Le ciel est bleu, mais l’orage gronde. Le 6 octobre 1973, à 14 heures, 240 avions égyptiens survolent en rugissant le canal de Suez pour frapper l’intérieur du Sinaï. Les 436 soldats qui montent la garde dans les dix-sept fortins occupés de la Ligne Bar-Lev en ce jour férié du Kippour ont cinq minutes pour coiffer leur casque avant que s’abatte le déluge. Pendant 50 minutes, 1 800 pièces d’artillerie, relayées quinze minutes plus tard par un millier de canons antichars et autant de tanks mis en ligne sur la rive ouest du canal pour frapper directement les bunkers, tirent plus de 100000 obus, dont 10 500 la première minute. L’opération Badr, site de la première victoire du prophète Mahomet en 632, vient de commencer.
Quand la préparation d’artillerie cesse à 14h53, quelques survivants hébétés de la ligne Bar-Lev tentent de servir leurs mitrailleuses, mais il est difficile d’y voir clair: le canal est couvert par un brouillard artificiel, sous lequel 4000 commandos effectuent la traversée en canots gonflables. Puis ils escaladent le rempart de sable avec des échelles et pénètrent à pied vers l’intérieur, en tirant de petits chariots portant missiles Sagger et équipement lourd. Ils ne s’attardent pas à s’emparer des forts, mais creusent des tranchées à quelques kilomètres en profondeur – pour attendre l’inévitable contre-attaque des chars.
Dans la foulée des commandos, cinq divisions d’infanterie articulées en deux « armées» (en fait, de la force d’un corps d’armée – la 2 au nord du Grand Lac Amer, la 3 au sud) entreprennent le franchissement et l’assaut méthodique de la ligne Bar-Lev. Chaque division envoie une partie de son infanterie en canot pour constituer des «, complétés par cinq ponts légers, dix pontons et trente barges motorisées.