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La fracture poliltique de l'Europe: Crise de légitimité et déficit politique
La fracture poliltique de l'Europe: Crise de légitimité et déficit politique
La fracture poliltique de l'Europe: Crise de légitimité et déficit politique
Livre électronique492 pages5 heures

La fracture poliltique de l'Europe: Crise de légitimité et déficit politique

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À propos de ce livre électronique

L’Union européenne traverse une grave crise de légitimité : 1/3 des Européens seulement déclare faire confiance aux institutions de l’UE, soit le plus bas niveau jamais atteint. Une majorité croissante de citoyens considèrent que leur voix n’est pas assez entendue.

Pour mesurer l’origine et la portée de cette fracture structurelle, cet ouvrage présente l’originalité de combiner deux approches trop souvent dissociées :
• d’une part, en centrant l’analyse sur un registre théorique et normatif à partir du concept de légitimité renouvelant par là même la thèse du fameux « déficit démocratique » qui ne permet pas en réalité de cerner avec précision ce qui est en jeu dans cette fracture politique et démocratique : la crise de la légitimité libérale ainsi que la nature « impolitique » de la démocratie européenne ;
• d’autre part, en mettant l’accent sur une analyse sociologique qui repose, fait plus rare, sur une pratique et une expérience concrètes des « Affaires européennes ».

L’autre originalité de cet ouvrage est que, à rebours d’une tendance dominante dans la science politique contemporaine, il développe une théorie prescriptive de la politisation de l’Union européenne proposant des changements concrets pour réduire cette fracture politique et répondre à la crise de légitimité qui affecte l’Union européenne.
LangueFrançais
Date de sortie10 nov. 2015
ISBN9782879747996
La fracture poliltique de l'Europe: Crise de légitimité et déficit politique

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    Aperçu du livre

    La fracture poliltique de l'Europe - Thierry Chopin

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    Imprimé en Belgique

    ISSN 2309-0073

    ISBN 978-2-87596-799-6

    Remerciements

    Le présent ouvrage est la version remaniée d’un mémoire d’habilitation à diriger des recherches, préparé sous la direction de Christian Lequesne, et soutenu à l’automne 2014 à Sciences Po devant un jury composé de : M. Christopher Bickerton, University Lecturer à l’Université de Cambridge, Mme Justine Lacroix, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, M. Christian Lequesne, Directeur de recherche au CERI, M. Pascal Perrineau, Professeur des Universités à Sciences Po et Mme Sylvie Strudel, Professeur des Universités à l’Université de Paris II Panthéon Assas.

    Je tiens tout d’abord à remercier Christian Lequesne. Il m’a encouragé très tôt à synthétiser mes travaux sur la gouvernance de l’Union européenne pour en faire une habilitation à diriger des recherches. Ses conseils et ses recommandations ont été très utiles tout au long de la rédaction de ce mémoire. Je lui témoigne ici toute ma reconnaissance.

    Je voudrais également remercier les membres du jury pour leur lecture attentive et exigeante de ce mémoire d’habilitation tout au long d’une soutenance qui a été, de mon point de vue, une véritable discussion intellectuelle. J’ai tenté de prendre en considération dans le texte qui suit les remarques qui ont été faites et de répondre au mieux aux questions qui ont été formulées à cette occasion. Je mesure ici la chance d’avoir pu bénéficier de leurs commentaires avant la publication de cet ouvrage.

    Je ne pourrais pas terminer ces quelques lignes de remerciements sans mentionner ici ceux qui m’ont accompagné tout au long du travail intellectuel que j’ai mené depuis plus de dix ans sur les sujets traités dans ce livre : Yves Bertoncini, Jean-François Jamet, Lukas Macek et François-Xavier Priollaud. Je voudrais ici les remercier très vivement pour leurs encouragements et leur redire toute mon amitié.

