Sur la passerelle du destroyer Eilat, navire amiral de la flotte israélienne, le commandant Yitzhak Shoshan n’a pu manquer le flash émeraude au-dessus des grues de Port-Saïd, la grande base navale égyptienne que le navire est chargé de surveiller en cette soirée du 21 octobre 1967. Tandis que la lueur s’élève et vire à l’orange en se rapprochant, Shoshan, spécialiste d’électronique, comprend immédiatement que des missiles sont L’ère du en route. Il ordonne une manœuvre évasive, mais il est trop tard. À 17h32, deux minutes après l’éclair révélateur, le tonnerre frappe la coque en plein flanc, détruisant la salle de radio. Une minute plus tard, un deuxième engin anéantit la salle des machines. Tandis que l’équipage lutte contre l’incendie et tente d’appeler à l’aide, le commandant comprend que son navire est condamné. Il vient de donner l’ordre d’évacuer quand la foudre frappe à nouveau. Touché dans sa soute à munitions, l’Eilat se désintègre. Faute de cible, un quatrième missile frappe l’eau au milieu des rescapés.
L’ère du canon et de la torpille s’achève, celle du missile commence.
Sur les 199 hommes d’équipage de l’Eilat, 47 sont morts et 91 blessés – c’est la pire défaite jamais subie par la marine israélienne, que le blitzkrieg de l’armée de terre dans le Sinaï et sur le Golan a privée de lauriers pendant la guerre des Six Jours achevée quelques mois plus tôt. Sans doute déçus, et aussi un brin arrogants, les marins hébreux étaient venus narguer les Égyptiens – un peu trop près pour Nasser, qui a personnellement ordonné le tir. Ce succès imprévu déclenche un délire de joie dans les rues arabes. C’est une mince compensation au vu du désastre subi en juin, mais un avant-goût de la revanche. Meurtris dans leur chair et leur honneur, et cependant interdits de riposte par l’arrivée d’une flottille soviétique, les Israéliens ruminent eux aussi leur vengeance. Même si l’Eilat est en réalité un vieux rafiot vulnérable et mal armé, les marines du monde entier comprennent que sa fin misérable signe une révolution: l’ère du canon et de la torpille s’achève, celle du missile commence.
La préhistoire du missile ramène en 1943, à l’époque où l’ était encore, un de ces destroyers construits à la vavite par la Royal Navy pour courir sus aux U-Boote. Le 25 août, un Henschel Hs 293 percute le modeste aviso britannique dans le golfe de Gascogne. L’engin n’explose pas, mais ce n’est que partie remise: deux jours plus tard, le grand destroyer canadien est mis hors de combat et la corvette est coulée – première victime d’un missile antinavire. Le Hs 293 est primitif: c’est une grosse bombe volante sous laquelle est greffé un moteur-fusée, guidé par radio depuis un bombardier. Si les Alliés apprennent rapidement à brouiller la liaison, ils n’en déplorent pas moins une trentaine de navires touchés. Et la leçon n’est pas perdue à Moscou: la marine soviétique, qui cherche par tous les moyens à rétablir un semblant d’équilibre avec la toute-puissante US Navy, reprend le flambeau après-guerre.