comte de Fontainebleau et Les fils du serpent royal. Il est né en 1980 en République du Congo où il se consacre entièrement à la littérature.
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Avis sur La vampiricide - Tome I
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Aperçu du livre
La vampiricide - Tome I - Ramsès Bongolo
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• Bungunza ou la décolonisation spirituelle de l’Afrique, éditions du Net
• Terrorisme d’État – tome I, éditions du Net
• À propos du SNOPRAC
• Renaissance africaine, éditions Alliance Koongo
• Les clés de la mystique Koôngo, Alliance Koongo
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Prologue
Brazzaville, 15 octobre 1996
Peu avant de se s’éteindre, ma mère me livra un mystérieux secret que j’ai eu du mal à digérer, et que je n’ai jamais eu le courage de révéler à personne. Pas même à mes intimes, à toutes ces personnes, dignes de confiance, qui m’entouraient du feu consolateur de leur amour, et que le souffle sinistre de la mort, tel un train malveillant, avait emportées au loin. À tout jamais.
Tandis que la main enténébrée de la mort resserrait son étau autour de son cou, ma mère rassembla sa dernière énergie pour me révéler ce que je suis en réalité : une Nganga yé na mutima wé ntiana zulu¹, c’est-à-dire une sorcière dont le cœur est semblable à la voûte céleste.
« (…) Tu es la dernière descendante d’une langue lignée de sorcières dont le cœur est comme la voûte du ciel », renchérit-elle en patois congolais. Un lourd silence tomba alors entre elle et moi ; car ce que ma mère me disait dépassait les limites du réel… Moi, Vicentia Vitcho, une sorcière ! Non. C’est impossible ! me dis-je. En outre, comment une religieuse de la trempe de ma mère pouvait-elle avancer de tels propos ? Comment une femme, qui m’a élevée dans le strict respect de la tradition chrétienne, pouvait-elle troubler ma foi, ma quiétude et tordre le cou à ce que je tenais jusque-là pour vrai, à savoir sa noblesse de cœur ; puis, prétendre, au seuil de la mort, qu’elle est, en réalité, ce que l’Église catholique romaine ou la Sainte Inquisition a longtemps condamné et combattu : une sorcière ?
À ce sombre aveu, mon esprit, ordinairement pondéré, s’agita comme des vagues impétueuses, remuées de part et d’autre par la tempête du scepticisme. L’orage de mon insatisfaction devint perceptible dans mes yeux noirs. D’un effort surhumain, j’expulsai ma rage intérieure ou plutôt la sublimai en émotion douce et pacifique… j’en fis une sorte de tendresse filiale qui encouragea ma mère à poursuivre son discours alarmant. Ne dit-on pas que c’est au seuil de la mort que l’on fait les plus grandes confidences ?
« Tu es une sorcière, ma fille. Ne l’oublie jamais. » Telle fut sa dernière parole.
Pour parler franchement, j’aurais souhaité qu’elle emportât son secret gênant dans le sépulcre. J’aurais aimé que notre ultime entretien portât sur un sujet plus distrayant, une conversation plus spirituelle ou des « notes de musique moins graves » que celles que l’octave inférieure de ses cordes vocales m’avait laissé entendre.
