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Onis: Les lumières d'Abak
Onis: Les lumières d'Abak
Onis: Les lumières d'Abak
Livre électronique312 pages4 heures

Onis: Les lumières d'Abak

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À propos de ce livre électronique

Un officier rongé par les remords, un journaliste cartésien qui devient mystique, un mutant en quête d'identité, une mère et son fils adoptif cachant de lourds secrets, un clone à la beauté sulfureuse, un présentateur vedette corrompu et deux vieillards à la tête de la dissidence. Voici les héros d'Onis, un roman de science-fiction, où les personnages - et les lecteurs - devront voyager à travers l'espace et le temps pour comprendre la destruction de la prestigieuse planète Abak, planète mère de La Conjonction d'Onis.
LangueFrançais
Date de sortie28 déc. 2020
ISBN9782322216468
Onis: Les lumières d'Abak
Auteur

Alexandre Martin

La lecture et l'écriture ont toujours accompagné Alexandre Martin. Inspiré d'une nouvelle qu'il avait écrite à l'adolescence, l'univers féerique et sombre d'Onis a pris forme naturellement au fil des années. Les écrivains que l'auteur de 49 ans aime citer sont souvent issus de la période phare de la littérature de science-fiction, tels que les frères Boris et Arkady Strugatsky. Dans cette épopée galactique, les personnages, complexes et attachants évoluent dans un monde érudit qui s'est égaré dans d'inlassables conquêtes, sombrant dans le chaos après la destruction mystérieuse de la très convoitée planète Abak. L'auteur a créé une destinée fantastique, où les protagonistes, héros malgré eux, traitres perfides ou créatures pathétiques et courageuses doivent d'abord se reconstruire pour comprendre et agir sur un destin qui ne leur était pas dévolu.

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    Aperçu du livre

    Onis - Alexandre Martin

    SOMMAIRE

    Première partie : Les lumières d’Abak

    Chapitre premier : Osalype

    Chapitre deux : Atterrissage forcé

    Chapitre trois : Souvenirs d’Abak

    Chapitre quatre : Un centurilien

    Chapitre cinq : Mutation

    Chapitre six : Un cantique dans la verdure

    Chapitre sept : Malentendu

    Chapitre huit : Un appel aux étoiles

    Seconde partie : Destruction et Renouveau

    Chapitre premier : Des héros pour La Conjonction

    Chapitre deux : Upsaïs V12

    Chapitre trois : Les Travailleurs de l’oubli

    Chapitre quatre : Retrouvailles

    Chapitre cinq : Mutinerie

    Chapitre six : Fuir

    Chapitre sept : Un clone féerique

    Chapitre huit : Des loisirs

    Chapitre neuf : Des otages encombrants

    Troisième partie :Les Vaisseaux-Monde

    Chapitre premier : Deux passagers clandestins

    Chapitre deux : La Lune des Lac Gelés

    Chapitre trois : Une porte s’ouvre

    Chapitre quatre : Les derniers survivants

    Chapitre cinq : Mystères

    Chapitre six : L’assaut final

    Chapitre sept : Le départ

    Chapitre huit : Les voyageurs stellaires

    Épilogue

    Glossaire

    PROLOGUE

    Conjonction d'Onis, cycle 347.

    Le vaisseau ravitailleur E-10-S sortit enfin de la noirceur du cosmos. Le lanceur commença aussitôt la phase orbitale du placement de la navette, où la troupe de centuriliens se tenait cachée prête à débarquer sur la planète Erames, la deuxième planète la plus massive du système Onis, après la planète Abak.

    « Eh ! Herman, c'est pas le moment de rêver », cria Ferki Suares à son jeune lieutenant qui observait le paysage d'un air pensif à travers la caméra-globulaire fixée à son casque.

