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Le pouvoir des ténèbres
Le pouvoir des ténèbres
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Livre électronique552 pages7 heures

Le pouvoir des ténèbres

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À propos de ce livre électronique

Le 10 septembre 2001, Peter Coben, oeuvrant comme ingénieur informatique pour la NSA, décèle un composant électrique suspect. Cette découverte conduit les autorités sur la piste d’un gigantesque réseau d’écoute électronique envers le gouvernement américain. Au terme de l’investigation, les responsables devront faire face à l’incommensurable horreur de leur détection. Sans le savoir, Peter Coben devenait l’artisan d’une effroyable spirale à l’issue catastrophique.

Au même instant, un survol des montagnes Blanches de la Nouvelle-Angleterre tourne au cauchemar. Alexandra Richard et Christopher Ross seront désunis par un funeste coup du destin, amorçant ainsi un cycle de démence explosive. Christopher Ross affrontera davantage que la cupidité pour secourir Alexandra. Il sera contraint de traverser l’enfer afin de retrouver celle qu’il aime, car il trouvera sur son chemin l'organisation Sentinum qui ne permettra à personne de contrecarrer ses projets…
LangueFrançais
Date de sortie15 mai 2013
ISBN9782896836734
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    Aperçu du livre

    Le pouvoir des ténèbres - Max Carignan

    Copyright © 2012 Max Carignan

    Copyright © 2012 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Katherine Lacombe

    Conception de la couverture : Paulo Salgueiro

    Photo de la couverture : © Thinkstock

    Mise en pages : Paulo Salgueiro

    ISBN papier 978-2-89667-700-9

    ISBN PDF numérique 978-2-89683-672-7

    ISBN ePub 978-2-89683-673-4

    Première impression : 2012

    Dépôt légal : 2012

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Carignan, Max

    Sentinum

    Sommaire : t. 1. Le pouvoir des ténèbres -- t. 2. L’ange de la mort.

    ISBN 978-2-89667-700-9 (v. 1)

    ISBN 978-2-89667-701-6 (v. 2)

    I. Titre. II. Titre : Le pouvoir des ténèbres. III. Titre : L’ange de la mort.

    PS8605.A743S46 2012 C843’.6 C2012-941547-2

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    À la mémoire de mon père, Gérard Carignan. Merci papa, pour toutes ces journées passées ensemble.

    À Nancy, toute ma reconnaissance. Sans ton support, ton amour et ta confiance, jamais ce roman n’aurait vu le jour.

    « La persévérance est invincible. C’est par elle que le temps dans son action détruit et renverse toute puissance. »

    Plutarque

    46-125

    « C’est la mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;

    C’est le but de la vie et c’est le seul espoir

    Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,

    Et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir. »

    Charles Baudelaire

    1821-1867

    « Ce que l’on fait par amour l’est toujours par-delà le bien et le mal. »

    Friedrich Wilhelm Nietzsche

    1844-1900

    Chapitre 1

    10 septembre 2001, 5 h 30 Maryland, États-Unis

    De l’humble avis de Peter Coben, quelque chose ne collait pas. L’ingénieur de 32 ans avait, une semaine auparavant, décelé une toute petite impédance électrique sur le réseau intranet sécurisé de la NSA. Cette légère résistance, d’à peine 3 milliohms, l’empêchait de trouver le sommeil, et cela se transformait en une pure obsession.

    Il filait au-dessus de la limite permise sur l’autoroute Baltimore-Washington Parkway quand ses pensées devinrent brusquement limpides. De prime abord, un dispositif clandestin était branché sur le réseau de télécommunications de la nsa. Il avait fait part de cette hypothèse à son supérieur, la semaine précédente. La réaction de ce dernier avait été vive et directe.

    — Impossible, Peter ! Il est invraisemblable, et même loufoque, compte tenu de l’architecture complexe de notre système de télécoms, de le pirater de l’extérieur. Mais faites donc comme d’habitude : ignorez mon opinion personnelle et envisagez toutes les possibilités.

    Les idées de Peter s’enchaînaient désormais à un rythme délirant.

    « Et si la menace provenait plutôt de l’intérieur ? »

    Il faillit manquer la bretelle de sortie exclusivement réservée aux employés de la nsa. Ce crack de l’informatique avait, à l’âge de 12 ans, démonté son premier micro-ordinateur Tandy trs-80 sous prétexte de vérifier s’il parviendrait à l’assembler de nouveau. Il avait par la suite réalisé de brillantes études au mit, l’Institut de technologie du Massachusetts. Dès sa sortie de l’université, il avait obtenu un poste exceptionnel à titre d’ingénieur en réseautique pour l’Agence de sécurité nationale des États-Unis, à Fort Meade, en banlieue de Washington.

    En ce frais matin d’automne, Peter Coben gara sa Toyota Prius à motorisation hybride en bordure de l’immense aire de stationnement de la nsa. Il incarnait un rôle anonyme au sein de cet organisme gouvernemental américain aux dimensions titanesques. La nsa ne fut connue du public qu’en 1957, où on lui accorda alors le surnom No Such Agency : une telle agence n’existe pas !