    Préface

    « La fragilité intrinsèque des faits institutionnels justifie l’inquiétude quant à leur pérennité. Selon le type de fondement qu’on estime nécessaire, les craintes varieront. Certains hommes politiques se satisfaisaient d’une situation où l’Europe restait un fait juridique, fondé sur un traité et porté par le nous des politiciens, fonctionnaires et juges. D’autres pensaient au contraire que l’Europe devait devenir un fait politique, exprimant une communauté de destin […], et porté par le nous populaire […] La question de savoir quel nous devait porter le fait institutionnel de l’Europe, celui des Etats ou celui des citoyens, devint donc dès l’origine l’enjeu d’un combat politique »¹

    La question n’est plus de savoir si le régime politique de l’Union européenne existe. Il s’agit désormais de comprendre si les traités qui la constituent, les institutions et les acteurs (Etats, groupes d’intérêts et partis politiques) qui l’animent et les instruments qu’ils ont à leurs dispositions, sont, en l’état, au-delà de leurs efficiences supposées en matière économique, sécuritaire et sociale, capables de répondre aux exigences de légitimité et de démocratie que les citoyens réclament avec force et qui jusqu’à présent caractérisaient les sociétés politiques européennes.

    La validité et l’acuité de cette double exigence trouvent leur première illustration avec la crise économique inachevée de la Grèce. Cette énième catharsis depuis 2009 menace à bien des égards l’existence même de l’Union comme « communauté politique » telle que nous la connaissons depuis le Traité de Rome et jusqu’au Traité de Lisbonne.² La question n’est naturellement pas liée à l’importance de l’économie de la Grèce pour la zone euro et/ou du poids politique de celle-ci dans le processus décisionnel européen d’aujourd’hui. Elle réside principalement dans le développement de logiques contradictoires essentiellement « politiques » au niveau de tous les Etats-membres et de l’Union européenne elle-même où des légitimités et des conceptions de la démocratie en réalité s’affrontent. En d’autres termes, le cas grec est à la fois le catalyseur et le révélateur (comme en chimie) de l’instauration de nouveaux clivages sur le pouvoir et son organisation alors même que le système institutionnel de l’Union (et ses acteurs) n’y est pas préparé et/ou peu adapté.

    D’une part, un Gouvernement, dépositaire de la souveraineté populaire en janvier 2015, disposant d’une large majorité parlementaire, a souhaité mener une politique économique et fiscale tendanciellement divergente des grandes orientations fixées notamment par les différents pactes élaborés à la fois dans une logique intergouvernementale et de méthode communautaire au niveau et par l’Union depuis 2010 (Europlus, Six Pack, Mécanisme européen de stabilité, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, etc.). Qui plus est, ledit Gouvernement a convoqué (et remporté largement) un référendum en juillet 2015 désapprouvant les nouvelles propositions émises par l’Union pour soutenir son économie, refinancer partiellement sa dette publique et alléger son service à la dette et qui étaient dans la logique même des traités susmentionnés. Surtout, la tenue dudit référendum (parfaitement légal mais critiqué à juste titre par le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, en raison de son caractère « express » peu propice à l’exercice serein de la délibération)³, a permis au gouvernement d’Alexis Tsipras⁴ de réitérer son attachement à une vision rédemptrice de la démocratie comme moyen d’approfondir l’Europe alors que le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a renouvelé des propos (tenus en janvier 2015 pour la première fois) faisant l’éloge d’une approche fonctionnaliste et procédurale de celle-ci.⁵ Conception partagée par ailleurs par la majorité des responsables politiques européens, notamment Martin Schulz, le président du Parlement européen.