    Agrippé à son icronde – programmée en mode discrétion après avoir décollé d'Upsaïs V12 – le lieutenant Ralder S. Herman admirait les lacs immenses qui s'étendaient à perte de vue. Il était frappé par les couleurs chatoyantes de vagues hésitant entre des reflets rougeâtres ou orange et qui ondoyaient dans le vent. Il ne prit pas la peine de répondre à l’interpellation de son chef à peine plus âgé que lui, et continua son observation, attendant l'ordre fatidique : prendre d'assaut la plateforme Adoleumifère de la société abakienne : la Pan Service Limited. L’assemblage de cette impressionnante structure avait été réalisé sur la terre ferme, la plateforme achevée fut ensuite transportée sur des embarcations géantes jusqu’au site. La conception de l'armature porteuse avait dû tenir compte des contraintes spécifiques liées au milieu naturel d'Erames comme les marées, les tempêtes, les courants ou les risques de corrosion liés à cet environnement, mais aussi au risque sismique, sans oublier les créatures féroces qui grouillaient dans ses lacs. Des émeutes avaient été provoquées par un groupe d'ouvriers, inspirées de celles qui avaient été lancées par deux Abakiens, les frères Ducan, Ellon et Bela, durant le cycle 317. L'un, Ellon, avait formé la dissidence sur la planète Dorium, l'autre, Bela, avait comploté sur Abak. La société avait le monopole sur l'extraction d'adoleum, une huile minérale de couleur rouge dont les composants d'origines organiques constituaient la principale source d'énergie utilisée dans tout le système onisien. Elle avait alerté l'Agence Interplanétaire de l’Énergie à l'époque, en profitant de la Deuxième Convention de La Conjonction d'Onis. Ces premières grèves dans l'histoire de la Conjonction avaient été bien vite étouffées grâce au concile ouvrier, et les meneurs les plus virulents s'étaient fait remettre aux autorités Abakiennes. Mais les travailleurs – constitués pour la plupart de prisonniers à vie – se laissèrent gagner par la ferveur des paroles des frères Ducan, toujours populaires malgré leur emprisonnement.

    Trente cycles plus tard, les grèves avait repris grâce à l'entrain de nouveaux ouvriers convertis au courant de pensée Véracienne. Cette mouvance congréganiste était enseignée par les frères Ducan par le biais de réseaux devenus occultes, car proscrite par les Onze Vœux onisiens qui régissaient la Conjonction.

    « Tavin 5 à Delta 1. Autorisation atterrissage pour E-10-S. Opération Corail enclenchée, Delta 1. Terminé. »

    Le capitaine Ferki Suares sursauta. Il sortit aussitôt de la torpeur qui l'avait gagné, et enclencha d'un geste machinal son icronde qui émit un léger râle métallique. Au même instant, les autres centuriliens firent le geste analogue, et l'air suffocant de la soute où se trouvaient les soldats s'emplit d'une résonance sinistre. Tous les regards convergèrent vers le jeune capitaine. La carrure impressionnante de Ferki Suares était l'unique détail qui le différenciait des trente hommes qu'il avait à son commandement pour sa seconde mission. Ils avaient tous les traits fins, et la peau cuivrée de leur visage laissait apparaître quelques marques d’acné juvénile. Tous avaient le crâne rasé sous un casque sophistiqué, dont l'avant était relié à une Globulaire contenant un petit écran. Leurs yeux noirs fixèrent Ferki quand la soute de la navette commença à s'ouvrir. Les trente soldats et leur capitaine se levèrent dans un silence morbide. Ferki dominait ses soldats d'au moins deux têtes, malgré leur taille déjà imposante. Ses deux mains recouvertes d'épais gants noirs, jouaient machinalement le long de la crosse à l'acier froid de l'icronde. De lourdes perles de sueur glissaient sur ses tempes, ce qui n'échappa pas à Ralder S. Herman qui le considéra d'un air perplexe. Quand la soute fut grande ouverte, Ferki Suares prit une profonde respiration, et sans l'ombre d'une hésitation ordonna à ses centuriliens derrière lui :

    « Silence total... En avant ! »