    Le but de l’Agence de sécurité nationale des États-Unis ­d’Amérique était de collecter et traiter tous les genres de communications terrestres. L’ensemble des transmissions émanant de l’électromagnétisme, de satellites et de l’Internet, ou encore voyageant par lien filaire, était contrôlé afin de garantir la sécurité du pays. Des bases d’écoute, des stations d’interception et des satellites recueillaient toutes les communications terrestres. Un sous-marin guettait également les émissions diffusées par le biais de câbles posés au fond des océans.

    Les données amassées convergeaient à Fort Meade, au Maryland, le siège social de la nsa. Ces milliards de renseignements étaient regroupés par mots-clés, puis traités par des essaims de cryptanalystes, de mathématiciens et d’informaticiens qui étaient secondés par des superordinateurs ainsi que des logiciels performants. Lorsqu’une combinaison de mots constituait une menace potentielle pour le pays, une alerte était automatiquement générée. Des avancées technologiques de reconnaissance d’empreinte vocale permettaient également d’identifier certains interlocuteurs suspects, même s’ils occultaient légèrement leur voix.

    Cependant, le procédé restait incomplet. Malgré les centaines de millions de dollars dépensés en conception et en mise à niveau, une faille causée par la négligence humaine était susceptible d’être à tout moment exploitée par un ennemi. Des individus aux intentions hostiles pourraient alors porter une oreille attentive aux communications de ceux qui croyaient tout savoir. Être le premier à détenir l’information pour en tirer avantage procurait sans conteste une longueur d’avance. Il s’agissait là de la nouvelle puissance moderne.

    Peter Coben était sur le point de dévoiler une découverte qui lui vaudrait de passer à l’histoire ! Évidemment, à la nsa, l’histoire se bornait à la nsa, mais cela n’en demeurait pas moins prestigieux !

    Il galopait maintenant à toute vitesse sur le revêtement de l’aire de stationnement. Ses grandes jambes disproportionnées donnaient du fil à retordre à son corps dégingandé, qui peinait à garder son équilibre. D’ailleurs, le gardien de sécurité posté à l’accueil parut embarrassé par la situation. Il se demanda si le jeune célibataire surexcité dont les yeux étaient presque sortis de leurs orbites avait consommé quelques substances illicites.

    — Ça va, Peter ? interrogea le gardien perplexe, en se levant derrière la vitre de son poste d’accueil.

    — Oui… oui… monsieur Scott, répondit-il, le souffle saccadé.

    Peter fit glisser sa carte d’identité magnétique, puis s’engouffra à travers les tiges croisées du tourniquet de contrôle d’accès.

    — Je pense… avoir trouvé un truc… incroyable ! continua-t-il.

    — Moi aussi, c’est ce que je pensais, lorsque j’ai rencontré ma femme ! plaisanta le gardien. Ah, ces nerds ! s’exclama-t-il tandis que l’ingénieur s’esquivait au bout du couloir.

    Une fois à son bureau, Peter se débarrassa d’une boîte de pizza restée ouverte depuis la veille. Son contenu lui semblait fort moins appétissant. En ces premières lueurs du jour, l’endroit était désert. Cela lui permit de progresser rapidement d’une salle d’ordinateurs à l’autre. Au beau milieu de tout le matériel de haute technologie, des lumières clignotantes et des indicateurs acoustiques, l’ingénieur à l’esprit chimérique s’imagina s’être cybernétisé en avatar du monde binaire, tel le programmeur Kevin Flynn, personnage vedette du film tron. Peter arpentait le même parcours tous les jours. Aujourd’hui, en revanche, ses globes oculaires pétillaient et son index droit était dressé devant lui pour suivre à la trace le cheminement physique des codes numériques et analogiques amassés par les circuits électroniques.

    À l’intérieur du local 96-529, Peter empoigna un plateau à roulettes chargé d’un oscilloscope. Il courut ensuite, poussant le meuble roulant comme une hôtesse de l’air frénétique. Sur un dérapage de semelles caoutchoutées, il s’immobilisa enfin devant une armoire métallique de six mètres munie de quatre portes à battant. Au centre de cette unité de diagnostic s’agglomérait une multitude de bornes servant à la jonction des milliers de câbles provenant des serveurs informatiques.

    — Le cœur du réseau, murmura-t-il.

    Peter agrippa les pinces isolées de l’oscilloscope et, se livrant à la mimique du docteur Frankenstein, l’ingénieur débordant d’imagination fut secoué d’un rire caverneux et s’exclama :

    — Tu vivras, monstre !

    Peter connecta ses pinces sur les bornes cuivrées de l’alimentation électrique de l’unité de diagnostic. Une onde sinusoïdale familière de 120 volts se dessina immédiatement sur l’écran cathodique de l’oscilloscope. Jusque-là, rien de suspect. Par contre, en modifiant l’échelle de lecture, le spectre d’un signal numérique apparut soudainement sur la console. Celui-ci se superposait furtivement au champ électrique habituel. Peter s’ingéniait à repérer la source de ce signal lorsque, complètement en bas de l’armoire métallique, une interface anodine attira son attention. Celle-ci était dédiée à établir l’intercommunication avec un ordinateur portable. Il ne l’avait employée qu’une seule fois en six ans, pour un problème d’archivage de fichiers numérisés qu’il avait rapidement réglé. Il s’écria, hors de lui :

    — Te voilà, petite ordure !

