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L'intervention policière: Emploi de la force et enjeux actuels
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Livre électronique187 pages2 heures

L'intervention policière: Emploi de la force et enjeux actuels

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À propos de ce livre électronique

Dans les productions télévisuelles, les policières et policiers sautent, courent, hurlent, évitent explosions et collisions, sauvent la population ou la tyrannisent. Qui n’a jamais vu ces interventions musclées, basées sur le sensationnalisme et tournant parfois même au drame? Si on assiste depuis quelques années à une volonté de représenter le fait policier de façon plus réaliste, beaucoup ont encore une vision décalée de ce qu’il est réellement. N’avez-vous pas vous-même déjà applaudi ou critiqué, parfois de façon sévère, une action policière sans vraiment en comprendre les tenants et aboutissants?

Quels sont les enjeux et le travail complexe encadrant ces interventions? Au milieu des controverses et des prises de position, cet ouvrage vise à analyser de la manière la plus objective possible l’intervention policière, car, après tout, nous pouvons tous en devenir le sujet.

Rédigé dans un langage accessible, l’ouvrage aborde les origines de l’institution, le cadre d’analyse de l’emploi de la force, l’efficacité souhaitée de la police, l’abolitionnisme policier et les mécanismes de contrôle des inconduites.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université du Québec
Date de sortie19 févr. 2025
ISBN9782760561144
L'intervention policière: Emploi de la force et enjeux actuels
Auteur

Rémi Boivin

Rémi Boivin est professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Centre international de criminologie comparée. Ses travaux portent notamment sur l’impact de la police sur la criminalité et l’insécurité.

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    Aperçu du livre

    L'intervention policière - Rémi Boivin

    Introduction

    Alain Magloire est décédé lors d’une intervention policière le 3 février 2014, à Montréal¹. Plusieurs observateurs ont tenté de comprendre la tragédie, proposant des pistes d’explication nombreuses et souvent teintées d’une certaine idéologie. Certaines tendaient vers la bavure policière : les policiers² étaient nombreux (au moins six) et ont employé des moyens pour le moins inhabituels dans de telles circonstances (un des policiers a notamment utilisé son véhicule de patrouille pour renverser et déstabiliser M. Magloire). D’autres suggéraient que M. Magloire était en partie responsable de son malheur : il avait brisé une vitre et endommagé une porte d’intérieur avant d’apporter un marteau dans la rue. D’autres encore affirmaient que M. Magloire, qui était aux prises avec des problèmes de santé mentale, n’avait pas reçu les soins nécessaires avant le jour fatidique et accusaient donc le système de santé d’avoir failli à sa tâche. Enfin, j’ai moi-même utilisé le cas pour promouvoir l’importance de munir un plus grand nombre de policiers d’armes moins létales, comme l’arme à impulsions électriques (communément appelée le Taser) dans une tentative de prévenir la répétition de tels drames. Bref, les pistes d’explication étaient complémentaires et la compréhension de l’intervention, qui n’a duré que quelques minutes, s’est avérée très complexe, comme en fait foi le rapport de 70 pages du coroner Luc Malouin³, qui a enquêté sur la situation.

    Des cas comme celui de M. Magloire ont de toute évidence suscité chez moi un grand intérêt pour l’intervention policière. Comment se fait-il qu’au XXIe siècle des gens soient blessés ou meurent lors d’interactions avec la police ? Une recherche rapide m’a permis de découvrir que la criminologie analysait plusieurs réactions sociales, dont l’intervention policière, de façon distincte et nuancée. Pourtant, quand j’ai commencé mes études en criminologie, mon idée de la police venait essentiellement des nombreux films et séries télévisées que j’écoutais à l’époque. Ma première source de « connaissances » était l’image du policier incarné par Bruce Willis dans les films de la série Die hard : il sauvait des victimes sans défense seul contre une armée de soldats d’élite dans ce que j’imaginais être sa vie quotidienne. La deuxième était celle de Fortier, héroïne de la série québécoise du même nom, qui perçait à jour des criminels machiavéliques et manipulateurs grâce à sa logique implacable et à de grands talents de psychologue. La troisième était celle des experts de la série américaine CSI (Crime Scene Investigation ; Les experts en français), qui résolvaient dans chaque épisode de moins d’une heure des meurtres sordides et sophistiqués à l’aide de moyens scientifiques avancés.