    Il montra l'exemple en sautant d'un mouvement léger sur le sol grisâtre de l'enceinte pressurisée, où les premiers prestataires indépendants avaient été logés. A cette époque, ils étaient encore des travailleurs libres employés par la Pan Service Limited. Utilisée dorénavant pour stocker les produits chimiques additifs servant à l'élaboration des matériaux de constructions, l'enceinte était plongée dans le noir. Les centuriliens allumèrent la torche de leur Globulaire afin de se déplacer sans problème. Ils progressèrent d'un pas lent et assuré, identifiant en silence les pièces où ils entraient par petits groupes de cinq.

    La troupe progressait dans la colonie, où, au commencement, mille travailleurs s'étaient relayés pour construire la plateforme flottante. Elle servait à l'exploitation de champs adoleumifères que l'on détectait par des forages de reconnaissance dans les grands fonds des lacs supérieurs à trois cent points. Ce genre de structure transformait l'adoleum extraite pour faciliter son transport. Cette installation de catégorie PP ou Plateforme de Production était conçue sans logement, aussi il avait été prévu une colonie sur la terre ferme, où s'établiraient quatre cent vingt-cinq résidents grassement payés pour une durée d’exploitation d'environ vingt cycles. La surface d’habitation privative dans la colonie était composée d'un lit pour deux résidents, et la surface cultivée alimentaire était fixée de soixante à quatre-vingt-dix point²par résident. Pourtant il avait été constaté par les promoteurs qu'il était plus avantageux d’importer certaines denrées alimentaires ou certaines pièces de structure légère à l’élaboration complexe, comme par exemple des renforts en composite, dans les cas où, bien sûr, le tonnage restait limité. Le nombre de vols aller par cycle synodique était de six, ainsi le rythme de vie sur la colonie s'était installé d'une manière naturelle et bien organisée, jusqu'aux premières morts mystérieuses qui se produisirent durant l'acheminement de la plateforme sur le plus grand lac d'Erames appelé le Lac Rouge de Casgane.

    Ferki Suarez menait ses hommes vers les habitations privatives où avaient été signalé par les équipes de sécurité les rassemblements des meneurs de grèves. Tout en avançant à pas silencieux, il revit les images prises du rapatriement, il y a deux cycles, par la Pan Service Limited des corps déchiquetés des prestataires attaqués par les monstres marins de Casgane. Ces créatures avaient pris l'habitude de roder autour des pieds de la structure qui s'enfouissaient sous cent vingt-cinq points de profondeur. Prenant de plus en plus d'audace, elles remontaient à la surface, intriguées par les résonances qui émanaient du dessus. Les monstres se jetaient alors sur quelques travailleurs imprudents qui s'aventuraient sur la structure porteuse, pour les emporter dans les profondeurs du lac. Des reportages avaient été diffusés dans Informashow, l'émission abakienne la plus regardée de toute la Conjonction. Encore aspirant, Ferki Suares était tombé sur une rediffusion d'un documentaire sur ces monstres marins d'Erames. Il avait visionné le reportage d'un œil distrait dans sa chambrée, mais resta longtemps marqué par les images choquantes des corps démembrés de ces pauvres travailleurs, filmés sans état d'âme par les médiateurs d'informashow, dès leur rapatriement sur Abak.

    Bientôt, plus aucun résident ne voulut rester sur Erames, et encore moins travailler sur la plateforme. Les actionnaires de la Pan Service Limited décidèrent alors d'utiliser des prisonniers condamnés à mort pour l'exploitation de leur colonie. Ils n'hésitèrent pas à se montrer généreux avec les Dirigeants des planètes les plus influentes, en particulier ceux d'Abak et de Dorium, en échange d'un accord entre les membres de la Conjonction d'Onis.

