Journal d’un enfant du siècle
Par Xavier Bardey
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Xavier Bardey, ingénieur diplômé de l’École Centrale de Paris en 1986, a mené une carrière dans l’aéronautique, travaillant entre l’Europe et les États-Unis. Dans les années 2010, il décide d’alerter ses contemporains sur le risque d’écocide qui plane sur les générations futures. Il publie un roman en 2018, puis un essai en 2021, deux œuvres saluées par le grand prix du Salon du livre de Toulouse. À travers ses écrits, il interroge notre responsabilité collective et éclaire les défis écologiques et sociétaux majeurs de notre époque.
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Aperçu du livre
Journal d’un enfant du siècle - Xavier Bardey
L’histoire éclairante d’un avenir sombre
Xavier Bardey, dans ce deuxième roman d’anticipation, a choisi une forme originale mêlant projections temporelles dispersées et flash-back. Ce parti pris stylistique, qui rappelle celui du journaliste américain Ernest Callenbach¹, est parfaitement en phase avec la dégradation passée et attendue de l’environnement en général et du climat en particulier, qui se nourrit d’à-coups. Le lecteur est ainsi informé d’évènements clés, tous vécus sur l’instant par un intrépide journaliste d’investigation ayant consciencieusement rédigé un journal intime tout au long de sa carrière.
L’auteur nous invite ainsi à partager un exercice prospectif de pensée qui propose l’histoire du XXIe siècle, celle de notre avenir et de celui de nos enfants, dans une version qu’il a imaginée aussi sombre que crédible. Lancés collectivement depuis plusieurs décennies dans un paquebot ivre, aveuglés par la soi-disant performance de ses instruments sophistiqués de navigation, comment ne pas souscrire à la possibilité d’une prochaine escalade de l’effondrement du vivant et, s’agissant de l’humanité, de son architecture sociale ?
On pourra toujours critiquer le fort pessimisme de l’auteur, qui fait par exemple l’hypothèse d’un emballement climatique majeur et d’une baisse rapide de la disponibilité en ressources énergétiques fossiles, situation que des spécialistes jugeront peu probable à ce niveau, même s’il ne fait aucun doute qu’elle ne fait qu’empirer. Songeons que ce récit ne fait peut-être que conter de manière accélérée des effets qui devraient se produire d’ici deux ou trois siècles, du moins si trop peu est fait au niveau international pour juguler et inverser rapidement l’augmentation perpétuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre ainsi que son lot grandissant d’atteintes à la biosphère. Il est en effet loin d’être évident que davantage de temps suffise à nous organiser de manière parfaitement sereine et collective sur un défi aussi complexe…
Au travers de la découverte du contenu des carnets intimes de ce journaliste, et des commentaires associés, l’auteur nous plonge dans des tranches de vie fortement bousculées, particulièrement perturbantes lorsqu’on est habitué au mode de vie occidental actuel. S’agissant par exemple des transports motorisés de masse, l’auteur, ancien ingénieur de l’aéronautique, nous les dépeint comme devenant exsangues : les liaisons transatlantiques sont progressivement assurées par des cargos et quelques dirigeables, l’avion civil gros porteur étant massivement relégué dans le cimetière des souvenirs high-techs low cost.
En avançant dans le roman, on imagine facilement que le lecteur se prendrait à vouloir lui-même feuilleter l’un de ces carnets à la date de son choix. D’autant plus que l’auteur a eu l’audace de dépeindre un conflit régional dévastateur situé dans un avenir relativement proche. Même s’il ne se produit effectivement pas (espérons-le !), cela ne doit nullement remettre en question la crédibilité des pronostics ultérieurs qui demeurent d’authentiques menaces latentes.
Puisse ce roman nous éclairer sur les multiples dangers tendanciels globaux qui nous menacent, de sorte à entamer une grande bifurcation, cette fois basée sur de sérieuses boussoles. La tâche est immense, tant nos sociétés sont avides d’exploitation de ressources et de croissance économique perpétuelle, dorénavant verdie d’un vernis anesthésiant, portée par la croyance en une technologie toute puissante propre à corriger, bientôt mieux que nous, tous nos travers.