    D’autre part, l’Eurogroupe (instance de concertation informelle des ministres des finances de la zone euro dont les règles sont fixées par le Protocole n° 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), si représentative de ce qu’il faut appeler la « Gouvernance européenne »⁶, a quant à lui obligé en juillet 2015⁷ non seulement le Gouvernement grec à contrevenir à ses engagements pris devant ses citoyens au préalable mais aussi à modifier certaines orientations législatives (en premier lieu l’agenda et la politique budgétaire) de nombreux parlements nationaux à commencer par celles de l’Allemagne (dont le Gouvernement pourtant s’était engagé « solennellement » au moment de sa formation en 2013 à ne pas soutenir de nouveaux plans d’aide à la République des Hellènes). D’une autre manière, l’exercice de la souveraineté parlementaire a été entravé par un forum de ministres (dont chacun est toutefois responsable de ses actes devant son propre parlement) et le compromis proposé à la fois par le Président de la Commission européenne, le Président du Conseil européen, Donald Tusk, la Chancelière d’Allemagne, Angela Merkel et le Président de la République française, François Hollande, a été grandement déterminé par ledit conclave en collaboration des administrations nationales en charge des finances publiques des deux Etats « directeurs » de l’Union, marquant avant tout la « défaite de l’Europe ».⁸ De plus, l’Eurogroupe a prétendu agir au seul titre du respect des traités et de la technicité des problèmes budgétaires et économiques rencontrés par la Grèce alors qu’en réalité il portait une conception politique économique par ailleurs respectable dans le débat démocratique.

    Au-delà même de la lisibilité d’un tel processus décisionnel et de son acte affirmé de dépolitisation (qui lui est critiquable en soi), la définition et l’exécution du 3ème plan d’aide à la Grèce portent en soi le risque de l’illégitimité des politiques publiques avant même leurs éventuelles opérationnalisations et bien plus celles des institutions au niveau national et européen qui pourtant sont dans l’obligation d’incarner la démocratie qui est officiellement le principe directeur du régime politique de l’Union en son article 10.

    In fine, le Premier Ministre Grec, phénomène sans précédent dans l’histoire de l’Union européenne, s’est non seulement justifié de son action devant la Vouli grecque mais aussi et surtout a été auditionné par le Parlement européen. Cette audition, au-delà de l’originalité du processus, a permis la publicisation de la politisation nouvelle de cette assemblée par la verdeur des propos tenus par les différents présidents de groupes parlementaires à l’endroit tant du Gouvernement grec que des institutions européennes.¹⁰ Le consensus historique et dominant de l’institutionnalisation et du fonctionnement du Parlement européen a laissé place au dissensus de la politique économique et fiscale en Europe en son sein.

    L’actualité et la gravité (au sens latin du terme) des questions de légitimité et de démocratie pour l’Union européenne sont aussi exemplifiées au moment de l’afflux historique et dramatique des réfugiés en méditerranée. Les mouvements de populations, principalement du Machrek et de la corne de l’Afrique, issues des guerres civiles et des dictatures qui y sévissent, et leurs traitements montrent ô combien à tous les Européens les processus de désolidarisation entre les Etats membres de l’Union contraires à l’esprit originel du Traité de Rome. Les Européens établissent aussi l’inadéquation institutionnelle et instrumentale de la Gouvernance européenne sur ce sujet en particulier et de l’immigration en général qui est déjà pourtant au cœur du débat politique européen depuis les années 80.

    D’un côté, des Européens, meurtris par la crise économique (qui plus est concomitante d’une restructuration sans précédent des économies européennes sous le double effet de la révolution des technologies de l’information et de la globalisation économique), soucieux de la définition des frontières de l’Union et attentifs aux conséquences du pluralisme culturel, religieux et sociétal grandissant de leurs sociétés, réalignent brutalement et durablement leurs votes vers des partis dont l’immigration, l’anti-méthode communautaire et le stato-providentialisme sont les marqueurs.¹¹ Pour ces Européens, près de 25 % de l’ensemble du corps électoral aux dernières élections européennes de mai 2014, l’Union européenne, à tort ou à raison, leur apparaît comme dénuée d’efficacité dans l’encadrement des politiques migratoires, dans les domaines de la sécurité et de la politique extérieure à son propre limes et niveleuse de leurs identités culturelles. Dans le même temps, l’Union européenne est suspectée par ces mêmes Européens de participer au démantèlement des législations sociales d’autant qu’elle serait associée non plus au système de gouvernement responsable mais de gouvernance diluant le Politique.¹²

