À propos de ce livre électronique
Ils disent que la peur a des visages. Elle n'en a pas un seul. Elle change de peau selon l'heure, le lieu, la mémoire qui l'appelle. Parfois elle est un souffle, parfois une pièce vide, parfois un prénom que l'on croit reconnaître et qui glisse entre les doigts. Ce livre rassemble dix fractures — dix instants où l'ordinaire se fissure et laisse passer quelque chose qui ne devrait pas être là.
Chaque histoire est une porte entrouverte sur un univers différent. Certaines se referment brusquement, d'autres laissent une lumière qui vacille encore longtemps après la lecture. Je n'ai pas cherché à nommer toutes les peurs du monde ; je les ai plutôt convoquées, une à une, pour voir ce qu'elles feraient de personnages ordinaires, de relations fragiles, de petits gestes quotidiens. Leurs réactions révèlent ce que nous sommes quand le réel perd son assurance : des êtres qui s'accrochent aux mots, aux visages, aux objets qui font tenir notre histoire.
Tu trouverez ici des récits courts, parfois tendres, souvent cruels, qui se déplacent entre frissons et mélancolie. Ils empruntent au fantastique, au psychologique, au conte moderne, mais toujours au service d'une émotion simple et rugueuse : la peur qui ronge, la peur qui enseigne, la peur qui laisse une marque. Ne cherche pas à tout comprendre. Certaines réponses sont des leurres, et quelques mystères restent mieux quand ils persistent.
Lis ces pages comme on pousse une porte qu'on sait douteuse. Laisse-toi surprendre, laisse-toi déranger. Et si, au réveil, un nom te paraît un peu flou ou une photo un peu moins nette, souviens-toi que la peur, bien que changeante, a besoin de témoins. Sois-en un.
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Aperçu du livre
L'échos des ombres - romain curto
La Chambre des Souvenirs Ou-bliés
Malo venait de terminer sa troisième année de lettres; il connaissait la ville par ses raccourcis et ses cafés, et savait exactement où acheter le meilleur crois-sant de la ville. Il vivait seul pour la première fois, dans une chambre qui tenait plus de la boîte confor-table que de l’appartement : un lit étroit, une biblio-thèque bancale pleine d’ouvrages épars, un bureau qui reçevait la lumière rasante du matin. Ses journées avaient un rythme simple , cours le matin, bibliogra-phie l’après-midi, révisions le soir et ce rythme l’apaisait. Il avait besoin de ces gestes répétés pour ne pas se perdre dans l’immensité tranquille des semaines universitaires.
La résidence Sainte-Marie n’était pas neuve. Cons-truite à l’époque où l’on attachait encore des noms aux façades, elle avait des escaliers qui gardaient la mé-moire des semelles et un jardin intérieur où les pigeons s’entêtaient à dormir sur la même branche. Les loca-taires se connaissaient depuis des années; la gardienne, Madame Dumas, aimait distribuer des conseils comme on laisse des miettes sur une table : sans attendre de remerciements. Les voisins, pour la plupart, étaient des étudiants comme lui , des visages qui revenaient et re-partaient selon les semestres, des habitudes partagées 12 autour d’un robinet qui bouillonnait et d’un radiateur qui claquait.
Malo aimait cet ordinaire qui lui donnait des points d’appui. Il aimait retrouver Hugo, du dessous, au pe-tit-déjeuner quand ils évoquaient des séries ou des profs. Il aimait la façon dont Lila, en face, ramenait toujours des gâteaux faits maison le dimanche, et comment la gardienne notait par habitude les colis sur un carnet dont la couverture était plus rapiécée que les contenants. Ces petites constances faisaient partie de la carte de sa vie; il les utilisait comme on utilise une lampe la nuit pour ne pas trébucher.
Le jour de son emménagement, Madame Dumas lui avait remis, derrière le comptoir patiné, une petite enveloppe pas plus grande qu’une carte postale. « L’ancien locataire », avait-elle murmuré, comme si l’expression avait le goût d’un secret trop vieux pour se dire haut. Elle posa sur le comptoir une clé fine, dont la tête portait deux lettres gravées : A.R. Rien d’autre que la gravure et un croquis noirci à la hâte, où quelqu’un, d’une main peu sûre, avait ajouté entre 203 et 205 une minuscule porte notée 204, accompagnée d’un conseil au crayon : Ne pas ouvrir.
Malo eut ce geste qu’on a tous devant une anec-dote : il sourit, rangea l’enveloppe dans son sac et promit de l’oublier. Les premiers jours se passèrent ainsi : installation, classes, découverte de la biblio-
13 thèque de la fac où l’on pouvait s’asseoir sur des fau-teuils qui avaient connu des générations d’étudiants somnolents. Les soirées restaient occupées par des ré-visions et des pauses pour discuter des examens à ve-nir. La clé A.R. resta au fond d’un tiroir, un objet dis-cret parmi ses tickets de caisse et ses vieilles cartes de métro.