Laurent Castaignède²
Bordeaux, octobre 2024
Introduction
Cet ouvrage risque de ne rentrer dans aucune des cases littéraires classiques.
Bien que constituant la suite d’un roman d’anticipation : La deuxième maison³, ce n’est pas exactement un roman.
Comment pourrait-il s’agir d’une suite d’ailleurs, dans la mesure où la plupart des évènements dépeints précèdent ceux relatés dans le premier ouvrage ?
Ce n’est évidemment pas de la poésie.
Ce n’est pas non plus un essai, car la fiction, la spéculation et l’imagination y tiennent une place de choix, sinon le rôle principal.
Ce n’est, à mon sens, pas vraiment une dystopie, car il se pourrait bien que les faits mentionnés se produisent effectivement au cours des décennies à venir. C’est du moins ma conviction profonde. Peut-être pas exactement dans l’ordre temporel ni dans les lieux géographiques anticipés, mais un jour ou l’autre du présent siècle, quelque part, ici ou là sur notre petite planète.
Ce n’est certes pas une biographie, encore moins une autobiographie, car aucun des personnages n’est réel.
Ce n’est en aucun cas un programme politique, bien que la politique, la géopolitique, la démographie et les sciences humaines y soient toujours en embuscade et en constituent des ressorts importants.
Ce n’est pas un traité scientifique, car aucun calcul, aucune courbe, aucun théorème n’y figure.
Ce n’est enfin pas un ouvrage de science-fiction dans la mesure où aucune technologie fantastique, aucune intelligence artificielle, aucun androïde, aucune créature extra-terrestre n’y joue un rôle quelconque.
Mais de quoi diable s’agit-il donc ?
Disons qu’il s’agit d’une réflexion sur notre horizon proche (le demi-siècle à venir), une extrapolation de la trajectoire de l’humanité confrontée aux implacables lois de la physique et à ses limites, qu’elles soient planétaires, biologiques ou cognitives.
Seul l’avenir pourra nous dire si cette vision était réaliste.
J’ai utilisé l’écriture pour donner corps à cette réflexion. J’y ai mis en scène quelques protagonistes témoins de leur siècle, ballottés par les évènements. J’ai confié au personnage central, Louis Delalande, journaliste de profession, le soin de consigner dans son journal intime une bonne partie de l’aventure du XXIe siècle, au travers de ses reportages, de ses réflexions et de ses ressentis.
C’est avec les yeux de son arrière-petite-fille, Nikita Delalande, une enfant de la deuxième partie de ce XXIe siècle que nous feuilletterons les cinq cahiers laissés en héritage par son bisaïeul.
Nikita sera le trait d’union entre nous tous, qui avançons à tâtons dans une époque que nous pressentons pleine de dangers, et ceux qui auront la chance d’atteindre la fin du siècle.
Ne nous méprenons pas : ces derniers sont déjà parmi nous. Nous les côtoyons tous les jours.
Ce sont nos enfants et petits-enfants, si nous sommes nés à la charnière entre le XXe et le XXIe siècle. C’est peut-être toi, cher lecteur, si tu es un enfant des années 2000.
Nul besoin d’avoir lu La deuxième maison pour accompagner la famille Delalande dans les péripéties du monde futur.
Embarquement immédiat !
Chapitre 1
Où Louis Delalande noircit la première page de son journal et où l’on rappelle brièvement l’histoire de la famille Delalande.
Louis Delalande est né le vendredi 8 avril 1988 dans le sud de la France, dans les Alpes de Haute-Provence, entre montagne et Méditerranée. Sa famille vivait chichement de la terre, cultivant la vigne, les olives et la lavande, élevant des abeilles.
Contrairement à beaucoup d’agriculteurs de l’époque, ses parents avaient résisté aux pressions productivistes et financières. Ils perpétuaient une agriculture diversifiée et traditionnelle. Sans forcément en être conscients, ils figuraient parmi les pionniers de l’agriculture locale et biologique.
Le jeune Louis dut atteindre l’adolescence pour tirer fierté de la posture courageuse de ses parents, souvent raillés par leurs collègues. Lui-même fut fréquemment la cible des moqueries de ses camarades de classe, répétant les conversations entendues à la maison.
