Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Nahara: 4,7 millénaires d’imposture
Nahara: 4,7 millénaires d’imposture
Nahara: 4,7 millénaires d’imposture
Livre électronique364 pages3 heures

Nahara: 4,7 millénaires d’imposture

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Quatre penseurs éminents se réunissent pour scruter les horizons futurs de la planète. Parmi eux, un biologiste à l’allure singulière, un informaticien arborant fièrement ses tatouages, un mathématicien au regard sceptique et un prêtre au comportement atypique. Ensemble, ils s’attaquent à un phénomène mystérieux, cherchant à dévoiler les secrets de l’évolution de notre société, tandis que leurs compagnes et l’excentrique Hypatie les soutiennent dans cette quête. Cependant, avant de partager leur découverte avec le monde, ils devront d’abord l’accepter eux-mêmes…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Gourdon a nourri sa curiosité en voyageant à travers le monde. Son parcours l’a conduit à concilier sa passion pour l’écriture avec son goût pour l’aventure, donnant naissance à des histoires romanesques mêlant humour et science.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie10 juil. 2024
ISBN9791042232184
Nahara: 4,7 millénaires d’imposture

Auteurs associés

Lié à Nahara

Livres électroniques liés

Fiction littéraire pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Nahara

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Nahara - Philippe Gourdon

    Livre 1

    Exploration

    Les voix du cercle

    Noé

    Devons-nous l’annoncer au monde scientifique ? Avons-nous assez de connaissance ? Non, bien sûr ! Cette nouvelle énergie nous est inconnue.

    Assis contre un arbre, le corps engourdi dans une douce torpeur après ce copieux déjeuner italien, je déguste les arômes de poivre vert soutenus par des notes cacaotées de mon premier Ryanad Reyes. Mon cerveau stimulé par la découverte de David analyse les faits.

    Pourtant, il est formel, elle était là, dès la création de la terre, voire pour sa création. Il suffit d’examiner son comportement, avait-il précisé.

    J’expire, avec volupté, la fumée épaisse de mon cigare totalmente a mano. Des formes fantasmagoriques montent à l’assaut du feuillage. Elles s’élèvent avec voracité vers les branches les plus hautes pour s’y enrouler dans une danse macabre. Ma main gauche caresse doucement sa longue chevelure blonde ondulante. Elle dort, allongée dans l’herbe épaisse colorée de pâquerettes.

    Et pourtant, nous ne savons rien sur elle. Si, une chose : elle bouleversera sans conteste nos croyances.

    Face à nous, les eaux tranquilles du lac Tarendol scintillent de couleurs chatoyantes. Un vieux ponton, en bois léché par le vent, supporte encore, malgré son allure torturée, quelques pas romantiques.

    À sa droite, des roseaux forment une palissade couronnée d’un panache blanc. Une famille de macreuses batifole et des libellules rivalisent d’adresse dans un ballet aérien. À sa gauche, des arabesques aquatiques dessinées par les feuilles lancéolées d’un saule pleureur s’échouent le long d’un muret blanc. Une musaraigne d’eau y musarde.

    … nous pensions connaître toutes les énergies terriennes : cinétique, thermique, chimique, rayonnante, nucléaire…

    Des nénuphars habillés de fleurs à pétales blancs et rouges se laissent bercer par le discret mouvement de l’eau.

    Deux cygnes blancs, imperturbables et majestueux, glissent avec grâce sur cette onde multicolore. Ils s’éloignent, indifférents aux caquètements bruyants d’une famille de canards barboteurs.

    Un alignement d’arbres d’Apollon finit d’habiller les abords du lac. Ces sentinelles impassibles offrent un magnifique chemin ombragé.

    Nous avons glorifié la science. Nous l’avons élevée au statut de pseudoreligion. Pur Orgueil. Maîtriser pour contrôler, maîtriser pour se rassurer de l’inexplicable. Ignorer les lois fondamentales de la nature.

    Un banc en bois ouvré, usé par le temps, attend. Seule mémoire silencieuse des confidences et conversations des passants dont il ignore à jamais les visages. Une petite allée griffe discrètement ce tableau, comme une signature indispensable à la finition de l’œuvre.

    Elle n’est pas fossile. Peut-elle être considérée comme renouvelable ? David ne le sait pas. Il nous attend ce soir dans la grotte. Nous devons revérifier les calculs, être sûrs. Continuer les expériences.