    D’un autre côté, les gouvernements des Etats-membres, dans leur volonté d’affirmer leurs souverainetés sur leurs territoires (attribut essentiel d’un Etat), menacés dans leurs existences mêmes par la progression et l’enracinement historique de partis politiques à droite comme à gauche qui ont une vision de nouveau rédemptrice de la démocratie, mènent des politiques sans cohérence entre eux à la fois dans le domaine du contrôle des frontières, de celui de l’attribution d’asile et de multiplication des statuts, dans le domaine humanitaire et sanitaire. D’une inconsistance structurelle et temporelle dans les politiques migratoires, ils accentuent ainsi inconsciemment la crise de définition de ce qu’est la communauté des citoyens tant dans leur Etat qu’au niveau de l’Union européenne. De plus, les timides et insuffisants instruments que sont les programmes Frontex ou de manière plus intégrés au niveau communautaire que sont les accords de Schengen sont dépassés et/ou bafoués par les Etats qui en sont pourtant à l’origine. La France bloque sa frontière avec l’Italie, le Royaume-Uni (membre sur tout ou une partie suivant sa propre volonté de Schengen) ferme la sienne avec la France et le Danemark prévoit d’organiser un référendum dès décembre 2015 sur l’abandon de la clause d’exemption de la politique européenne en matière de justice et de sécurité pour mieux encore s’en écarter. « Logiquement », les initiatives suggérées par la Commission européenne, allant dans le sens de la solidarité et du partage des risques, notamment une répartition des réfugiés et des migrants sur l’ensemble du territoire, sont inaudibles, voire rejetées par des gouvernements indépendamment de leurs orientations politiques sur le clivage droite/gauche.¹³

    D’une autre façon, le paradoxe de la politique de l’immigration est que les débats politiques et les solutions décidées sont « renationalisés » alors que c’est un phénomène éminemment paneuropéen et qu’au terme du principe de subsidiarité, il appartiendrait à l’Union d’agir.¹⁴

    Au regard seulement de la Gouvernance économique et de la question migratoire, la question de la légitimité en politique dès lors ne saurait être donc réduite à une simple vision procédurale et juridique car elle conviendrait à l’essence même de la démocratie qui, par nature, contraint au conflit des représentations de la Loi, de ses objectifs et de ses modalités d’application. De plus, la règle ne suffit pas en elle-même pour qu’elle soit comprise, acceptée et pratiquée par les citoyens. Non seulement elle doit être établie en référence à une culture politique partagée par le plus grand nombre des citoyens mais aussi et surtout elle doit être liée (même symboliquement) à l’acte de vote des citoyens. Les Européens ont cette culture politique en partage, il suffit à l’Union européenne de l’articuler d’autant plus que les premiers sont désormais bien plus avertis en la matière que les institutions et les acteurs du système eux-mêmes.¹⁵ Inversement, la démocratie ne saurait être limitée à la seule souveraineté des citoyens dans une stricte orthodoxie rédemptrice. La nature démo-libérale des régimes politiques de l’Union et des Etats-membres qui la composent, garantissent non seulement les droits et libertés individuels des citoyens mais aussi prévoient des mécanismes d’élaboration, de concertation et d’exécution de la règle soit par le jeu d’équilibre entre les institutions, soit par l’existence même d’autorités indépendantes, comme la Cour de Justice de l’Union européenne, les Cours constitutionnelles des Etats membres et par la garantie des traités. Il apparait dès lors que le défi des Européens n’est pas de transférer le modèle de la souveraineté développée dans l’expérience politique de l’Etat-Nation mais d’imaginer de nouvelles articulations dites de co-souveraineté supposant « naturellement » et notamment une politisation du système décisionnel européen.¹⁶

    C’est en cela que la contribution de Thierry Chopin est primordiale non seulement pour comprendre le régime politique de l’Union européenne tel qu’il fonctionne à ce jour mais aussi et surtout comment il doit se transformer. Loin de limiter son analyse aux causes mécaniques de la crise actuelle dudit régime et/ou d’adopter une logique déconstructiviste, relativiste et quelque peu « nihiliste », si commune désormais en sciences sociales, il s’intéresse au contraire à la question fondamentale de la « justification du pouvoir » dans et au niveau de l’Union afin d’endiguer ce qu’il juge de plus essentiel : sa crise de légitimité et de démocratie. A ce titre, il considère que c’est parce le système institutionnel européen ne remplit pas suffisamment la fonction politique de justification que les règles et les politiques publiques de l’Union sont de moins en moins acceptées par les citoyens européens. Autrement dit, ce n’est pas le régime qui est rejeté mais l’absence de sens politique de celui-ci et de publicisation de ses conflits internes qui le sont.