Atavisme familial ou prise de conscience indépendante ? Louis Delalande restera, tout au long de son existence, du côté des non-conformistes et des libres penseurs.
C’est également à l’adolescence, en arpentant collines et forêts, qu’il prit conscience de la beauté et de la fragilité de son environnement.
Enfant curieux et contemplatif, Louis rêvait de parcourir le monde pour en explorer les beautés, pour en comprendre les ressorts, les cultures, les contrastes, les paradoxes et les dérives.
Très jeune déjà, il eut l’étrange pressentiment qu’il ne passerait pas toute son existence dans ce petit paradis du pourtour méditerranéen.
En 2002, à l’âge de quatorze ans, il prend une décision qui s’avérera cruciale pour lui, pour certains de ses descendants et… pour cet ouvrage : il décide d’ouvrir un journal intime.
Au cours d’une déambulation solitaire et nostalgique de fin de vacances d’été, il pénétra machinalement dans la minuscule librairie-papeterie de son village. Les manuels scolaires avaient déjà envahi les présentoirs, mais c’est le rayon des carnets intimes qui retint son attention. Ce fut comme une révélation. Comme si un vide allait enfin être comblé.
S’offrait soudainement à lui l’opportunité d’exprimer le flot incessant de sentiments, de visions, d’idées et de jugements qui bouillonnait dans son cerveau d’adolescent.
Comme hypnotisé par la perspective de pouvoir enfin dialoguer avec un véritable ami, attentif et bienveillant, il choisit avec un soin et une gourmandise infinis celui qui deviendrait son confident tout au long de son existence.
Après moult hésitations, il se laissa séduire par un carnet d’allure ancienne, relié de cuir vieilli, ocre et brun. Cet aspect « vintage » donnerait, pensait-il, sérieux, crédibilité et longévité à ses écrits. Le papier doux, immaculé, assez épais, appelait à la rêverie, au dessin et à la belle écriture. Une élégante plume d’oie était gravée en creux dans le cuir de la couverture. Sur la tranche était inscrit en lettres dorées : Mon journal.
Affaire conclue.
De retour à la maison, Louis passa de longs moments à caresser et feuilleter ce livre vierge.
Il attendit quelques jours avant de coucher sur le papier ses premières réflexions.
Il ne voulait pas se contenter de relater son quotidien, qu’il jugeait banal, comme la plupart des adolescents. Non, il voulait quelque chose de fort, de romantique, de rebelle et pourquoi pas… d’universel !
Il voulait décrire le monde à sa façon, le critiquer, le défier et le repenser pour mieux le refaire.
Alors vint le moment de se lancer.
Sur la première page, il décida de relater le Sommet de la Terre qui venait de se tenir à Johannesburg entre le 26 août et le 4 septembre de cette année 2002. Le jeune Louis y recopia soigneusement, comme une prémonition, en haut de la première page, quelques fragments du discours de Jacques Chirac, alors président de la République :
Lundi 9 septembre 2002, Toulon
« Notre planète brûle et nous regardons ailleurs… Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »
Sans avoir de sympathie particulière pour ce président, dont il ignorait à peu près tout ni pour aucun autre politicien ou politicienne, Louis avait cependant l’intuition que cette tirade, par sa simplicité et sa force d’évocation, marquerait les esprits et… pourrait lui resservir.
Il avait entendu parler des rapports du GIEC⁴, de la pollution et du changement climatique.
Bref, cet évènement planétaire résonnait en lui et lui semblait digne d’orner la première page de son nouvel ami de papier et de cuir.
Entre cette fin d’été 2002 et sa disparition en 2078, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, Louis Delalande ne cessera de se confier à ce support. Il produira cinq volumes en trois quarts de siècle.
Mais avant de pénétrer davantage dans le journal de Louis Delalande, survolons rapidement son histoire et celle de sa famille sur quatre générations.
Élève rêveur, considéré comme très moyen, voire fumiste, à l’aune du système académique de l’époque, c’est seulement en fin d’études secondaires que le jeune Louis se découvrit une passion, et un réel talent, pour la narration et le journalisme.
