À propos de ce livre électronique
Ouanessa Younsi
Née en 1984, Ouanessa Younsi est poète, autrice et médecin psychiatre. Elle a publié cinq recueils de poésie chez Mémoire d’encrier : Prendre langue, Emprunter aux oiseaux, Métissée, Nous ne sommes pas des fées (coécrit avec Louise Dupré) et Quand je vis. Elle a également codirigé le livre collectif Femmes rapaillées. Elle a aussi publié un essai qui retrace son parcours comme soignante : Soigner, aimer, maintenant disponible dans la collection de poche Legba.
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Quand je vis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSoigner, aimer (format poche) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSoigner, aimer Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMétissée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNous ne sommes pas des fées Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes bruits du monde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPrendre langue Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEmprunter aux oiseaux Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Soigner, écrire - Ouanessa Younsi
Ouanessa Youni
SOIGNER, ÉCRIRE
Les Presses de l’Université de Montréal
Cette année, le jury du prix de la revue Études françaises était constitué de Patrick Poirier, directeur général des Presses de l’Université de Montréal, de Stéphane Vachon, directeur de la revue, de Fabrice C. Bergeron, secrétaire de rédaction de la revue, de Marie-Pascale Huglo et d’Élisabeth Nardout-Lafarge.
Lauréats du prix de la revue Études françaises
1968 Ahmadou Kourouma
Les soleils des indépendances
1970 Gaston Miron
L’homme rapaillé
1971 Juan Garcia
Corps de gloire
1973 Michel Beaulieu
Variables
1974 Fernand Ouellette
Journal dénoué
1976 Jean-Yves Soucy
Un dieu chasseur
1980 Makombo Bamboté
Nouvelles de Bangui
1995 Édouard Glissant
Introduction à une Poétique du Divers
1997 Suzanne Jacob
La bulle d’encre
1999 Assia Djebar
Ces voix qui m’assiègent. En marge de ma francophonie
2001 André Major
Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman
2003 Pierre Vadeboncoeur
Le pas de l’aventurier. À propos de Rimbaud
2005 Laurent Mailhot
Plaisirs de la prose
2007 Georges Leroux
Partita pour Glenn Gould. Musique et forme de vie
2009 Hélène Dorion
L’ étreinte des vents
2011 Normand Chaurette
Comment tuer Shakespeare
2014 Louis Hamelin
Fabrications. Essai sur la fiction et l’histoire
2019 Marie-Claire Blais
À l’intérieur de la menace
2022 Maylis de Kerangal
Un archipel. Fiction, récits, essais
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Soigner, écrire / Ouanessa Younsi.
Nom: Younsi, Ouanessa, 1984- auteur.
Description: Mention de collection: Prix de la revue Études françaises
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20240023536 | Canadiana (livre numérique) 20240023544 | ISBN 9782760651456 | ISBN 9782760651463 (PDF) | ISBN 9782760651470 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Relations psychothérapeutiques. | RVM: Psychiatrie—Pratique—Aspect psychologique. | RVMGF: Essais fictionnels.
Classification: LCC PS8647.O955 S642 2024 | CDD C848/.6—dc23
Dépôt légal: 3e trimestre 2024
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2022
www.pum.umontreal.ca
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Fonds du livre du Canada, le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
À Vincent
Les textes qui suivent sont constitués d’histoires imaginées ou modifiées par souci de confidentialité. Tous les noms des personnages sont inventés, hormis le mien, et celui de ma mentore. O. Y.
Pour apaiser la peine, la tristesse et le sentiment de vide auxquels j’étais si souvent en proie dans ma vie de médecin, je me plongeais, dès que je le pouvais, dans les mots […].
Mah Chong-gi,
Celui qui garde ses rêves
Pourquoi t’accrocher à tout ça? Et j’ai répondu:
Où le déposer?
Anne Carson,
Verre, ironie et Dieu
Une «réconciliation batailleuse»
La relation entre littérature et médecine est durable parce qu’elle est inhérente.
Rita Charon1
Cher fils,
Je dois écrire sur «les deux cultures», soit, d’un côté, les arts, les lettres, ce qu’on appelle dans le monde anglo-saxon les «humanités», et, de l’autre, les sciences, les mathématiques. Je manque de sommeil, tu le sais, occupée à prendre soin de toi, de tes premiers mois, de ton avenir.
Le congé de maternité constitue une expérience profonde de la chair, qui éloigne de la théorie. La pensée devient un cœur, elle bat rouge. Les mots forment de petits hochets que nous agitons ensemble, dans le jour de neige, avec ce soleil qui lave tes cheveux, et les livres de texture pour bébés avec toi se muent en littérature.