    Armé d’un tournevis, Peter s’approcha du menu panneau recouvrant l’interface qui semblait inoffensive. Celle-ci était depuis longtemps connectée à l’écart du système pour en simplifier l’entretien et ne possédait aucun lien avec l’extérieur, excepté l’alimentation électrique ! Il devint évident pour Peter que cette interface acheminait clandestinement les communications amassées par la nsa sur les lignes de distribution du réseau électrique. Une fois libre en dehors du complexe de l’agence, n’importe qui pouvait les récupérer. On avait mis la nsa sur écoute ! Frappé de stupeur par l’odieuse situation, Peter débrancha l’interface. Un bref arc lumineux jaillit de la fiche de raccordement, et le spectre du signal numérique disparut instantanément de la console de l’oscilloscope.

    — Bon sang ! Mais qui tente de nous espionner ?

    Peter Coben se précipita au premier poste de surveillance et sonna l’alerte. Il devenait le catalyseur d’un processus dont il ne pressentait nullement toutes les répercussions.

    Chapitre 2

    10 septembre 2001, 6 h Cowansville, Québec

    Àla pointe de l’aube, un bruit sourd arracha Christopher Ross de sa somnolence. Il réprima un sursaut. Ce mugissement lui avait rappelé le tir de roquette qui avait abattu son hélicoptère, au cours d’une délicate opération au Rwanda, quelques années auparavant. À la maison, il détestait se faire réveiller de cette façon. À l’étranger, par contre, il serait resté de marbre. Son sang-f roid ét ait à tout instant admirable. Il n’en demeurait pas moins qu’il éta it tourment é par les pénibles souvenirs de ses missions spéciales. Le passage du temps n’y faisait rien. Il était toujours difficile pour un pilote de perdre des membres de son équipage sans se sentir responsable.

    Mais ce matin, les tirs meurtriers et les roquettes artisanales ne décoraient pas le paysage ! La fenêtre était entrouverte et, excepté le bruit étouffé qui l’avait réveillé, rien ne troublait la tranquillité campagnarde. Christopher était confortablement couché dans son lit, au Québec. Il se pressait contre le dos nu d’Alexandra, son bras reposait sur sa hanche galbée et sa main remontait jusqu’à ses seins. Il huma la fragrance enivrante de sa nuque. Comme toujours, elle sentait terriblement bon, et cela lui fit du bien ; depuis une semaine, il n’avait respiré que des odeurs de poudre à canon, de kérosène et de sueur. Alexandra dégageait davantage qu’un subtil parfum, elle transpirait la sensualité. Elle avait opté pour une carrière dans le monde des affaires, mais elle aurait pu devenir facilement actrice, en raison de sa grande beauté.

    Christopher caressa du bout des doigts la peau satinée de ses seins. À cet instant, le son se répéta, tel un grondement ponctué de silences.

    « Ça va ! J’ai compris ! » pesta-t-il dans sa tête en se levant doucement du lit pour ne pas éveiller Alexandra.

    Il se dirigea à la fenêtre, pour découvrir l’origine de ce bruit irritant. La pénombre du crépuscule laissa filtrer sa silhouette musclée de haute taille et son visage taillé à la serpe. À 40 ans, il disposait d’une condition physique exceptionnelle. Garder la forme était en quelque sorte sa police d’assurance vie, compte tenu de la nature exigeante de son travail. À titre de pilote d’hélicoptère numéro un de la Joint Task Force Two, la Deuxième Force opérationnelle interarmées du Canada, Christopher devait se préparer à toute éventualité. Le jogging, la musculation et les techniques de combat corps à corps faisaient partie de sa routine quotidienne.

    Christopher enfila un pantalon en n’oubliant pas de pincer à sa ceinture son bipeur, qu’il avait affectueusement baptisé sa troisième couille. Il endossa ensuite un gilet à capuchon par-dessus ses épaules gonflées et s’accorda quelques instants pour contempler sa bien-aimée. Alexandra était allongée sur le côté, et un mince drap translucide camouflait à peine ses formes voluptueuses. Avec sa chevelure châtain éparse sur son oreiller, la jeune femme de 35 ans semblait poser pour un magazine de mode féminin.

    Les yeux marron de Christopher s’attardèrent sur son visage et ses épaules dénudées légèrement hâlés. Il soupira tout bas ; cet entraînement mixte avec les forces spéciales américaines avait été trop long à son goût. Et ce début de matinée n’était pas du tout comme il l’avait espéré.

    « Comme elle est belle ! » pensa-t-il.

    Toutefois, derrière la fascinante beauté d’Alexandra Richard se cachait une femme de tête au caractère affirmé. Elle était une entrepreneure redoutable et, peu importe la situation à laquelle elle devait faire face, elle ne s’en laissait pas imposer. Elle ne craignait pas de poursuivre des objectifs ambitieux. Elle était intelligente et elle avait la capacité d’atteindre les buts qu’elle se fixait. Ce trait de sa personnalité plaisait particulièrement à Christopher.

    — Hé ? T’es déjà rentré ? constata Alex en ouvrant paresseusement un œil. Je ne m’en suis même pas rendu compte. Ça s’est bien passé ?

    Christopher était tenu au secret militaire. Alexandra comprenait et acceptait la nature confidentielle de son travail. Ce fut l’unique question qu’elle lui posa concernant son emploi du temps.

    — Oui, répondit-il doucement, d’une voix basse et chaude, en plongeant son regard au fond de ses yeux azur ensommeillés. J’ai décollé de la base de Trenton à minuit, en direction de la maison. Trente minutes plus tard, je survolais les Mille-Îles. Le clair de lune était magnifique, et je pensais à toi.