    Son raisonnement s’appuie sur le concept de « démocratie impolitique » développé par Pierre Rosanvallon¹⁷ ce qui lui permet « naturellement » d’établir un « lien étroit entre la « crise de légitimité » et le fameux « déficit démocratique », et que cette « crise de légitimité » correspond aussi et surtout à un « déficit politique ». Le politiste, parmi les plus chevronnés en études européennes de langue française, rappelle également qu’il est impossible de fonder un régime politique légitime qui aurait pour seuls soubassements le respect de la règle et la simple atteinte d’objectifs économiques si « louables » et « utiles » qu’ils soient pour les citoyens. Non seulement ceci irait à l’encontre des fondements de l’Union (qui est une communauté de valeurs consacrée notamment par sa Charte) mais aussi entrainerait l’assèchement de la croyance dans un récit pour affronter l’avenir comme toute communauté politique en possède un. Ce que Thierry Chopin reproche d’une certaine manière à l’Union européenne c’est d’avoir aussi oublié son caractère éminemment démo-libéral (consacré par les traités et par l’héritage des 28 Etats qui la composent). D’une certaine manière, la logique du libéralisme économique (qui plus est dans une vision restrictive) l’aurait emportée sur celle du libéralisme politique. Dans ces conditions, Thierry Chopin appelle de ses vœux à « politiser » l’Union européenne pour son bien propre au risque sinon de laisser la valeur de la justification à ses détracteurs les plus farouches : les mouvements populistes.

    De nouveau, son analyse est des plus stimulantes parce qu’il s’attache à (re)définir à la fois ce qu’est la « politisation »¹⁸ et comment la rendre concrète et pratique au régime de l’Union européenne (toute une partie de son ouvrage est d’ailleurs un ensemble de recommandations au regard de l’état des traités et des impensés de l’actuelle gouvernance européenne qui mériteraient de nouveaux développements dans un futur proche). En premier lieu, la politisation serait selon lui la conséquence d’une part du processus de spécification de la sphère politique propre au Libéralisme politique et d’autre part de l’autonomisation d’une sphère représentative et électorale autonome comme seule source de légitimité du pouvoir. En second lieu, la « politisation » se définirait à partir du moment où l’on accepte de publiciser les conflits sur l’organisation et les fins du pouvoir et que ceux-ci puissent être préparés dans un état réel de démocratie délibérative et participative qui ne saurait être par nature réduit à l’état des passions « naturelles » qui engendre à son tour l’exigence de la « rédemption démocratique » comme le défendent les mouvements populistes. En troisième lieu, il s’agit pour Thierry Chopin d’interpréter la « politisation » comme le résultat des « opportunités discursives » en d’autres termes les récits politiques justifiant et légitimant la construction européenne aux yeux des différentes opinions publiques nationales et des « opportunités institutionnelles » qui renvoient quant à elles à la logique de compétition politique au sein des systèmes politiques démocratiques.¹⁹