Peu à peu, sans coup d’éclat, des indices minus-cules commencèrent à grincer dans le quotidien. Lila, qui d’habitude se souvenait de chaque anecdote avec une précision amusante, sembla avoir un manque de détails lorsqu’ils évoquèrent un voyage entre amis. « Il y avait… un dimanche ? » dit-elle en fronçant le nez, remplaçant des images nettes par des approximations. Un matin, la gardienne laissa tomber sur le comptoir une carte postale trouvée dans la salle commune; l’adresse avait été barrée et, à côté, en lettres serrées : 204. Madame Dumas haussa les épaules. « Les étu-diants aiment les histoires », dit-elle. « Ils les inventent pour se donner de l’ardeur. »
Malo ne croyait pas aux légendes urbaines. Pour-tant il aimait tirer un fil quand quelque chose paraissait désaccordé. Il commença donc par de petites vérifica-tions : demander aux anciens locataires, fouiller les registres d’arrivée, consulter des forums où des pré-noms se répétaient comme des refrains. C’est là, dans une page fanée par le temps, qu’il trouva une photo
14 noir et blanc d’un garçon qu’on présentait comme « Arthur Renard ,disparu en 1999 . dernière adresse : ré-sidence Sainte-Marie, chambre 204 ». Les lettres A.R. sur la clé prirent du sens d’un coup, comme si un simple double initiale venait de tirer la toile d’araignée d’une histoire jusque-là ignorée.
La vie continua, ou du moins c’est ce que Malo fit : il multiplia les allées et venues, passa ses examens, continua d’aider Hugo à porter les cartons lourds. Mais la sensation d’un fil tiré persistent s’insinua; les rêves commencèrent, d’abord ténus, puis plus nets. La pre-mière nuit où il vit le couloir, c’était encore lointain, presque académique : papier peint vert d’eau, une porte sans numéro qui grinçait, une voix qui prononçait son prénom sans s’y tromper. Il se réveilla en se disant que l’on rêve parfois des lieux que l’on fréquente, qu’on transforme en romans intérieurs ce qui, la journée, est banal.
Après quelques nuits, le rêve devint répétition : le couloir revenait, s’allongeait, et la porte tracée sur le croquis se présentait comme un obstacle intime, fami-lier et menaçant. À l’intérieur du rêve, le plancher avait un mot tracé à la craie , ANCRE et une mélodie qui n’appartenait pas à sa mémoire lui était soufflée. À chaque réveil, il sentait les contours d’un souvenir qui n’était pas tout à fait le sien. Ce que l’on appelle l’étrangeté ne fit pas irruption comme un orage. Elle
15 s’installa comme un courant d’air sous une porte, léger d’abord, puis assez présent pour que l’on en prenne note.
C’est ainsi que, lentement, la résidence Sainte-Marie lui offrit ce paradoxe : elle était un lieu de confort et, en même temps, la coque d’une histoire ancienne qui n’avait pas achevé de se raconter. Malo comprit qu’il avait deux choix : ignorer la clé et la pho-to, et poursuivre sa vie sans se mêler à l’ombre qui semblait l’effleurer, ou suivre le fil, chercher des té-moins, et peut-être réveiller davantage que la curiosité. Il choisit , sans grand acte héroïque ,de regarder. Par petites étapes, sans précipitation, il alla voir ce que la mémoire collective acceptait de lui dire.
Le commencement réel de l’histoire, pensa-t-il, ne tenait pas à la clé posée sur sa table de chevet, mais plutôt aux visages qui, autour de lui, se mettraient à hésiter. Et c’est dans ces hésitations, dans ces blancs, que le mystère prend forme.
Il accepta la lenteur comme une méthode. Plutôt que de forcer des portes, il posa des questions en demi-teintes, la manière dont on entrouvre une armoire pour vérifier s’il reste des chaussettes. Il commença par des gestes modestes : demander à la gardienne si elle se souvenait d’un Arthur, fouiller la petite salle des ar-chives de la résidence où l’on consignait les entrées et sorties, envoyer des messages à d’anciens locataires
16 via le forum où il avait trouvé la photo. À chaque fois, il notait les réponses dans un carnet, non pour peser une vérité objective, mais pour mesurer la façon dont la mémoire d’un lieu se tissait entre oublis et réminis-cences.
Madame Dumas fut d’abord évasive. Elle leva les mains, comme pour balayer un moustique. « Arthur… oui. C’était il y a longtemps. Il était discret. Il partait souvent tôt le matin, comme s’il cherchait quelque chose. » Elle pinça les lèvres. « On a tous ces jeunes qui passent. On les oublie. » Son regard, pourtant, res-tait fixé sur la table, là où la carte postale barrée avait été déposée la semaine précédente. « Mais s’il y a des histoires, vous savez comment vont les histoires ici : elles grossissent ou s’effondrent selon qui en parle. »
Un ancien locataire, contacté par message, répon-dit au bout de deux jours. Une phrase courte : « Arthur ? Oui. Il venait de province. Il n’est jamais revenu après les vacances d’automne. On a bu un dernier verre avant qu’il parte. » Il ajouta une photographie d’un groupe pris dans la cour, des têtes penchées sous le so-leil, et au centre un garçon aux traits presque enfantins. Sur la photo, quelqu’un avait griffonné au dos : À la mémoire d’Arthur si seulement nous savions. Le mes-sage laissait une trace plus humaine que la froide men-tion « disparu » sur le forum.