    — À minuit ? Heureusement que ton hélico ne s’est pas transformé en citrouille ! le taquina-t-elle en s’assoyant sur le bord du lit. Viens ici que je t’embrasse, ma jolie tête brûlée !

    Ils étaient follement amoureux l’un de l’autre. En 1985, leur rencontre avait, au sens propre, fait des étincelles ! Depuis ce jour, ils avaient chacun de leur côté accompli de brillantes carrières. Ils avaient aussi souhaité fonder une famille. À regret, la nature en avait décidé autrement. Cette période avait été difficile, mais leur couple étant soudé par l’amour, ils avaient pris la nouvelle avec philosophie. Ils étaient parfaitement conscients que la vie leur était généreuse et qu’ils avaient beaucoup de chance d’être ensemble. Ils abordaient très peu le sujet, aujourd’hui. Christopher était pourtant convaincu que l’instinct de la maternité sommeillait dans le cœur d’Alexandra. Il aurait vraiment aimé pouvoir lui faire un enfant.

    Ils habitaient un immense domaine de 200 hectares, en Montérégie, précisément à Cowansville, localité du Québec située à 20 kilomètres au nord de la frontière américaine. La propriété, héritage du père d’Alexandra, était constituée d’une ferme bovine florissante à laquelle il avait greffé un superbe vignoble.

    Compte tenu du climat canadien, la culture viticole s’avérait difficile et extrêmement délicate. Heureusement, la région montérégienne offrait un microclimat favorable à la croissance de la grappe. Les arômes capiteux et complexes avaient graduellement remplacé la vinasse bouchonnée des premières récoltes. Près de 100 000 plants hybrides et résistants au froid avaient été plantés au fil du temps. De cette quantité, 20 000 vignes de Vidal blanc, nées du croisement des provins de Trebbiano et de Rayon d’or, assuraient aujourd’hui la production du vin de glace. Ce cépage, qui possédait un taux élevé de sucre, concentrait un maximum de glucides et d’acidité à l’intérieur du raisin protégé par une pellicule de givre. Les vendanges se déroulaient toujours à des températures inférieures à -8 °C, quelquefois, pendant la nuit.

    Alexandra avait conclu une association stratégique auprès d’un agronome expérimenté et d’un Français vigneron. Cela lui avait permis d’élaborer des vins outrepassant les frontières canadiennes. Elle était terriblement fière de son dernier cru, l’Étoile Polaire.

    — C’est super que tu sois là, déclara-t-elle en étouffant un bâillement.

    — Moi aussi, je suis content d’être enfin de retour, admit Christopher.

    — Comme ça, tu pourras me transporter en hélico jusqu’à Portland, et je ne serai pas obligée de me taper la route en voiture ! s’exclama-t-elle aussitôt en riant.

    En plus de négocier finement en affaire, Alexandra maniait habilement l’humour à double sens !

    — Oui, m’dame ! Dès que j’aurai ramené Buck dans le droit chemin.

    Devant la maison, un taureau Fleckvieh allemand de 1200 kilogrammes broutait nonchalamment la pelouse. Le grognement sourd entendu par Chris à son réveil appartenait à Buck, le mâle du troupeau de bovins. Le taureau s’était faufilé par une brèche de l’enclos, située derrière les bâtiments agricoles. Il avait ensuite traversé 300 mètres en direction de la maison, pour prendre du bon temps au beau milieu de la pelouse.

    Christopher descendit au rez-de-chaussée. Spruce, son chien husky de deux ans, dormait au pied de l’escalier. Il souleva son museau, mais le reposa d’emblée, jugeant l’heure trop hâtive. Après être passé par le garage pour se procurer une corde, Chris aperçut Steven qui s’engageait sur le terrain du domaine au volant de sa flamboyante Jeep TJ. Ce dernier roulait capote baissée et portières enlevées, sans se soucier de la froideur de la matinée. Il ralentit près de Christopher pour lui dire bonjour.

    — Salut, Chris ! Buck s’offre une nouvelle escapade ?

    — Ça roule, Steven ? T’aimerais prendre part au rodéo ? lui demanda-t-il en affichant un large sourire.

    Le gaillard travaillait au domaine depuis un peu plus de cinq ans. Avec son tempérament vaillant et responsable, il avait acquis au fil des ans l’entière confiance d’Alexandra. Steven gara son véhicule à quatre roues motrices à l’entrée de l’aire de stationnement réservée au personnel, et revint en hâte. Puis, Christopher et lui se dirigèrent à pas de loup vers le taureau qui ne portait aucun intérêt à l’activité environnante et continuait paisiblement de brouter l’herbe.

    — Ne bouge plus, Steven. Je vais tenter de lui passer la corde autour de son cou. Espérons qu’il se montrera coopératif.

    — Comme toi, le jour où Alex t’a mis la corde au cou, Chris ?

    Un rictus narquois illuminait le visage espiègle du jeune homme.

    — Vraiment comique, aujourd’hui, Steven !

    Christopher exécuta une boucle de lasso qu’il enfila autour de l’encolure robuste de Buck. Dès qu’il appliqua une légère pression sur le câble, le taureau asséna un coup de tête et se cabra, l’obligeant à lâcher prise. Buck se démena un moment comme un diable plongé dans l’eau bénite. Puis, il s’enfuit au galop vers la route.