Me voici dans le corps, les seins, le lait, les couches, et aujourd’hui dans l’écriture, car la date de remise, car l’engagement, car la nécessité de l’éducation. J’ai choisi de composer cette lettre pour te décrire quelque chose d’important à mes yeux. Bien sûr, cela n’équivaut en rien à nos jeux, à te regarder dormir, à te nourrir, et pourtant, grâce à la culture seconde, pour suivre la pensée de Fernand Dumont2, la culture première revêt une autre lumière, un sens nouveau, comme tes mains, leur beauté, leur bonté.
Te raconter comment je suis devenue médecin et écrivaine. Comment les lettres m’ont façonnée comme soignante. Comment il me serait impossible d’être psychiatre sans être poète.
Petite, à quelques années de toi, je voulais écrire, alors j’ai décidé de m’orienter vers la médecine. Comme plusieurs femmes, je manquais de confiance en moi, en ma plume, en la possibilité de devenir autrice. Ce métier me paraissait inatteignable; pour moi, on pouvait seulement écrire, c’est-à-dire aimer les mots. Fille d’un immigrant qui me rappelait périodiquement qu’il était arrivé au Canada «avec un passeport et deux cents dollars dans ses poches», étudier en littérature aurait représenté une forme de reniement du projet familial: «réussir». Enfin j’étais – je ne te le souhaite pas – ce qu’on appelle une bolée; tout le monde me disait que je devais aller en médecine, et je suis devenue tout le monde.
J’ai fait ma médecine comme on fait son chemin de croix, car ma passion première restait les mots, la littérature. Je mangeais des poèmes et des oranges. Je suivais les femmes de ma famille, ma mère d’abord, qui avait dans sa jeunesse étudié les lettres allemandes, avant de se réorienter (plus «sérieux» et «il faut bien gagner sa vie») en administration. Au sous-sol de la maison familiale demeuraient néanmoins tapis, tels de précieux vestiges, des livres qui devinrent mes amis: une anthologie de poésie allemande, L’âge de la parole de Roland Giguère, Paroles de Jacques Prévert. Est-ce que Sylvia Plath, Alejandra Pizarnik, Anne Hébert, Gabrielle Roy, Joséphine Bacon accompagneront ta route contre le temps et avec lui?
J’arpentais également les traces de ma grand-mère, pour qui la lecture représentait une religion, et qui m’achetait inlassablement un pyjama et un livre à mes anniversaires, convaincue que dormir et lire constituaient des activités tout aussi nécessaires l’une que l’autre à l’être humain. Elle n’avait pas bénéficié de la Révolution tranquille, avait travaillé à la comptabilité pour son mari, mais parlait avec fierté de ses années à l’école, de son niveau d’éducation honorable pour l’époque, considérant sa famille nombreuse. Championne au scrabble, elle passa ses dernières années dans la démence dans un centre d’hébergement et de soins de très très longue durée, ne sachant plus son prénom ni combien donne de points au scrabble le mot «hypothéquerez» (quarante-six).
Les cours de médecine m’ennuyaient et je me faufilais donc pour le plaisir dans des classes de philosophie. À mon époque pas si lointaine, l’enseignement de la médecine ressemblait à une catéchèse: nous apprenions par cœur et pensions trop peu. J’assistais ainsi, pour la simple joie d’apprendre, à des cours sur Nietzsche, sur Kant, etc. Je me sentais secrètement chez moi, et apprenais le soir mon anatomie (osselets: marteau, enclume, étrier).
Ce qui m’éblouissait dans les arts, les lettres, c’était la pensée en mouvement, jamais figée, et les sciences qu’on disait «dures» me paraissaient «froides», comme si elles cherchaient à contenir la vie, à la cantonner dans des cases. Et pourtant, les plus grands scientifiques n’étaient-ils pas, à leur façon, des poètes, refusant les évidences, les réponses, cherchant en tout la question, l’introuvable? Je te rassure, les cours de médecine ont changé, et un jour, la médecine changera aussi.
Dans mon parcours, la seule discipline qui me semblait conjuguer art et science fut la psychiatrie. Spécialité sans cesse en redéfinition, à cheval sur les neurosciences, la psychanalyse, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, entre autres. Bref, elle m’allait comme un gant.