Pas mal de travail et un peu de chance lui permirent d’intégrer Sciences Po, à Paris, en 2007.
Ces longues soirées occupées à bâtir une pensée, à la structurer, puis à la souffler à l’oreille de son journal, avaient probablement fait germer en lui la petite graine de la belle écriture, de l’importance du sens des mots, de la précision et de la vérité.
Un peu plus tard, ce fut l’investigation qui attira notre étudiant. Les thrillers politiques, les romans d’espionnage, les scandales financiers et les affaires de corruption avaient toujours orienté ses choix de lectures et de films.
Ses résultats plus qu’honorables à Sciences Po lui permirent de décrocher son premier job dans un grand quotidien national à l’âge de vingt-quatre ans. Nous sommes alors en 2012.
En 2015, à vingt-sept ans, il avait déjà noirci un cahier complet. Il décida, a posteriori, de l’intituler « Dernier espoir ».
C’est cette même année qu’il s’installe avec sa compagne Virginie devenue pédiatre. Ils ne se quitteront plus et traverseront ensemble le siècle qui sera tout sauf un long fleuve tranquille.
Son début de carrière plutôt riche et rapide le conduisit à côtoyer les milieux de la politique, de la finance, de l’industrie et de la science.
En 2017, Virginie donna naissance à leur fille unique, Rosa.
En 2018, à trente ans, Louis entra à la rédaction d’une grande chaîne de télévision européenne, dont le siège était situé à Strasbourg.
La seconde moitié des années 2020, marquée par l’accession au pouvoir des partis conservateurs dans de nombreux pays, mit un sérieux coup de frein à une carrière pourtant prometteuse.
Les intimidations puis les menaces se faisant de plus en plus précises et visant parfois la famille, les Delalande s’exilèrent à Francfort où Louis devint chroniqueur et journaliste free-lance. Nous sommes en 2027, il n’a alors que trente-neuf ans, sa fille Rosa, dix ans.
Tout au long de la décennie 2030, après la guerre d’anéantissement du Proche-Orient, et alors que pointait déjà l’ombre du grand chaos climatique et géopolitique, la famille Delalande n’a réellement subsisté que grâce aux revenus de Virginie, devenue médecin à l’hôpital des enfants de Francfort.
Comme la plupart des Européens, ils avaient dû adapter leur mode de vie aux diverses pénuries.
Louis devint grand-père en 2042, il venait d’avoir cinquante-quatre ans. Sa petite-fille, prénommée Inge, avait été adoptée par sa fille Rosa.
La petite Inge, dont on ignorait le prénom d’origine, avait déjà deux ans quand elle intégra la famille. Elle était sans doute née dans le sud de l’Espagne ou en Afrique du Nord. Rosa vécut seule avec sa fille, craignant le désir d’avoir un autre enfant avec un homme dont elle serait tombée amoureuse.
Entre 2030 et 2070, durant presque deux générations, rares furent les parents enclins à procréer, tant les conditions matérielles s’étaient durcies et tant l’incertitude était grande concernant la marche du monde.
En Europe, l’afflux massif de réfugiés climatiques incitait de nombreux couples, mais également de nombreux célibataires, à recueillir et adopter les orphelins échouant en masse dans les régions situées au nord du 40e parallèle, aux confins des régions sahélisées du pourtour méditerranéen. La Méditerranée et ses rivages furent baptisés par la presse « le grand cimetière » ou encore « la Méditerre-damnée ».
En 2062, Inge donna naissance à Nikita, dernière descendante de la tribu, faisant de Louis un heureux arrière-grand-père. Inge avait épousé Karel, lui-même recueilli par une famille danoise dans les années 2040. Karel venait du sud de l’Inde. Ses parents l’avaient confié in extremis à la Croix-Rouge lors des grandes émeutes de la faim de Bangalore, en 2039.
Karel et Inge furent tous deux emportés par la terrible épidémie de varicelle qui décima un tiers de la population mondiale, entre 2067 et 2068. Leur fille Nikita n’avait que cinq ans.
Du fait de la désorganisation du système de santé, les souches vaccinales de nombreuses maladies, jadis bénignes, avaient été perdues. L’appauvrissement généralisé des compétences en médecine n’avait pas permis de restaurer la capacité de concevoir et produire les vaccins et les traitements nécessaires.