    J’avais tout faux. Le quotidien des policiers comporte beaucoup plus de moments de moindre intensité que ne le laissent imaginer nos divertissements préférés. Dans la réalité, la majorité des crimes sont peu sophistiqués et impliquent plus de détresse humaine que ce qu’on voudrait croire. De plus, la contribution de la science judiciaire à l’élucidation des crimes est beaucoup plus limitée, et le laboratoire scientifique, bien que crucial dans certains dossiers, ne représente qu’une facette assez marginale de la police. L’écart entre ce que le citoyen « ordinaire » est porté à croire et la réalité en matière de police est donc important. Pourtant, le travail policier occupe une bonne partie de l’actualité et de nos discussions. La police a aussi une influence considérable sur nos vies. Elle encadre nos comportements, par exemple en donnant des constats d’infraction ou en procédant à des milliers d’arrestations chaque année. Elle représente une grande part des dépenses publiques – dépenses payées grâce à la mise en commun d’une partie de notre argent, « nos taxes ».

    Surtout, la police détient le pouvoir incomparable d’utiliser légalement la force physique lorsqu’elle juge elle-même que c’est nécessaire. Aucun autre corps de métier ne le possède, même si la force physique est parfois utilisée dans d’autres contextes : hôpitaux, prisons, établissements servant de l’alcool, et j’en passe. Mais qu’est-ce que la police ? Est-elle efficace ? Comment devient-on policier ? Peut-on comprendre l’intervention policière ? La police est-elle incontrôlable ? Ces questions sont primordiales pour quiconque veut comprendre la police. Y répondre aidera à mieux comprendre l’action policière, qui peut s’expliquer par quatre grands types de facteurs, résumés par la figure suivante.

    Types de facteurs explicatifs de l’activité policière

    La figure intitulée Types de facteurs explicatifs de l’activité policière prend la forme d’un point central entouré de flèches menant à quatre autres ronds. Le point central porte l’étiquette Activité policière, tandis que les quatre explications qui l’entourent sont Individus (policiers), Individus (sujets), Organisation et Situation.

    La première explication qui vient à l’esprit est souvent de nature individuelle. Puisque l’intervention policière constitue une interaction directe entre un ou plusieurs policiers et un ou plusieurs sujets, on tend à croire que le comportement de ces acteurs s’explique principalement par leurs personnalités. Cependant, cela reviendrait à négliger ce qui se passe immédiatement avant ou pendant l’intervention et le contexte dans lequel se déroule celle-ci. Sans tomber dans les croyances mystiques, il faut reconnaître que l’intervention policière concerne plus que la situation immédiate.

    Le présent ouvrage vise à analyser l’intervention qui implique l’utilisation d’un certain degré de force par la police. Le chemin pour arriver à la comprendre est très sinueux.

    Le chapitre 1 veut d’abord définir ce qu’on entend par « police », au Québec et à travers le monde. Je tenterai de mettre en lumière les raisons pour lesquelles on devient policier au Québec en me basant sur une étude d’envergure (l’Étude de suivi sur les trajectoires académiques et professionnelles des candidats à la profession policière) qui suit le cheminement scolaire et professionnel d’une cohorte de 750 (futurs) policiers. Le chapitre 2 porte sur l’intervention policière, notamment sur le Modèle national de l’emploi de la force, sorte de « bible » de l’intervention policière au Québec. Le chapitre 3 recense une partie des très nombreux écrits scientifiques sur la police en mettant l’accent sur l’histoire récente de l’organisation. Comment en sommes-nous arrivés à ce qu’on connaît aujourd’hui ? Par exemple, l’expérience de Kansas City (aux États-Unis), dans les années 1970, a marqué un tournant dans l’orientation stratégique policière en Occident. Pourquoi ? Le chapitre 4 présente rapidement la position la plus critique de la police, l’abolitionnisme policier. Il explore les raisons principales qui sont évoquées pour justifier cette position et souligne que les idées abolitionnistes ne sont finalement pas si éloignées des idées réformistes. Tout de suite après seront discutés le contrôle et l’encadrement du travail policier, au chapitre 5. Le Commissaire à la déontologie policière, à la fois une personne et une organisation cruciale au Québec, de même que le Tribunal de déontologie policière y seront étudiés. En conclusion, une réflexion sera proposée sur les jugements rapides qui sont souvent formulés à l’égard de l’intervention policière ainsi que sur les réponses hostiles qui sont parfois offertes par la police. J’ai volontairement évité d’emprunter un style d’écriture universitaire ponctué de références aux écrits scientifiques, mais tous les chapitres sont suivis de quelques recommandations de lecture, autant que possible en français.