    Quand les équipes des résidents payés se relayaient à l'époque en permanence pour travailler pendant quinze dyses, alternant périodes de travail et périodes de repos, pour retourner ensuite sur la terre ferme pour une même durée, les travailleurs forcés restaient, eux, une myse sur la plateforme avec beaucoup de travail et très peu de repos, puis retournaient une syme sur les terres, avec la singulière promesse d'une remise en liberté au bout de vingt cycles.

    Durant les cinq premiers cycles, les disparitions régulières de travailleurs forcés, happés par les mâchoires géantes, firent émerger des mouvements de rébellion de plus en plus violents, confortés par une foi inébranlable au mouvement Véracien. Les équipes de sécurité furent bientôt submergées par les attaques des forçats, et durent fuir dans les navettes de la société. La Pan Service Limited fut contrainte de faire appel à la milice centurilienne d'Abak, une troupe d'élite formée contre les manifestations non autorisées de foule, et tenter de reprendre le contrôle de la colonie.

    Le silence régnait dans les couloirs étroits qui menaient aux minuscules chambres des travailleurs. La troupe se déploya devant les premières portes. A travers leurs Globulaires à écran virtuel, les centuriliens regardaient impassibles les forçats qui se tenaient cloîtrés dans les chambrées. Sans aucune sommation, ni hésitation, Ferki et ses hommes utilisèrent leurs lance-grenades en tir tendu pour défoncer les portes, puis ils se jetèrent à l’intérieur sans attendre la dissipation des fumées. Les cris de surprise et de terreur se mêlèrent à la confusion qui régnait. Les tirs saccadés des icrondes des centuriliens répondaient aux tirs approximatifs des forçats, armés des quelques armes qu'ils avaient réussi à prendre aux agents de sécurité. Aucun des forçats ne résista à la charge des centuriliens. Les draps, les murs et les placards des chambres servant de refuges précaires aux insurgés étaient parsemés de sang. Une légère odeur âcre se disséminait à travers le couloir, enveloppant les centuriliens qui se rassemblaient en silence autour de leur chef. Ferki Suares sentait son cœur battre à tout rompre. Il enleva son casque d'un geste vif pour essuyer du revers de ses mains gantées la sueur qui coulait en abondance sur son visage. Ses yeux noirs brillaient d'un éclat intense, ses lèvres tremblaient. Il prit une profonde respiration sous les regards surchauffés qui le fixaient. Le lieutenant Ralder S. Herman rompit le silence pesant :

    « Toute l'unité est rassemblé mon capitaine. Quels sont vos ordres ?

    – On termine et on rentre », annonça d'une voix grave et métallique Ferki Suares.

    Alors les hommes s'écartèrent pour laisser passer leur chef qui se dirigeait déjà vers la sortie, en direction de la plateforme Adoleumifère de la Pan Service Limited. Son lieutenant le suivit du regard, trouvant Ferki bien trop placide pour sa première mission, et surtout après cette sanglante attaque.

    Dehors, un vent tiède venu des grands lacs soufflait sur le visage des soldats. L'air âcre qui les avait enveloppés depuis les chambrées s'était bien vite dissipé ; les corps massacrés des forçats gisaient encore dans les flaques de sang. La plateforme se tenait au loin sur le Lac Rouge de Casgane. Les vagues s'agitaient en de faibles ondulations. De petits clapotements se perdaient contre les embarcations des travailleurs forcés qui avaient réussi à gagner la berge avant de se calfeutrer dans leurs chambres. Tout était plongé dans un silence morbide. D'un simple mouvement de main, Ferki ordonna à ses soldats de monter dans les canots. Les soldats progressaient vers la plateforme, et chacun avait replacé son casque et reconnecté sa Globulaire, observant les eaux ocres d'un air attentif. On ne distinguait rien dans le lac, sauf quelques bancs de gros poissons qui nageaient en oscillant avec hardiesse dans les sillages formés par les tourbillons d'eau produits par l'hélice des barques. Des oiseaux au plumage sombre virevoltaient dans le ciel dépourvu de nuage. Les petites embarcations longeaient maintenant le haut de la structure porteuse de la plateforme Adoleumifère qui émergeait du lac. Ferki envoya alors un signal dans son casque.