    Chris se précipita à la poursuite du taureau en criant :

    — Ramène-toi avec la Ranger, Steven !

    — Je préfère utiliser ma TJ, s’enorgueillit le jeune homme qui déguerpit en un clin d’œil.

    Christopher courait en rase campagne sur les traces de Buck lorsque Steven se présenta à sa hauteur en plaisantant.

    — Attention à ton cœur, Chris ! Vous savez, monsieur, à votre âge…

    Il décéléra à peine. Christopher sauta du côté passager et lui commanda :

    — Chauffeur, à fond la caisse ! Nous allons essayer ta jeep en dehors des sentiers battus !

    — Ha ! Ce que t’es marrant ! Mais ne t’inquiète pas, j’ai déjà fait du hors route, riposta Steven d’une voix irritée.

    — Je blaguais, voyons ! Ne te mets pas en rogne pour ça.

    Steven accéléra à pleine puissance en direction du taureau qui approchait de la chaussée. Christopher se tenait debout, un pied sur le plancher de la TJ, tandis que l’autre reposait sur le marchepied. Sa main gauche était solidement agrippée à l’arceau de sécurité de la jeep pour le stabiliser.

    — Accélère encore ! Une fois à la hauteur de Buck, j’essaierai de bondir et d’attraper le câble autour de son cou…

    « Il est complètement cinglé ! » pensa Steven, incrédule.

    — … Après mon saut, reste tout près pour que je puisse attacher le bout de la corde au pare-chocs de ta jeep. Pigé ?

    — Oui, chef !

    Le jeune homme effectua le signe distinctif du salut militaire, puis hurla :

    — Je comprends par-dessus tout que tu vas te casser la gueule !

    — Dernier point : je demanderai à Alex de prélever un montant sur ta prochaine paye… pour couvrir les coûts de mon spectacle ! ricana Chris.

    Lorsqu’il fut arrivé à proximité de Buck, Steven espaça sa TJ à deux mètres du taureau.

    — Parfait ! Garde cette distance !

    Christopher emplit ses poumons d’air frais, puis s’élança au-dessus de Buck. Il atterrit sur le cou du taureau, puis se cramponna à ses cornes, pour éviter de vaciller sous ses pattes. Le champ de vision du bovin en fut obstrué. Il plia la nuque et bifurqua brusquement vers la forêt où ils firent une embardée au creux d’une rigole artificielle. Ils accomplirent ensemble une rotation complète. Au mépris de l’imminence du péril, Chris demeura rivé au collet de Buck durant toute la révolution. Ils évitèrent de peu les aiguillons à longues tiges très dures d’un arbrisseau de ronce, et leur cavalcade effrénée connut son dénouement au centre d’un bosquet de jeunes érables argentés.

    Des bruits de craquements d’os et d’exhalation s’extirpant de leurs poitrines se firent entendre. Le sol qui était ramolli au lendemain de plusieurs jours d’averse leur épargna de sérieux traumatismes. Christopher se retrouva couché par terre, le souffle coupé net, mais le câble encore fermement retenu entre les mains. L’instant suivant, un mince filet d’oxygène parvint à s’infiltrer dans ses poumons, et il se remit debout.

    Steven avait immobilisé sa jeep en bordure de l’étendue boisée. Les yeux écarquillés d’appréhension, il observait anxieusement la scène.

    « De la pure folie ! » pensa-t-il.

    À travers les branchages, il n’arrivait pas à distinguer qui faisait quoi. Le buisson remua, et Buck beugla sourdement. Christopher, dont les cheveux bruns étaient enchevêtrés par la culbute, sortit enfin des arbustes. Il parlait calmement au taureau, qui se rebiffait dans son sillage en balançant sa tête cornue. Les deux étaient couverts de feuilles mortes et de boue.

    — Ouf ! Quel spectacle ! s’exclama Steven admiratif. Rien de cassé ?

    — Non, juste une petite blessure à la main.

    Une branche au bout acéré avait causé une vilaine coupure de trois centimètres sur le tranchant de sa paume gauche, et du sang coulait de la plaie. Steven lui passa un torchon qu’il comprima contre l’entaille. Quant à Buck, maintenant docile et soumis, il fut attelé au pare-chocs de la TJ.

    — Seras-tu capable de piloter ton hélicoptère, Chris ?

    — J’en suis convaincu !

    — Cool… Mais ne t’imagine surtout pas que tu grimperas dans ma jeep sale comme tu es ! le prévint Steven en riant.

    Chapitre 3

    Christopher Ross était animé d’une ténacité, d’un courage et d’une volonté hors du commun. Il adorait piloter, c’était toute sa vie. Il prenait un malin plaisir à citer cette phrase célèbre d’Igor Ivanovitch Sikorsky, l’inventeur de l’hélicoptère moderne :

    « Si vous êtes en détresse quelque part dans le monde, un avion passera au-dessus de vous et vous lancera des fleurs ! Un hélicoptère s’arrêtera, et vous portera secours. »

    En 1985, Christopher était âgé de 24 ans. Il était pilote d’hélicoptère pour le compte d’une petite compagnie d’exploitation forestière dans le Nord du Québec. Cet été-là, un incendie de forêt d’une rare envergure réduisait en cendre des milliers d’hectares d’étendue boisée. Le sinistre se rapprochait impitoyablement de la ville de Chibougamau, qui avait été évacuée par mesure préventive depuis plus d’une journée. Les autorités dépêchées sur les lieux tentaient par tous les moyens de sauver la ville et les environs.