La jeune Nikita, devenue orpheline, fut donc élevée par sa grand-mère Rosa et ses arrière-grands-parents Louis et Virginie.
L’enfant, vive et sensible, sera leur principale motivation pour poursuivre leurs combats humanistes et pour s’impliquer toujours davantage dans l’aventure EMR (Earth and Mankind Renewal : Renouveau de la Terre et de l’Humanité).
Rosa, la fille de Louis, femme indépendante, marchera dans les traces de son père. Dès les années 2060, elle prendra d’importantes responsabilités dans le maintien de l’état de droit en Rhénanie, région devenue autonome, dont la constitution avait été co-rédigée par son père.
Louis Delalande décédera de mort naturelle en 2078, peu après la disparition de son épouse Virginie.
Le nom du reporter touche-à-tout restera pour longtemps attaché à la résilience de certaines régions et à l’amorce de la restauration climatique à l’échelle du monde.
Nikita sera fortement influencée par l’héritage moral de son arrière-grand-père. Quant à son héritage matériel, il sera uniquement constitué de ses journaux intimes. Louis Delalande n’avait aucun goût pour la possession, la propriété et encore moins l’accumulation. D’où son choix de finir sa vie dans une communauté, dans le village d’Hallgarten au bord du Rhin, non loin de Francfort.
Il aimait à dire que tant qu’il était certain de manger à sa faim et de dormir dans des draps secs, tout allait bien. Il consacra toute son énergie à l’intérêt général et à la restauration d’un environnement vivable et durable.
En comparaison avec bien des familles, où que ce soit sur la planète, les Delalande faisaient malgré tout figure de chanceux. Ils avaient certes souffert des fléaux de leur temps, mais n’avaient pas tous été décimés par les conflits armés, les crises sociales, les pandémies ou les catastrophes climatiques. Ils n’étaient pas tombés dans les griffes de groupes paramilitaires, ils n’avaient pas dû quitter leur continent ni abandonner complètement leurs racines culturelles.
Chapitre 2
Où Nikita, réfugiée chez les Indiens shoshones avec ses deux coéquipiers survivants, redécouvre le journal intime de son aïeul Louis Delalande.
En février 2089, après son exfiltration dramatique du quartier général de l’organisation sectaire Genesis, puis sa fuite à travers les Montagnes Rocheuses, Nikita, comme ses deux autres coéquipiers survivants, est recueillie par les Indiens Shoshones (voir La deuxième maison).
Cette tribu, restée fidèle à sa philosophie humaniste, respectueuse de la nature, a fui juste à temps le grand chaos du milieu du XXIe siècle.
Au bénéfice de la ruine de la plupart des moyens de transport et de communication, les Shoshones se sont isolés dans le plus haut massif du Colorado. Plus aucune route, plus aucune voie ferrée n’arrivent jusqu’à eux.
Aucun satellite, aucune antenne, aucun radar n’envoie plus de signal susceptible de les écouter, de les voir ou de les détecter. L’altitude élevée maintient un niveau de fraîcheur et de pluviométrie suffisants pour leur permettre d’entretenir une agriculture vivrière durable et de qualité.
Les Shoshones ont eu l’intelligence de sauvegarder et d’entretenir certains acquis scientifiques et technologiques qui leur donnent les moyens de vivre en sécurité, avec un niveau de confort, de sérénité et de bien-être qui ont disparu de la plupart des sociétés de l’époque.
Médecine, production agricole, énergie propre, transmissions radio, arts et philosophie ont été décrétés « savoirs critiques » par les Shoshones, ils ont toute leur place dans leurs bibliothèques et centres de formation. Les notions de limites planétaires, de biens communs et de neutralité par rapport aux cycles naturels fondamentaux (cycle de l’eau et du carbone en particulier) régissent chaque acte, chaque décision de la vie des Shoshones, individuellement et collectivement.
Ils ont réussi à concilier joie de vivre et durabilité, ils ont inventé une forme désirable de sobriété.
