L'Actrice et le faubourien: Roman de moeurs - Tome I
Par Ligaran, Marie Aycard et Auguste Ricard
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Avis sur L'Actrice et le faubourien
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Aperçu du livre
L'Actrice et le faubourien - Ligaran
I
La représentation à bénéfice
Il était six heures et demie du soir, le ciel était bleu, brillant, la journée avait été superbe, et comme c’était un lundi, et n’y a pas de bonne fête sans lendemain, le peuple de Paris avait continué le dimanche, et il inondait les barrières.
Une grande affiche jaune, de deux pieds de large sur quatre de long, était placardée dans les rues des Martyrs, de Rochechouart, et entourait de ses plis bariolés de lettres grasses, l’écorce raboteuse des arbres des boulevards extérieurs ; elle annonçait au théâtre Montmartre, et pour le jour même, une représentation à bénéfice, composée d’un mélodrame, de deux vaudevilles et d’un opéra ; en tout neuf actes, dont le dernier devait finir de minuit à une heure et demie, comme cela se pratiquait à l’Opéra avant la révolution de juillet, pour peu qu’une danseuse pleine de morale et de religion eût obtenu de M. Sosthène le droit de mettre une recette en poche. On avait remplacé les noms d’acteurs en vogue, qui ce soir-là ne jouaient pas à Montmartre, par un charlatanisme de typographie qui faisait ressortir les noms de mesdemoiselles Louisa, Mimi et Olympe Perseval ; Mademoiselle Olympe Perseval, surtout, avait l’inappréciable avantage de figurer sur l’affiche en lettres ivres, lettres romantiques qu’on dirait imitées du travail grossier de quelque tailleur de pierre du treizième ou du quatorzième siècle ; mais qui sont devenues de bon goût depuis qu’elles ont reproduit le nom pompeux de M. Victor Hugo ; cette distinction avait irrité l’amour-propre de ses deux camarades, et, dans ce moment même, elles tourmentaient le régisseur à propos de la malheureuse affiche.
– Mesdemoiselles, disait le régisseur qui était entré dans la loge où elles devaient s’habiller toutes deux, il est six heures et demie, vous jouez dans la première pièce et vous n’êtes pas encore prêtes ; habillez-vous donc !
– Non, Monsieur, c’est une horreur, une injustice criante ; toutes les distinctions sont pour Olympe Perseval, et l’on n’a pas le moindre égard pour nous ; aussi nous ne voulons pas paraître : n’est-ce pas, Mimi, que tu ne joueras pas ?
C’était mademoiselle Louisa, fort jolie blonde, qui s’exprimait ainsi.
– Sans compter, mon petit, répliqua mademoiselle Mimi, qu’Olympe a une loge à elle toute seule, tandis que Louisa et moi nous sommes obligées de nous habiller toutes deux dans la même. Probablement c’est parce que nous sommes venues dans un fiacre, et qu’Olympe est arrivée en calèche ; eh bien ! mon petit, si j’avais voulu, je serais venu dans le tilbury d’Alfred. Mais son cheval était trop fatigué ; nous avons été à Saint-Cloud ce matin, nous nous sommes beaucoup promenés, et je n’ai pas voulu qu’il m’amenât, parce que la montée des Martyrs est d’un raide…
– Mademoiselle, reprit encore le régisseur, habillez-vous et jouez ; c’est, croyez-moi, le meilleur parti à prendre. Mademoiselle Olympe Perseval a une loge à elle toute seule, c’est vrai ; mais ce n’est point à cause de sa calèche, c’est parce qu’elle est arrivée la première ; pour vous, il n’a pas été possible de vous en donner une à chacune, l’exiguïté du local en est la seule cause… et… d’ailleurs…
– Non, non, nous ne jouerons pas, dirent à la fois les deux actrices.
Le régisseur était un homme entre deux âges, ni gros ni gras, ni laid ni beau, dont le regard était vif et perçant, les lèvres minces, pincées comme celles d’un ministre habile et dissimulé ; et, à vrai dire, pour exercer son emploi, il faut autant de dissimulation que d’habileté ; il faut plus de talent et surtout plus d’art pour faire marcher des comédiens que pour conduire des armées et diriger des diplomates. Monsieur Valmont (c’était le nom de comédie du régisseur), avait été acteur dans sa jeunesse, et avait eu le talent de tomber dans presque toutes les villes de France où il s’était présenté ; ce n’était pas qu’il fût mauvais, qu’il manquât d’intelligence, d’aplomb, ni même de certaine grâce, et que, de chute en chute, il n’eût acquis du métier ; c’est simplement parce qu’il avait un défaut d’organe, une conformation particulière de langue, oui ne lui permettait pas de prononcer comme tout le monde. Ce défaut se remarquait particulièrement lorsqu’il venait à se rencontrer une S à la fin des mots, alors la consonne rebelle, s’échappait en sifflant de sa bouche, et allait tomber comme un trait aigu dans le tympan des spectateurs ; le C aussi était une lettre ennemie de Monsieur Valmont, et il regardait même l’F comme une alliée peu fidèle ; ce n’est pas qu’il blaisât en parlant, mais il sifflait, et il n’avait jamais rencontré en France un théâtre où il n’y eût de l’écho. Ce malheur, joint à quelques chagrins qui avaient assombri sa jeunesse, lui faisait dire spirituellement que toutes les liaisons lui étaient dangereuses. Repoussé du théâtre par cette nature ingrate, forcé de quitter le chapeau à plumes et l’escarpin luisant des jeunes premiers, M. Valmont se fit correspondant dramatique. Il ne réussit pas dans cette entreprise, mais il y acquit une grande connaissance du personnel des acteurs français, et de ce que leur talent leur rapportait annuellement, il savait, à un centime près, ce que peut gagner tel acteur du Théâtre-Français, telle actrice de l’Opéra-Comique, tellement qu’en parlant de Mademoiselle Mars, de Ponchard, de mademoiselle Leverd, de madame Casimir, il n’appelait point ces artistes par leur nom, mais il disait, la soixante mille francs, le trente mille