En vieillissant, je réalise que la médecine elle-même est, ou du moins devrait être, une forme de «réconciliation batailleuse3» entre art et science, entre soin et guérison, comme le suggère Winnicott dans Conversations ordinaires: «Cure, au sens de traitement, d’éradication de la maladie et de sa cause, tend aujourd’hui à prendre le pas sur le sens de care (soin, intérêt, attention). Les médecins praticiens sont sans cesse en train de livrer bataille pour empêcher que les deux sens ne perdent contact l’un avec l’autre4.» Mener cette lutte: telle est la tâche du médecin, car si les fils du soin et de la guérison ne se touchent plus, la médecine elle-même n’existe plus.
Canguilhem, à des années de toi, de moi, possédait déjà cette remarquable idée. Il décrit ainsi la «défaillance caractéristique de l’exercice de la médecine5» en soulignant que la puissance de la rationalité médicale contient en elle-même sa limite, comme Achille et son talon. La technique, si elle s’avère remarquable, complète néanmoins «l’occultation» du patient, de son histoire, de son vécu:
La lutte contre la maladie requiert son objectivation grâce aux sciences biomédicales qui sont mises à la disposition du clinicien. Elle implique nécessairement de mettre entre parenthèses la subjectivité du malade. Mais, si ce mouvement d’objectivation de la maladie explique la puissance de la rationalité médicale, il en constitue l’une des limites les plus problématiques: la prise en charge du malade, elle, ne peut s’effectuer sans porter attention à sa subjectivité. Aussi, «la défaillance caractéristique de l’exercice de la médecine» ne réside pas dans l’échec de son ambition scientifique, dans l’impossibilité «d’annuler dans l’objectivité du savoir médical la subjectivité de l’expérience vécue du malade». Elle réside précisément au contraire dans l’oubli de cette expérience vécue et dans l’occultation de son statut de sujet. Pour prendre en charge le malade, la rationalité médicale doit donc «changer de registre»6.
Comment la rationalité médicale peut-elle «changer de registre»? Comment rappeler au médecin qu’il habite le même corps que les autres et que la mort le tuera comme elle achèvera ses patients? L’enseignement des «humanités» peut-il contribuer à redonner à la médecine ce qui revient à la médecine, soit sa dimension non seulement technique, mais humaine, engagée dans l’art d’une relation avec un patient qui pourrait être soi, qui un jour sera soi, moi, toi? Ou, pour le dire avec Canguilhem, comment refonder la médecine comme une «science de l’espérance et du risque», «authentiquement une science de la vie7»?
Je me méfie des réponses qui paraissent évidentes. Plusieurs études soutiennent qu’enseigner les «humanités» en médecine contribue par exemple à augmenter l’empathie ou les habiletés de communication; d’autres auteurs réfutent ces conclusions. Or je ne veux pas t’énumérer une série d’études, je veux évoquer pour toi le sens, l’amour, te composer un récit qui dépasse la généralisation de ma croyance ou la description d’articles dont les résultats rejoignent ma vision.
Je souhaite te raconter ma passion. Je crois que pour que l’art et la science aient un terrain commun, il doit y avoir cette flamme, cet amour-là. Moi j’aime follement les mots, je les aime car ils me permettent d’écrire et en un sens de soigner, ils m’aident à penser mais surtout à ressentir. Ils me permettent de rejoindre ma part la plus vulnérable et créative, mon vrai «self» comme le traduirait Winnicott8. Le poème est là où je deviens patiente et, grâce à ce saut, où je deviens soignante. Un collègue relatait le dialogue entre un médecin ndembu et un anthropologue. Ce dernier demande au médecin: «Comment avez-vous appris votre métier?»; le soignant répond: «J’ai commencé par être malade.» Voilà comment la littérature et l’écriture me forment comme soignante et donc comme médecin. Ceux qui comprennent le mieux la maladie bipolaire ne sont pas les psychiatres, mais les patients qui souffrent de cette condition, ce que souligne d’ailleurs l’essor des patients partenaires. Je ne suis pas bipolaire. Or grâce à la littérature, je peux mieux appréhender la manière dont la bipolarité est vécue par l’intermédiaire d’une subjectivité mise en forme, en mots, ce que ne permet pas la lecture d’un manuel de psychiatrie. En lisant Anna Karénine de Tolstoï, j’ai la possibilité d’être et de ne pas être Anna Karénine en même temps. La chance de vivre d’autres vies que la mienne9 et de ne pas vivre d’autres vies que la mienne. Le livre devient une fenêtre sur les êtres.
Pour moi, la littérature représente ainsi une forme de connaissance, tout comme la science. Disons-le clairement: on peut mieux appréhender le trouble de la personnalité limite en dévorant Borderline de Marie-Sissi Labrèche qu’en apprenant les critères du trouble à partir de la plus récente édition du