    Les hydravions CL-215 de Canadair déversaient plus de 5000 litres d’eau à chaque survol du brasier. Autour du théâtre des opérations, des hélicoptères munis d’élingue les secondaient en bourdonnant au milieu du ciel enfumé. Enfin, sur la terre ferme, des combattants du feu s’acharnaient à circonscrire le désastre qui, malgré tous les efforts déployés, continuait d’avancer vers Chibougamau en ravageant tout sur son passage. À un certain moment, la situation avait semblé à tel point désespérée que les autorités avaient commandé le retrait des troupes terrestres.

    Par ailleurs, les conditions météorologiques s’étaient dégradées à cause de la venue d’une basse pression. Les multiples courants d’air chauds ainsi que la convection des masses atmosphériques instables avaient donné naissance à un orage monstrueux. Sous l’effet de ce phénomène complexe et soudain, un groupe de 22 pompiers de la sopfeu¹ avait été encerclé par les flammes. Aucun espoir de sauvetage n’était possible, et ils avaient été abandonnés à leur triste sort. En face de l’inévitable, les autorités avaient ordonné de clouer tous les aéronefs au sol.

    1. Sopfeu : Société de protection des forêts contre le feu.

    Pourtant, un jeune pilote intrépide aux commandes d’un hélicoptère Bell 212 avait choisi de désobéir aux consignes. Christopher Ross n’était pas de ceux qui renonçaient devant les obstacles. Il était plutôt du genre à foncer bille en tête en mettant sa peur de côté. C’était sa façon de garder son esprit lucide et astucieux. Chris l’ignorait, mais chaque fois que les choses se compliquaient, il réussissait à aplanir les difficultés en mêlant humour incisif et détermination. Ce trait de caractère lui était instinctif.

    Après avoir défié les autorités, Christopher avait fermé son récepteur-radio ; la voix de son patron résonnait trop fort dans les haut-parleurs de son casque. Préférant se concentrer sur sa tâche, il s’était propulsé vers le cœur de l’embrasement, afin de secourir les pompiers condamnés au supplice du bûcher. Il avait puisé le maximum de puissance des deux turbines de son hélicoptère en volant à 120 nœuds, soit 223 kilomètres à l’heure, à 2 mètres du sol. Alors que le terrain défilait à vive allure sous la carlingue, à lui en couper le souffle, Christopher avait murmuré le dicton des pilotes de chasse de l’armée de l’air américaine :

    Speed is life² !

    2. La vitesse, c’est la vie !

    Le mur de flamme de 40 mètres de hauteur lui avait lancé tout un défi. Évitant l’affrontement direct, Christopher avait coupé les gaz et tiré sur le pas cyclique du Bell 212, ce qui avait eu pour effet de ne pas suralimenter le brasier en oxygène et de transférer l’énergie cinétique en altitude. L’hélicoptère avait franchi les flammes comme s’il avait joué à saute-mouton. Christopher était finalement descendu en autorotation au milieu du seul endroit encore épargné par le brasier. Il avait effectué l’arrondi et s’était doucement posé au sol.

    Avant la venue inespérée de leur sauveteur, les pompiers étaient tous accroupis, s’attendant au pire. Alors que la fumée voilait complètement l’atmosphère, une toute petite brèche s’était produite à travers les ténèbres. Le ciel s’était ouvert, et l’hélicoptère de Christopher dont les pales avaient semblé battre au ralenti était apparu au-dessus d’eux, étrangement silencieux, comparé au rugissement furieux des flammes. Les cris de joie avaient remplacé les pleurs et la résignation fataliste. Les sapeurs-pompiers avaient, sans plus d’invitation, sauté à bord, en se compressant comme des sardines, puisque le nombre de passagers dépassait largement la capacité de la cabine du Bell 212.

    Parmi les sinistrés, il n’y avait qu’une femme : Alexandra Richard. Christopher l’avait aperçue avant le début de l’opération. Alexandra participait à l’intervention des troupes de la sopfeu, à titre de stagiaire. Même si elle était vêtue de l’uniforme blousant des pompiers, Chris l’avait immédiatement trouvée séduisante. Par un heureux hasard, Alexandra avait hérité du siège de copilote. Christopher lui avait tendu son bras pour l’aider à grimper dans le cockpit. Puis, incapable de s’en abstenir et au mépris du péril, il lui avait déclaré sa tournure romanesque des propos d’Igor Ivanovitch Sikorsky :

    — Je n’avais pas de fleurs à vous lancer du haut des airs, alors je vous offre ma main !

    Nul doute qu’Alexandra avait été touchée. De grosses larmes de reconnaissance avaient ruisselé sur les barbouillages de suie de ses joues surchauffés. Sans perdre un instant, Christopher avait poussé les turbines à fond pour redécoller de manière verticale. Naturellement, la déflexion de l’air avait nourri le feu, mais contre toute attente, le Bell 212 avait réussi à s’élever et retraverser l’embrasement sous les regards médusés des spectateurs qui étaient franchement épatés de l’exploit. Cette surpuissance fournie aux groupes moteurs et à la transmission de l’hélicoptère avait causé des dommages irréparables à l’appareil. Christopher était tout de même parvenu à ramener les pompiers sains et saufs, à l’intérieur de l’épave volante.