    Et les centuriliens prirent la mégastructure à l'abordage.

    Ils commencèrent à grimper sur les énormes tubes métalliques émergés qui maintenaient la partie de la plateforme au-dessus de l'eau, quand un bruit étrange se fit entendre. Les légers clapotements de l'eau sur la coque de leurs embarcations qu'ils avaient fixées aux treillis métalliques devinrent plus intenses. L'eau calme du lac se mit à produire des bouillonnements assourdissants, dont les éclaboussures atteignaient les premiers centuriliens qui avaient atteint le haut de la structure. Ils regardaient avec effroi ce qui se passait dessous. Des formes obscures et grandissantes remontaient des profondeurs du lac pour se diriger droit sur les pontons métalliques en surface. Les camarades qui étaient encore accrochés en bas du treillis de fer n'entendirent pas les appels au-dessus d'eux. Les ébullitions de l'eau safranée mêlés à une lugubre cacophonie de sons rappelaient aux soldats ébahis des ronflements humains. Alors les effervescences dorées s'estompèrent, et tous les visages se figèrent en découvrant la scène cauchemardesque. Trois énormes créatures marines les fixaient de leurs minuscules yeux d'où n'émergeait aucune vie, mais dont la gueule gigantesque et béante happait en vain le vide. Elles tentaient d’attraper les centuriliens agrippés juste au-dessus d'elles, et qui n'osaient plus bouger, tétanisés par la peur. L'un d'eux lâcha le tube d'acier auquel il se cramponnait, et tomba droit dans la gueule de l'un des monstres. Les deux autres créatures s'éloignèrent et plongèrent dans les profondeurs, puis réapparurent à la surface pour sauter hors de l'eau avant de se jeter lourdement contre la mégastructure qui trembla légèrement. Plusieurs soldats lâchèrent prise à leur tour, et dans de longues plaintes se firent déchiqueter aussitôt par les mâchoires acérées qui les attendaient. Ferki Suares hurla dans son casque de tirer sur les monstres. Tous les centuriliens sursautèrent, mais certains n'osaient plus faire un mouvement, d'autres réussirent à attraper leur icronde, et à tirer en vain sur les trois monstres marins. L'une des créatures observa alors les soldats de ses yeux vides, puis sortit deux énormes pattes palmées pourvues de longues griffes et commença à grimper sur la structure émergée. La moitié des centuriliens n'eurent plus qu'une seule obsession, atteindre les premiers la plateforme ; les trois monstres à leur trousse.

    Ferki Suares était déjà à l'abri là-haut, et tendait les mains vers ses soldats pour les aider à grimper. Ralder S. Herman fermait l’ascension. Il sentait le souffle chaud et fétide du monstre qui grimpait derrière lui. Il n'avait jamais vu, dans toute sa carrière, de créatures aussi gigantesques. Leurs écailles rubescentes sous le soleil tiède d'Erames accentuaient leur aspect féroce. Leurs deux immenses nageoires s'étaient transformées en longues ailes translucides au contact de l'air et frappaient d'un mouvement saccadé la structure porteuse qui vibrait à chacun de leurs coups. Leurs cris étaient exceptionnels et rappelaient par moments à Ralder ceux des mammifères marins à la douce couleur grise et luisante qu'il avait entendus sur d'ancestraux supports documentaires. Pendant ses études de Hauts Grades, son directeur de recherches aimait lui montrer ce qu'il appelait des « archives sonores ». Mais ces chants stridents n'avaient ici plus rien de mélodieux. Il sentit la main ferme de Ferki l'attraper, quand une terrible douleur à la cheville droite le saisit. Il regarda ses pieds, et vit une mâchoire pleine de dents acérées se refermer sur l'une de ses jambes. Il leva la tête, et croisa le regard halluciné de son chef. Ferki luttait pour ne pas lâcher sa main, alors Ralder lui sourit, avant de se laisser avaler par le monstre qui l'entraîna aussitôt dans les profondeurs du lac.