    La police est un sujet de débat universitaire depuis plus de 70 ans. Bien que les écrits s’y consacrant abondent, j’ai dû me restreindre à ceux qui me semblaient les plus pertinents dans le cadre du présent ouvrage.


    ***

    Avant de commencer, je dois situer mon parcours en tant que chercheur dans le domaine policier. Je suis professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal depuis 2012 et la majorité de mes travaux portent de près ou de loin sur la police. Avant le début de ma carrière universitaire, j’ai occupé un poste de conseiller en planification au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pendant presque cinq ans. Certains en concluent que je ne peux donc pas occuper une position neutre par rapport à la police, car je serais forcément devenu propolice, ce à quoi je répondrai deux choses.

    D’abord, j’avais un intérêt marqué pour la question policière avant même d’être embauché par le SPVM. Contrairement à d’autres, je n’ai pas grandi dans un univers proche de la police (aucun membre de ma famille n’a été policier), mais j’ai toujours pensé que la sécurité était un des aspects les plus importants de la vie en société. Naturellement, je me suis intéressé à ceux qui l’assurent en partie. Ne possédant pas les qualités nécessaires pour être moi-même policier (ceux qui me connaissent personnellement le confirmeront), je me suis tourné vers un domaine universitaire qui s’y intéressait de façon « extérieure ». Le reste de mon parcours a alors pris forme.

    Ensuite, je dirais qu’au contraire, mon expérience au sein du SPVM m’a permis de nuancer mes croyances. J’y ai effectivement découvert une foule de femmes et d’hommes passionnés par leur métier et avides de protéger leur communauté. J’ai entendu un nombre impressionnant d’histoires de courage et d’implication dénuées de tout intérêt personnel. J’y ai aussi découvert les limites et les travers associés au fait de concentrer de telles responsabilités entre les mains de quelques personnes. J’en ai retiré la profonde conviction que la police doit être continuellement améliorée et que la police actuelle sera toujours la « moins pire » des solutions disponibles.

    Avant d’arriver à cette discussion, commençons par le début : qu’est-ce que la police et pourquoi agit-elle en cas d’urgence ?


    1. Pour un résumé de l’affaire, voir par exemple l’article de La Presse du 5 février 2014, sous la plume de Daphné Cameron et David Santerre, « Alain Magloire : la descente aux enfers d’un surdoué ». https://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201402/05/01-4735719-alain-magloire-la-descente-aux-enfers-dun-surdoue.php .

    2. Le terme « policiers » sera utilisé tout au long de ce texte de manière inclusive, c’est-à-dire qu’il fait référence autant aux policières qu’aux policiers. Il s’agit d’un choix guidé exclusivement par un souci de simplification.

    3. Malouin, L. (2016). Rapport d’enquête sur les causes et les circonstances du décès de Alain Magloire survenu à Montréal le 3 février 2014 . Montréal : Bureau du Coroner. www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Coroners/Rapport_Magloire.pdf .

    Chapitre

    1

    Qu’est-ce que la police ?

    La police telle qu’on la connaît aujourd’hui est une invention relativement récente, mais l’origine du terme aide à sa compréhension. Le mot « police » prend son origine des termes grec polis et latin politia, qui réfèrent respectivement à la « cité » et aux choses « politiques ». Autrement dit, dès son origine, la police avait un caractère urbain très marqué et était étroitement associée au gouvernement en place. On trace même les origines de la police moderne au XVIIe siècle en France, où la Lieutenance générale de Paris visait essentiellement à protéger la monarchie en place. Les policiers de la Lieutenance générale ne portaient pas d’uniforme et n’effectuaient pas de patrouille telle qu’on la connaît aujourd’hui. Leur organisation correspondait essentiellement à ce qu’on désigne maintenant comme la « haute police », une police du renseignement qui travaille moins dans l’urgence. En 1829, sir Robert Peel, alors secrétaire d’État et plus tard premier ministre du Royaume-Uni, réorganisait le Metropolitan Police Service de façon à créer les bobbies britanniques, des policiers en uniforme bleu dont la mission première était de répondre aux demandes de la population.

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