Nikita réalisa rapidement que les valeurs défendues par son mouvement politique, en Europe et dans le bassin des grands lacs nord-américains, étaient en tous points compatibles avec celles de ses sauveurs et hôtes, ici, sur ces hauts plateaux des Montagnes Rocheuses.
Lors d’une discussion, comme elle en avait fréquemment avec Pierre, le chaman de la tribu, celui-ci demanda à la jeune femme ce que contenait ce sac de toile auquel elle semblait tant tenir.
« Ce sont les journaux intimes de mon arrière-grand-père, Louis Delalande, il nous a quittés il y a onze ans, en 2078, j’avais seize ans.
— Je comprends mieux, maintenant, pourquoi tu as pris tant de risques pour les conserver lors des attaques de Genesis et durant ton évasion.
— Évasion est un bien grand mot. Sans votre aide, mes amis et moi y serions tous restés. »
Après un bref silence, Nikita ajouta :
« C’est tout ce qu’il m’a laissé. J’y tiens énormément. Cela fait quelques mois que je ne les ai pas ouverts, depuis Montréal en fait. Il y a cinq cahiers couvrant douze à quinze ans chacun, de 2002 à 2078. Regardez ! »
Nikita dénoua le cordon qui maintenait fermé le sac de toile.
Les deux amis étaient assis côte à côte, en tailleur, sous la tente destinée à la convalescence de la jeune femme.
Elle déposa un à un les cinq volumes, en éventail devant eux. La couverture chamarrée qui couvrait le sol les mettait en valeur, comme un appel à la lecture.
Pierre considéra ce partage comme un gage de confiance, d’amitié même. Sa curiosité vis-à-vis du contenu de ces ouvrages était vive. Des enseignements, des visions, des réponses à certaines questions s’y trouvaient peut-être.
« Je peux jeter un œil ? interrogea-t-il, quelque peu hésitant.
— Bien sûr. Bien sûr. Allez-y. Vous pouvez même les lire. C’est écrit en français. C’était sa langue natale, il y a de nombreux dessins également. Ah j’y pense, dans le dernier volume il y a quelques pages en allemand, car mon arrière-grand-père a passé une bonne partie de sa vie à Francfort et dans la vallée du Rhin. À la maison, avec ma grand-mère Rosa, nous parlions français. Tous deux me faisaient l’école quand j’étais enfant.
— Pour l’allemand il faudra m’aider Nikita, pour le français je devrais pouvoir me débrouiller.
— Arrêtez Pierre ! Pas de fausse modestie, vous le maîtrisez parfaitement… et pourquoi, d’ailleurs ? Si je peux me permettre.
— Ma mère était québécoise d’origine. Elle a migré vers l’Ouest, juste après ma naissance, suite aux méga-feux qui ont ravagé le Québec, la Gaspésie et le Manitoba. Les Shoshones nous ont recueillis. Puis, en 2067, eux-mêmes ont dû fuir vers les Montagnes Rocheuses.
— Pourquoi ?
— À l’époque, il y avait cette varicelle… et la sécheresse… et l’occupation de nombreux points d’eau par les milices de Genesis. C’était le grand bordel, vous savez… des armes partout, des pénuries terribles, les services publics sous contrôle des potentats locaux corrompus.
C’était peut-être encore pire qu’en Europe. Il y a même eu des cas de cannibalisme. »
Avançant la main vers les carnets, Pierre, visiblement impressionné, demanda par lequel il devrait commencer.
— Aucune importance, prenez celui qui vous attire, répondit Nikita, amusée par la question.
Hésitant, le chaman commença par prendre chaque carnet un par un, les soupesant et en examinant la tranche. L’auteur y avait écrit à l’encre violette les dates de début et de fin de la rédaction, ainsi qu’un titre, ajouté a posteriori, évoquant son ressenti vis-à-vis de la période dépeinte.
Les cinq tomes se déclinaient ainsi :
Septembre 2002 – décembre 2015 : Dernier espoir ;
Janvier 2016 – janvier 2028 : Solastalgie⁵ ;
Février 2028 – avril 2041 : Sidération, Basculement ;
Mai 2041 – septembre 2057 : Sauve qui peut, le chaos ;
Octobre 2057 –.