    La thèse de l’auteur sur la politisation du système institutionnel de l’Union a pour fondement en réalité la promotion de la démocratie représentative c’est-à-dire l’élection, la délégation et la responsabilisation de l’acte en politique. L’élection doit être une compétition équitable et ouverte ; La délégation, c’est admettre l’indépendance des représentants vis-à-vis des commettants et des groupes d’intérêts, l’autonomie de la production législative et de la Loi, la médiatisation et la conciliation des intérêts au sein d’un Parlement ; La responsabilisation de l’acte, c’est accepter le contrôle sur l’action de l’exécutif par des organismes tiers ; c’est élaborer un budget et un système fiscal suivant le principe de « rendre des comptes », c’est repartir les pouvoirs constitutionnels et agréer le contrôle de constitutionnalité, c’est admettre l’autorité d’exécution et finalement garantir la lisibilité du processus décisionnel. Plutôt qu’un Etat européen, Thierry Chopin nous propose donc in fine une démocratie politique européenne dont les Européens comprennent désormais l’importance et l’urgence pour améliorer leur système décisionnel et leurs vies au quotidien dans une perspective qui dépasse déjà l’horizon politique de leurs gouvernants. Par provocation intellectuelle, j’ajouterai à la thèse remarquable de Thierry Chopin que des acteurs partisans dans les systèmes politiques nationaux et une certaine structure politico-diplomatique et/ou administrative au niveau de l’Union, empêchent la réalisation de cette démocratie politique européenne sous couvert d’en promouvoir les valeurs comme le firent les Parlements de l’Ancien régime sous couvert de la promotion de l’équilibre des pouvoirs. C’est aux Européens de se saisir directement de leur régime politique.

    Le Châtel, le 30 août 2015

    Philippe Poirier (Ph.D.), habilité à diriger des recherches, professeur associé de science politique

    Titulaire de la Chaire de recherche la Chambre des Députés du Luxembourg

    Directeur de la Collection études parlementaires

    1. Luuk Van Middelaar, Le Passage à l’Europe. Histoire d’un commencement. Paris : Editions Gallimard, collection NRF, p331, 2012 [2009].

    2. Bruno Cautrès, Les Européens aiment-ils (toujours) l’Europe ? Paris : La documentation française, 2014.

    3. Atlantico, Grèce : le référendum « ne correspond pas aux standards fixés » par le Conseil de l’Europe. http://www.atlantico.fr/pepites/grece-referendum-ne-correspond-pas-aux-standards-fixes-conseil-europe-2220523.html#GeKeIdYd8m7lXtek.99, 1er juillet 2015.

    4. République Héllènique, Prime Minister Alexis Tsipras’ speech to the European Parliament, http://www.primeminister.gov.gr/english/2015/07/08/prime-minister-alexis-tsipras-speech-to-the-european-parliament/, 8 juillet 2015.

    5. Dans un entretien accordé au Figaro, le Président de la Commission européenne déclara : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés ». Voir, Jean-Claude Juncker : « La Grèce doit respecter l’Europe », http://www.lefigaro.fr/international/2015/01/28/01003-20150128ARTFIG00490-jean-claude-juncker-la-grece-doit-respecter-l-europe.php, 29 janvier 2015.

    6. Philippe Poirier et Eric de Moulins-Beaufort, Gouvernance mondiale et éthique au XXIème siècle. Collège des Bernardins. Paris : Lethielleux, 2013.

    7. Conseil de l’Union européenne, Letter from Jeroen Dijsselbloem, President of the Eurogroup to Alexis Tsipras, Prime Minister of the Hellenic Republic, http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2015/07/01-jd-letter-tsipras/, 1er juillet 2015.

    8. Romain Garic, La défaite de la Grèce, la défaite de l’Europe, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-defaite-de-la-grece-la-defaite-de-l-europe-491792.html, La Tribune, 13 juillet 2015.

    9. Eur- Lex « Article 10 1. Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative… », Versions consolidées du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel n° C 326 du 26/10/2012 p. 0001 – 0390, http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12012M/TXT&from=FR, 15 août 2015.

    10. Parlement européen, Réactions au discours de Tsipras au Parlement, http://europarltv.europa.eu/fr/player.aspx?pid=351e0ca2-eaa4-4633-a78d-a4ca00ad2cf5, 9 juillet 2015.

    11. Philippe Poirier, Les « Anti Méthode Communautaire » et la Convention sur l’Avenir de l’Europe » In Laure Neumayer, Antoine Roger, Frédéric Zalewski, Europe contestée : Espaces et enjeux des positionnements contre l’intégration européenne. Paris : Editions Michel Houdiard, p101-126, août 2008.