    Sa jambe droite bouge imperceptiblement. Un réflexe. Son bras autour de ma taille me serre plus fort, comme si dans l’inconscient de son sommeil elle imprimait tout son amour. Sa main effleure ma peau. Ses doigts bougent. Elle rêve. Douce caresse. Frisson. Je tourne doucement mon visage pour la contempler. Une tendresse infinie s’empare de mon âme. Elle est jeune et belle. Je suis son contraire. Son visage carré inspire le respect et témoigne d’une farouche énergie. Son corps rond appelle la tendresse et réveille ma passion. Elle est le mariage harmonieux du cubisme de Pablo Picasso et des rondeurs de Fernando Botero. Elle est ma Picaboté.

    Une différence d’âge conséquente sépare nos actes de naissance. Est-ce trop ? Beaucoup le disent ! Peu importe ! La notion d’âge est toute relative. Je l’aime. Elle m’aime. Et merde au qu’en-dira-t-on ! Je traverse cette vie avec une seule vérité : Noé aime Maé, Maé aime Noé.

    Je suis chercheur en recherche fondamentale. On me dit très intelligent. Je suis bien plus ! Je suis un génie et l’un des scientifiques les plus doués de ma génération. Le plus doué en vérité, mais mon humilité m’interdit de l’avouer. Je parle peu, je ne suis pas complaisant et mon humour sarcastique est mortel. Je combats sans relâche les dogmes de la vie et de la science.

    Je préfère les remords aux regrets.

    Je me nomme Noé Arcanda.

    Enfant précoce et unique, estampillé de l’acronyme HP⁵, j’avançais, camouflé, écorché par la vie. Je ne trouvais pas de réconfort auprès de mon père, médecin de campagne, souvent absent, et pour tout dire, peu enclin à me manifester de la tendresse. Quant à ma douce mère, elle priait le seigneur et assistait son époux dans son dur métier. Elle avait fini par perdre toute ambition personnelle après avoir reçu un strict enseignement catholique. Malgré cette sévère éducation, elle avait gardé son caractère volontaire et rebelle et, discrètement, lutté pour toujours penser librement. Elle avait dévoré Socrate, Aristote, Montesquieu, Voltaire, Descartes, Nietzsche, Marx, et bien d’autres. Soucieuse de mon indépendance intellectuelle, elle avait accroché, au-dessus de mon bureau, un texte de Bouddha « Nous ne devrions pas croire une chose uniquement parce qu’elle a été dite, ni croire aux traditions parce qu’elles ont été transmises depuis l’antiquité, ni aux on-dit en tant que tels, ni aux écrits des sages parce que ce sont des sages qui les ont écrits, ni aux imaginations que nous supposons nous avoir été inspirées par un être spirituel, ni aux déductions tirées de quelque hypothèse hasardeuse que nous aurions pu faire, ni à ce qui paraît être une nécessité logique, ni croire sur la simple autorité de nos instructeurs ou de nos maîtres, mais nous devons croire à un écrit, à une doctrine ou à une affirmation que lorsque notre raison et notre expérience intime les confirment. »

    « Pour être un homme libre, tu dois penser par toi-même Noé », me répétait-elle.

    « Deviens un homme sceptique et tu deviendras un homme sage. Le sceptique n’est pas un benêt, non è uno stupido⁶ – ma mère passionnée retrouvait sa langue maternelle –, n’écoute pas non plus tes camarades et leur sobriquet le Buridan, du nom de cet âne mort affamé et assoiffé pour avoir été incapable de choisir entre un picotin d’avoine et un seau d’eau, une légende populaire, mon fils. Diventa un uomo libero, figlio.⁷ »

    Elle avait façonné mon intelligence et avait fait de moi ce scientifique animé d’une véritable liberté de pensée et d’une grande méfiance envers toutes sortes d’autorités, même divines.

    Dans ma quinzième année, mon baccalauréat scientifique en poche, je me prépare à quitter le domicile familial pour embrasser de longues études supérieures. Le matin, la veille de mon départ, ma mère me demande de la rejoindre dans le bureau paternel. Je la trouve assise dans le très chic et très vieux Chesterfield de mon père. Debout, dans l’entrebâillement de la porte, je la regarde. Un silence épais couvre sa respiration. Elle semble en proie à un tourment intérieur et se tord dans une gêne à peine dissimulée. Stupéfait de cette attitude peu habituelle, je cherche désespérément les raisons de son émoi. Quand elle s’aperçoit de ma présence, elle me demande gentiment de la rejoindre, de fermer la porte, de m’asseoir en face d’elle et de l’écouter sans l’interrompre.