Étant décédé en 2078, avant d’avoir noirci la dernière page du cinquième carnet, Louis Delalande n’avait pu y inscrire ni la date de fin ni l’intitulé.
Finalement, Pierre se saisit du cinquième carnet, le dernier, le plus récent.
Chapitre 3
Où l’on découvre les dernières photos satellite de la Terre.
Pierre posa délicatement le volume sur ses genoux et commença à le feuilleter.
Son attention fut rapidement attirée par une série de pages agrémentées de schémas finement dessinés, des cartes visiblement, illustrées de noms de villes, de fleuves, de massifs montagneux… un véritable atlas géographique du monde.
L’Indien choisit de commencer son exploration avec cette section datée de 2060. Il avait le sentiment que les dessins éclairciraient les récits du journaliste.
Lundi 22 mars 2060, Hallgarten
Mon apprenti reporter, Andreas Mayer, vient de terminer sa première mission solo. Je suis plutôt fier de lui. Par son côté « clandestin », la tâche aurait pu lui faire peur, mais il a assuré.
Je lui avais demandé de rencontrer secrètement Philippe Klein, le fonctionnaire de l’ESA qui m’avait accompagné à Washington, en 2038, lorsque la NASA et l’ESA ont annoncé l’arrêt des missions d’explorations spatiales civiles. Il y a vingt-deux ans, déjà !
J’ai toujours gardé contact avec Philippe. Ce brillant ingénieur est ma source principale d’information et de vérification pour les affaires ayant un rapport avec la recherche, la science et la technologie. Nous sommes amis maintenant. Je l’ai surnommé « ma vigie de l’espace ». J’apprécie énormément sa modestie et sa pédagogie. Il s’entend très bien avec Virginie, ma scientifique de femme.
Après l’arrêt des projets spatiaux civils, Philippe a été recruté par le bureau européen de la NASA, à Wiesbaden. Il a continué à travailler dans le spatial et dans le renseignement stratégique, en coopération avec les Américains. Il n’a pas eu le choix, m’a-t-il expliqué. Tous les projets européens ont été stoppés en 2038.
En février, Philippe est venu dîner à la maison, à Hallgarten. Il m’a dit avoir eu accès à des clichés récents de la Terre, pris par un satellite militaire américain posté en orbite basse ainsi que par la dernière sonde gravitant encore autour de la Lune.
Une centaine de photos, dont quelques-unes montrent le globe dans son intégralité, celles prises depuis la sonde lunaire.
Il semblait bouleversé et insista pour m’en donner des copies afin que je puisse révéler la vérité sur l’état de la planète à un maximum de citoyens européens.
Depuis le conflit nucléaire israélo-iranien de 2028 et le black-out digital américain, les photos de la Terre vue de l’espace sont rarissimes et totalement contrôlées par l’armée de l’Oncle Sam. On pense que seuls les Chinois ont encore la capacité d’observer la surface terrestre depuis le Cosmos. Et encore, pas certain.
Tous les autres, Russes, Indiens, Japonais, Européens… ont abandonné progressivement cette activité au fur et à mesure que leurs flottes de satellites sont retombées sur Terre. Ils préfèrent acheter les images à la NASA. Leurs priorités sont ailleurs.
Ont-ils le choix d’ailleurs ? L’agence spatiale américaine draine depuis longtemps les meilleurs talents de la planète en leur offrant des ponts d’or et la sécurité, s’ils renoncent définitivement à leur nationalité d’origine pour venir travailler dans ses équipes.
Ce type de clichés étant classé « Secret Défense », Philippe a pris un sérieux risque à me les transmettre. Personne ne devait pouvoir faire le lien entre lui et moi ni mettre en cause le jeune Andreas.
Philippe et Andreas se sont rencontrés hier à Wiesbaden, dans un atelier partagé où les gens dessinent, peignent, sculptent ou jouent de la musique. Philippe y a ses habitudes depuis des années. Mon jeune apprenti, quant à lui, devait faire mine de vouloir s’y inscrire. Une couverture simple, mais qui a parfaitement fonctionné.
Philippe a passé la journée à peindre, comme chaque semaine. Il lui fut assez facile de discrètement glisser les photos dans une sacoche vide avec laquelle Andreas était venu et qu’il avait déposée derrière un rideau.