    Cette histoire avait rapidement fait le tour du monde. Quelques semaines plus tard, Christopher avait reçu la Croix de la Vaillance des mains de la Gouverneure générale du Canada. Cette décoration était la plus importante distinction honorifique canadienne. Elle était exclusivement remise à un citoyen en reconnaissance à un acte de courage remarquable dans une situation extrêmement périlleuse ; venaient respectivement au deuxième et troisième rang, l’Étoile du courage et la Médaille de la bravoure.

    Le présentateur avait souligné que la première Croix de la Vaillance avait été décernée en 1972 et que trop souvent, on attribuait cette distinction aux gens à titre posthume.

    — Mais pas aujourd’hui. Réjouissons-nous, car notre récipiendaire est bien en vie ! avait dit l’animateur qui avait fait rire le public en tapotant amicalement les larges épaules de Chris.

    Toute cette attention subite avait légèrement indisposé Christopher qui s’était tenu sur la tribune le corps droit comme un parapluie. De temps à autre, il avait échangé une œillade complice avec Alexandra. À l’évidence, au-delà de l’acte héroïque et du tapage médiatique, un amour indéfectible les avait unis à jamais.

    Un homme en retrait avait suivi la cérémonie qui s’était déroulée sur les pelouses de la colline parlementaire, à Ottawa, d’un regard quelque peu indifférent. Ce dignitaire n’était pas blasé, c’était plutôt le poids de ses responsabilités qui avait plombé l’euphorie du moment. Ce personnage mystérieux était l’éminence grise du gouvernement canadien. Ancien commandant des forces spéciales, il était depuis 30 ans la personne vers laquelle les premiers ministres se tournaient, lorsqu’une situation critique se présentait et mettait en danger la sécurité nationale. Cet homme, à la soixantaine bien tassée, assurait la liaison entre le premier ministre, les Forces armées canadiennes et la grc³. Une des nombreuses facettes de son travail était de recruter, toutes sphères d’activité confondues, des gens aux talents exceptionnels.

    3. Gendarmerie royale du Canada.

    Une fois que la décoration avait été apposée sur le costume trois-pièces de Christopher et que le crépitement des flashs s’était tu, l’homme était allé à sa rencontre. Il avait entraîné Alex et Chris dans un salon privé du Parlement. Le contexte leur avait semblé presque irréel. Le premier ministre du Canada avait proposé à Christopher d’aider son pays. Il lui avait expliqué que, malgré l’apparente infinité des moyens de la nation, il venait un temps où les ressources humaines faisaient la différence entre le succès ou l’échec d’une mission, et, ultimement, la vie ou la mort. Spontanément enclin à s’engager, Christopher avait accepté sans hésiter.

    Il avait immédiatement été affecté au 438e Escadron tactique d’hélicoptères basé à Saint-Hubert, sur la Rive-Sud de Montréal. Chris s’était exercé aux commandes des hélicoptères CH-146 Griffon et du CH-136 Kiowa. Les années s’étaient écoulées, et son talent s’était confirmé. Fort de son expérience, il avait joint la jtf 2, Joint Task Force Two, dès sa création, en 1993. Cette unité d’opérations spéciales des Forces canadiennes était chargée de toute une gamme de missions, y compris des opérations antiterroristes et de l’assistance armée à d’autres ministères.

    On lui avait même offert son propre hélicoptère, un modèle deux places, pratique, le Robinson R22. De cette façon, Christopher pouvait rapidement faire la navette entre le centre d’entraînement de Dwyer Hill, au sud d’Ottawa, et le domaine agricole d’Alexandra, qui avait pris la relève de son père. Le 424e Escadron de transport et de sauvetage basé à Trenton faisait aussi appel à lui pour certaines opérations délicates. Depuis, les missions auxquelles il avait participé avaient été variées, et certaines avaient revêtu un caractère hautement confidentiel. Cela était somme toute normal puisque le surnom de la jtf 2 était « The Quiet Professionals⁴ ».

    4. Les professionnels silencieux.

    Chapitre 4

    10 septembre 2001, 7 h Manhattan, États-Unis

    Wolfgang Haußmann était depuis de longues minutes enfermé seul dans son vaste bureau, au sommet de l’édifice numéro 7 du World Trade Center. Il était assis, le dos voûté, et fixait machinalement sa fenêtre qui lui offrait une vue imprenable sur le quartier des affaires de Lower Manhattan. Ce responsable de la division américaine de Sentinum était anxieux. Il transpirait à grosses gouttes. Il se décida enfin à pianoter sur le clavier de son téléphone Motorola STU-III, de façon à établir une conversation sécurisée avec Genève. Il s’aperçut que ses doigts tremblaient, se trompa de touche, et dut tout recommencer.