    Ma mère à 17 ans

    Par un concours de circonstances, elle se trouve seule à la maison. Sa dernière heure de cours a été annulée et elle est rentrée plus tôt. Ses parents, viticulteurs bourguignons, préparent les fêtes du vin.

    Elle est, comme à son habitude, assise à la table de la salle à manger pour faire ses devoirs. C’est sa cinquième lecture de l’énoncé de l’exercice de physique dont le sujet est le comportement acoustique. Elle est distraite, presque émue par la présence de ce jeune homme appelé par son père pour ramoner la cheminée du salon. Elle ne peut pas s’empêcher de le regarder discrètement, mon Dieu ! Il est tellement beau !

    Malgré des efforts répétés pour cacher son émotion et sa curiosité au petit ramoneur, il est vite conscient de la situation et de l’intérêt manifesté par cette belle jeune fille de condition supérieure. Au milieu de ce silencieux émoi, troublé de temps à autre par le frottement du petit hérisson dans le conduit de la cheminée, ma mère, femme de bonne éducation, lui propose un peu d’eau. Il accepte avec plaisir. Quand elle tend le verre, leurs doigts s’effleurent et son cœur s’accélère. Il la remercie avec un large sourire et boit d’un trait ce verre rafraîchissant.

    — Merci Mademoiselle.

    — De rien. Je vous en prie.

    Elle est là, pique-plantée, hypnotisée par son doux regard noir, son torse nu couvert de suie. Elle refuse inconsciemment de bouger par peur de rompre ce merveilleux moment. Prenant cette immobilité pour une invitation, le petit ramoneur s’enhardit et commence par parler de son métier. Subjuguée par ses muscles nerveux et ses mains aux doigts de musicien, elle prend seulement conscience de ses paroles en entendant son « Mademoiselle, avez-vous compris l’importance d’un va-et-vient régulier dans le conduit ? ».

    — Oui, veuillez m’excuser, monsieur.

    — De rien, voyons. Le rythme donné au ramonage est important, voyez-vous, il doit être régulier, imprimé avec force et douceur. De cette manière, le conduit ne souffre d’aucune brutalité et la cheminée peut crépiter d’une douce chaleur, explique-t-il. Voulez-vous essayer ?

    De la théorie à la pratique, il ne faut pas très longtemps, à la jeune fille troublée et déjà conquise, pour devenir, sur son cahier de sciences naturelles, une jeune femme heureuse.

    Le petit ramoneur s’en va.

    Une fois seule et couverte de suie, elle s’aperçoit tout ignorer de ce jeune éphèbe, jusqu’à son prénom.

    Elle ne le revit jamais.

    Elle eut une mauvaise note à son devoir de sciences.

    Durant toutes ces années, et malgré la tendre présence de son époux, elle n’a jamais pu oublier ce jeune ramoneur à la longue crinière brune et aux yeux foncés, rencontré cet après-midi d’octobre.

    Toute à ses chers souvenirs, ma mère, une larme à l’œil, me regarde avec tendresse.

    — Voilà mon fils. Tu es né neuf mois plus tard. Ton père n’est pas ton père et je suis, hélas, dans l’incapacité de t’en dire plus sur ton géniteur.

    Mon cerveau intègre cette révélation et la traite comme une simple information nécessaire à la compréhension de mon existence.

    Une réponse à l’une des nombreuses variables issues de mon intuition.

    J’embrasse ma mère en la remerciant pour sa confession.

    J’espère son cœur enfin soulagé.

    Je la rassure de mon amour indéfectible.

    Le lendemain matin, je quitte le domicile familial.

    Mon père putatif me dépose à la gare. Après une poignée de main virile et néanmoins chaleureuse, je le regarde s’en retourner à sa voiture.

    Nous nous revîmes neuf ans plus tard dans la maison familiale.

    Il était vêtu d’un costume bleu ciel et allongé dans une caisse en bois massif.

    Pendant son plongeon vers la ferme des Chalumeaux, provoqué par un dysfonctionnement de la crémaillère de direction, il avait constaté que la distance la plus courte entre deux points était bien la ligne droite.

    ***

    David nous a donné rendez-vous à 21 h 02 à la grotte. Il a fait référence à la théorie du chaos d’Edward Lorenz.