Cette confidence honteuse, qui avait engendré une sorte de cacophonie, de disharmonie dans le « djébel » de mon esprit, s’imprima par la suite comme des taches indélébiles dans l’eau trouble de mon âme. Cette inoubliable journée d’octobre, j’avais pleuré doublement : primo, pour ma mère chérie que le poison d’une maladie incurable m’avait arrachée. Secundo, pour le legs maudit que cette dernière m’avait gratuitement transmis, et que ses lointains ascendants avaient légué de génération en génération aux femmes de son terroir. Ces redoutables Nganga², dont j’étais concurremment « l’indigne » et unique descendante, savaient exercer leurs arts magiques à l’abri des regards indiscrets. Certaines d’entre elles mouraient sans que leurs conjoints eussent soupçonné un seul instant qu’ils avaient épousé des magiciennes, des ensorceleuses, des sorcières dont les cœurs étaient semblables à la voûte du ciel… Mais que pouvait bien signifier « avoir un cœur semblable à la voûte céleste ? »
La réponse ne me vint que deux ans plus tard. Une nuit alors que je faisais mes valises pour aller en France, où j’avais décroché une bourse d’études avec la participation active de Campus France du Centre Culturel français de Brazzaville, je tombai sur une trousse d’ébène ayant autrefois appartenu à ma mère, que je conservais jalousement, et que je n’avais paradoxalement jamais ouverte. Je me disais absurdement qu’ouvrir cette trousse sans l’autorisation de ma mère équivalait à trahir notre sombre secret. Parfaitement consciente que je ne l’obtiendrai jamais, je m’interdisais donc d’ouvrir cette petite bourse souple ; en fait, je n’avais aucune raison de l’ouvrir jusqu’à ce que ce voyage, longtemps rêvé, m’y forçât. Je savais une chose : aucun passager en pleine possession de ses moyens ne saurait embarquer dans un avion sans avoir pensé à vérifier ses bagages, ne serait-ce que pour en jauger le poids ou éviter le fâcheux désagrément que pourrait causer la présence de stupéfiants ou autres objets suspects dans ses bagages. L’Européen étant ce qu’il est, c’est-à-dire capable de nous expulser de son « Eldorado » pour une faute ou une infraction vénielle, ne serait-il pas sage, pour nous autres Africains, de vérifier, pendant que le temps nous le permettait encore, le contenu de nos valises ?
Cette sage réflexion m’obligea à ouvrir la « boîte de Pandore. » Effectivement, comme je le redoutais, la trousse de ma mère renfermait un objet ou plutôt une enveloppe contenant un morceau de parchemin, écrit en lettres de sang, datant des années 90. L’étrange courrier qui sentait le moisi et le mugomboro³ m’était destiné. Par je ne sais quelle science, ma mère avait deviné que je serais la première à l’ouvrir. Le plus étonnant, c’est qu’elle savait que j’aurais précisément dix-sept ans quand j’aurais lu cette lettre qui disait ce qui suit :
Ma chérie,
Quand tu liras cette lettre, je ne serai peut-être plus de ce monde. Ce qui veut dire que je ne serai malheureusement pas à ton dix-septième anniversaire. Qu’à cela ne tienne ! De tout mon cœur, je te souhaite un joyeux anniversaire et tous mes vœux de bonheur.
Je sais que tu es trop intelligente pour croire que j’aie versé mon sang, sur ce bout de parchemin, dans l’unique but de te souhaiter un joyeux anniversaire.
En effet, je l’ai fait pour te rappeler notre petit secret.
Penses-y !
À ce rappel, une douleur à la fois vive et brève me laboura les entrailles avec la puissance d’un solide poignard turc ; car ce que j’avais pris le soin d’enterrer sous le plancher de ma mémoire, et que je m’étais longtemps interdit d’ouvrir sous prétexte qu’il fallût une autorisation verbale ou une note dûment signée par ma mère – pourtant décédée –, était remonté à la surface comme une bouée de sauvetage. Et ce, non pas pour me sauver, mais pour me noyer, me submerger comme la mer engouffre un navire. « Tu es la descendante d’une langue lignée de sorcières dont le cœur est comme la voûte du ciel. » Comment oublier une révélation si troublante ?
Il est des choses qu’on oublie facilement, dans le genre : « tu es un ange ! » « Tu es un amour ! » « Tu es un chou, etc. » Mais, « tu es une sorcière ! » Ça, ça te colle à la peau comme une mauvaise gale. Telle est la nature humaine. L’on oublie souvent les bonnes choses, les bons actes, les propos encourageants. Mais l’on ne se sépare jamais des propos malveillants et des gestes méchants. Puisque l’homme, cet autre loup pour l’homme, s’y accroche pour prendre sa revanche. Pas étonnant que sous d’autres cieux, certaines familles, comme en Corse⁴, se livrent à des vendettas séculaires dont elles ne se souviennent vraiment plus de la cause. De ce fait, comment aurais-je pu oublier cette exécrable révélation maternelle ?