    Il était contraint d’informer le grand patron de Sentinum d’une situation particulièrement délicate. Wolfgang Haußmann était à l’aube de la soixantaine. Cela faisait 35 ans qu’il s’investissait corps et âme pour l’organisation. Son intelligence et sa compétence lui avaient d’ailleurs valu son poste de responsable au q.g. de Manhattan. Ce matin, pourtant, son obligation d’annoncer une si mauvaise nouvelle à son supérieur lui enlevait tous ses moyens. Le fait que son prédécesseur eût mystérieusement disparu, à la suite d’une toute petite bévue, y était peut-être pour quelque chose…

    Le grand patron de Sentinum, Karl Haustein, était un vieillard intransigeant. Il martelait sans cesse à ses subalternes que les erreurs n’avaient pas leur place au sein de son organisation ! Wolfgang Haußmann ne l’avait rencontré qu’à quelques reprises, mais cela avait été suffisant pour l’inciter à ne jamais décevoir cet homme. Quand la conversation téléphonique sécurisée fut établie avec Genève, Wolfgang informa Vilma Mahler, la secrétaire personnelle de Karl Haustein, des derniers développements survenus aux États-Unis. Il espérait qu’elle transmit son message sans qu’il eût à s’entretenir avec le principal intéressé.

    Malheureusement, son pire cauchemar se confirma. La secrétaire dévouée transféra l’appel à son patron. La voix grave et tonnante du vieillard s’éleva dans le combiné :

    — Wolfgang ! Vous avez perdu le signal d’écoute électronique de la nsa ! S’agit-il d’une coïncidence ? s’exclama Karl Haustein d’un ton sec comme son mobilier en acajou.

    Plus de 6200 kilomètres séparaient Wolfgang Haußmann de Genève. Il voyait, néanmoins dans son esprit, la tête de son patron, si clairement, qu’il pouvait presque le sentir postillonner sur sa figure. C’était impossible, mais durant un court instant, il avait même juré que le visage osseux de Karl Haustein dominé par ses yeux froids d’une teinte cobalt très pâle l’observait par le minuscule écran numérique de son téléphone Motorola.

    Il choisit ses mots avec soin, avant de répondre de manière affable, tout en desserrant son nœud de cravate.

    — Oui, monsieur Haustein. Je suis certain que ce cas est isolé, puisque nos modules-espions implantés dans les autres organismes américains sont toujours opérationnels. Nous surveillons leur état sans relâche, monsieur. J’ai cru bon de vous en tenir informé.

    — Excellente initiative, Wolfgang ! Seulement, n’allez pas trop vite quant à vos soi-disant certitudes, le gronda Karl.

    Bien que la fuite du temps eût amaigri sa silhouette, le vieillard ne cédait rien de sa combativité légendaire. Il fit glisser ses doigts sur sa fine chevelure d’une canitie translucide et poursuivit.

    — Nous observons le bœuf par-devant et l’âne par-derrière. En revanche, le blödmann, l’idiot, doit être surveillé de tous les côtés ! Dois-je vous rappeler que votre travail consiste à empêcher les autorités américaines de nous détecter ? Quant à moi, je m’occuperai de bannir les incompétents de notre organisation. Me suis-je bien fait comprendre ?

    — Oui, monsieur…

    Wolfgang Haußmann essuya son front emperlé de sueur. Il était terrorisé. Son patron avait conclu la conversation en lui raccrochant au nez, c’était mauvais signe.

    Chapitre 5

    10 septembre 2001, 14 h Genève, Suisse

    Le regard perçant de Karl Haustein lançait des éclairs derrière ses grandes lunettes rondes et épaisses montées sur un cadre en acier. Ce coup de fil inattendu avait brisé son élan créatif d’écriture, et cela lui gâchait sa journée. Il soupira bruyamment. Un silence sépulcral envahit de nouveau son bureau, et le calme revint. Il retrouva son inspiration et recommença à rédiger son communiqué destiné aux divisions financières de Sentinum. Seul le frottement de sa plume sur le papier lacérait la quiétude des lieux.

    Même un œil non averti aurait constaté que la somptuosité du décor qui enveloppait Karl évoquait plus un musée éclectique habité de merveilles inusitées qu’un cabinet de travail. Les 2000 ans d’existence de Sentinum avaient permis d’amasser de remarquables reliques du passé. Les murs aux boiseries délicatement sculptées s’effaçaient devant les étagères de livres rares et les tableaux d’exception. Néanmoins, l’opulence omniprésente de la pièce n’amenuisait en rien le désagrément ressenti par son occupant. Le passage des années avait flétri son corps, mais son esprit d’analyse demeurait plus vif que jamais, et Karl Haustein éprouvait le sentiment de siéger à son splendide bureau de ministre depuis une éternité.

    Le vieillard de 81 ans se leva. Interminablement long et fluet, il était à un doigt de mesurer deux mètres. Il se versa un lait d’amandes, puis il saupoudra une salade verte de quelques flocons émiettés à la main de sel de Maldon, d’une blancheur immaculée.

    Son parcours professionnel public avait débuté à la mi-­quarantaine. Karl Haustein œuvrait alors à titre de conseiller spécial aux investissements pour la firme rsm Securities. Il accéda ensuite à la vice-présidence de cet immense conglomérat, dont les activités jouaient un rôle international, et il conquit finalement le poste de président en 1969.

    Un mythe subsistait concernant la période précédant l’entrée de Karl au sein de la firme rsm Securities. Le mystère entourant ses antécédents secrets avait été nourri et intensifié par sa gestion recluse, mais diaboliquement efficace. Le personnage réservé et énigmatique bénéficiait d’une influence considérable. Comme il était très peu présent sur la scène publique, on lui avait attribué, à mots couverts,

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