    « Noé, m’a-t-il chuchoté, avec cette découverte, la théorie du chaos et les attracteurs deviennent obsolètes. Nous allons déclencher un véritable séisme pour le monde scientifique. »

    David

    Chez les Pastore, tu ne manges pas italien, tu es Italien !

    Leur petite trattoria, Il sorriso della rana⁸, est nichée en lisière des Alpes dans l’Avant-Pays savoyard. Ils sont tous les deux originaires de la province de Frosinone, dans la région du Latium. La vigne, l’olivier et les céréales habillent les collines et les plaines environnantes. Fiers de leurs origines, ils offrent une cuisine généreuse où abondent les herbes et les épices.

    Abre est une plantureuse Italienne Bottega Veneta aux longs cheveux épais et noirs, aux yeux gris vert et à la poitrine opulente. Elle accueille les clients. Ils pensent d’elle : « Elle est la maîtresse des lieux. » Ils n’ont pas tort. Elle dirige tout. Omniprésente, elle veille avec sévérité à tous les détails. Son odeur enivrante de bergamote et de jasmin flotte comme une queue de comète et caresse les clients à chacun de ses passages.

    — Ils ne voient qu’elle, les sens exaltés par son parfum.

    David est un petit homme, chauve comme un genou, dont le corps semble avoir été sculpté dans le tibia d’une cigogne. Ses yeux noirs accentuent sa maigreur. Il est discret, à en être presque transparent. Toujours enfermé dans sa cuisine, il est absorbé par la préparation méticuleuse des plats.

    Perfectionniste, au point d’en devenir obsessionnel, il n’est jamais totalement satisfait.

    — Ils ignorent son existence.

    Elle est toujours apprêtée avec goût, sans excès. Un léger maquillage accentue la beauté de ses yeux, ses mains sont manucurées et une robe colorée et cintrée à la taille dessine ses hanches et sublime son corps. Certains soirs, les clients s’affolent devant sa généreuse poitrine difficilement retenue par un décolleté plongeant.

    Ils disent d’elle : « Quelle femme ! »

    Il est toujours mal fagoté.

    Ils ne comprennent pas ce couple.

    Elle est fière.

    Il est effacé.

    Ce duo atypique forme un merveilleux attelage. Ils avancent à la même allure et dans la même direction. Amour et admiration sont leurs deux attaches indéfectibles. Dès le premier jour de leur rencontre, Abre se rappelle l’avoir toujours couvé, comme une mère bichonne son petit.

    ***

    Troisième né d’une famille de cinq enfants, David a toujours été frêle. Incapable de se défendre physiquement, il est, dès son plus jeune âge, le souffre-douleur de ses quatre frères et plus tard de bien d’autres adolescents méprisables. Il a fini par se résigner. Il trouve son équilibre dans l’étude de la science du vivant. Il peut faire des kilomètres dans la campagne environnante pour chercher dans cette curiosité de vie la compréhension de la beauté. Son appétit d’apprendre est insatiable et le fait lire jusqu’à des heures très avancées de la nuit. Ses frères cultivent leur corps, David nourrit son cerveau. Incompris, il se renferme dans le mutisme et camoufle ses connaissances derrière une timidité exacerbée par un sentiment d’insécurité.

    Il est devenu l’un des meilleurs biologistes au monde.

    À cette même époque, tous les petits gars de Filettino sont amoureux de la belle Abre. Comme souvent dans les campagnes, la beauté d’une jeune fille est une malédiction. Elle devient, malgré elle, le point de convergence du village et engendre jalousie et convoitise – elle est la jeune fille à épouser – lasse des empressements idiots des jeunes impubères, Abre endurcit son caractère pour devenir une jeune femme insoumise et indépendante. Chaque prétendant l’apprend à ses dépens.

    David, passionné par les sciences de la nature, n’a cure de cette chasse à la tourterelle. Comme les autres, il a remarqué sa beauté ; à la différence des autres, il évite de la croiser.

    Je suis insignifiant. Elle est belle, grande et forte.

    Pourtant !

    Abre découvre l’existence de David lors de l’enterrement du vieil Attilio, boulanger de père en fils depuis quatre générations. Il est assis à côté d’elle à l’église. Elle ne l’a pas remarqué. Intimidé, il n’ose pas bouger.

    Pendant le discours épidictique du Père Quolatera, David s’ennuie ferme et ne ressent pas la moindre émotion à la disparition du vieil Attilio. Il en profite pour parcourir discrètement son nouvel ouvrage sur les plantes cultivées en régions tropicales d’Afrique et émet maints sons gutturaux à la lecture de certaines démonstrations du livre. Agacée par ces petits bruits, Abre se tourne vers son voisin. Elle l’a juste entraperçu en entrant dans l’église et l’a trouvé plutôt chétif.