17
Malo conserva la photo dans sa poche comme on garde une étoile tombée d’un ciel qu’on voudrait inter-roger. Il parlait parfois d’Arthur à voix haute, dans des lieux anodins, pour sentir la façon dont son nom tom-bait et si quelqu’un le rattrapait. Parfois des réponses faibles revenaient : « Arthur ? Oui… il était là. » Par-fois rien. L’indifférence était elle aussi une réponse. Il apprit à lire la gamme complète : du souvenir précis à l’oubli neutre.
Les rêves se firent plus nombreux mais, curieuse-ment, moins bruyants. Ils s’étiraient comme des ru-bans, avec des coupures nettes où l’on sentait que quelque chose manquait. Une rue sans nom. Un repas interrompu. À la fin de chaque nuit, il éprouvait une lourdeur qui ressemblait moins à la peur qu’au regret d’une phrase inachevée. Peu à peu, l’étreinte du mys-tère occupait l’espace que son étude aurait dû laisser à la préparation des examens. Les livres furent relégués; la chambre se remplit de notes, d’objets—photocopies, feuilles reliées, un petit magnétophone qu’il avait trou-vé dans un vide-grenier pour trois euros.
Il utilisa l’appareil pour enregistrer des voix, pour créer des témoins sonores. Il demanda à Lila de lire des extraits d’une vieille lettre retrouvée, à Hugo d’énumérer des souvenirs d’enfance partagés dans la résidence. Ils rirent de cette superstition au début, comme on rit des exercices de théâtre auxquels on ne
18 croit pas vraiment, puis leur rire se mua en sérieux pa-tient. Parler devint un rituel. Ils répétèrent les prénoms, des dates, des détails insignifiants sur une soirée, jusqu’à ce que le geste de nommer soit presque méca-nique.
Cette mécanique marchait parfois. Un matin, de-vant un café, une vieille femme aux cheveux tirés en chignon s’arrêta et, en regardant la photo d’Arthur que Malo avait griffonnée sur une feuille, dit : « Je me souviens de ce garçon. Il venait souvent nourrir les pi-geons dans le jardin. Il chantait doucement quand il faisait ça. » Sa voix était douce, et le simple fait qu’elle mentionnât une habitude aussi banale produisit un sou-lagement presque physique. L’oubli recula, pour un instant, comme une marée qui se retire.
Mais la chambre avait une logique plus subtile que la simple disparition d’un nom. Les pertes n’étaient pas uniquement celles d’autrui ; elles s’attaquaient aux ac-cessoires de la mémoire collective. Un dimanche, lors d’un repas partagé dans la salle commune, Hugo se leva pour raconter une anecdote sur un professeur. À l’instant précis où il prononça le prénom, la radio dans un coin s’éteignit avec un petit claquement électrique et, quand la conversation reprit, la mention d’un cer-tain événement fondit comme neige au soleil. Les rires se figèrent en incompréhension. Les détails s’effilochèrent. Personne ne sut dire pourquoi ni quand
19 exactement cela avait basculé. Le phénomène ne cher-chait pas la destruction spectaculaire ; il préférait l’amputation lente, la disparition par effritement.
Malo sentit sa propre persistance s’émousser. Une fois, sa mère l’appela et commença la conversation par une banalité, puis hésita sur un nom qu’elle avait l’habitude de prononcer sans faute. Il composa instinc-tivement un numéro qu’il n’avait pas appelé depuis des années : un ami d’enfance en province. La voix à l’autre bout de la ligne aimable et étonnée confirma quelque souvenir, puis déclina en lacunes. « Tu te sou-viens de la cabane qu’on avait fabriquée ? » demanda Malo. Le silence qui suivit fut une plaie. « Non, pas vraiment... » répondit son ami après un battement. Il raccrocha en sentant une panique sourde s’enfoncer en lui.
Il se mit à écrire non seulement pour enregistrer, mais pour transmettre. Des lettres partielles, des cartes postales, des textes qu’il envoyait par courrier à des gens qu’il ne voyait pas souvent, en demandant, en post scriptum, une réponse qui répéterait son nom, sa présence, comme un chapelet. Il fit horodater des fi-chiers, grava des extraits sur des clés USB, envoya une vidéo à un cousin rappelant une anecdote d’enfance. Il réalisa que la multiplicité des supports ne garantissait rien contre l’effritement; mais dans l’obstination des
20 traces, il y avait une chance faible, et c’était une chance.
La résidence commença à changer de ton. Les nouveaux arrivants recevaient la même enveloppe qu’il avait eue, parfois, parfois non. La gardienne évitait le sujet dans ses conversations, comme on évite de parler d’un proche malade pour ne pas réveiller la douleur. Mais