    Ferki bascula à l'arrière. Il haletait tout en regardant autour de lui. Il avait perdu beaucoup d'hommes sur la structure métallique. La poignée de centuriliens qui avaient survécu s'étaient réfugiés dans le premier module préfabriqué qu'ils trouvèrent. Ferki se décida enfin à se relever, et avança chancelant vers le sas d'accès. Il découvrit, tremblant au milieu de ses hommes, deux travailleurs forcés, rescapés de la tuerie, venus se cacher plus tôt dans la salle des machines.

    « Où sont tous les autres ? demanda-t-il d'une voix qu'il n'aurait pas voulu aussi tremblante.

    – Nos compagnons sont tous morts, massacrés par les monstres du lac, peu avant votre arrivée sur Erames, répondit un forçat en pleurs.

    – Il est trop tard, la chose va revenir et grimper sur la structure pour nous emporter jusqu'aux derniers, continua l'autre survivant. »

    Les centuriliens entendirent alors le bruit des griffes accrochant le sol métallique. D'un geste incertain, ils allumèrent leur icronde en prêtant l'oreille à tous les sons qui émanaient de l'extérieur. Le vent du large soufflait fort maintenant, et plus aucun oiseau ne volait dans le ciel corallin. Soudain, un bruit sourd cogna contre le sas verrouillé de la salle des machines. Les deux forçats laissèrent échapper un cri d'horreur. Ils allèrent se cacher derrière une immense turbine. Les centuriliens se serrèrent pour former un bloc, attendant que la porte cède fatalement. Quand celle-ci tomba contre le sol, une première créature ailée et griffue baissa la tête, et entra sans hésitation en poussant des cris assourdissants. Les centuriliens reculèrent d'instinct, puis sans attendre l'ordre de leur chef, qui restait pétrifié sur place, tirèrent sur le monstre. Ferki se ressaisit enfin, et tira lui-aussi. La créature l'attrapa de sa patte griffue par le bras et l'envoya frapper la cloison. Il s'évanouit aussitôt. Les centuriliens se dispersèrent, désorganisés, tentant de trouver une cachette dans la machinerie. Oubliant Ferki, la créature avançait la mâchoire béante, attrapant au hasard tous ceux qui croisaient son passage. Les centuriliens qui avaient réussi à se cacher, tiraient en vain, ne faisant qu'égratigner les épaisses écailles. Le monstre dévorait les malheureux soldats. Quand tous furent massacrés, elle se dirigea vers les deux forçats cachés derrière la turbine. Indifférente aux hurlements des deux hommes, elle tentait de glisser, entre la turbine et la paroi du module préfabriqué, l'une de ses ailes dont le poignet se terminait par un long et fin pouce crochu. Tout en poussant de petits beuglements rageurs, elle glissa son aile le long de la cloison et agrippa le premier travailleur. Il hurlait de terreur se sentant tirer vers la gueule béante qui l'attendait. Son compagnon gémissait en l'entendant se faire dévorer si près de lui. Puis ce fut son tour d'être accroché par le pouce effilé ; il s'évanouit en voyant s'ouvrir la gueule acérée parsemée de morceaux de chair.

    Ferki Suares émergea la tête lourde. Son crâne résonnait d'un bruit assourdissant. Il se redressa, et les jambes tremblantes, avança vers la sortie où l'air épicé du lac le revigora un peu, estompant les cris bouleversants qui émanaient depuis la grosse turbine. Sans un regard derrière lui, il se précipita vers l'hélistation de la plateforme où il espérait encore trouver une navette utilitaire. Le vent soufflait fort sur la petite surface prévue à l'installation. Le balisage lumineux clignotait, et Ferki, abasourdi, découvrit un petit appareil prêt à décoller. Au pied de l'un des deux patins de l'aéronef, gisait trois hommes dont les corps avaient été déchiquetés. Pris d'un haut le cœur, il entreprit d'enjamber les membres arrachés pour atteindre le cockpit du petit appareil qui était programmé pour décoller.