    12. Hans-Peter Kriesi & Takis S Pappas (Editor), European Populism in the Shadow of the Great Recession. London : ECPR Series in 2015.

    13. Eur-activ. Le Conseil européen rejette les conseils de Juncker sur l’immigration, http://www.euractiv.fr/sections/leurope-dans-le-monde/le-conseil-europeen-rejette-les-conseils-de-juncker-sur-limmigration, 24 avril 2015.

    14. Maria Teresa Meli, Migranti, Renzi : « Battaglia forte in Europa ma è pronto un piano B », http://www.corriere.it/politica/15_giugno_14/noi-senato-piu-forti-avanti-fino-2018-ma-pd-non-teme-voto-a6b5cce6-125b-11e5-85f1-7dd30a4921d8.shtml, Corriere della Sera, 14 juin 2015.

    15. Atlantico, Surprise : le sondage qui révèle un profond désir d’Europe (et à côté duquel passent totalement les hommes politiques européens), http://www.atlantico.fr/decryptage/surprise-sondage-qui-revele-profond-desir-europe-et-cote-duquel-passent-totalement-hommes-politiques-europeens-christophe-2301545.html#lV3Bv8FIrHRlckTK.99, 28 août 2015.

    16. Jean-Marc Ferry, La question de l’Etat européen. Paris : Gallimard, 2000.

    17. Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La démocratie à l’âge de la défiance. Paris : Le Seuil, 2006.

    18. Thierry Chopin & Lukáš Macek, « Après Lisbonne, le défi de la politisation de l’Union européenne », in Les études du CERI, n° 165, CERI / Sciences Po, 2010.

    19. Pieter De Wilde and Michael Zürn, Can the Politicization of European Integration be Reversed ?, in Journal of Common Market Studies, 50(1), 2012, p. 143-146.

    Sommaire

    Remerciements

    Préface

    Introduction

    Partie 1
Déficit démocratique ou crise de légitimité de l’Union européenne ? De l’impasse institutionnelle à la crise politique

    Titre 1
Le « déficit démocratique » européen : « mythe » ou réalité ? Les leçons de l’échec du « moment constitutionnel » européen

    Chapitre 1

    
Considérations sur l’Europe en crise. Une « crise de légitimité »

    Chapitre 2

    
Critique de l’approche fonctionnelle. Un changement d’époque qui implique un changement de légitimation

    Chapitre 3

    
« Déficit démocratique » ou « crise de légitimité » ?

    Chapitre 4

    
La réalité du déficit de légitimité démocratique

    Titre 2
Retour sur la ratification du traité de Lisbonne : symptôme institutionnel de la crise de légitimité démocratique de l’Union

    Chapitre 1

    
Le parcours difficile des ratifications : quelles leçons ?

    Chapitre 2

    
Les difficultés en Pologne et en République tchèque

    Chapitre 3

    
Le cas du référendum négatif en Irlande

    Titre 3
L’évolution de l’attitude des opinions publiques vis-à-vis de l’UE

    Chapitre 1

    
Du « consensus permissif » au « dissensus contraignant » : du « Moment Maastricht » à l’échec du « Moment constitutionnel »

    Chapitre 2

    
Le biais « élitiste » comme facteur explicatif des attitudes des opinions publiques vis-à-vis de l’ « Europe »

    Chapitre 3

    
La crise économique depuis 2008 et l’accroissement de la défiance à l’égard de l’UE

    Partie 2
De la « démocratie impolitique » européenne au besoin de politisation du système institutionnel de l’UE

    Titre 1
L’Union européenne : une « démocratie impolitique »

    Chapitre 1

    
Le cadre théorique de la « démocratie impolitique »

    Chapitre 2

    
La démocratie : gouvernance ou « art de gouverner » ?

    Titre 2
« Démocratie impolitique » et montée des « populismes »

    Chapitre 1

    
La construction européenne au défi des populismes

    Chapitre 2

    
Face aux populismes : la nécessité d’apporter des réponses de fond

    Titre 3
Définition de la « politisation »

    Chapitre 1

    
Qu’est-ce que la politisation de l’Union européenne ?