Il était hors de question que le jeune homme conservât cette petite bombe chez lui. Bien trop risqué. Lui et moi avions convenu d’échanger le bébé dans un parc public de la ville, dans une cachette connue de nous seuls.
À l’heure de la fermeture du parc, Andreas a dissimulé la sacoche derrière une colonne de grès rose plantée au beau milieu d’un impénétrable bosquet de troènes et surmontée d’un buste de marbre blanc.
À l’aube, dès l’ouverture, j’ai récupéré la sacoche. Le tour était joué.
Quel choc, une fois rentré à la maison !
J’ai tiré de la sacoche l’épaisse liasse de clichés.
Si le sujet n’était pas si dramatique, on pourrait s’extasier devant leur précision et la prouesse technique qu’ils représentent. Mais bon, c’est de notre planète dont il s’agit, notre maison, un fragile esquif à la dérive au milieu du Cosmos sans canot de sauvetage, sans aucune planète B à l’horizon.
Je suis envahi par un mélange de curiosité et d’appréhension à chaque image que je découvre.
Le plus choquant est ce qu’on appelle désormais la « Ceinture de Feu », bien visible sur les images prises depuis la banlieue lunaire.
C’est une bande orange, martienne, centrée sur l’équateur et délimitée par les trentièmes parallèles, Nord et Sud. C’est un peu comme si le Sahara avait grignoté l’Afrique dans sa presque totalité.
Seule une petite poche équatoriale, du côté du golfe de Guinée, est restée verte. Cette enclave de vie semble correspondre au Gabon, au Congo et à une partie des pays qui les entourent, jusqu’en Tanzanie à l’Est.
Mais le Sahara ne s’est visiblement pas contenté d’envahir l’Afrique, il a aussi traversé l’océan Indien, s’étendant vers l’Est, en Inde, en Asie du Sud, en Indonésie et sur toute l’Australie !
Un autre cliché lointain dévoile la face opposée du globe. L’Amérique Centrale et le nord du Brésil sont dans un état similaire, cramés par le soleil. La totalité de la forêt amazonienne a disparu !
Au-delà d’être de simples déserts, étendues minérales d’une beauté saisissante, ces régions sont également d’hideux cimetières pour des millions de femmes, d’enfants et d’hommes. Ceux-ci sont invisibles sur les documents, mais bien présents dans les témoignages des migrants rescapés.
Il y a eu le Darfour, dans les années 2020, puis le Sahel, puis l’Égypte et l’Afrique du Sud, sans parler des innombrables drames ignorés du monde. Tous les martyres du siècle n’ont pas eu la chance d’attirer le regard des médias. Tous n’habitaient pas sur un gisement de pétrole, d’uranium ou de lithium. Tous n’avaient pas les moyens d’acheter des armes aux pays riches… ils ont agonisé en silence, morts dans la misère, de soif, de faim ou d’épuisement.
De part et d’autre de cette Ceinture de Feu, les deux franges situées entre les trentièmes et quarante-cinquièmes parallèles de chaque hémisphère présentent une alternance de zones orange et jaunes, parfois légèrement verdâtres.
D’immenses vortex nuageux, dont la taille fait penser à des méga-ouragans, en pavent le ciel.
L’ensemble du bassin méditerranéen, une bonne partie de la Chine et des États-Unis, mais aussi l’Argentine et l’extrême sud de l’Afrique offrent ce visage, symptomatique des nouveaux climats, les climats « hyper-fluctuants » comme on les appelle depuis le milieu du siècle. En proie à des phénomènes météorologiques violents, ces zones sont tantôt écrasées par des canicules interminables, tantôt inondées par des pluies diluviennes, subites et brutales, qui emportent tout sur leur passage. Il arrive que l’atmosphère gorgée de vapeur d’eau vidange en quelques heures cette humidité venue des océans surchauffés.
Et puis il y a les franges dites « tempérées », coincées entre les quarante-cinquièmes parallèles, Nord et Sud, et les deux régions polaires. Ce sont de minces bandes offrant un camaïeu de verts et encore traversées de cours