    Le capitaine Ferki Suares ne regarda pas en direction de la plateforme adoleumifère qui rétrécissait à mesure que la navette prenait de l'altitude. Ses yeux noirs, si intenses, étaient désormais recouverts d'une ombre voilée et son regard se perdait sur le tableau de bord ; étrange. Vide.

    Tu es venue le feu s’est alors ranimé

    L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé

    Et la terre s’est recouverte

    De ta chair claire et je me suis senti léger

    Tu es venue la solitude était vaincue

    J’avais un guide sur la terre je savais

    Me diriger je me savais démesuré

    J’avançais je gagnais de l’espace et du temps

    Paul Eluard

    PREMIERE PARTIE

    LES LUMIERES D’ABAK

    CHAPITRE PREMIER

    OSALYPE

    Une nuit blême recouvrait Abak, la planète la plus convoitée du système Onis. Il fallait être les premiers à monter dans les navettes de secours si on ne voulait pas mourir cette nuit-là. Le dôme translucide qui recouvrait la planète menaçait de s’écrouler sous les regards terrifiés des habitants. Leurs cris et le vrombissement incessant des moteurs provenant des navettes se mêlaient à la confusion qui régnait sur les pistes de décollage. Abak ressemblait à une fourmilière en pleine effervescence.

    Un peu plus tôt une série de secousses sismiques avait dévasté le centre de Pan-Aium, la plus grande cité abakienne, et chaque immeuble à la façade démesurée nimbé d’une auréole inquiétante était maintenant recouvert d’une poussière grasse. Le sol se soulevait par plaques gigantesques, projetant vers le ciel de braise des gerbes de débris puis des flammes aveuglantes et de la fumée blanche sous lesquelles d’énormes canalisations percées laissaient échapper des vapeurs brûlantes. Le grondement des émanations qui s’échappaient se mêlait à la litanie sinistre des sirènes d’alarme. La clameur qui montait de la foule de plus en plus dense vibrait sous le gigantesque dôme fissuré dans un écho assourdissant. Chaque habitant tentait d’éviter les innombrables corps déchiquetés qui jonchaient les majestueux boulevards en flammes ; certains avançaient le regard perdu, d’autres sortaient des cadavres des ruines. Tous connaissaient la fin : la somptueuse fourmilière allait disparaître.

    Dylal Darchez, un jeune Abakien rescapé des décombres, déambulait dans la cité en évitant les corps qui jonchaient le sol de poussière grise. Une lente procession le dépassa tandis qu’il observait dans le ciel les éclats des déflagrations qui se déchaînaient violemment, et où de longs reflets rouges perçaient les nuages au-dessus du dôme devenu incandescent. La foule silencieuse se dirigeait vers la lumière aveuglante qui s’écoulait d’un gigantesque vaisseau posé sur une aire d’atterrissage. Ne sachant où aller, Dylal la suivit, et se retrouva bientôt sur le tarmac loin de la fureur de la cité où une cinquantaine de navettes de secours s’apprêtaient à décoller avec les survivants. Au loin, les abords de la cité se parsemaient de champignons de fumée noire, quand une succession de violentes explosions le firent sursauter. Dylal sentit alors des griffes lui lacérer le torse. Un cattiscapir, à l’abri dans son blouson, s’échappa pour bondir vers la navette la plus proche prête à décoller. Il imita le petit animal à fourrure blanche, et sauta dans le vaisseau, au moment où le sas se refermait. Les moteurs vrombirent, estompant la fureur qui régnait dans la cité, puis la navette s’éleva du sol et grimpa vers le dôme qui venait de se briser.

    Malgré le choc sourd que produisaient les débris qui tombaient sur la coque lisse, la psychose semblait s’atténuer dans l’habitacle à mesure que la navette prenait de la vitesse. Dylal,

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