    Chapitre 2

    
Des précautions préalables

    Partie 3
La politisation du système institutionnel de l’UE : légitimité démocratique vs. légitimité étatique ?

    Titre 1
Le cas de la représentation politique au Parlement européen : un véritable espace de représentation des citoyens ?

    Chapitre 1

    
Le Parlement européen : représentation des citoyens ou représentation des États membres ?

    Chapitre 2

    
Les obstacles à l’émergence d’un véritable espace de représentation démocratique au Parlement européen

    Chapitre 3

    
Un Parlement européen porteur de clivages politiques de plus en plus marqués : vers une véritable représentation démocratique ?

    Titre 2
Le cas spécifique du choix du président de la Commission : une question politique à choix multiples

    Chapitre 1

    
Un premier critère : l’appartenance partisane du président de la Commission

    Chapitre 2

    
Un critère essentiel : le profil personnel du président de la Commission

    Chapitre 3

    
Un critère central : l’État d’origine du président de la Commission

    Chapitre 4

    
Du QCM au Rubik’s cube : le poids des désignations à d’autres postes européens et internationaux

    Partie 4
La crise et le renouveau de la question de la légitimité démocratique de l’Union européenne

    Titre 1
Déficit de légitimité et « déficit exécutif » : la question du leadership politique au sein de l’UE

    Chapitre 1

    
Un pouvoir exécutif européen fragmenté inefficace face aux circonstances exceptionnelles

    Chapitre 2

    
Une gouvernance déséquilibrée : diplomaties nationales vs. démocratie européenne

    Chapitre 3

    
À quelles conditions un pouvoir exécutif européen est-il possible ?

    Titre 2
Crise de légitimité et « Union politique »

    Chapitre 1

    
Qu’est-ce que l’ « Union politique » ?

    Chapitre 2

    
Quel contenu pour l’ « Union politique » ? Actualiser les potentialités du traité de Lisbonne en matière de politisation

    Chapitre 3

    
Quelle « Union politique » après Lisbonne ?

    Titre 3
La question de la méthode et de la révision des traités

    Chapitre 1

    
La tentation du statu quo consolidé : un choix réaliste ?

    Chapitre 2

    
État des lieux des positions des institutions européennes et des États membres sur la réforme de l’Union européenne et de l’UEM en particulier

    Chapitre 3

    
Révision des traités, évolution à traité constant ou traité intergouvernemental ? Quel compromis possible ?

    Conclusion

    Table des figures

    Bibliographie

    Table des matières

    À propos de l’auteur

    Introduction

    La question de la politisation du système institutionnel de l’UE prend sa source il y a dix ans dans le « non » français au référendum du 29 mai 2005. La victoire du « non » français au référendum de 2005 a suscité de nombreux commentaires et explications¹. Certains ont par exemple souligné qu’elle a été en partie due à une forte insatisfaction politique à l’égard du pouvoir en place ; d’autres ont justement révélé que ce « non » traduisait aussi une protestation sociale pour l’essentiel liée à la persistance d’un important chômage de masse en France ; d’autres encore ont enfin insisté sur les raisons « endogènes » d’un tel vote, qui a concerné plus directement l’ « Europe ». Le « non » français ayant été immédiatement suivi d’un « non » néerlandais, il semble alors que, au-delà des déterminants nationaux du rejet civique qui s’est produit au printemps 2005, il est nécessaire de conduire une analyse des causes « européennes »² de l’impasse institutionnelle dans laquelle l’UE a été plongée et qui nous semble avoir été le symptôme d’une crise de légitimité plus profonde de celle-ci³.

    L’Union européenne a connu un blocage institutionnel et politique, symbolisé par l’échec du processus constitutionnel européen, puis par le « non » irlandais au traité de Lisbonne, blocage qui révèle un malaise des citoyens vis-à-vis des réalités communautaires. Ce malaise ne semble pas s’être dissipé, en dépit de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dans un contexte où la gouvernance européenne « post-Lisbonne » est considérée par maints observateurs comme difficilement intelligible, potentiellement

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