    — Un peu de respect, chuchote-t-elle.

    — Oui, pardon.

    Elle est surprise de découvrir un regard pur et malicieux dans lequel brille une vive intelligence.

    Le visage de David, intimidé, s’embellit d’un sourire infantile désarmant toute véhémence. Elle veut éviter de parler, mais son regard est attiré par les photos colorées du livre de David.

    — Que lis-tu ? finit-elle par demander en se mordant les lèvres de ne pas avoir pu s’empêcher de poser la question.

    — Une étude sur la flore africaine.

    — À l’église ?

    — Je m’ennuie et je déteste m’ennuyer. Veux-tu voir ?

    — Non, ce n’est ni le lieu ni le moment.

    — Oui, pardon.

    Il referme son livre. Toujours dans l’ennui, il admire, avec mille précautions, toute sa beauté italienne. Il est surpris d’entendre la fin de la messe.

    Abre s’est aperçue de ses regards discrets et de son air rêveur. Elle est intriguée et veut connaître ses pensées. Pur réflexe féminin.

    — Je pense à la fleur de magnolia.

    — Ah ! Pourquoi cette fleur ?

    — Elle est belle… Comme toi, dit-il dans une expiration timide.

    ***

    Elle aime sa fragilité.

    Il aime sa force.

    Elle aime son intelligence.

    Il aime son sens pratique.

    Ils se sont trouvés.

    Ils vont fêter leurs vingt-trois ans de mariage. Ce petit homme chétif et discret, ami d’enfance, est Docteur en Biologie et lauréat du Prix Crafoord. Après avoir enseigné à l’université Stanley O. Ikenberry dans l’Illinois, il travaille comme chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) où E. Lorenz fut professeur de mathématiques.

    Un lundi matin, le 17 juillet à 17 h 17, sortant de sa douche, recouvert d’une minuscule serviette violette, sa couleur préférée, il appelle sa femme.

    — Abre, j’ai décidé, entre le shampoing aux œufs et la crème de douche régénératrice, de démissionner. Nous allons quitter les États-Unis et rentrer en France pour réaliser ton rêve : ouvrir une trattoria.

    Abre acquiesce, heureuse et déjà prête pour ce nouveau projet.

    Il cuisine quatre jours par semaine dans leur restaurant Il sorriso della rana et occupe les trois autres jours une chaire à l’université de Lyon.

    Le sourire de la grenouille

    Nous sommes arrivés à 12 h 12. Une autre personne aurait donné un rendez-vous à 12 h ou 12 h 15 voire 12 h 30. Pas notre David ! Il fallait être là à 12 h 12. Il sortit discrètement de la cuisine au moment où nous pénétrions dans la trattoria.

    Accolade fraternelle.

    — Bonjour mon ami. Comment vas-tu ?

    — Bien, merci. Et toi ?

    — Ça va. Je rentre de Pasadena. J’avais une réunion au Caltech. J’y ai croisé DaB. Il te salue.

    — Comment va-t-il ?

    — Il va bien.

    David Baltimore a été pendant dix ans l’un de ses confrères au California Institute of Technology. Surnommés les DD, David a participé à ses travaux qui ont permis la découverte de la transcriptase inverse, une enzyme essentielle chez les rétrovirus comme le virus de l’immunodéficience humaine. Ils sont restés très proches.

    — Encore tes équations d’Einstein en formalisme 3 +1 ?

    — Bien sûr.

    — Bonjour David.

    — Bonjour Maé. Tu es toujours parfaite. Assemblage atomique idéal ! Tu devrais penser à léguer ton corps à la science.

    — Pas tout de suite quand même, plaisante-t-elle, je voudrais attendre encore un peu.

    Petit signe discret de David, dans un chuchotement :

    — J’ai encore découvert des propriétés incroyables. À ce soir, mon ami, 21 h 02 à la grotte.

    — À ce soir.

    David disparaît dans sa caverne aux cent parfums.

    — Buonasera amanti. Come stai oggi⁹ ? demande Abre. Votre table vous attend. Je vous laisse vous installer. Je finis de préparer deux verres d’Amaro Ramazzotti et j’arrive.

    ***

    La salle de la trattoria est minuscule. Elle contient

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1